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Le côté négatif de l’athéisme

Dans le document Québec athée (Page 38-40)

Le mot « athéisme » est en soi une forme lexicale négative. Le préfixe « a » du mot est un privatif. L’athée, comme l’apostat, peut donc être considéré comme quelqu’un qui a un manque, qui est en déficit, qui est privé de quelque chose. De même, d’autres synonymes du mot « athéisme » comportent eux aussi cette dimension négative. L’incroyant serait celui qui aurait un déficit de croyance. Le « sans dieu » serait en « manque » de spiritualité. L’infidèle serait peu fidèle, donc infidèle. Le mécréant aurait de mauvaises croyances, ou de fausses croyances. Le renégat serait quelqu’un qui nie quelque chose, qui dit non à quelque chose, et qui serait donc en opposition. L’impie serait arrogant. Ces termes servent le plus souvent à dénigrer les athées.

Les dictionnaires Larousse et Robert n’accordent aucun sens négatif ou dérogatoire au mot « mécréant ». Ils se contentent d’indiquer que le terme signifie « ne pas croire en dieu(x) ». Pourtant, il semble que, de un, les Québécois ne savent souvent pas ce que signifie le terme, et de deux, ils pensent qu’il désigne quelque chose de peu ragoûtant, même lorsqu’ils sont eux-mêmes athées. Ainsi, la culture québécoise à dominante catholique aura réussi à investir ce mot de connotations qui ne lui appartiennent pas. L’athée québécois est donc sémantiquement dépossédé, dépouillé, de sa propre

identité, dans sa propre tête. C’est un phénomène semblable à ce phénomène si intelligemment décrit par Frantz Fanon : la haine de soi que réussit à instaurer le colonisateur dominant dans l’esprit des peuples colonisés et dominés.

Le mot « athéisme » en est un négatif, certes, mais il demeure encore fort utile. La joie de l’intelligence est de catégoriser en ce qui est et ce qui n’est pas. Une chose est saisissable autant par ce qu’elle n’est pas que par ce qu’elle est. Lorsque vous tendez votre main pour prendre un verre de lait, vous identifiez clairement que votre main navigue dans de l’air qui enveloppe le verre et qui ne fera pas entrave à la saisie de l’objet. Nous entendons passer par un « non-verre » précis pour saisir le verre.

L’athéisme peut se faire, et semble se faire typiquement, en un seul instant d’illumination. C’est le moment cathartique où on dit « non ! » à Dieu. Ce moment est très émotif et est très porteur pour l’identité des gens. C’est pourquoi l’athéisme intéresse les gens. Il exerce un attrait populaire que ne peuvent exercer ni la philosophie ni la science, leur absorption demandant trop d’effort pour la vaste majorité des gens. Cela ne prend pas beaucoup de profondeur pour s’intéresser à l’athéisme. On s’y intéresse de la même façon que toutes les têtes peuvent se tourner, brièvement étonnées, vers le bambin de trois ans qui crie à tue-tête : « Non ! Ze veux pas ! » Il y a d’ailleurs des athées qui ne dépassent jamais ce stade puéril de négativité.

Il arrive donc que ce soit seulement après le passage à l’athéisme que l’on se départe des vieilleries qui encombrent notre esprit. Il est souhaitable alors de faire le ménage de notre grenier pour devenir vraiment athée, pour devenir athée abouti. Quel que soit l’âge auquel on devient athée, il y a un très important et long cheminement à faire pour en réaliser et développer les conséquences, pour devenir une autre personne. Une pleine aventure athée sera rigoureusement moderniste et avant-gardiste. Elle demandera de se départir de nombreux obscurantismes, d’une lourde paresse de l’esprit,

de séparer les nuages pour voir la lumière. L’athéisme est une prise de parti radicale pour la vision claire. Oui, l’athéisme est d’abord une incroyance, un rejet explicite de tout dogme irrationnel et à contresens. Dès que l’on voudra progresser au-delà du refus de Dieu, immanquablement, l’attention sera dirigée relativement plus vers les faits que les opinions. Le guide de la réflexion sera davantage la raison que l’émotion. La science apparaîtra plus attrayante. Le monde discipliné et rigoureux de l’académie sera davantage respecté et recherché. Une nouvelle épistémologie, une nouvelle ontologie, une nouvelle éthique devront être constituées.

D’aucuns disent que l’athéisme, c’est ringard. Ce livre dit attention ! à ces intellectuels blasés. La très vaste majorité de l’humanité est à des années-lumière de l’académie, et un conte de fées lui fait office de vision du monde. Cette humanité, ces gens, ce sont nos frères. Ce ne sont pas des cas désespérés. Ils peuvent tous se désengluer de leur vision du monde archaïque et puérile. Pour ce faire, toutefois, il n’y a rien comme une étincelle initiale, une catharsis. Cette étincelle est l’idée de l’inexistence de Dieu. Cette idée mérite d’être répétée à l’infini, pour que puisse ensuite commencer le vrai travail de représentation du monde et de libération de l’esprit. N’abandonnons pas nos frères dans le babillage de la petite enfance. Apprenons-leur quatre mots qui puissent les motiver à apprendre à parler : Dieu n’existe pas.

Je n’ai pas besoin de certitudes pour vivre, de réponses à mes questions : à ma mort, il sera temps de connaître la vraie réalité. D’ici là… (Sylvain Trudel, romancier québécois athée en entrevue avec Stanley Péan en 2005)

Dans le document Québec athée (Page 38-40)