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c) Une interprétation possible du médium qu’est la montagne

Pour que la montagne soit un médium il faut qu’elle évoque quelque chose qui permette au message de passer. Effectivement, on a pu soumettre que la conception du référentiel de la politique montagne conférait un rôle particulier à la montagne et pouvait cibler des ambitions territoriales et écologiques. Si la métropole souhaite repenser son référentiel global à partir de son environnement, nous n’avons pas encore clairement élucidé ce qui confèrerait ce rôle de médium à la montagne. Pour qu’un objet soit « médium » il faut qu’il évoque une image, un ensemble de représentations qui fassent passer le message. On peut soumettre plusieurs hypothèses à ce sujet.

Il a été mentionné à plusieurs reprises la montagne comme «  sujet qui vient des tripes  » au séminaire du PLUI. Pourquoi la montagne met-elle autant en émoi ? La vice-présidente à la montagne nous a donné un élément de réponse en mentionnant à plusieurs reprises qu’elle était née dans les montagnes, que son père et grand-père étaient agriculteurs et qu’elle-même avait travaillé pendant longtemps dans l’industrie du bois. Elle précise également que le président de la métropole est aussi né en montagne et que sa fonction de glaciologue renforce sa sensibilité à l’environnement. L’identité est alors en cause ainsi que le lien à l’enfance.

A. Magnaghi, 2014, La biorégion urbaine, petit traité sur le territoire bien commun, Eterotopia 9

Durant mon année au sein de la métropole, le rapprochement entre les élus et leur enfance s’est faite à de nombreuses reprises. C’est par exemple le cas lors de la rencontre avec le maire de Miribel-Lanchâtre lors de la présentation du diagnostic. Celui-ci nous parlait de sa représentation de la montagne et de l’esprit qui l’accompagne au temps de son enfance et de la dégradation des comportements et de cet esprit montagne avec l’arrivée des périurbains.

Ce lien entre la montagne et l’enfance est souvent évoqué dans la littérature. Au-delà des souvenir rattachés à l’enfance, John Muir par exemple rattache la montagne à l’enfance où la montagne serait cette «  wilderness  » et l’enfance cet «  état de conscience qui serait présocial  » (B. Debarbieux, 2015). C’est aussi de cela qu’il est question dans Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche où l’on imagine que la montagne est comme la mère où Zarathoustra va se réfugier pour se régénérer. Lorsque celui-ci redescend de la montagne, il croise ce vieillard qui lui dit « Zarathoustra a changé. Zarathoustra est redevenu enfant, Zarathoustra s’est réveillé. ».

Sans rentrer complètement dans le sens philosophique et psychologique de ce que peut représenter la montagne, elle semble tout de même avoir un statut particulier au sein de nos représentations comme environnement pur et régénérant. Ruggero Schleicher-Tappeser parlera même de représentation de la montagne, au sein de l’ensemble de l’Europe, comme « symbole anti-moderne  ». Cependant il accorde cette représentation aux populations exogènes à la montagne. Cela résonne avec le cas métropolitain où il existerait des représentations endogènes et exogènes à la montagne. Il est difficile de simplifier une opposition entre élus du centre (vallée) et élus de périphéries (montagne). En effet, si ce rapprochement entre la montagne et l’enfance s’est davantage fait auprès d’élus des communes de périphéries, que l’on a souvent nommées les « petites communes » ou les « communes de montagne », ce discours a aussi été entendu auprès d’élus de communes du centre. On pourrait davantage rapprocher ce discours du facteur des origines et de l’âge des élus mais il faudrait aller plus loin sur cette piste. L’autre discours se rapproche davantage de cette représentation exogène de la montagne comme «  symbole anti- moderne ». Il peut s’incarner auprès des élus voulant renforcer l’accès à la montagne. C’est ce qui fut notamment beaucoup rapporté à la table 2 de l’atelier (avec présence de beaucoup d’élus du centre). On peut comprendre cette recherche d’accès à la montagne et plus précisément à cette zone de nature et à cette «  bulle d’air  » comme ce retour à la nature décrit par Alberto Magnaghi : « elle se conçoit comme la recherche d’un équilibre entre les origines des civilisations (montagnardes) et leur évolution dans la vallée  ». Il ajoute cette image de «  «  contre-exode  » culturel vers une société avancée et agro-tertiaire qui sait reconnaître la valeur de «  rétro- innovation » de son patrimoine environnemental et culturel ». On aurait alors une représentation plutôt endogène qui relie la montagne au mode de vie connu lors de l’enfance et à cet environnement dans lesquels ils sont nés et ont vécu et une représentation plutôt exogène réclamant un retour à la montagne.

Ces représentations peuvent avoir une expression commune au sein de la politique. On peut constater cela notamment avec cette position plus ou moins générale des élus à l’encontre du projet de développement de la station de Chamrousse que nous avons évoqué dans le carnet de bord. Cependant si ces représentations peuvent trouver une expression commune, ce rapport

endogène et exogène à la montagne peut provoquer une forme de conflit ou d’incompréhension qui se rajoute à ce « conflit » entre centre et périphérie.

Jean-Paul Bozonnet nous apportera un élément intéressant sur la montagne comme générateur de réconciliation entre les humains (p. 85). Il parle d’elle « comme facteur de solidarité entre les les hommes face à la difficulté qui amène aussi à la réconciliation et peut montrer l’absurdité des conflits ». Il parle de la « perspective contemplative » (rapport « icarien » à la montagne) comme porteur de réconciliation, «  au moins entre pratiquants ou habitants  ». Ainsi après des années d’opposition entre Grenoble et la montagne, entre le centre et la périphérie, cette montagne porteuse de beaucoup de ressentis emmènerait les élus à se «réconcilier ».