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Le « nouvel » athéisme

Dans le document Québec athée (Page 84-90)

Il arrivait souvent et il arrive encore parfois que des athées expriment un désarroi d’être athées, envient les croyants, cherchent des justifications à la croyance, et disent souhaiter que les autres ne soient pas athées. Tel semble être le cas de Nancy Huston dans son essai L’espèce fabulatrice (2008). On y trouve plusieurs affirmations faisant l’apologie de la croyance religieuse. De la bouche d’une athée cela paraît tout de même un peu incongru :

La foi renforce chaque individu en lui-même, et relie efficacement les individus entre eux.

Le ciel, l’enfer, Dieu, l’immortalité de l’âme, les retrouvailles dans l’au-delà : balivernes si l’on veut… mais qui ont la formidable efficacité, la formidable réalité de l’imaginaire. Tout cela aide effectivement les gens à vivre, à supporter la douleur de la perte, à faire le deuil, à renouveler leurs énergies pour le lendemain.

On trouve ce genre de discours aussi chez des auteurs athées québécois. Le professeur de psychologie retraité Philippe Thiriart, athée et cofondateur du mouvement des Sceptiques du Québec, tient un discours semblable, avec son propre angle (Le Québec sceptique, 2009). Thiriart est convaincu que chez l’humain l’élan égoïste est naturel et l’élan moral est social, et religieux en particulier. Ainsi, la religion judéo-chrétienne serait une machination pour convaincre les membres du collectif à adopter des comportements collectifs favorables à la tribu. Sans une telle machination, nous ne serions que des loups les uns pour les autres.

Ces discours autodépréciateurs d’athées ont en commun une faible estime de l’espèce humaine, une grande suspi- cion à l’égard de l’humanisme, et une attitude défaitiste

quant à l’avenir de l’espèce. Ces athées affirment donc qu’il vaut mieux que les gens soient croyants, même si eux-mêmes ne le sont pas, ou du moins font-ils allusion à cet effet. Ils n’affirment pas être des personnes souffrantes ou immo rales pourtant. De deux choses l’une : ils doivent se considérer comme des spécimens rares qui ont un don exceptionnel de bonheur ou de moralité MALGRÉ leur athéisme, ou bien ils manquent vraiment d’estime de soi et craignent que les gens se mettent à leur ressembler, option dont on peut douter… À une telle attitude, on peut rétorquer deux arguments. D’abord, selon les recensements colligés des divers pays, il y a présentement environ un milliard de personnes sur la planète qui n’ont pas de religion, et ce sous-groupe est en progression constante. Il y a même des peuples complets sans concept de Dieu (les Tibétains). Alors qu’on arrête de nous rabâcher les oreilles avec l’éternel impératif religieux. Ensuite, aucune donnée objective ou même crédible ne laisse croire que les athées sont moins heureux (Huston) ou moins moraux (Thiriart) que les croyants. On a longtemps cru dans les milieux athées que ce genre de discours conciliant avec la croyance religieuse de la part des porte-parole athées était bénéfique, que cela favoriserait le dialogue entre athées et incroyants ainsi que l’harmonie sociale.

L’étude la plus définitive sur le lien entre religiosité et bonheur a été publiée par Hackney et Sanders en 2003. Ces auteurs ont méta-analysé 34 études empiriques sur cette question. Lorsque les gens sont questionnés sur l’intensité sub- jective de leur religiosité ainsi que l’intensité subjective de leur bonheur, on observe une très faible corrélation positive (entre .08 et .15). Malheureusement, ce genre d’études que font les psy chologues sont souvent circulaires, invalides, mal avisées, insignifiantes, et embarrassantes. C’est comme demander à un client de psychologue qui paie 200,00$ par séance si sa psychothérapie l’aide et s’il se sent mieux. À question idiote, réponse idiote. Pour étudier le lien entre religiosité et bonheur scientifiquement, il faut dégager un indice objectif

de chacun et il est important de ne pas placer le participant dans une situation ou il sera motivé à justifier ses croyances et comportements. On n’y est jamais arrivé. Le mieux qu’on a pu faire, c’est de questionner les gens sur la fréquence à laquelle ils assistent à une messe (ou activité sociale et formelle d’une église) ainsi que leur comportement quanti fiable en ce qui a trait à la santé mentale ou aux comportements compatibles ou incompatibles avec le bonheur ( prendre des anti dépresseurs, consulter des psychiatres, présenter des comportements anhédoniques comme pleurer, etc.). Lorsque l’étude est ainsi opérationnalisée, la religiosité n’explique qu’un insignifiant .4%, en moyenne, de la variance du bonheur. Considérant que l’on vit dans des sociétés où la religion fournit un conduit d’échange social valorisé, ce qui est remarquable, c’est à quel point la religion n’aide stricte- ment en rien, dans les faits, les gens à se sentir plus heureux.

Il en va de même des recherches sur le lien entre religiosité et moralité. Ellis a méta-analysé en 1985 le lien entre la fréquentation des églises et la criminalité dans 56 études empiriques sur la question. Il a publié aussi ses réflexions sur le phénomène en 1987. La fréquentation des messes (ou analogues pour les autres religions) est liée négativement à la criminalité, mais très faiblement. Ce qui est plus révélateur, c’est que la non-appartenance à une église est associée à un taux plus faible de criminalité que l’appartenance. Cela illustre, d’une part, l’importance de traiter de l’athéisme dans ce genre d’études, choses qui n’est jamais faite, et d’autre part, qu’on n’a pas besoin de religion pour être moral.

Un phénomène nouveau est en voie de changer cette optique commune chez les athées consistant à se sentir démuni ou coupable d’être athée. Il s’appelle le « nouvel athéisme ». C’est un athéisme très articulé, plus affirmé, fier, intransigeant, il faut le reconnaître, de la part des porte- parole athées. Ce nouvel athéisme est nettement hostile à la croyance religieuse. Du côté anglophone, les quatre che- valiers du nouvel athéisme, de grands intellectuels qui ont

compris l’intérêt de relancer la réflexion sur l’athéisme et l’importance d’en faire la promotion, sont l’éthologiste Richard Dawkins, le philosophe Daniel Dennett, le neuropsy- chologue Sam Harris et le journaliste Christopher Hitchens, dont les livres se vendent à des millions d’exemplaires (voir la biblio graphie pour quelques titres). Du côté francophone, le chef de file de ce nouvel athéisme engaillardi est le philosophe Michel Onfray. Au Québec, on pourrait décerner la palme hono rifique du protagoniste athée le plus articulé, mais non strident du tout, à Hervé Fisher (Nous serons des dieux).

1.20. L’athéisme découle de la réflexion

Le premier degré de réflexion fait de l’humain un croyant au surnaturel. La pensée religieuse et ses divers prototypes (totémisme, animisme, etc.) ont dominé le monde jusqu’à aujourd’hui. C’est l’athéisme, pas la croyance religieuse, qui est difficile à saisir. Comme l’écrit le philosophe Robert N. McCauley :

La pensée et la pratique religieuses utilisent des dispositions cognitives profondément enracinées, comme la tendance à l’anthropomorphisme, à sélectionner des explications faciles à mémoriser et à transmettre, et à fixer des catégories ontologiques facilement reconnaissables. Ceci explique la persistance de la religion ainsi que le faible rayonnement de la pensée scientifique (The Naturalness of Religion and the Unnaturalness of Science).

Pourquoi alors plus de 98 % des docteurs en psychologie sont-ils des athées (Wallace, « Psychiatry and Religion : Toward a Dialogue and Public Philosophy », 1990) ? Il y a une raison bien simple à cela. On apprend, dès la première année du baccalauréat universitaire en psychologie, dans toutes les facultés au monde, que la pensée ne consiste en rien d’autre que l’activité des neurones de notre cerveau. Il suffit de feuilleter n’importe quel périodique de neuroscience cognitive

moderne pour en voir des tas de démonstrations. Ce sont les psychologues et les physiologues qui sont les mieux formés à conceptualiser une alternative à l’âme désincarnée, et ce sont effectivement eux qui comptent le plus haut taux d’athéisme de toutes les disciplines scientifiques (Lehman et Witty, Certain Attitudes of Present-Day Physicists and Psychologists, 1931). Les ordres professionnels de psychologie interdisent à leurs membres de représenter leur profession sur la base de principes religieux ou ésotériques. On a vu, il y a quelques années, un raëlien québécois et psychologue, Daniel Chabot, recevoir un blâme de son ordre professionnel pour propos ésotériques… (on notera que, comble de l’ironie, le raëlisme est une fumisterie qui se dit athée et, pour doubler l’ironie, que Daniel Chabot est neuropsychologue de formation). Les programmes universitaires de psychologie interdisent toute éventualité d’enseignement de la discipline sur une base religieuse. Le modèle officiel de la psychologie scientifique est athée, et les pères de la discipline, Pavlov, Bechterev, Freud, James, Watson, Skinner, Hebb, Piaget, Wallon, étaient tous des athées.

La croyance en dieux est naturelle. Elle vient du fait que pour l’enfant, ses parents sont omnipotents et omniscients. Rendu adulte, il n’arrive souvent pas à se départir de cette représentation qu’il a de ses parents. Il la reporte ensuite sur ses enseignants. Il finit par ne la reporter que sur un personnage plus abstrait… qui lui avait été révélé par ces mêmes parents. La croyance religieuse est un atavisme de la petite enfance. (Étienne Harnad, professeur en psychologie à l’UQÀM, Chaire de recherche du Canada en neuroscience cognitive, cité d’un cours donné à l’UQÀM en 2007)

Le cerveau existe d’abord, la pensée, ensuite. Pas de cerveau, pas de pensée. Et d’où vient notre cerveau ? De l’évolution des espèces, évolution qui s’est effectuée à partir du premier organisme vivant, totalement dépourvu du moindre

neurone et de toute pensée. Et comment cette évolution s’est-elle réalisée ? Par l’effet du hasard des mutations, les mieux adaptées étant retenues dans le code génétique des descendants très nombreux, et les mésadaptées étant écartées des gènes des descendants trop peu nombreux. La morale de cette histoire est que l’intelligence, comme tout le reste, est essentiellement le fruit du hasard.

Il n’y a rien de décourageant là-dedans. Le monde reste tout aussi poétique et l’humain, tout aussi magnifique. Que ce soit Dieu ou que ce soit le hasard qui ait façonné ce monde dans lequel nous vivons, l’aventure d’y vivre reste aussi trépidante, la découverte de ses rouages internes, aussi éblouissante, la possibilité de l’améliorer, aussi enivrante. Oui, l’univers est effectivement miraculeux, et notre existence, apparemment improbable. De simples atomes peuvent-ils en faire tant ? Ils peuvent faire encore mieux. Richard Feynman, Prix Nobel de physique et athée notoirement avoué, a écrit qu’avec les techniques de la physique on a démontré que les atomes constitutifs de notre cerveau se font remplacer au complet en moins d’un an. Les atomes composant notre cerveau voltigent et quittent majoritairement la boîte crânienne pour être remplacés par d’autres atomes… La demi-vie des atomes individuels situés dans notre cerveau n’est que de quelques semaines. Ainsi, on retient de notre enfance des traces induites par des atomes externes à nous (maintenant dispersés), ayant eu un impact sur des atomes dans notre cerveau (désormais ailleurs), mais ayant eu la faculté de faire valser, en continu et sans rompre la mélodie, les atomes qui s’y trouvent présentement. La matière est capable de cela et elle est tout aussi capable de tout le reste. Cette poésie atomique est infiniment plus inspirante que les scènes bibliques, pour peu que l’on prenne la peine de s’éduquer un tant soit peu en sciences.

La race élue de Dieu ! La race élue de Dieu !… Ah le vieux sale ! Qui donc ? Le dénommé Dieu […] Pour être un vieux sale, c’est un vieux sale ;

une sorte d’échevin répugnant […] il s’est fait élire en choisissant des élus, les plus forts bien entendu, les Américains, les Israéliens, les Rhodésiens. Les plus forts exterminent les plus faibles pour faire avaliser leur élection. Alors lui, du haut du ciel, il rigole et il règne. Il envoie son cardinal à tête de porc bénir la guerre. Il crache le napalm, c’est sa Pentecôte. Dis tout ce que tu voudras contre lui, il s’en fout. Veux-tu savoir pourquoi il s’en fout ? […] Il s’en fout parce qu’il n’existe pas. (Jacques Ferron, conteur québécois athée, tiré de son conte La charrette, 1968)

Dans le document Québec athée (Page 84-90)