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a) D’une posture interventionniste à la promotion de l’auto-développement : la montagne au coeur d’une évolution de paradigme

En France, l’entrée de la montagne en politique n’est pas nouvelle. D’après l’ouvrage de Françoise Gerbaux, l’inscription de la montagne dans l’agenda politique national s’est faite précisément l’année 1972. Cependant, elle commence par trois chapitres énumérant une approche de la montagne au sein des politiques dès le XIXème siècle. Cette approche ne prenait pas directement la montagne comme objet mais la voyait à travers trois secteurs spécifiques : la forêt, l’agriculture puis l’économie du tourisme et des énergies. On reviendra par la suite sur le contenu et les différentes approches de la montagne car c’est davantage le cadre institutionnel qui nous intéresse ici.

La posture de l’État avec la montagne : du XIXème siècle à 1981

C’est dans l’ouvrage de Bernard Debarbieux et Gilles Rudaz, Les faiseurs de montagne, que l’on captera la posture de l’État face aux espaces puis aux territoires de montagne. L’État a commencé et continuité à se préoccuper de la montagne, tout d’abord à travers les domaines décrits par F. Gerbaux, toujours parce que cela était dans son intérêt. Il commence par se construire un imaginaire de la montagne autour de la gestion forestière. Cela arrivait en réponse aux dégâts créés par la forte déforestation. On peut dire que l’État commence par se forger une vision environnementale et protectionniste de la montagne. Environnementale mais non forcément écologique, ou du moins territoriale en ne considérant pas, dans les premiers temps, l’habitant de la montagne. Celui-ci est même accusé d’être à l’origine de cette déforestation et de fait, la cause des catastrophes environnementales. Le comportement autoritaire de l’État envers ces populations déclencha des protestations et résistances. L’État dû changer ce comportement en s’intéressant de plus près à cet habitant. La montagne ne fut plus seulement un environnement mais aussi un territoire. De plus, il admet que ces populations sont garantes de la préservation du paysage. Il s’en aperçoit lorsque les populations commencent un mouvement de désertification pour les plaines et les vallées. Or, l’État comprend très vite que l’entretien du paysage c’est la conservation d’une ressource économique. Ce paysage entretenu depuis des siècles par l’agro- pastoralisme est générateur de tourisme. L’image que se fait l’État de la montagne doit ainsi être préservé à la fois selon des valeurs environnementales et économiques : «  l’émigration et l’enfrichement de la montagne ont été perçus comme des menaces pour la biodiversité et les paysages, autrement dit des caractères de la montagne auxquels l’imaginaire touristique et environnementaliste a progressivement conféré de la valeur ».

Ainsi l’État n’est plus tout à fait autoritaire mais pourra être aussi paternaliste. Il va intervenir au niveau de l’agro-pastoralisme puis très vite va imposer des logiques de tourisme et de développement des énergies. Debarbieux et Rudaz résument ainsi l’argument que l’État entretient avec les territoires de montagne : « On retrouve là une conception de la montagne qui avait déjà triomphé dans les politiques forestières et de régulation hydraulique au XIXème siècle, et dans les

politiques de protection de la nature et des paysages au XXème siècle : la montagne comme somme de ressources devant profiter au bien-être et au développement des populations locales. ». Qu’il se comporte de manière « autoritaire ou paternaliste », l’État est interventionniste. Il agit au nom d’un bien-être et d’un développement local mais il est dans les faits centralisateur et opportuniste. il entretient donc une posture «  interventionniste  ». Son intervention sur les domaines du tourisme et de l’énergie est vécue comme une politique « colonisatrice » provoquant alors, comme pour la politique de reforestation, un profond rejet des populations locales. C’est ainsi que Debarbieux et Rudaz résument la posture de l’État : «  Qu’elles soient autoritaires ou paternalistes, qu’elles soient motivées par des objectifs de croissance et de valorisation des ressources ou par le paradigme de l’État providence, elle traduisent toujours le souci de faire de la montagne une affaire d’État. Ce sont les États, aidés en cela par l’expertise scientifique, qui décident ce que sont les régions de montagne, les critères par lesquels il convient de les appréhender et les modalités de l’action à conduire à leur égard. En un mot, ce sont les administrations nationales et la classe politique qui configurent la montagne. ».

Jusqu’au départ de Charles De Gaulle, les populations locales percevront l’action de l’État comme colonialiste. Ce comportement s’incarne notamment dans le « Plan Neige » (1964) comme programme cohérent d’équipement et d’investissement. Il s’agissait de la désignation d’une douzaine d’opérations à développer. Cela était ressenti comme une « forte initiative étatique dans le développement des entreprises touristiques, politique d’aménagement guidée par une conception de la montagne comme gisement, faible prise en compte des caractéristiques locales, approche sectorielle du développement etc. » (Debarbieux, Rudaz).

Ce comportement colonialiste et cette vision du « développement à tout prix » voit un tournant avec l’élection de Georges Pompidou et notamment avec la désignation de Jacques Chirac comme ministre de l’Agriculture et du Développement Rural. Ils furent prises en compte les contestations des acteurs locaux en ce qui concerne le sur-développement des infrastructures de tourisme et le manque de considération pour le secteur agricole.

F. Gerbaux poursuit en affirmant que c’est en 1972, avec donc l’arrivée de J. Chirac au ministère, que la montagne est entrée dans l’agenda politique. Cette mise sur agenda eut pour objectif de «  répondre à un certain nombre de questions des leaders syndicaux  » et pour «  calmer les inquiétudes grandissantes des éleveurs principalement situés dans ces zones. ». Des négociations entre les leaders syndicaux et le commissariat à la Rénovation rurale et l’Institut d’études rurales montagnardes (INERM) aboutit une double loi du 3 et 4 janvier 1972 répondant aux objectifs de modernisation du pastoralisme et au maintien de « l’agriculture de peuplement ». Sous Valéry Giscard d’Estaing cette politique de la montagne va changer. Elle va sortir du prisme «  protecteur  » instauré par Chirac. Il va vouloir ouvrir la problématique de la montagne à un ensemble de secteurs économiques et non plus seulement aux problèmes agricoles. A ce moment une profonde régulation «  à l’intérieur de l’appareil d’État » va être pensée notamment dans le cadre des Schémas d’orientation et d’aménagement des massifs conçus par la DATAR. Cette régulation va concerner les « différentes administrations sectorielles » et sera organisée une concertation à l’échelle des massifs. Valéry Giscard d’Estaing va à ce moment-là avoir pour ambition de conquérir les suffrages des ruraux dans l’ensemble des secteurs d’activité ainsi que

les partis écologistes ayant contesté la politique d’équipement touristique. Pour cela il développe en 1975 un programme pluriannuel de développement du Massif Central à partir du Comité interministériel d’aménagement du territoire. Le désenclavement routier, l’amélioration des services publics, le soutien à l’agriculture, à l’artisanat et à la forêt seront programmés et financés. Cependant, si le rapport avec les territoires évolue, la posture de l’État sera toujours interventionniste et centralisatrice.

La territorialistion de la montage en politique dans un contexte de décentralisation : sous le mandat de Mitterrand

La gauche, et notamment le parti socialiste, développe une autre stratégie relationnelle avec les territoires de montagne et cela dès les années 1960. Cette stratégie suit une vision plus globale qui est celle de la décentralisation et la promotion de «  l’autogestion  » et de  «  l’auto- développement  ». La montagne est un type de territoire parmi un ensemble d’autres qui revendiquent «  un pouvoir régional et la prise en compte des spécificités locales ». Entre les années 1960 et 1970, la gauche quitte peu à peu la vision de « sauvegarde du l’unité de l’État » et la méfiance à l’égard de la région « pour en faire un lieu privilégié de la lutte des classes ou le pivot d’une restructuration de la nation et de l’État.  ». Un paragraphe nous interpelle particulièrement : « Un colloque du Parti socialiste unifié (PSU), décoloniser la province, organisé à Grenoble en 1966, annonce les thèmes qui vont être au centre des revendications. Les thèses autogestionnaires se font entendre; la reconnaissance du local émerge, la décentralisation par la planification devient un thème de débat. ».

Suite à l’épisode de 1968 la gauche s’oriente vers une logique régionaliste et s’intéresse de plus en plus aux zones sous-développées. C’est là que la notion de « décentralisation » commençait à émerger à l’encontre de la vision centraliste. Leur plan politique se traduisait par une démultiplication des échelles de gouvernance et de planification. La région aurait tout d’abord le rôle d’un découpage spatial du programme du plan national et les collectivités locales seraient à même d’exercer un pouvoir. Cela se traduisait aussi par une idéologie exprimant «  l’idée que l’unité ne doit pas se confondre avec l’uniformité ». Était alors prônée la notion d’ « autogestion » se basant à l’origine sur trois piliers : « la démocratie, l’efficacité économique, l’épanouissement culturel.  ». C’est ainsi localement que des fédérations du Parti socialiste se mobilisent sur la thématique de la montagne notamment dans les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans les années soixante-dix des journées seront organisées autour de la question montagnarde. A partir de là vont se construire des «  lieux de contre-pouvoirs et de la vie associative locale  » autour d’idées comme «  la maîtrise du développement local, la volonté de vivre au pays  » et la valorisation des «  potentialités locales  ». L’élection en 1981 de François Mitterand amena donc une possibilité d’action pour les élus montagnards sur des problèmes qui leurs sont propres. Une loi par et pour les acteurs de la montagne émergea en 1985. Cette loi contribue à réformer la posture centraliste de l’État et la vision «  unitaire  » de la France en réaménageant «  des priorités au travers du droit à la différence et de la maîtrise du

développement local (…) en tenant compte (…) de la diversité des régions de montagne ». Cette manière de voir la planification et la gestion des territoires s’ancre, comme on l’a dit, dans une stratégie plus globale de l’État s’incarnant dans les lois de décentralisation. Au sein de ces lois était proposé un outil de contrats de plan. L’un de ces contrats a été conçu spécifiquement pour les massifs. Au sein de ces plans, l’intervention politique s’inscrit sur trois niveaux : actions nationales, action régionales (contrats de plans spécifiques par massifs, actions qui bénéficient de fonds particuliers, négociation bilatérale et pluri-annuelle État-Région sur action conjointe), actions micro-régional esdes collectivités territoriales, départements, communes et groupements de communes (dans le cadre de leurs nouvelles compétences plus points spécifiques prévus par la loi montagne). A partir de là un certain nombre d’outils, de moyens et de règlements spécifiques sont mis à la disposition des acteurs locaux. Un conseil national de la montagne est créé ainsi que des comités de massifs.

A cela la majorité de gauche qui croit en l’auto-développement et l’auto-gestion des acteurs locaux, crée une association les rassemblant (1984) : L’Association Nationale des Élus de Montagne (ANEM).

b) La politique montagne métropolitaine : une héritière de cette