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L’évolution potentielle du rôle de l’élu en matière de précaution

Dans le document La décision publique et la crise (Page 161-166)

Les modalités d’intervention du décideur public

Section 1 : La précaution, principe directeur de la décision publique

B) L’évolution jurisprudentielle probable du principe de précaution

2) L’évolution potentielle du rôle de l’élu en matière de précaution

Le choix entre la définition du principe de précaution tel qu’entendu par la Charte de l’environnement ou celle du code de l’environnement relève pourtant d’une grande importance pour l’élu, de même que du rigorisme du juge dans leur interprétation. Si à l’avenir le juge s’en tient à la définition la plus récente du principe de précaution, à savoir celle de la Charte de l’environnement et à une interprétation stricte de celle-ci, alors l’élu local se verrait quasiment dépossédé de la possibilité d’invoquer le principe de précaution. En effet, la Charte de l’environnement dans son acception littérale, tendrait à imposer « la mise

en œuvre de procédures d'évaluation des risques » préalablement à l’adoption de toute

mesure. La mise en œuvre de ces procédure ne relevant le plus souvent ni des pouvoirs, ni de la capacité de l’élu local, celui-ci se verrait juridiquement reconnaître le droit d’invoquer le principe de précaution à l’appui de ses prétentions mais dans les faits dans la quasi impossibilité de s’en prévaloir. Sauf à pouvoir bénéficier des conclusions de recherches initiées par des tiers (associations, universités, agences de recherche de puissances étrangères…), il est en effet le plus souvent hors de ses moyens de pouvoirs mettre en œuvre des procédures d’évaluation des risques dans les domaines concernés par l’application du principe de précaution.

A l’inverse, si le juge devait retenir la définition du code de l’environnement, l’élu local se verrait en quelque sorte libéré de l’évaluation préalable des risques hypothétiques. L’exigence d’une « proportionnalité » des mesures à adopter n’apparaît pas réellement comme une contrainte supplémentaire puisque l’on peut légitimement anticiper un contrôle de proportionnalité des mesures par le juge administratif. Se pose toutefois la question des modalités concrètes de cette appréciation de la proportionnalité, à plus forte raison en l’absence d’expertise des risques. Mais quelle que soit la définition retenue, il apparaitrait étonnant que le juge administratif, fasse sortir le principe de précaution du champ du juridique par une jurisprudence trop restrictive, pour le renvoyer sur le terrain de l’argumentaire politique. En revanche, il est possible de supposer qu’il en cantonne strictement l’application pour les élus locaux de façon à ne pas créer trop de prétextes de blocages et à éviter les règlements de compte via élus locaux interposés403.

Indépendamment des hésitations du juge administratif et des imperfections existant dans les différentes définitions du principe de précaution, la principale faiblesse dans la mise

403 Elus locaux qui pourraient demain se trouver sous la menace de recours devant les juridictions pénales pour non-respect du principe de précaution. V. Emmanuel Dreyer, « Droit pénal et principe de précaution » Rec.

161 en œuvre effective et efficace du principe de précaution tient avant tout à l’absence d’une véritable politique de précaution à travers un organe dédié. Réduite pour l’heure à une gestion au jour le jour purement empirique de certaines thématiques par le Parlement, la politique actuelle de précaution interdit toute perspective de long terme, rythmée simplement par l’éclairage donné par l’opinion à des problématiques sectorielles. La prise de conscience du Parlement, pour l’instant limitée dans ses effets, n’en semble pas moins sincère et amenée à se pérenniser. Les parlementaires ont indubitablement pris la mesure de la dimension politique assortie au principe de précaution puisqu’ils ont choisi de s’en saisir. Mais il ressort de leurs travaux qu’il manque, pour donner l’amplitude nécessaire à leur premier mouvement, l’existence d’une structure à même de véhiculer certains principes directeurs dont le respect est le préalable indispensable à toute décision en la matière. En l’absence d’un cadre clair et durable de concertation capable de soutenir l’effort de construction d’un paradigme de représentation des risques propre à chaque thématique étudiée, il sera impossible d’enraciner une politique de prévention dans un long terme indispensable à son efficacité404.

404 Sur ces questions, v. : Charlotte Denizeau, « Principe de précaution et droit de l'urbanisme », RFDA, 2012, pp. 864-871. Cette dernière observait : « Comme P. Soler-Couteaux ou Y. Jegouzo, il faut s'interroger sur ''l'adéquation

d'une mise en œuvre du principe de précaution par l'autorité d'urbanisme avec l'expertise et les prérogatives qui sont les siennes''. Si l'autorité locale doit commanditer des études et qu'elles sont concluantes sur le risque, alors elles ''devraient conduire les autorités nationales à agir. On le constate : apprécier l'incertitude à l'échelle locale semble toujours aussi problématique''. On a bien retenu que l'autorité administrative ne pourra mettre en œuvre le principe de précaution que si elle est en mesure de faire état d'éléments circonstanciés de nature à établir l'existence d'un risque, qui n'aurait pas été pris en compte par les autorités compétentes, et prendre les mesures provisoires et proportionnées de nature à y répondre. Ainsi, le maire ne peut pas mettre en œuvre le principe de précaution, sous la forme d'une réglementation édictée sur le fondement de la police générale, en raison de l'existence d'une police étatique spéciale qui épuise sa compétence ; mais il peut refuser un permis en présence de circonstances locales particulières. Or, ici, c'est bien de l'appréhension ''d'un risque incertain, en l'état des connaissances scientifiques'' dont il s'agit. Peut-on demander qu'une appréciation à la fois si complexe, aux enjeux si lourds, soit portée, ponctuellement par une autorité locale ? Il est demandé à une autorité administrative compétente pour appliquer le droit de l'urbanisme, de prendre en compte des considérations sanitaires, dont elle n'est pas experte. Si elle doit s'en remettre aux rapports d'expertise, elle est alors dépossédée de son pouvoir d'appréciation. Dès lors, quel intérêt à continuer à lui confier cette prérogative ? L'appréciation ne devrait-elle pas être faite au niveau national ? Si le service instructeur peut être éclairé en demandant au pétitionnaire une étude de risques, que vaudra cette étude face à celle d'un professionnel et face aux puissants lobbies ? Il semblerait légitime qu'il n'y ait qu'une réglementation uniforme sur l'ensemble du territoire, dans la mesure où les risques pour la santé publique -en matière d'antennes relais- sont partout les mêmes et qu'il n'y a aucun particularisme local en la matière. Il y a en outre une mise en balance des intérêts, entre risques incertains et non avérés pour la santé publique et intérêts économiques, qui ne devrait pas être faite localement. Ici, face à ce risque hypothétique, plausible mais non avéré, sont prises en compte d'autres considérations d'intérêt général : l'intérêt économique et social tenant à la bonne couverture du territoire par les réseaux de téléphonie et corrélativement les intérêts économiques des entreprises. Le Conseil d'État admet que soit pris en considération ''l'intérêt public qui s'attache à la couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile''. Il met également en avant ''les intérêts propres'' des sociétés victimes des arrêtés municipaux imposant des conditions à l'installation des antennes relais. Certes les intérêts économiques des opérateurs peuvent compter (…), mais cette mise en balance rappelle les reproches qui ont été faits au principe de précaution : favoriser l'environnement au détriment de la croissance. Il s'agit d'éviter que des mesures environnementales ou sanitaires viennent porter atteinte à la viabilité des entreprises. À ce titre, il est très intéressant de lire une réponse du ministre de l'intérieur à une question posée par un sénateur. Celui-ci énonce que le principe de précaution ne peut pas faire obstacle la délivrance d'une autorisation d'urbanisme pour l'implantation d'une antenne de téléphonie mobile, en l'état des connaissances

162 Désormais, le panel d’instruments à disposition pour maîtriser le risque apparait complet. La démarche de prévention des risques se doublant d’une logique de précaution, les modalités d’intervention du décideur public couvrent tout le champ du développement potentiel du risque, qu’il soit réel et parfaitement appréhendé ou simplement potentiel et putatif. Mais quoique l’assiette de mesures pouvant être adoptées laisse à penser qu’elle est suffisamment large pour trouver à s’appliquer à tous les cas de figure pouvant se présenter, un tel sentiment ne résiste pas longuement à une analyse plus minutieuse. Celle-ci révèle en effet que les dispositifs de lutte contre les risques sont loin de pouvoir être assimilés à une gamme d’actions à la libre disposition du décideur, dont celui-ci n’aurait qu’à jouer pour voir s’ordonner les hommes et les choses autour de sa seule volonté. Et soumis à la dure épreuve des faits, il s’avère même que l’instrument dont le décideur entendait jouer ne se limite pas à rendre quelques fausses notes. C’est que loin d’être simplement mal accordé, il est surtout fondamentalement vicié dans sa conception.

A l’observation, ses travers se révèlent, le constat est accablant et il faut se rendre à l’évidence : bien que les outils à disposition du décideur aient été conçus pour appréhender le réel, celui-ci leur échappe. Pire, il se rebelle et semble prendre plaisir à sortir des cadres dans lesquels on voulait l’enfermer. Si l’observation se prolonge, bientôt, à l’accablement succède l’affliction : le décideur public face à certains risques, quoiqu’assisté des meilleures intelligences, semble tenter sans s’en rendre compte de faire entrer un objet de forme ronde dans un trou carré. Pire, il apparait que le décideur public ne tire aucune leçon de ses échecs, se bute et s’entête. Et dans un domaine d’une importance aussi proprement vitale que la gestion des risques et la prévention des crises, son entêtement peut être mortel. Comment en est-on arrivé là ? Comprendre comment la décision publique peut manquer à ce point son objet implique de se pencher plus avant sur les procédés l’élaboration qui ont permis de la construire.

S’ils possèdent d’indéniables vertus, ils ont aussi leurs vices et ce sont de ces derniers dont il sera plus particulièrement question dans les développements qui vont suivre.

scientifiques sur les effets de celle-ci. (…)Le ministre semble indiquer une position nationale, qui ne laisse plus aucune marge de manœuvre aux autorités locales. En définitive, on ne peut que constater l'inadéquation entre le principe de précaution et le droit de l'urbanisme, s'agissant de la délivrance locale des autorisations. L'urbanisme décentralisé n'est pas le bon niveau pour une mise en œuvre cohérente et scientifique du principe de précaution. Il serait donc plus adapté, pour faire face aux difficultés liées à la prise en compte du principe, de prendre en compte le principe de précaution en amont du dépôt de la demande. Cela pourrait résulter d'une réglementation étatique ».

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Titre 2 :

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