• Aucun résultat trouvé

Les dynamiques à l’œuvre au stade de la prise de décision

Dans le document La décision publique et la crise (Page 192-195)

Les procédés d’élaboration de la décision publique

Section 1 : Les travers du modèle de conceptualisation des risques

B) Les dynamiques à l’œuvre au stade de la prise de décision

Preuve de la complexité des situations à appréhender, c’est une nouvelle fois une double dynamique qui doit ici être étudiée : celle liée à l’impact de la mise en œuvre des décisions adoptées sur le risque lui-même (1), mais aussi celle liée à leur impact en matière sociale (2).

1) L’évaluation de l’impact de la décision en matière de risques

Toute politique visant à prémunir la société des risques existant passe nécessairement par une évaluation de celui-ci, préalable indispensable à la constitution d’un cadre d’action donné à l’intérieur duquel les grandes lignes des actions de prévention ou de précaution pourront être tracées. Ainsi qu’il a été vu, la temporalité des phénomènes étudiés doit être prise en compte puisque celle-ci influe directement sur la nature et l’ampleur du risque. Si cette étape n’est que trop souvent négligée ou plus simplement ignorée, il en va de même de celle consistant à évaluer les conséquences de la mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre les risques à tous les stades de leur application. Celles-ci contribuent en effet à modifier les données initiales du problème qui devraient en toute logique être réévaluées de façon à ce que les actions de résorption du risque soient recalibrées à la lumière des nouvelles données disponibles. Certaines mesures de résorption du risque peuvent ainsi contribuer à lever des zones d’ombre et réduire l’incertitude initiale qui subsistait lors de la prise de décision, offrant ainsi au décideur de nouveaux éléments d’appréciation, apport d’information inestimable, particulièrement lorsque les mesures prises l’étaient au titre de la précaution. Le cas du « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles » est à ce titre représentatif de ce type de situation. Caractérisé par une surmortalité importante des abeilles au sein de leur colonies, au point que l’on estime que la population globale des abeilles a diminué de près de

192 30% dans de nombreux pays européens, ce syndrome était attribué originellement à l’usage de deux insecticides ; cela sans toutefois qu’ait pu être prouvée scientifiquement l’existence d’un lien de cause à effet entre les insecticides incriminés et la diminution de la population d’abeilles. C’est donc sur le fondement du principe de précaution qu’il était procédé au retrait graduel de ces deux insecticides, sans que toutefois des améliorations aient pu être observées. Des analyses plus approfondies devaient ensuite permettre de mettre les substances en question hors de cause, tandis que dans le même temps la réalité -et l’aggravation- du phénomène était reconnue. C’est à la lumière de ces nouvelles informations que l’emploi des substances précédemment interdites était à nouveau autorisé449.

De la capacité à assurer un suivi régulier des mesures mises en œuvre dépend celle d’inscrire l’action publique dans une dynamique de long terme.

2) L’évaluation de l’impact de la décision en matière sociale

Un autre aspect à prendre en compte est celui de l’impact des mesures, non seulement à l’égard de l’objectif visé (la réduction du risque), mais également dans toutes ses autres composantes, notamment socio-économiques et politiques. Trop souvent en effet l’instruction des décisions publiques est carencée sur deux points : « d'une part, il manque une

caractérisation complète, ou à défaut suffisamment large, des enjeux, notamment des impacts socio-économiques considérés du point de vue de la société dans son ensemble ; d'autre part, l'identification des porteurs d'enjeux et leur intégration dans un processus de dialogue et d'instruction de la décision publique sont insuffisantes »450.

Une décision en matière de risque n’est jamais neutre et se limite rarement à une mesure de nature purement et exclusivement technique : elle peut aussi être un choix de société dont il convient de mesurer tous les enjeux, directs comme indirects. Le décideur public ne devrait pas non plus hésiter à prendre de la hauteur de vue pour anticiper les conséquences des mesures ordonnées, notamment afin de vérifier si le remède apporté n’aura pas des conséquences pires que le mal que l’on souhaite traiter. L'interdiction du trichloréthylène a ainsi conduit à sa substitution par le perchloréthylène dans les pressings, soit un produit cancérogène par un autre produit cancérogène…

449 V. AFSSA, Mortalité, effondrements et affaiblissement des colonies d'abeilles, rapport de 2008 actualisé en avril 2009. V. aussi Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, Rapport n° 11174-01, Plan de développement durable de l’apiculture, 2012.

450 Pour un panorama global de cette question, voir : La décision publique face à l’incertitude. Clarifier les

règles, améliorer les outils, Comité de la prévention et de la précaution - Ministère de l’Ecologie, de l’Energie,

193 Mais la complexité de la modernité exige désormais que l’évaluation des risques aille au-delà d’une simple analyse coûts-bénéfices et qu’elle intègre d’autres aspects au sein d’un processus formalisé. Des outils d’aide à la décision ont été développés, permettant d’inclure une approche multi facteurs à une classique évaluation coûts-bénéfices mais n’ont pas encore été assimilés : « ils s'appuient sur des méthodes proches de l'analyse coûts-bénéfices, dont le

principe est d'évaluer les options qui se présentent au décideur en attribuant une valeur (généralement monétaire) à l'ensemble de leurs conséquences, qu'elles soient sanitaires, environnementales, économiques, sociales, etc. L'analyse coûts-bénéfices tient compte à la fois du risque et de la dimension temporelle des décisions, en intégrant de façon cohérente les événements futurs et/ou incertains par le biais de facteurs d'escompte et de probabilités de réalisation. Quels que soient leur nature, leur horizon temporel et leur probabilité, tous les facteurs pertinents d'un point de vue décisionnel peuvent ainsi être agrégés au sein d'une mesure unique, telle que la valeur actuelle nette escomptée ou le ratio avantages-coûts. Cette valeur est censée mesurer la variation espérée du bien-être social associée à une option donnée. La solution qui fournit la valeur la plus élevée pour cette mesure est celle que l'on peut considérer comme la plus avantageuse du point de vue de la société. L'analyse coûts-bénéfices admet un certain nombre de variantes, notamment l'analyse multi-critères où le décideur peut se donner non pas un objectif unique (la maximisation du bien-être social), mais plusieurs objectifs simultanés (par exemple utiliser efficacement les ressources disponibles sans perdre de vue les aspects redistributifs, et prendre en compte des valeurs sociétales spécifiques) »451.

Un dernier paramètre à prendre en considération est celui de la plasticité des différents acteurs chargés de la mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre les risques. Tous ne sont pas aussi sensibles et réceptifs aux problématiques abordées que le décideur initial aussi est- il impératif d’anticiper le latitudinarisme des différents maillons de la chaîne d’exécution par la mise en place d’un véritable processus de décision qui, pour l’heure, pèche par son absence.

194

Dans le document La décision publique et la crise (Page 192-195)

Outline

Documents relatifs