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La portée des nouvelles prérogatives de l’élu local en matière de précaution

Dans le document La décision publique et la crise (Page 155-158)

Les modalités d’intervention du décideur public

Section 1 : La précaution, principe directeur de la décision publique

A) La portée des nouvelles prérogatives de l’élu local en matière de précaution

Si les acteurs locaux, et notamment les élus, possèdent de nouvelles prérogatives en matière de précaution en droit des sols (1), la mise en œuvre de ces dernières n’est pas sans se heurter à certaines limites (2).

1) Les nouvelles prérogatives de l’élu en matière de précaution

Ainsi qu’il avait déjà été évoqué, l’évolution législative en matière de prévention des risques a conduit à une véritable systématisation de celle-ci, toute l’architecture du dispositif étant désormais articulée autour de la maîtrise de l’urbanisation. Alors que la loi « Barnier » de 1995, maillon essentiel de cette évolution, introduisait déjà la notion de prévention en droit de l’urbanisme, elle exigeait l’adoption de dispositions spécifiques pour que le principe trouve à s’appliquer, ce qui limitait singulièrement son effectivité. Ce n’est désormais plus le cas avec la constitutionnalisation du principe de précaution et les récentes décisions du Conseil d’Etat, lesquelles ont ouvert un chemin dont la destination est riche de nombreuses virtualités. Inscrit dans la démarche, désormais centrale de la planification des risques via des plans de prévention, le principe de précaution apparaît comme un levier d’action à la disposition de tous les acteurs concourant à leur élaboration ou leur mise en œuvre. Tenter d’évaluer l’impact de l’introduction du principe de précaution en droit de l’urbanisme implique de revenir brièvement sur la logique générale de prévention des risques et notamment sur les modalités concrètes d’appréhension des risques. A une approche purement déterministe de la prévention des risques, ou celui-ci n’est envisagé qu’à travers un arbre des causes et des effets trouvant ses racines dans le système considéré par postulat comme à la

155 source des risques, a succédé, grâce à la systématisation des risques une approche probabiliste. Celle-ci ne voit plus l’ensemble des menaces dont la société doit se prévenir uniquement comme une addition de risques susceptibles d’avoir des conséquences sérielles. Elle privilégie une approche du Tout sur la Partie en conceptualisant l’ensemble des intérêts à protéger à la fois comme système source et système cible des risques. Le système peut bien être divisé en sous-systèmes, mais ils seront envisagés avant tout comme une superposition de réseaux et de sous-réseaux interconnectés les uns aux autres. Cette nouvelle approche, qui implique de s’interroger sur les répercussions d’une défaillance d’une Partie sur le Tout, pose en filigrane la question des paramètres à prendre en compte et à introduire dans l’algorithme logique de résolution des problématiques posées et permettant de générer les plans de prévention. Par effet induit, cette approche multiplie également le nombre d’arbitrages auxquels le décideur va devoir procéder et sur lesquels l’élu pourra influer396.

L’introduction d’une démarche de précaution se superposant à cette démarche de prévention vient ajouter un nouveau niveau de complexité dans l’appréhension des risques. Nous ne reviendrons pas sur la difficulté évidente à évaluer un risque potentiel mais il faut toutefois retenir qu’indépendamment de sa réalité, il n’a jamais dans le débat public que le poids que l’opinion veut bien lui prêter. Or, l’élu local est très souvent l’interprète et le représentant de cette opinion et possède ainsi qu’il a déjà été vu une latitude de négociation non négligeable au stade de l’élaboration des plans de prévention. Il aura donc tout le loisir d’exciper du principe de précaution pour tenter d’influer en un sens ou un autre sur l’élaboration des plans de prévention. La question de la précaution peut ainsi légitimement se poser en matière de risque d’inondation, l’évolution générale de la topologie d’un lieu n’étant jamais prévisible avec exactitude. Comme dans le domaine de la météorologie, même à supposer l’intégralité des variables à prendre en compte parfaitement connues, les conséquences de leur interaction n’est par nature pas exactement prédictible. La gestion du risque passe alors du champ du probabilisme à celui de la spéculation intellectuelle, et donc de la prévention à la précaution. L’assertion est particulièrement vraie en montagne, où la fonte des neiges tend à remodeler d’années en années les couloirs de déversement de la fonte, et les paysages avec eux.

Mieux encore, il pourra exciper de ce même principe au stade de l’exercice de son pouvoir de police générale. Le principe de précaution apparaissant comme le curseur de

396 Pour des réflexions récentes autour de ces questions, v. Angélique Mafille-Tourtin, « La désobéissance du maire et les antennes relais », RGCT, 2015, n° 57, pp. 137-143. V. aussi Sylvie Ollitrault, « Les mobilisations contre les antennes de téléphonie mobile : Les profanes dans l'espace public », Revue juridique de l’ouest, numéro spécial, 2014, pp. 17-28.

156 l’acceptabilité sociale, l’élu local aura souvent sur ce point tout intérêt à accueillir et relayer largement les attentes de ses électeurs. Pour autant, et c’est heureux, la capacité pour l’élu à invoquer à tout propos le principe de précaution n’est pas illimitée.

2) Les limites à la mise en œuvre du principe de précaution

Nouveau levier d’action pour l’élu, mais aussi pour les groupes de pression tentés d’influencer l’élaboration des documents d’urbanisme pour assoir leurs vues dans le paysage juridique, le recours au principe de précaution ne saurait être toutefois être illimité en matière d’urbanisme.

En effet, le juge administratif a déjà apporté des limites à son utilisation, puisqu’en même temps qu’il introduisait le principe en droit de l’urbanisme, il en limitait exclusivement le recours aux autorités publiques détentrices des pouvoirs de police relevant du champ de compétence relatif au litige. Mais surtout, presque aucune des grandes problématiques contemporaines pour lesquelles le principe de précaution trouverait éventuellement à s’appliquer n’apparaît relever d’un régime de police administrative dévolu à l’élu local : OGM, nucléaire, antennes relais de téléphonie mobile, gaz de schiste397, usage de certains substances, tous ces domaines n’apparaissent pas relever du champ de compétence de l’élu398.

Le Conseil d’Etat avait pris le soin dans le communiqué de presse accompagnant ses décisions du 3 juin 2011 de préciser qu’elles ne préjugeaient pas « de l’éventualité de

décisions individuelles de police municipale que les maires pourraient prendre, notamment en cas d’urgence, (…) au regard de circonstances locales exceptionnelles ». Le chercheur est

tout de même en droit de s’interroger sur l’existence de « circonstances exceptionnelles » exigeant le recours au principe de précaution, alors que d’ordinaire, les manifestations d’une situation d’exception sont suffisamment perceptibles pour que l’existence d’un risque soit clairement reconnue, nécessitant ainsi le recours au mieux à des mesures de prévention, au pire à des mesures de résorption.

Moins qu’une capacité d’empêcher, le recours au principe de précaution s’analyse, pour l’élu local, en matière d’urbanisme avant tout comme un moyen de ralentir ou de

397 Sur les gaz de schiste, voir, parmi d’autres, le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 2013, n° 2013-346 QPC, Société Schuepbach Energy LLC [Interdiction de la fracturation hydraulique] : Muriel Rambour, « Le Conseil constitutionnel valide l'interdiction de la fracturation hydraulique », Droit de

l’environnement, 2014, n° 219, pp. 29-31.

398 V. Nicolas Charmeil, « Que reste-t-il du principe de précaution en matière d'urbanisme ? Le cas des concours de polices spéciales », Environnement, 2014, n° 6, pp. 53-56.

157 négocier l’adoption de mesures administratives399. Le devenir du principe de précaution en matière d’urbanisme dépendra essentiellement de la place que lui concèdera le juge administratif.

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