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Mourir sans dieu

Dans le document Québec athée (Page 162-167)

explicitement athée et militant au Québec

3.10. Mourir sans dieu

Presque tous les athées conviennent qu’il est plus facile pour un croyant à la vie éternelle (déiste ou théiste) que pour un athée d’accepter la mort lorsqu’elle nous regarde en face.

Maman maman tout est bien fini il n’y a pas de paradis pas de ciel pas de purgatoire pas d’enfer pas de saint Pierre pour t’accueillir là-haut pas de jugement dernier comme il n’y a pas eu de jugement premier pas de bon Dieu pour te faire justice pas de seigneur selon l’expression moyenâgeuse pour te distribuer ses bienfaits. (Extrait du roman Belle-Moue de la romancière québécoise Huguette O’Neil)

J’ai peur de la cendre sur mon visage. J’ai peur de la friction des atomes de mon cœur. J’ai peur du sang qui pue dans mes pieds, de mes oreilles qui éclatent

de bruit. J’ai peur de la maison des morts d’à côté, de l’infini ramené à la dimension d’un croquis. Ensanglanté de soleil, je cherche la lumière au risque d’être aveuglé. Hanté par la faute de quelques religions, je reste démuni devant l’azur, sans foi ni avenir, avec un grand rêve qui vient de s’écrouler. Et comme j’ai peur du temps qui court à sa perte, je marche sur les coudes en plein noir vers tous les froids où j’ai envie de chanter. (Extrait de Ô Nord, mon amour, du poète et médecin québécois Jean Désy)

C’est le cas par exemple de Laurent-Michel Vacher, philosophe québécois athée qui a publié un compte rendu de son vécu personnel face à sa propre mort imminente (il était atteint du cancer) et de ses réflexions philosophiques face à la mort en général :

J’admets que la mort paraît souvent plus facile à apprivoiser pour ceux qui croient profondément en une survie de la personne ou de l’« âme ». (Laurent- Michel Vacher, Une petite fin du monde)

Mais en est-il vraiment ainsi ? A-t-on vraiment mesuré le degré d’angoisse et de détresse des athées et l’a-t-on comparé à celui des déistes et des théistes une fois mourants ? Qu’est- ce qui est le plus angoissant au moment de mourir ? D’avoir vécu sa vie en la sacrifiant à des préceptes surnaturels et de miser sur l’éternel avec le doute que cela comporte souvent, ou d’avoir vécu selon son plaisir et son éthique personnelle, en ne misant sur rien pour la suite, quitte à aller ailleurs sous une autre forme où revivent les gens de bonne foi, de bonnes mœurs, et de bon gré (dans le cas où on se serait trompé et qu’un ou plusieurs dieux existent réellement) ?

Est-il possible de mourir sans peine ? Je ne connais personne, même parmi les plus convaincus de la résurrection ou de la réincarnation, qui accepte de

mourir « sans peine ». (Yves Lever, jésuite québécois défroqué et athée)

Les athées croient que la contradiction entre un dieu bon et miséricordieux et le châtiment éternel pour incroyance est une telle énormité que le déni de ciel n’a aucune crédibilité. Les athées qui ont vécu une vie moralement exemplaire devraient n’avoir aucune crainte des feux de l’enfer. Ceux qui ont été moins exemplaires moralement, contrairement aux croyants, doivent sûrement peu craindre l’enfer, car ils ne croient pas à son exis- tence. Ils ne seront confrontés alors qu’à une nausée spéculaire : ils n’aimeront pas l’image que leur renvoie le miroir.

On trouve chez Pierre Bourgault, un des plus célèbres athées du Québec, quelques énoncés testamentaires qui sont essentiellement athées et humanistes. Sachant qu’il allait mourir, Bourgault a exprimé une nette sérénité devant cette incontournable réalité :

Je n’ai plus de besoins… que de vagues désirs. C’est ce qui m’arrive de plus extraordinaire.

Longtemps avant d’être rendu à l’article de la mort, Bour- gault avait exprimé sa conception de la mort sans le réconfort des divinités, ni de l’après-vie, ni de la tribu, ni des passions, ni des richesses :

Je veux mourir sans raison, tout simplement, un jour, comme on meurt partout et depuis toujours, comme un homme, parce que c’est fini, parce que c’est ainsi, sans drapeau, sans fusil, sans patrie, sans discours, sans larmes, tout nu, enfin désarmé, et pour toujours.

Il existe une dimension de l’approche athée de la mort qui est digne d’un intérêt tout particulier. Plaçons-nous dans le contexte de l’éthique humaniste (qui rappelons-le, est une éthique nécessairement athée puisque, par définition, elle situe l’humain comme plus haute valeur). Les athées huma- nistes prônent la mort digne, non seulement comme un

droit, mais même comme une prérogative positive, presque un devoir. Peut-on vraiment prôner l’euthanasie et même le suicide assisté à un tel degré ? Non seulement on le peut, mais on le fait depuis longtemps. Et il devient vraiment toxique de rejeter cette prérogative sur la base de vieux préceptes bimil- lénaires, religieux par exemple, car la situation a drôlement évolué depuis lors. Peu de gens au Québec ont la chance de mourir doucement chez eux pendant leur sommeil. La réalité de notre façon de mourir et de notre système de santé nous amène presque tous à mourir douloureusement et longue- ment dans un lit d’hôpital. Et soyons francs : il est très courant que les proches et les médecins du Québec soient amenés à se questionner sur la pertinence de prodiguer des traitements aux mourants. La médecine moderne est si puissante qu’elle peut, moyennant des coûts astronomiques, prolonger la vie de pratiquement n’importe quel malade. Elle est souvent loin toutefois de pouvoir donner une qualité de vie à un mourant. Cette situation comporte son lot de problèmes. Le plus impor- tant est celui de l’acharnement thérapeutique : prolongation indue de vies dépourvues de plaisir, d’avenir, de qualité ; prolongation de souffrances, d’attente de libération, de perturbation familiale. Le second problème engendré par cette évolution de nos mœurs mortifères est le coût faramineux que cela engendre : il est typique pour le Québécois d’aujourd’hui de coûter plus cher au trésor public en soins de santé pen- dant les six derniers mois de son existence que pendant tout le reste de sa vie. Ironiquement, ce sont souvent aussi les mois de la plus grande souffrance, du plus grand inconfort, de la plus grande tristesse et de la plus piètre qualité de vie. Et au- delà de l’acharnement thérapeutique, nous avons le devoir, en tant que société, de réfléchir et d’évoluer dans notre façon de gérer les maladies pénibles et incurables, interminables et insupportables autrement qu’avec une attitude de passivité et de fatalisme démuni. Ce n’est plus tenable !

Il arrive qu’en phase terminale le tableau devienne celui d’un quotidien intolérablement grevé par de

multiples maux impossibles à maîtriser : lassitude extrême et déperdition des forces ; grandes douleurs plus ou moins bien contrôlées, au prix d’une sérieuse perturbation de l’activité psychique ; oppression et étouffement ; insomnie nocturne et abrutissement diurne ; nausées et vomissements ; crachats de salive ; soif constante ; double incontinence humiliante ; état végétatif passager ou persistant ; épuisement moral et psychologique ; angoisse intense ; chagrin, amertume, rancœur et agressivité ; révolte et refus ; désir manifeste d’en finir. Une personne qui, placée dans ce type de conditions limites, réclame une fin douce et rapide, paraît clairement dans son droit de vivant libre et responsable. On peut même estimer que celui ou celle qui sentirait approcher cette étape « terminale » et préférerait l’éviter en abrégeant ses jours avant d’en arriver à un tel degré de détérioration, jugé intolérable, serait également dans son droit à une mort digne. (Laurent-Michel Vacher, Une petite fin du monde)

Existe-il une façon particulièrement humaniste de mou- rir ? Bien sûr que oui. Et cet humanisme est observé à divers degrés dans toutes les familles québécoises aux prises avec un mourant à l’hôpital. Il vient un temps où le mourant partage son vécu mortifère avec ses proches : il s’occupe de son testa- ment pour ceux qu’il aime ou envers qui il a des obligations, il s’arme de courage pour faire connaître la mort à ses pro- ches (un des aspects importants de la condition humaine et qui mérite d’être connu, observé, partagé, discuté), il tente de combattre suffisamment sa souffrance pour rester en lien avec ses proches, par amour pour eux, et finalement, quand il en a assez de souffrir, et qu’il a fait ses adieux correctement, il contribue sciemment à réduire le calvaire de tout le monde en demandant au médecin, avec la compréhension et l’appui de ses proches, de faire le nécessaire…

Nous ne sommes pas fous au Québec. Nous réglons ces problèmes à la pièce. Toutefois, il arrive parfois que ces pro- blèmes se règlent mal. Le désir du patient n’est pas toujours respecté par les proches ni par les médecins. Il est évident que la politique de l’autruche et l’action/inaction clandes- tine dans la chambre d’hôpital doivent cesser. En tant que société, nous devons mettre nos culottes, nous devons devenir plus transparents, nous devons débattre largement et nous devons légiférer sur la question de l’acharnement thérapeutique, du suicide assisté et de l’euthanasie. C’est exactement ce que font le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique, deux partis fédéraux de gauche, au moment où ces lignes s’écrivent. Ensemble, ils appuient un projet de loi fédéral privé (proposé par la députée bloquiste Francine Lalonde : le projet C-407). Le chef de l’Alliance évangélique du Canada, une coalition de groupes religieux, a écrit au premier ministre Paul Martin pour lui recomman- der de « résister fermement à toute pression visant à léga- liser ces pratiques et [de] favoriser une culture de la vie au Canada ». D’ailleurs, un sondage Gallup effectué en 2002 a indiqué que le soutien à l’euthanasie avait augmenté régulièrement au Canada au fil des trois dernières décen- nies, une grande majorité étant actuellement en accord avec ce geste pour les gens ayant une maladie incurable et souffrant beaucoup, s’ils en font la demande formelle par écrit. La passation de cette loi sera un grand moment dans la marche de notre société vers une communauté plus humaine, plus humanitaire et plus humaniste.

Quand monsieur l’curé raconte que la paroisse est pleine d’impies

C’est pas à cause des péchés : c’est qu’la dîme est pas payée. (Félix Leclerc, chansonnier québécois, extrait de sa chanson Attends-moi ti-gars, de son album Félix Leclerc et sa guitare, vol. 1)

Dans le document Québec athée (Page 162-167)