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Avec un travail rétrospectif, on a relevé au cours du XXème et début XXIème siècle et aux échelles de la France et de l’Europe trois rapports entre les politiques et la montagne : la montagne prise par secteurs, la montagne prise dans une globalité, la montagne comme objet de la politique publique.

La montagne prise par secteurs

La montagne vue par le prisme d’un secteur signifie simplement que la montagne n’est pas directement concernée par la politique, comme espace ou territoire, mais approchée par un objet qui la caractérise. Ce phénomène est surtout dû aux politiques françaises avant et au long du XXème siècle. Le premier secteur fut celui de la forêt (F. Gerbaux, 1994) notamment avec l’édition d’un code forestier en 1827 et une première loi sur la protection des forêts en 1860. Ces intérêts politiques pour la forêt répondaient à la « calamité » provoquée par la déforestation de masse. La question de l’agriculture étant très liée aux problèmes forestiers en montagne, elle fut le second secteur par lequel fut prise la montagne. Cette vision finalement environnementale de la montagne, basée sur un équilibre entre la forêt et l’agriculture, fut vite rattrapée par des secteurs plus lourds comme le développement touristique et les énergies hydrauliques. Ce noyau de secteurs constituera l’imaginaire exclusif de la politique liée à la montagne pendant plus d’un demi-siècle et restera jusqu’à aujourd’hui une partie du référentiel.

Le secteur agro-pastoral générera un prisme particulier par lequel sera considérée la montagne en tant que territoire habité : le handicap. L’État-nation souhaitera apporter aux populations locales ce à quoi elle avait été coupée jusque-là. On retrouve cette considération du handicap à

travers la politique de J. Chirac à partir de 1972. La paysannerie de montagne à cette époque avait déjà subi de nombreux chamboulements de la part de l’État mais aussi une pression au niveau de la productivité agricole qui l’a mise en position de déséquilibre et de vulnérabilité. De nombreuses réclamations, craintes et revendications se firent entendre de la part des populations de montagne dès les années 1950. Ce n’est donc que sous J. Chirac, fidèle à son «  dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents », que fut élaborée une politique du handicap avec des compensations financières. Cette considération du secteur agro-pastoral à travers le handicap fera l’objet d’une directive communautaire en 1975 en leur attribuant des mesures compensatoires.

Or si l’État français avait élaboré sa définition des zones de montagne dès 1961 et au sein de la politique montagne de 1985, la définition des zones de montagne dans la communauté européenne était aléatoire d’un État à l’autre. C’est ainsi que des zones agricoles subissant un handicap dû à d’autres facteurs que l’altitude (par exemple les pays nordiques avec la faible amplitude diurne) furent comprises dans ce secteur. La frontière entre la sectorisation et la globalité est donc assez floue, on va donc à présent voir ce qu’est cet autre rapport à la montagne.

La montagne prise dans une globalité

Dans ce cas-ci la montagne est considérée dans une politique comme un territoire ou un espace de manière conjointe et sans distinction avec d’autres territoires. Ce rapport est celui notamment entretenu par la Communauté européenne. A partir de 1975 la Communauté cherche à concevoir une politique régionale afin de réduire les disparités de développement et de richesse au sein de l’espace européen. En 1986, cette dynamique s’incarne dans une « politique communautaire de cohésion  ». Le premier objectif était de redistribuer des fonds aux pays dont le PIB était plus faible que la moyenne. Ainsi certaines régions de montagne reçurent ces fonds mais parce qu’elles faisaient parties de ces pays à faible PIB. Des régions montagneuses en difficultés n’ont pas perçu ces fonds parce qu’elles faisaient parti des pays les plus riches. L’objectif 2 était d’aider les «  régions en difficultés structurelles  », souvent touchées par la crise. Le troisième objectif devait aider les régions urbaines marginalisées ou encore les régions contrastées par la présence de frontières internationales. C’est de ce cadre qu’est issu le programme Interreg permettant à de nombreuses zones de montagne de bénéficier de ces aides. Ainsi 95% des zones de montagne eurent droit à ces aides au sein de l’Europe. Cependant elles ne les perçurent pas par leurs caractéristiques montagnardes mais en tant que région défavorisée. Cela est, à ce moment là, significatif de l’absence de le part de Communauté d’un rapport spécifique à la montagne. Les traités de la commission sont basés exclusivement sur des modes économiques et sociaux et non pas territoriaux.

Dans ce type de rapport, la montagne est directement ciblée par la politique comme territoire à part entière. A l’échelle de la communauté européenne, la prise en compte directe de la montagne fut un véritable tournant qui s’initia au début des années 2000. L’une des raisons exprimées par Bernard Debarbieux et Gilles Rudaz est l’influence des conférences mondiales sur l’environnement comme les sommets de la Terre (1992, 2002) ou l’Année Internationale de la Montagne (2002). La montagne est introduite en politique communautaire par la question de la « cohésion et de la diversité territoriale de l’Europe » en complément de la politique de cohésion sociale et économique dans les années 1990 par l’Assemblée des Régions Européennes. Cette logique de cohésion territoriale est une volonté pour les acteurs régionaux de réduire les déséquilibres spatiaux engendrés par la vision néo-libérale du «  modèle de croissance communautaire  ». C’est notamment Michel Barnier au cours de ses différents postes au gouvernement français puis à la commission européenne qui introduira ces termes de cohésion territoriale dans la vision européenne. Lorsqu’il était représentant de la Commission dans le Convention sur le Futur de l’Europe, il l’introduit comme élément du projet de Traité Constitutionnel en 2004. Ce projet avait été rejeté lors du référendum mais le concept fut retrouvé dans le Traité de Lisbonne en 2007 puis dans les Orientations stratégiques communautaires pour la cohésion adoptées en 2006. Ces orientations ont poussé les États à «  favoriser un développement équilibré et à tenir compte tout particulièrement des caractéristiques géographiques spécifiques ».

C’est la France qui mène alors cette démarche « idéologique et politique » : « orienter la politique régionale vers une conception plus volontariste de la structuration du territoire européen conformément à sa forte tradition d’aménagement du territoire. ». Afin de convaincre les autres États membres, la France va chercher à constituer un lobby pro-montagne où apparaitra notamment l’Association Européenne des Élus de Montagne (AEM), Euromontana et Européen Mountain Forum. Avant la conception de ces lobbys s’étaient créées d’autres initiatives allant dans le même sens. En 1988, une Charte européenne des régions de montagne avait été adoptée à Trento afin que soient détectés les problèmes spécifiques aux régions de montagne. Le Comité Economique et Social Européen avait lui aussi déjà formulé en 1988 la nécessité de prendre en compte les régions de montagne dans les politiques communautaires. Ce même comité relance en 2002 un rapport appelant à «  une prise en compte des montagnes dans la future politique régionale  ». Ce rapport parle «  d’une vision commune des régions de montagne, la mise en oeuvre de stratégies de compensation des handicaps irrémédiables, la réduction des désavantages comparatifs, la construction d’infrastructures adaptées, l’exploitation de l’identité et les acquis des régions de montagnes, l’adoption de politiques de développement juste et durable ». Ce rapport se saisit de la promotion de la montagne dans l’agenda politique mondial dans une logique européenne.

Il se passe en Union Européenne un véritable changement de paradigme à la fin des années 1990 début des années 2000, qui sera notamment impulsé par la vision française de ces territoires de montagne. En France cette vision commença par un élargissement des champs concernant la montagne sous V. Giscard d’Estaing mais surtout par une territorialisation de l’aménagement, de

l’économie, du développement et d’un ensemble de compétences permettant «  l’auto- développement  ». Ce rapport devient officiel avec l’édition de la loi montagne en 1985 qui précèdent de plus de trente ans l’Acte II en construction. Cet acte II a déjà fait l’objet d’un premier rapport intitulé « pour un pacte renouvelé de la nation avec les territoires de montagne » (27 juillet 2015). Il indique la volonté de poursuivre ou d’aboutir sur des thématiques initiées en 1985 comme « le droit à l’adaptation normative », « l’agriculture, l’industrie et l’artisanat », « le travail saisonnier et la pluriactivité », « l’accès aux services » et d’intégrer de nouveaux enjeux comme «  la connexion téléphonique et numérique  », «  l’accessibilité  », «  l’impact du changement climatique  » tout cela en renforçant les coopérations entre les collectivités de montagne et en modernisant « une gouvernance de la montagne » . 8

En allant plus loin on pourrait se poser la question des limites à cette considération de la montagne dans les politiques. On ressent à la fois une forme de contradiction entre la considération des territoires de montagne et leur considération à travers un ensemble de critères qui les définissent et qui reviendrait à faire des lois et politiques multi-sectorielles de la montagne. De même, on ressent un travers dans le référentiel de la montagne défini par un ensemble de thématiques et d’enjeux. Ces enjeux et secteurs sont-ils réellement définis par les territoires de montagne ou sont-ils à l’origine d’une vision exogène (J.-P. Bozonnet, 1992) ? Enfin, concernant ce référentiel de la montagne, on discerne une zone de conflit entre une idéologie environnementale du territoire de montagne et une volonté de développement et d’aménagement. La montagne révèle une grande complexité dans son référentiel politique. On va à présent s’intéresser tout particulièrement à cette question de la sectorisation de la montagne dans le cas de la politique montagne de la métropole grenobloise.