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La polémique sur les principes démocratiques de la « révolution chilienne »

CHAPITRE II : LE PARTI COMMUNISTE CHILIEN ET LA CONCURRENCE AU SEIN DU SYSTÈME DE PARTIS AU SEIN DU SYSTÈME DE PARTIS

B. Des principes opposés : entre les conflits et des alliances

2. La polémique sur les principes démocratiques de la « révolution chilienne »

Les différences entre les deux partis atteignent dans les années soixante une autre dimension, puisque cette fois elles vont concerner les stratégies de chaque organisation et

772 Pour Ampuero, c’est le discours anticommuniste prononcé par Oscar Schnake le 15 décembre 1940 à son retour de La Havane, ce qui a précipité la fin du FP. Même si la direction du PS ne connaissait pas le contenu du discours, comme le montrent les paroles de présentation de Marmaduque Grove dans le même acte, le discours de Schnake représentait, d’après Ampuero, l’opinion de la majorité des bases socialistes. Ampuero, R. La izquierda… p.19

donc le p rojet du g ouvernement qu’i ls v eulent mettre en place. Les d eux part is auront l’opportunité d’engager dans cette étape un débat public sur leurs stratégies respectives, ce qui, d’une part, permet au PCCh d’approfondir théoriquement sur le caractère de son action politique et consolider sa posi tion au sein de l’espace politique. D’autre part, le débat déf init les d ifférences entre les d eux pa rtis et met des lim ites a u proj et du gouvernement qu’ils tenteront de mettre en place entre 1970 et 1973 au sein de l’Unité populaire.

Or, pour s ituer les divergences e ntre le PCCh et l e P S, il e st i mportant de comprendre que l’alliance entre les deux partis commence à la fin des années cinquante, lors qu’ils assument l e b esoin de se prés enter ensemble afin d e g agner le p ouvoir.

D’après nous, et c ontrairement à cert ains auteurs, c’est une décision politique des deux partis plutôt que la c onvergence d es stratégies et des projets, c e q ui dé termine leur l’alliance, comme c’était le cas pour le FP dans les années trente.

D’une part, le Parti so cialiste p opulaire ( PSP) v ient d e finir un e exp érience infructueuse au sein du go uvernement d e Carlos Ibáñez del C ampo773. I ls quittent le gouvernement après y avoir travaillé un an, la raison officielle étant que le président ne prétendait p oint e xécuter le pr ogramme promis ni le s mesures destinées à détruire les intérêts de l’oligarchie774. C’est pourtant une raison politique ce qui déclenche le départ du PS du gouvernement : la défaite de l’alliance au pouvoir lors des élections de 1953775.

Le bilan que le PS établit, estime que le parti ne p eut pas gagn er le gouvernement tout seul et que la collaboration avec des partis non-marxistes ne permet pas de réaliser les changements souhaités776. L’alternative est donc, le PCCh. En effet, c’était juste après que le PSP réalise que ce n’étaient que de « grandes illusions ce qu’il avait par rapport à Ibáñez, que le processus de formation d’une alliance avec le PC a commencé comme la seule sol ution possible pour résoudre l es problèmes de la sociét é c hilienne», a ssure Ampuero777. Au trement dit, le PSP re connaît le b esoin d’un accord politique avec le PCCh, malgré les différences de fond qui séparent les deux partis. Pour Ampuero, au fur et à m esure que disparaissaient les espoi rs à l ’égard du gouvernement ibañista,

« l’attitude du PSP a tourné vers une approche plus réaliste de l’unité populaire, exprimée dans une gradu elle réconciliation a vec le Parti communiste »778. Dans cet te tend ance, Allende a jo ué u n rôle fondamental, p uisque, au lie u d e fix er l’a ttention sur les divergences entre les so cialistes et le PCCh, il a insisté au se in de s social istes, s ur la

773 Sur la justification du PSP du soutien à Ibáñez, voir Lettre du PSP au Front du peuple, 22.05.1955, citée par Ampuero, R. La izquierda… p.57 et Corvalán, L. De lo vivido…p.56

774 Casanueva, F. et Fernández, M. El Partido Socialista y la Lucha de Clases en Chile, Santiago, Quimantú, 1973, p.172 ; Lettre du PSP au Front du peuple… ; Ampuero, R. Última Hora, Santiago, 25.11.1955

775 En octobre 1953 le Front civique –composé par toute l’opposition, dont le PSCh- emportent l’élection complémentaire de sénateur sur les candidats du gouvernement. Face à cet échec électoral, « la situation du Parti socialiste populaire est devenue insoutenable » Ampuero, R. La izquierda… p.27

776 Voir XV Congreso General Ordinario, San Antonio, 16-18 octubre 1953, dans Jobet, J.C., El Partido…; Ampuero, R. La izquierda…p.53-54

777 Ampuero, R. Última Hora, Santiago, 25.11.1955

778 Ampuero, R. La izquierda…p.55

nécessité de ch ercher sur le terrain pratique des points communs d’action q ui p uissent servir de lien entre les deux partis, sur la base de projets concrets tendant à résoudre les problèmes fondamentaux du pays779.

À partir de sa mise en illégalité par son ex allié, le PR, le PCCh est parvenu à la conclusion du PS. À savoir, qu’aucun parti de gauche ne pouvait gagner le gouvernement tout seul, qu’une alliance politique solide s’imposait dans ce but et que la gauche devait assumer la tête d’une telle alliance à la place d’un parti centriste. En outre, le PCCh est en plein processus d’insertion dans l’espace politique après dix années d’illégalité et cherche dans le PS –l’autre parti marxiste sur la scène politique chilienne- un allié. Si les contacts initiés p ar le PCCh e n 1 951 d ans la p erspective d ’un can didat comm un pour les présidentielles d e 1952 on t é té repou ssés par l e PS780, ce la n’a pas emp êché le PCCh d’aboutir à un accord avec le candidat socialiste dissident : Salvador Allende (PSCh)781.

Pour le PCCh, une alliance politique pour les élections de 1952 était fondamentale.

D’abord, parce que sa participation montrait que malgré l’illégalité, le parti était toujours capable de jouer un rôle important au sein du système politique et que, dans la pratique, le PCCh n’agissait pas tout à fait dans la clandestinité. Ensuite, parce que l’alliance avec la ca ndidature d’Allende donn ait à la gauche le rôle hégémonique du p rojet – ce qui n’arriverait pas dans une allia nce a vec une force cent riste- et pe rmettait de m ettre en pratique la stratégie du Front de libération nationale (FLN) que le PCCh avait défini dans sa IX Conférence en août 1952. « Avec la candidature d’Allende », affirme Corvalán, « la situation a pe rmis au Parti d’a gir à dem i-légalement p endant q uelques années. Plus encore, sa parole [du PCCh] a commencé à s’exprimer dans quelques journaux »782.

Dans ce sen s, l’ échec él ectoral du Fro nt du peupl e (FDP) –Allende n’a eu qu e 51975 voix, c’est-à-dire, 5.43 pour cent au niveau national783-, n’est pas tran sposable à tous les domaines, parce qu’en plus, l’alliance PCCh-Allende est le premier pas vers l a

« Voie chili enne vers le socialisme ». Cert es, si la ma uvaise expérience au se in du gouvernement d’Ibáñez a convaincu le PSP du besoin de l’alliance des fo rces marxistes afin d e réaliser le programme souhaité et si la réuni fication du mouvement ouv rier a

779 Ibid. p.56

780 Selon Ampuero, une alliance entre le PSP et le PCCh était en cette époque hors de question.

Les rapports restaient tendus à cause de leurs différences vis-à-vis des sujets internationaux et de la lutte au sein du mouvement syndical depuis les années 1940. Un article publié par Jobet en 1952, accusait le communisme d’« accroître sur la base de l’agitation constante » sans chercher une réelle solution, juste pour « maintenir le mécontentement ». La critique vise surtout la politique « double » et « contradictoire » du PCCh, laquelle, d’après le PSP, encourage l’agitation dans la rue et à la fois se montre prête pour des accords électoraux larges avec des forces

politiques les plus variées. Jobet, J.C. « Socialismo y … p.274

781 Selon Corvalán, la proclamation de la candidature d’Ibáñez par le PSP a arrêté les conversations. Le PCCh décide alors d’appuyer Allende. Corvalán, L. De lo vivido… p.55 Un secteur du PSP ayant à la tête Allende, s’est opposé au soutien à Ibáñez : « Je me demande, où sont ses idées ? Où est son programme ? (…) j’ai essayé depuis un an de convaincre le Comité Central du PSP que on ne peut pas supporter Ibáñez. Allende, S. Ercilla, 16.10.1951, p.4 Allende quitte le PSP et rejoigne le PSCh, le secteur minoritaire des socialistes depuis la scission de 1948

782 Comme l’entretien de Galo González publié dans la revue Vea. Corvalán, L. De lo vivido…p.56

783 Le FDP était formé par le PCCh, le PSCh, le Parti démocratique et le Parti du travail. Les chiffres des élections dans Correa, S. et al. Documentos… p.560

révélé la possibilité de travailler avec les communistes784, c’est l’alliance Allende-PCCh, la première approche entre le PCCh et une partie des socialistes, ce qui aurait montré la faisabilité d’une telle alliance politique en respectant les principes de la voie pacifique.

À p artir d e 1955 le PCCh subit la p ersécution et la répression du go uvernement d’Ibáñez, cette fois a ccompagné par les socialistes qu i se trouvent d ans l’o pposition.

Dans ce cadre, le PSP proposera enfin au FDP, une politique qui représente les « grandes majorités »785.

C’est don c le cho ix po litique d es deu x parti s plutôt qu e la convergence de l eurs stratégies, ce qui a d éclenché le Front d’action popu laire (FRAP), don t l’Acte de fondation, signée le 1er m ars 1956, réunissait l e PCCh, le PSP (d ’Ampuero), le PSCh (d’Allende), le Parti démocrate du peuple, le Parti démocratique (PD) et le Parti du travail (PT)786.

Le PS et le PCCh affichaient leur accord sur deux points : leur unité incontournable pour fai re tomber Ib áñez et g agner l e po uvoir et le rô le principal que d evait jouer la classe ouvrière –représentée par le mouvement syndical- au sein de l’alliance. E n dehors de ces deux principes g énéraux, les stra tégies e t le s tactiques des deux par tis restaient complètement différentes. On distingue dans cette étape au sein du PSP une tendance qui, dans le temps, mettra le parti dans une position de plus en plus en rupture avec l’ordre politique existant au Chili et, dans ce sens, va s’opposer à la théorie et à la pr atique du PCCh qui cristallisent son habitus démocratique787.

Par la suite on analysera l’un des trois points de divergence qui sont à la b ase de l’affrontement entre le PCCh et l e PS à partir de l a f in des an nées c inquante : la voie pacifique788. On commencera par le rôle que chaque parti assigne à la bourgeoisie dans le

784 Vu l’attachement des syndicats chiliens aux partis, l’ancienne CTCh s’était vue scindée en la branche PC (de Bernardo Araya) et PS (de Bernardo Ibáñez) Le rapprochement des syndicats pour une action commune pour des revendications particulières aux travailleurs aboutit à la formation de la Central unique de travailleurs (CUT) en 1953. Angell, A. Partidos políticos… « L’alliance de la gauche était déjà une réalité dans les syndicats en 1953, et quatre ans après l’alliance

politique de la gauche a été une réalité aussi. » reconnaît Ampuero, R. Cité dans Furci, Op.cit. p.66

785 Les premières conversations ont eu lieu en 1955 dans le camp de concentration de Pisagua, où se sont rencontrés les groupes du leader Oscar Waiss (PSP) et de Volodia Teitelboim (PCCh), tous emprisonnés par Ibáñez. Ils ont établi un accord basique d’action commune entre les deux partis.

Teiltelboim a reconnu ces rencontres, mais il ne leur accorde pas l’importance de Waiss.

Entretiens citées par Furci, C. Op.cit. p.69

786 Baltazar Castro et José Oyarce pour le FDP (PSCh et PCCh respectivement), et Humberto Martones et Raúl Ampuero, pour le Bloc démocratique du peuple - Socialiste populaire. Ampuero, R. La izquierda…p.59. Bray confonde le nom d’Oyarce avec celui d’Oyarzún. Bray, D.W.

Chilean Politics during the Second Ibáñez Government, 1952-1958, thèse, Standford University, 1961, p.119

787 Ces idées apparaissent déjà dans les documents du Congrès de Concepción en 1946. Elles s’enrichissent avec les discussions autour du nouveau Programme du Parti et sont explicitées dans les rapports et thèse ultérieurs. Ampuero, R. La izquierda…p.36

788 Les deux autres –la notion de camp au niveau international et le rôle de l’URSS comme leader du mouvement socialiste international- s’éloignent de notre sujet d’intérêt : l’habitus démocratique du PCCh

projet qu’ils conçoivent et comment elle devient une source de conflit, pour finir avec les différences théoriques et p ratiques suscitées entre les deux partis autour de l’usage de la lutte armée comme moyen pour arriver au pouvoir.