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à l’orientation politique ?

Dans le document Québec athée (Page 168-177)

Peut-on, à la lumière des chapitres précédents, brosser un portrait global de l’athée québécois ? Existe-t-il un tempérament, un style de vie, une éthique personnelle, un profil socioéconomique, un profil éducatif, une idéologie politique de l’athée québécois ? On s’engage dans de telles démarches à ses risques et périls. Il apparaît tout de même qu’il existe des traits chez l’athée québécois, comme chez l’athée de tous les pays. On pourrait même soupçonner que les athées des divers continents se ressemblent davantage que les coreligionnaires de ces mêmes continents.

L’athée semble avoir un tempérament de « tête forte », un style de vie libertaire et cosmopolite, une éthique humaniste, un profil sociodémographique de professionnel ou de métier à vocation, et surtout un haut niveau d’éducation formelle.

Il existe effectivement aussi des tempéraments athées. Cependant, une diversité de tempéraments offre un terrain fertile à l’athéisme, selon la culture dans laquelle on se trouve. Dans un pays officiellement athée, la croyance athée ne représente pas grand-chose et pourrait même relever d’une mentalité bêtement conformiste. Dans une culture où l’athéisme fut longtemps honni, comme au Québec, le tempérament offrant un terrain fertile pour l’athéisme consisterait en une indépendance d’esprit, une témérité certaine, une attitude idéaliste, une pensée critique et rationnelle. Cette proposition mériterait d’être étudiée scientifiquement…

D’ici là, on pourra se contenter d’un cas de figure pour mieux comprendre la nature du « tempérament » athée. Un tel cas de figure, remarquable, est celui de Geneviève. Alors qu’elle n’avait que 15 ans, Geneviève a mis sur papier sa déclaration d’athéisme. Sa déclaration est extraordinaire et révélatrice pour plusieurs raisons. Geneviève a été élevée dans un milieu familial où l’idée athée ne fut jamais exprimée. Elle est allée à l’école publique et fut inscrite dans les cours

de religion plutôt que de morale au primaire. Aucun livre prônant l’athéisme, directement ou indirectement, ne se trouva dans son logement familial. Geneviève ne connaissait aucun athée. Personne ne l’a encouragée à prendre position pour l’athéisme. Elle a rédigé son texte seule et ne l’a jamais montré à qui que ce soit, jusqu’à récemment, ayant entendu dire que ce livre sur l’athéisme était en friche. Elle a fouillé dans ses papiers et a retrouvé son texte, qu’elle a remis à votre humble serviteur dans sa forme originale — en m’assurant qu’elle n’y avait pas changé un seul mot. Le contexte de la rédaction de ce texte est parfait pour nous aider à réfléchir sur l’idée du tempérament athée. Geneviève a un tempérament quintessentiellement athée. Elle arrive à l’athéisme contre toute probabilité, et contrairement à tous ceux et celles qui l’entourent. Son texte ne comportait aucune intention, sauf de mettre de l’ordre dans ses propres idées. Il est reproduit ici intégralement, avec les erreurs de français:

5 mai 1995

À midi (ben toute l’heure du midi), on a parlé de la vie. Ben plutôt de toutes les questions qui s’y rattachent. C’est écœurant comme Julie, Anne-Marie, Nadia, Geneviève pis Isa croient à plein de choses. Elles disaient toutes qu’on avait une âme, qu’il y avait une vie après la mort, qu’on se réincarnait, plein de trucs comme ça. Ça n’a pas d’allure. Elles disaient aussi que c’était quelqu’un qui avait mit le monde pis toute sur la terre. Quand tu y penses comme faut, scientifiquement, rien de ça est vrai.

Le début de la terre, ça s’est formé d’une météorite (à ce qui paraît). Mais peu importe, c’est pas rien de vivant qui l’a mise là. Pis au début, y’avait peut-être juste un petit microbe. Pis ça a commencé à former des petits êtres, pis des gros animaux préhistoriques (les dinosaures). Pis après, certains descendants des dinosaures se sont transformés en d’autres animaux, ceux qu’on voit aujourd’hui et entre ces deux étapes sont apparus les humains, descendant du singe. Pis c’est comme ça que ça a commencé. Pis sûrement, dans une bonne couple de millions d’années (peut-être avant), les humains vont laisser leur place à d’autres êtres vivants, peut-être un peu ressemblants à nous. La terre s’est simplement formée d’une réaction chimique à cause de la distance de la terre par rapport au soleil. Le soleil a fait naître de petites molécules.

Finalement, Dieu, Jésus et compagnie, c’est de la pure histoire inventée. Jésus, s’il a vraiment existé, ça devait être un gars convaincant. Il s’était fait une idée du monde et il a réussi à la faire croire aux autres. Dans le fond, Marie est pas tombée enceinte du Saint-Esprit. Joseph et Marie étaient pas mariés, pis comme la

chasteté était une grande mode, ben ils ont menti. Ça paraissait mal de faire l’amour avant le mariage, puis comme Marie était enceinte, ils ne pouvaient pas le cacher la grossesse. Facque Marie a dit que le Saint- Esprit était venu la voir et qu’elle était enceinte. Quand Jésus est né, tout le monde était autour de lui parce que les gens pensaient que c’était un être surnaturel. Et Jésus s’est enflé la tête en croyant très fort qu’il était le fils de Dieu. Pis ça s’est rendu jusqu’à nous, en 1995. C’est comme une rumeur. Un matin, quelqu’un raconte un fait et le soir, ce fait n’est plus du tout celui qu’il était originalement. Habituellement, il est toujours exagéré et l’histoire est très souvent modifiée.

Le christianisme, c’est simplement une religion parmi tant d’autres. Chaque peuple croit que sa religion est la bonne, qu’elle explique tout. Si on réunit toutes les religions ( chaque théorie à propos d’un même sujet), les religions perdent toutes leurs sens, leurs cohérences. Jésus y devait être naïf pour vraiment croire qu’il avait été conçu par un esprit. Ou peut-être qu’il s’était arrangé avec ses parents pour pas que ça se sache.

Pour en revenir au début de la terre, comme je disais, c’est sûrement une explosion d’une météorite. C’est la plus courante des suppositions. Ça a bien du sens. Je sais pas pourquoi le monde s’obstine à croire que c’est un être surnaturel quelconque qui l’ait mise là. Premièrement, qui ce serait, qu’est-ce qu’il serait et d’où il viendrait ? Ça n’a aucune allure, de plus que les humains n’existaient pas encore à ce moment de la création de la terre.

La vie après la mort. Les gens se font à croire qu’il y a une vie après la mort souvent parce qu’un de leurs proches est décédé. Ils ne veulent pas croire qu’ils sont

morts et que leurs vies se terminent maintenant. Et comme ils sont tristes, ils se disent que la personne continue de vivre « au ciel ». Cette personne est supposément bien et protège tous ceux qui étaient ses proches. Quand les gens ont des problèmes, ils prient cette personne pour qu’elle leur vienne en aide. C’est un Dieu, mais sous une autre forme. Les gens disent que c’est juste l’âme de la personne qui va au ciel. Mais admettons que les êtres vivants aient réellement une âme. Si cette âme va au ciel, cette âme ne voit pas, n’entend pas, ne pense pas, elle n’a pas de cerveau. Sans cerveau, rien ne fonctionne…

(triste) Les gens ne veulent pas rester seuls et s’imaginent que leurs âmes sont toujours avec eux. Ça les réconforte. Pour l’âme, les gens ne comprennent pas que le cerveau puisse fonctionner seul.

Ils se disent que c’est quelque chose qui l’a fait et qui l’aide à fonctionner. Un cerveau fonctionne à cause de sa composition. C’est tout. Y’en a aussi qui disent que tous les êtres vivants ont une âme, comme par exemple un arbre. Ils comprennent pas que la réaction est chimique entre une graine et de l’eau. Dans le fond, il faut un peu de jugement et de connaissances en sciences. Y’on juste à étudier la science, maudit !!!

Ça me fait penser aux gens qui se font hypnotiser et qui sont « comme morts » et qui reviennent à la vie. Maintenant, tous les gens qui subissent ce traitement disent tous, ou à peu près, qu’ils voient un tunnel noir et qu’au bout du tunnel, il y a une lumière blanche. Ils disent aussi qu’ils se sentent bien. C’est le même phénomène que les Ovnis. Un jour, quelqu’un s’est imaginé voir une soucoupe volante. Depuis ce temps, tous les gens voient des soucoupes volantes dans le ciel.

Admettons qu’il y ait d’autres êtres vivants quelque part dans l’espace (ce qui se peut fort bien, car il y a sûrement une autre étoile qui sert de soleil à un système planétaire comme le nôtre). Si ces êtres venaient visiter la terre, qu’est-ce qui dit qu’ils seraient dans des soucoupes volantes ? Pis sur cette autre planète, il n’y a sûrement pas d’humains. Cette planète n’est peut-être pas formée de la même matière (sol). Elle a sûrement été formée avant ou après la terre. Peut-être que l’évolution de cette planète est plus rapide ou plus lente que la nôtre. Peut-être y a-t-il seulement des végétaux. Peut-être, sûrement, si des êtres y vivent, qu’ils sont vraiment différents de nous. Peut-être sont-ils très primitifs, quoi qu’ils soient physiquement, ou peut-être très supérieurs à nous. Mais une telle distance nous sépareraient que même si leur existence était sûre à 100 %, je doute qu’ils pourraient se rendre à nous, et nous à eux.

Revenons à la vie après la mort. Je ne veux pas dire que les gens mentent ou inventent des histoires. C’est qu’avant de « mourir », les gens se font une image de ce qu’ils s’imaginent du ciel ou de la vie après la mort. Ils croient vraiment qu’il y aura un tunnel. Pendant leur « mort », leur cerveau, leur imagination et leur subconscient travaillent tellement qu’ils pourraient jurer que ce qu’ils ont vu était vrai. On croit tellement que c’est ce qu’il y a après la mort que notre cerveau nous fait voir ce qu’on veut.

L’athéisme est-il associé à une orientation politique ? L’athée typique est-il de gauche ou de droite ? La sociologie de l’athéisme, on le sait, est pratiquement inexistante. Un rare article scientifique portant directement sur cette ques- tion a été publié par le sociologue suisse Simon Geissbühler, qui a réalisé un sondage auprès de 3 000 répondants suisses

en 2002. Sur ce nombre, 45,1 % étaient catholiques, 38,5 %, protestants et 11,5 %, athées. Geissbühler a comparé les théistes et les athées quant à leurs opinions, affiliations et comportements politiques. Comme prévu, les athées se sont déclarés davantage à gauche sur une échelle d’orientation droite- gauche en politique. Toutefois, même si la différence était statistiquement significative (il n’y avait qu’une chance sur cent pour que l’effet soit dû au hasard), cette différence n’expliquait qu’un pour cent (1 %) de l’ensemble de la variance. Une fois retranchés du modèle statistique, les effets de l’âge, des intérêts politiques et du revenu, la différence expliquait tout de même 9 % de l’ensemble de la variance. Plus concrètement par ailleurs, les athées étaient plus souvent sympathisants que les théistes de la social-démocratie suisse par rapport aux partis de droite, par 23 %. Les athées fai- saient significativement moins souvent confiance aux Églises, aux forces armées, au système de justice, à la police, au par- lement, aux partis politiques, aux banques, ainsi qu’à chaque palier de gouvernement. Les athées étaient statistiquement, et de façon significative, plus portés à écrire des lettres de pro- testation aux autorités, à participer à une démonstration, à parer un mur d’un slogan à la bombe de peinture, à parti- ciper à une grève, à endommager une propriété lors d’une manifestation, et à désobéir à un policier…

En est-il de même au Québec ? La sociologie ne nous en dira rien, car aucun sondage de ce type n’a porté sur les athées québécois. Toutefois, à la lumière des chapitres qui précèdent, le lecteur pourra tout de même anticiper le résul- tat d’éventuelles études sur le sujet. Les athées québécois, me semble-t-il, ont été historiquement associés à la gauche : aux rouges davantage qu’aux bleus du temps des Patriotes, aux libéraux plus qu’à l’Union nationale du temps de Duplessis, et à la social-démocratie davantage qu’aux partis du grand capital depuis la Révolution tranquille. On constate cette tendance dans la liste des athées célèbres du Québec et du reste du monde du chapitre II dans les 21 biographies d’athées

québécois transcendants du chapitre V, ainsi qu’un peu partout dans ce livre. Autre exemple bien québécois : le mou- vement d’avant-garde de l’athéisme, au Québec francophone pendant les années 1980, fut la Libre pensée du Québec. Or, cet organisme a regroupé un bon nombre de femmes ; il spécifiait dans sa Charte une prise de position féministe. Une femme féministe, Danielle Soulières, en fut présidente pendant plusieurs années. L’organisme a souligné dans ses publications l’impact paternaliste et sexiste des religions, et il a proposé l’athéisme comme alternative à la religion. Il a mené campagne pour l’apostasie des femmes, appel auquel plusieurs milliers d’entre elles ont répondu publiquement, dans les médias.

Cependant, il ne faut pas exagérer l’élément politique de l’élan athée. L’éducation formelle (et jusqu’à un certain point sans doute, l’informelle aussi) est beaucoup plus importante, et pourrait même expliquer l’élément politique, comme tout le reste. Que serait-il resté de la différence politique entre athées et théistes dans l’étude de Geissbühler si l’auteur avait retranché de son modèle statistique l’influence de l’éduca- tion ? Probablement rien de significatif. Ce sera un dossier à suivre lorsque la communauté scientifique commencera à prendre au sérieux l’athéisme comme objet d’investigation.

Chapitre IV

Dans le document Québec athée (Page 168-177)