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des PMA, au stade de la conception comme à celui de l’exécution

Si un nombre croissant de pays développés et de pays en développement accordent des préférences unilatérales non réciproques aux exportations en provenance des PMA, cela n’a eu le plus souvent que peu d’incidence sur l’évolution de la part de marché des PMA dans le pays qui accorde les préférences, qui tient davantage à des effets de prix relatifs et à d’autres facteurs structurels (WTO, 2019).

Les régimes préférentiels peuvent être très différents pour ce qui est de la couverture, des marges de préférence, des règles d’origine et de l’existence de dispositions préférentielles parallèles, mais plusieurs facteurs communs à ces régimes en ont diminué l’efficacité. En premier lieu, l’érosion des préférences finit souvent par faire perdre de l’intérêt commercial à ces régimes ; de plus, leur caractère unilatéral les rend d’une certaine façon incertains et imprévisibles, particulièrement à un moment où l’environnement du commerce international est devenu moins stable et où les mesures restrictives se multiplient18. En deuxième lieu et plus fondamentalement, comme il n’y a pas eu d’action plus générale pour soutenir le développement des capacités productives, ces régimes semblent avoir peu aidé les PMA à diversifier leurs exportations. Si les marges préférentielles sont souvent plus lucratives pour les produits manufacturiers, quelques PMA sont parvenus à exploiter cet avantage en marge extensive, en tirant parti de l’accès préférentiel aux marchés pour soutenir la diversification. Néanmoins, comme la plupart des PMA restent tributaires des produits primaires, les gains que les régimes préférentiels étaient censés leur apporter ne se sont pas concrétisés, car la plupart de leurs marchandises sont échangées au taux de la nation la plus favorisée (NPF) en franchise de droits (WTO, 2019). En troisième lieu, des règles d’origine strictes ont parfois compromis l’utilisation des régimes préférentiels par les exportateurs des PMA en leur imposant des coûts de conformité plus

18 On citera parmi les cas récents de suspension de préférences commerciales unilatérales :

• La décision de la Commission européenne, en février 2020, de retirer une partie des préférences tarifaires accordées au Cambodge dans le cadre du régime commercial «  Tout sauf les armes  » en raison de

«  violations graves et systématiques des principes relatifs aux droits de l’homme  » (Commission européenne, 2020) ; et

• La décision du Président des États-Unis, en juillet 2018, de suspendre l’application du traitement en franchise de droits pour tous les vêtements en provenance du Rwanda admissibles au bénéfice de la loi des États-Unis sur la croissance et les perspectives économiques de l’Afrique, à la suite des mesures d’interdiction adoptées par ce pays concernant les vêtements d’occasion et les importations de chaussures (TRALAC, 2018  ; AGOA info, 2018).

élevés, surtout lorsque le tissu productif et le cadre institutionnel sont faibles (UNCTAD, 2018f, 2019g).

Un ensemble d’orientations multilatérales pour la simplification et l’amélioration de la transparence des règles d’origine applicables aux régimes commerciaux préférentiels concernant les PMA a été élaboré dans le contexte de l’OMC, ce qui a favorisé des réformes dans ce domaine et centré l’attention sur les questions de transparence et de prévisibilité19. Il est cependant largement possible d’améliorer le taux d’utilisation des régimes préférentiels, particulièrement dans le cas de certains des plus récents de ces régimes, dont la caractéristique est d’autoriser l’entrée dans les PMA d’une forte proportion d’importations au taux NPF.

Plus généralement, les résultats commerciaux des PMA sont limités par les MNT, qui recouvrent un grand nombre d’exigences, qu’il s’agisse de normes techniques, de mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), de règles antidumping ou d’autres dispositions administratives. Les pays développés, en particulier, ont tendance à appliquer relativement plus de MNT (autrement dit à réglementer une plus grande partie de leurs importations et à imposer davantage de règles à chaque article) que les autres pays en développement ou les PMA, tandis que ces derniers réglementent leurs exportations deux fois plus souvent que les pays en développement ou les pays développés (UNCTAD and World Bank, 2018). La  présence des MNT est particulièrement forte dans des secteurs qui sont de première importance pour les PMA, notamment dans l’agroalimentaire et dans les textiles et les vêtements, où leur effet est souvent supérieur à celui des droits de douane20. Les PMA et les petits producteurs sont les acteurs les plus touchés par les MNT, car les coûts de conformité sont fonction d’un grand nombre de facteurs, dont les compétences techniques, les installations de production, et la dotation en infrastructures matérielles et immatérielles (s’agissant notamment des organismes d’assurance qualité et de normalisation).

Le même raisonnement général vaut pour le commerce des services des PMA  : si leurs exportations de services ont augmenté sensiblement au cours des dix dernières années, elles restent inférieures à 1  % du total mondial et sont de plus

19 Des décisions sur les règles d’origine préférentielles applicables aux PMA ont été adoptées aux conférences ministérielles de 2013 et de 2015 de l’OMC (tenues respectivement à Bali et à Nairobi).

20 Accessoirement, cette évolution sectorielle risque d’être préjudiciable à l’égalité entre les sexes, les femmes étant le plus souvent surreprésentées dans les secteurs de l’agriculture et de l’habillement.

en plus limitées à quelques pays. De plus, il s’agit principalement de services de tourisme, de transport et de distribution, les services à plus forte intensité de connaissances et de TIC, dont le dynamisme repose sur la numérisation et la servicisation, ne jouant qu’un rôle mineur. Les travaux sur la «  dérogation concernant les services pour les PMA » − qui permet aux membres de l’OMC d’accorder un traitement préférentiel aux services et aux prestataires de services originaires des PMA membres − ont débuté en 2011, l’objectif étant précisément de mieux intégrer les PMA dans le commerce international des services. Pourtant, si quelques progrès ont été faits, il semble évident au bout de presque dix ans que cette mesure ne modifiera sans doute pas radicalement la donne à elle seule, car l’accès aux marchés de services recouvre tout un ensemble de mesures de libéralisation (suppression des éléments discriminatoires), de développement des capacités et de réforme réglementaire21.

b. Mesures internationales d’appui dans le domaine technologique

Le bilan est tout aussi décevant en ce qui concerne les mesures internationales d’appui relatives à l’accès à la technologie, constat qui ne laisse pas d’inquiéter à un moment où la numérisation menace d’aggraver les fossés actuels, et de remettre en cause les modèles d’activité classiques. Les PMA bénéficient bien à cet égard d’un certain nombre de dispositions relatives au traitement spécial et différencié (TSD), parmi lesquelles une dérogation à la plupart des obligations prévues par l’Accord de l’OMC sur les ADPIC jusqu’en 2021 (au titre du paragraphe  1 de son article  66), ainsi qu’une exemption des dispositions du même Accord relatives aux produits pharmaceutiques jusqu’en 2033 (en vertu de la décision no IP/C/73, datée du 6 novembre 2015, du Conseil des ADPIC). En outre, les pays développés

« offriront des incitations aux entreprises et institutions (…) afin de promouvoir et d’encourager le transfert de technologie  » vers les PMA, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 déjà mentionné. Dans les faits, cependant, cette disposition n’a que rarement abouti à de vrais succès (UNCTAD, 2016a), et peu de PMA ont été capables de véritables progrès dans la mise à niveau technologique par l’utilisation stratégique des mesures TSD, le Bangladesh constituant peut-être la principale exception si on se réfère à la croissance rapide de son industrie pharmaceutique (Nazim Uddin Bhuiyan et al., 2019 ;

21 En octobre 2019, 51  membres de l’OMC (représentant 86  % du commerce mondial) avaient notifié des préférences accordées pour les services et les prestataires de services des PMA.

Helal Uddin Ahmed, 2019). De  plus, l’utilisation de ces flexibilités est parfois limitée par la présence d’obligations plus contraignantes que celles de l’OMC dans des accords de commerce et d’investissement bilatéraux (UNCTAD, 2007), comme en ont témoigné récemment les risques de contentieux liés aux mesures prises face à la pandémie de COVID-19 (Bernasconi-Osterwalder et al., 2020).

Au-delà des mesures TSD, on a également assisté à toute une série d’initiatives d’assistance technique concernant le transfert de technologies climatiques, au titre, notamment, du mécanisme technologique de la Convention-cadre des Nations  Unies sur les changements climatiques, et du programme stratégique de Poznan sur le transfert de technologies. Dans le même ordre d’idées, la Banque de technologies pour les PMA, créée en 2011 mais opérationnelle depuis seulement 2018, a commencé de réaliser des examens des politiques de la science, de la technologie et de l’innovation et des évaluations des besoins technologiques, et a pris des dispositions pour promouvoir l’accès à la recherche et aux connaissances techniques et renforcer les académies nationales des sciences.

Si on doit s’en féliciter, il est difficile d’échapper au constat que, dans l’ensemble, ces mesures sont trop fragmentaires et sous-financées compte tenu du retard technologique des PMA, de sorte que la mise à niveau technologique reste hors de portée pour ces pays. En outre, la complexité et la fragmentation des mécanismes correspondants sont difficiles à appréhender pour les décideurs des PMA, ce qui compromet l’efficacité de l’aide proposée (Brianna Craft et al., 2017 ; UNCTAD, 2016a).

c. Renforcer l’efficacité des mesures internationales d’appui

Globalement, on peut tirer de ces quelques exemples cinq conclusions principales. En premier lieu, les mesures internationales d’appui qui reposent fondamentalement sur une forme ou une autre de libéralisation du commerce ont peu de chances de parvenir à corriger la marginalisation des PMA dans le commerce international, si un effort cohérent n’est pas mené parallèlement pour stimuler leurs capacités productives et soutenir la diversification.

Cette tendance risque même de s’accentuer dans le contexte actuel de servicisation et de numérisation, étant donné l’interdépendance croissante qui en résulte entre les entreprises et les secteurs économiques, et compte tenu également du rôle central de la connectivité et des infrastructures associées. À cet égard, le renforcement de l’initiative de l’Aide pour le commerce, forme essentielle d’appui

aux secteurs productifs et aux infrastructures liées au commerce, apparaît comme une nécessité si l’on veut que les autres mesures internationales d’appui relatives au commerce soient efficaces. De même, renforcer l’assistance technique liée au commerce, notamment à l’aide du Cadre intégré renforcé, constituerait aussi une mesure importante.

En deuxième lieu, c’est la qualité des institutions des PMA qui détermine en fin de compte l’effet concret de la plupart des mesures internationales d’appui.

Cet aspect est primordial pour traiter certains des obstacles liés aux MNT, au commerce électronique et au commerce des services, qui posent davantage de problèmes de transparence et de prévisibilité (voire de simple mesure). Un large effort de développement des capacités est donc nécessaire pour : i) améliorer la qualité, la disponibilité et la fiabilité des données relatives au commerce ; ii) renforcer la transparence réglementaire ; iii) garantir la cohérence des politiques d’une instance à l’autre ; et iv) promouvoir un débat factuel sur les éléments stratégiques de la politique commerciale. Les technologies numériques de pointe peuvent, jusqu’à un certain point, faciliter ces améliorations institutionnelles et réduire les coûts de conformité (grâce notamment à l’application d’une analytique de pointe au contrôle qualité, à l’adoption du commerce sans papier, ou à des procédés de gestion à distance des conteneurs). Néanmoins, dans la plupart des PMA, ces gains risquent d’être atténués en partie par les coûts fixes des technologies elles-mêmes et des besoins connexes de mise à niveau des compétences et de sensibilisation des milieux économiques. Dans le même ordre d’idées, comme l’a montré le succès relatif de l’application de l’Accord sur la facilitation des échanges et des mesures TSD qui y sont associées, un investissement doit être consenti d’emblée pour mieux sensibiliser les acteurs concernés des PMA aux aspects techniques, à l’utilité et au contenu stratégique des divers mesures internationales d’appui (chap. 4).

En troisième lieu, une marge d’action appropriée reste nécessaire si l’on veut permettre aux PMA d’aller vers la transformation structurelle et de rompre leur dépendance à l’égard des produits primaires.

Comme cela a déjà été reconnu à l’OMC dans le cadre du Cycle de Doha, les mesures TSD actuelles doivent être réformées (tant pour les PMA que pour les autres pays en développement), mais le mécanisme de suivi correspondant n’a guère produit de résultats concrets jusqu’à présent (UNCTAD, 2016a, 2020b).

Au minimum, les éléments de flexibilité dont sont assortis actuellement les obligations de l’Accord sur les ADPIC devraient être prorogés au-delà de 2021, et les PMA devraient recevoir l’assurance, par

l’adoption de « clauses de paix » appropriées, qu’une action ne sera pas intentée contre eux, que ce soit devant l’OMC ou au titre d’accords bilatéraux de commerce ou d’investissement, pour des politiques adoptées face à la pandémie de COVID-1922.

En quatrième lieu, il est urgent de disposer de mécanismes plus solides pour inciter les entreprises privées à un transfert significatif de technologies afin que se concrétisent les obligations prévues au paragraphe  2 de l’article  66 de l’Accord sur les ADPIC. De plus, la question du transfert de technologies devrait figurer en bonne place dans la conception et l’exécution des régimes de promotion des investissements en faveur des PMA, mentionnés à la cible  17.5 des objectifs de développement durable. Les mesures concrètes ci-après peuvent être prises en ce sens :

• Relier expressément l’utilisation de fonds de développement publics dans le cadre de produits financiers du secteur privé à des pratiques véritables et attestées de promotion du transfert de technologies (telles que la constitution de coentreprises, la création de centres de R-D dans les PMA, le partenariat avec les établissements de recherche locaux, etc.) ;

• Prêter une attention plus soutenue à des mesures facultatives ou obligatoires de transfert de technologies dans le contexte des normes de durabilité, de la responsabilité sociale des entreprises et de la conduite responsable des entreprises ;

• Promouvoir la diffusion de logiciels et de produits numériques libres de droits ; et

• Créer un cadre unifié pour l’échange libre de spécifications de technologies vertes et de renseignements connexes de propriété intellectuelle, et s’appuyer sur les modèles économiques innovants appliqués dans le secteur de la santé au titre du Partenariat pour l’accès aux technologies (initiative lancée dans le cadre de la riposte à la pandémie de COVID-19) et de la Communauté de brevets pour les médicaments23.

22 L’article  24 du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, aux termes duquel les membres de l’OMC «  feront preuve de modération lorsqu’ils soulèveront des questions  » concernant des PMA, et accorderont une «  attention particulière  » à la «  situation spéciale  » de ces pays, va dans ce sens.

23 Pour de plus amples renseignements sur le Partenariat pour l’accès aux technologies et la Communauté de brevets pour les médicaments, voir, respectivement, les hyperliens ci-après : https://techaccesspartnership.org/ et https://medicinespatentpool.org/.

En cinquième lieu, indépendamment du fait qu’il est urgent de promouvoir un transfert de technologies significatif vers les PMA par des efforts multilatéraux, il existe des possibilités importantes de renforcer les mécanismes régionaux et Sud-Sud de coopération technologique. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, ce potentiel s’est manifesté dans des domaines liés à la santé, mais il pourrait s’étendre beaucoup plus loin, dans d’autres domaines comme les technologies vertes et la coopération industrielle et numérique. À cet égard, la mise en place de groupements de R-D, de centres d’excellence régionaux, ou de cadres de coopération pour l’enseignement supérieur, fait partie des initiatives qui pourraient offrir aux PMA des moyens supplémentaires de tirer parti de ressources communes et de la diffusion de connaissances.

Un dernier point à garder à l’esprit à l’approche des délibérations sur le reclassement de PMA est qu’il est impératif, étant donné la conjoncture, de tenir dûment compte dans les décisions qui seront prises de la gravité de la récession mondiale actuelle et de ses lourdes répercussions socioéconomiques. Il s’agira ensuite en priorité de limiter les dégâts à long terme et de renouveler l’appui international au renforcement de la résilience dans les PMA. Parallèlement, le souci d’adapter l’aide aux pays qui parviennent au reclassement ne doit pas faire détourner l’attention des autres PMA, dont les besoins sont encore plus importants. Bien plutôt, ce doit être l’occasion pour la communauté internationale de renforcer les mesures internationales d’appui actuelles et de les rendre plus adaptées à une catégorie qui va devenir progressivement plus homogène.

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