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La pitié et la haine

Selon Naville, l’une des conditions nécessaires à la réalisation du bien commun est la charité, au sens premier du terme, c’est-à-dire l’amour du prochain : « […] le bien en ce qui concerne

les relations des hommes entre eux, est la réalisation de la charité, ou la direction de la volonté de chacun vers le bonheur général. »1. De prime abord, Les Chants de Maldoror bafouent ce principe ; les choses

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cependant sont loin d’être aussi évidentes. En effet, Maldoror semble parfois partagé entre une charité déçue, mais persistante, et une haine tantôt frénétique, tantôt apathique.

On peut s’étonner que Maldoror puisse éprouver de la pitié pour ses semblables : en réalité, ce sentiment, comme souvent chez lui, est teinté d’hypocrisie et d’ambivalence.

À la strophe 7 chant I, il se confie à la Prostitution qu’il l’a sauvé parce qu’il a « pitié des

malheureux » (I, [7], 46) ; mais à la strophe 7 du chant IV, il s’interdit de « fabriquer d’avance les mélancoliques pillules [sic] de la pitié » (IV, [7], pour l’amphibie qu’il aperçoit dans l’océan, un soir

d’été. La métaphore des « mélancoliques pillules [sic] », renforcée par les connotations du verbe « fabriquer », présente la pitié comme une préparation médicamenteuse et artificielle que l’on ingère, et non comme un sentiment authentique venant du cœur. La compassion, de même, n’est qu’illusion ou mensonge : au début du chant IV, le poète évoque ainsi « les rêves de compassion » (IV, [1], 158) que lui font faire l’homme ; au chant VI, Maldoror console Aghone avec une « compassion

feinte » (VI, [8], VI, 243). Quant à la charité, on a vu précédemment que ce n’était plus qu’un mot tombé en obsolescence.1 Mais le fossoyeur, qui n’est pourtant pas dupe de l’hypocrisie du héros, croit déceler en lui des traces de charité : « Quoiqu’il dise ce qu’il ne pense pas, je crois néanmoins qu’il a

des raisons pour agir comme il l’a fait, excité par les restes en lambeaux d’une charité détruite en lui. » (I, [12],

67). C’est encore cette étincelle de bonté qui éclaire le portrait quelque peu moqueur de l’hermaphrodite, ce marginal qui donne la moitié de son argent « aux pauvres » (II, [7], 91). D’une manière générale, comme toutes les manifestations de ce qu’on appelle le bien, la pitié est décrite comme un artifice dont on se sert pour tromper les autres, ou se tromper soi-même.

Maldoror semble toutefois garder en lui le souvenir d’une bonté native, une douceur que la douleur a détruite, la pitié réprimée d’un cœur profondément meurtri.

En effet, la haine viscérale que le héros éprouve à l’égard du genre humain paraît tirer son origine d’une blessure initiale. Mais Maldoror n’a pas toujours haï les hommes, bien au contraire.

Ainsi, à la strophe 8 du chant II, une vision révèle au héros que l’humanité est victime d’un Dieu cruel et anthropophage. Sa compassion spontanée est bientôt troublée par des sentiments plus noirs :

[…] les supplices exercés sur la faiblesse de l’homme, dans cette mer hideuse de pourpre, passaient devant mon front en rugissant comme des éléphants écorchés, et rasaient de leurs ailes de feu mes cheveux calcinés. Plus tard, quand je connus davantage l’humanité, à ce sentiment de pitié se joignit une fureur intense contre cette tigresse marâtre, dont les enfants endurcis ne savent que maudire et faire le mal. (II, [8], 96).

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Le verbe joindre est ici lourd de sens : la « fureur intense » de Maldoror ne remplace pas son « sentiment de pitié », mais s’unit à ce dernier. Ce qu’il ressent, c’est un mélange de pitié et de haine, où l’on trouve toutefois plus de haine que de pitié. Et pour cause, Maldoror est un homme, et chez les hommes, le mal l’emporte sur le bien tant en parole (« maudire ») qu’en action (« faire le

mal »).1 L’amphibie du chant IV, victime de la jalousie de son frère, présente une dualité analogue, mais inversée : « Quelle devint ma haine générale contre l’humanité, tu le devines. L’étiolement progressif, la

solitude du corps et de l’âme ne m’avaient pas fait perdre encore toute ma raison, au point de garder du ressentiment contre ceux que je n’avais cessé d’aimer : triple carcan dont j’étais l’esclave. » (IV, [7], 184). Alors

qu’il dit éprouver une « haine générale contre l’humanité », l’évadé misanthrope, que l’on peut considérer comme le double de Maldoror, n’a aucun « ressentiment » contre les siens, qu’il aime malgré tout : curieux paradoxe, c’est sa « raison » qui l’empêche d’être unanime dans sa colère et de condamner sa race entière.

Il faut aussi insister sur un point important : dans le monde de Maldoror, la haine de l’homme est d’abord, et peut-être surtout, la haine du semblable. Ce substantif revient de manière récurrente sous la plume du poète, qui l’utilise assez souvent dans un contexte lié à la haine, à la colère ou la violence. Ainsi de cette exclamation de dégoût, au début du chant IV : « Tant l’homme

inspire de l’horreur à son propre semblable ! » (IV, [1], 157). On trouve de même dans Poésies II cet

aphorisme d’un pessimisme glaçant : « Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables

ignorent qu’il faut commencer par se détester soi-même. » (P II, 283). Ducasse livre ici l’une des clés pour

comprendre son écriture de la haine : haïr l’humanité, c’est se haïr, puisque l’on fait corps avec cette humanité ; écrire contre l’homme, c’est donc aussi écrire contre soi. Ainsi peut se comprendre, en partie du moins, le dédoublement du poète ; ainsi se comprennent de même les protestations amusées du chant VI : « Je ris à gorge déployée, quand je songe que vous me reprochez de

répandre d’amères accusations contre l’humanité, dont je suis un des membres (cette seule remarque me donnerait raison !) » (VI, [1], 223). Si Maldoror s’arroge le droit d’outrager l’humanité, c’est qu’il en fait

partie, et qu’il a commencé par s’outrager lui-même.

En une sorte d’aveu, Ducasse évoque, parmi les dérèglements dont il fait la liste dans

Poésies I, « la culpabilité d’un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux »

(P I, 262-263). Ces mots éclairent la portée subjective des Chants de Maldoror, œuvre d’autodestruction et d’autodénigrement.

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L’autre ambivalence de la haine maldororienne est qu’elle est tantôt active et visible, tantôt cachée et en sommeil. C’est ce qu’explique le héros, paralysé depuis quatre siècles, à un voyageur qu’il prend à témoin : « Va-t’en... que je ne t’inspire aucune piété. La haine est plus bizarre que tu

ne le penses ; sa conduite est inexplicable, comme l’apparence brisée d’un bâton enfoncé dans l’eau. Tel que tu me vois, je puis encore faire des excursions jusqu’aux murailles du ciel, à la tête d’une légion d’assassins, et revenir prendre cette posture, pour méditer, de nouveau, sur les nobles projets de la vengeance. » (IV, [4], 171). Le héros

refuse la pitié pour lui comme pour ses semblables. La référence à l’illusion cartésienne du bâton trempé dans l’eau est une invitation au doute. Il faut se méfier des apparences : la faiblesse est parfois trompeuse ; elle peut cacher une vengeance qui attend son heure. La haine peut préférer la ruse à la force, le stratagème à la « guerre ouverte » (II, [6], 88).

Ainsi donc, la haine de l’autre est une réponse au mal ; mais elle demeure inséparable de la haine de soi. Elle peut employer la ruse, feindre la pitié, ou encore la faiblesse.

De là cet autoportrait contrasté et douteux du poète sous les traits de Maldoror. Parfois, le héros agit à la manière d’un bon samaritain : à la strophe 14 du chant II, il ranime son ami Holzer. Au chant V, il sauve le fils supplicié pendu par les cheveux ; mais à cette occasion, il éprouve le besoin impérieux de détromper ceux à qui il a confié le malheureux : « […] voilà

qu’après avoir fait une centaine de mètres, je revins machinalement sur mes pas, j’entrai de nouveau dans la chaumière, et, m’adressant à leurs propriétaires naïfs, je m’écriai : “Non, non... ne croyez pas que cela m’étonne !” Cette fois-ci, je m’éloignai définitivement ; mais, la plante des pieds ne pouvait pas se poser d’une manière sûre : un autre aurait pu ne pas s’en apercevoir ! » (IV, [3], 169). La répétition de l’adverbe « non » et les points de

suspension traduisent une émotion confuse : le sauveur se retire, mais il ne s’en va pas l’esprit tranquille. Si Maldoror a trouvé une nouvelle preuve à l’appui de ses théories malfaisantes, son cœur endurci n’a pas manqué de frémir face à ce redoutable exemple de la méchanceté humaine.

Il subsiste chez Maldoror une tension, même faible, entre d’un côté, une pitié résiduelle, et de l’autre, une haine hyperbolique et implacable. Voilà sans doute pourquoi Maldoror aime à jouer les anges exterminateurs : que l’on songe au plaisir qu’il ressent à l’idée d’anéantir l’humanité en la livrant à ses légions de poux. Vraisemblablement, il lui faut détruire les causes communes de sa haine et de sa faiblesse.

Si Maldoror n’est pas dupe du caractère illusoire de la charité humaine, il conserve au fond de son cœur blessé les reliefs d’une compassion sincère. Cependant, la haine du semblable le domine en prenant des formes diverses ; elle va de pair avec la haine de soi. Et malgré cette haine

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sadique de l’humanité, le poète héros reste capable d’élans de charité qui ébranlent par instant son âme endurcie.

La douleur

Dans sa lettre du 23 octobre 1869, Ducasse, encore confiant dans la réussite de ses projets, explique à Poulet-Malassis que malgré l’absence de « morale » conclusive à la fin de son livre, « il y a déjà une immense douleur à chaque page. » (Lettre 4, 306). Le jeune poète distingue cette douleur du mal : « Est-ce le mal, cela ? Non certes. ». Trois jours plus tard, Ducasse désigne Naville et son Problème du mal comme la source de son inspiration philosophique. Il rattache alors sa « poésie

de révolte » à ce qu’il nomme le « courant insensible » (Lettre 5, 307). Ces deux postures semblent se

contredire : d’un côté, Ducasse s’inscrit en filiation avec un certain romantisme de la douleur, et de l’autre, il se réclame de Naville, aux yeux duquel la douleur constitue précisément l’une des principales formes du mal : « Si la souffrance était un bien en soi, la loi suprême du devoir serait donc de

détruire le bien. Si la charité est la loi du bien, la douleur doit être détruite, elle ne doit pas être ; elle est donc un mal. »1. Le philosophe dénonce dans ses conférences les apologistes de la souffrance, parmi lesquels Musset. S’agit-il des « poètes maudits » (Lettre 5, 307) qu’évoque Ducasse dans la seconde lettre ?2 Si le jeune écrivain varie d’un courrier à l’autre, c’est moins par balancement philosophique que par pur pragmatisme : dans les faits, son livre renvoie les romantiques et Naville dos à dos. Il s’agit pour Ducasse de faire publier son livre sous le meilleur patronage possible. Cependant, se cache dans la seconde missive une vérité poétique, toute contenue dans l’expression « courant insensible ». Selon toute vraisemblance, cette appellation est propre à Ducasse ; elle ne saurait par ailleurs cadrer avec les idées de Naville. En effet, le philosophe considère la souffrance comme un mal qu’il faut détruire, mais il ne prône en aucun cas l’insensibilité physique ou morale : ce serait rendre impossible l’exercice de la charité. En revanche, il existe bien dans l’œuvre de Ducasse une tension réelle entre, d’une part, le dolorisme, et de l’autre, le refus de la sensibilité.

Qu’elle soit physique ou morale, la douleur participe de l’universalité du mal : Maldoror et les hommes évoluent dans une Création saturée de souffrance.

Cette souffrance plurielle apparaît presque toujours sous un jour à la fois excessif et énigmatique, comme à la strophe 3 du chant II, où Maldoror reproche à Dieu sa cruauté : « Ce

n’est pas assez que l’armée des douleurs physiques et morales, qui nous entoure, ait été enfantée : le secret de notre

1 E. NAVILLE, Le Problème du mal. Sept discours, op. cit., p. 85.

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destinée en haillons ne nous est pas divulgué. » (II, [3], 79). Sur un ton épique, les images militaires de

« l’armée » et de l’encerclement (« qui nous entoure ») illustrent la violence et la prolifération implacable des souffrances de toutes sortes ; l’idée de « secret » renvoie aux mystères divins auxquels l’homme ne peut accéder. Ce thème du mystère douloureux de la destinée sera repris à la strophe 2 du chant V, où Maldoror contemple la « quadruple infortune » (V, [2], 197) de l’homme-pélican et de son frère, le scarabée géant, du vautour des agneaux et du grand-duc de Virginie, tous les quatre victimes des manœuvres d’une sorcière. De même, au chant VI, le poète hésite à rapporter la confession d’Aghone, le fou du Palais-Royal : « Est-il nécessaire de rapporter le sens de ses

paroles ? Pourquoi rouvrir, à une page quelconque, avec un empressement blasphématoire, l’in-folio des misères humaines ? Rien n’est d’un enseignement plus fécond. » (VI, [7], V, 240). La métaphore de « l’in-folio des

misères humaines » renouvelle le cliché du livre de la vie en lui ajoutant une touche pessimiste. Le

complément circonstanciel de manière « avec un empressement blasphématoire » rappelle qu’il s’agit de vérités qui n’appartiennent qu’à Dieu : si cette lecture interdite est d’un « enseignement fécond », c’est qu’elle dévoile la réalité d’un monde livré à la douleur et abandonné par un Créateur mauvais ; c’est aussi qu’elle est la métaphore de la lecture des Chants de Maldoror eux-mêmes en tant qu’ils chantent le mal sous toutes ses formes.

La douleur est donc la substance même de cette Création divine que la création poétique s’attache à décrire sans concession.

Et dans ce monde où le bonheur n’est plus qu’un mot ou qu’un songe, la souffrance, du moins pour Maldoror, se confond avec le plaisir. Ce plaisir est d’abord sensuel et émotionnel, tantôt sadique, tantôt masochiste, et parfois les deux à la fois.

À la strophe 8 du chant I, on retrouve le héros retranché dans sa grotte : plongé dans « un

désespoir qui [l’]enivre comme le vin », il « meurtri[t] » de ses « puissantes mains » sa « poitrine en lambeaux »

(I, [8], 49). Maldoror semble souffrir d’une sorte de masochisme naturel. Ainsi de la lutte qu’il mène contre le sommeil à la strophe 3 du chant V, combat que le poète décrit comme une passivité paradoxalement héroïque : « Qui ne sait pas que, lorsque la lutte se prolonge entre le moi, plein de

fierté, et l’accroissement terrible de la catalepsie, l’esprit halluciné perd le jugement ? Rongé par le désespoir, il se complaît dans son mal […]. » (V, [3], 200). On songe ici à ce que le poète dit de la haine, qui alterne

passivité et passage à l’acte. Le désespoir, le mal, est nécessaire au scénario épique qu’il met en place. Le verbe complaire (« il se complaît ») dénote une posture passive teintée de plaisir ; mais il renvoie aussi à une forme poétique inverse de l’épopée, la complainte, qui traite de sujets tragiques ou pathétiques. La posture masochiste du héros est aussi celle du poète, qui feint par

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instant de se plaindre des douleurs qui l’accablent : l’un comme l’autre, poète et personnage prennent plaisir à souffrir.

De fait, ce plaisir des sens et du cœur se double d’une jouissance esthétique de l’ordre du sublime.1 À la strophe 8 du chant I, par exemple, le poète utilise une série de comparaisons pour caractériser les aboiements effroyables de la horde de chiens : « Tout à coup, […] les chiens laissent

leurs oreilles inertes, élèvent la tête, gonflent le cou terrible, et se mettent à aboyer, tour à tour, soit comme un enfant qui crie de faim, soit comme un chat blessé au ventre au-dessus d’un toit, soit comme une femme qui va enfanter, soit comme un moribond atteint de la peste à l’hôpital, soit comme une jeune fille qui chante un air sublime […]. »

(I, [8], 47). Les quatre premiers comparants évoquent une souffrance physique ; le cinquième décrit au contraire les charmes d’un chant féminin. La figure d’analogie associe donc un sentiment négatif, la douleur, à une qualité, à savoir la beauté. L’adjectif « sublime » a valeur de signature esthétique : le hurlement de la meute, les cris pathétiques de ceux qui souffrent et la voix délicieuse de la jeune chanteuse se réfèrent par métaphore au chant du poète, qui revendique par l’exemple une écriture du sublime. La strophe du naufrage, au chant II, témoigne de la même filiation : « La nuit est venue, épaisse, implacable, pour mettre le comble à ce spectacle gracieux. » (II, [13], 115). Le cadre nocturne offre un décor de convention propice au renouvellement du topos lucrétien du suave mari magno, ce sentiment de sécurité qui augmente de manière perverse à la vue d’un danger qui épargne son observateur : « « Il est doux, écrit Lucrèce, quand la vaste mer est soulevée

par les vents, d’assister du rivage à la détresse d’autrui ; non qu’on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent. »2. Dans la description ducassienne, l’expression « spectacle

gracieux » esthétise le drame, et le tour verbal « mettre le comble » en rehausse le caractère

paroxystique : il s’agit bien d’une scène relevant du sublime. Elle rappelle fortement la scène du naufrage au chapitre V de Melmoth, de Maturin : « — Grand Dieu ! s’écria Melmoth, qui était au nombre

des plus avancés ; quelle nuit et quel spectacle ! Élevez votre lanterne. N’entendez-vous pas des cris ? Faites-leur un signal ; faites-leur comprendre qu’ils peuvent espérer, que le secours est près d’eux. — Arrêtez, ajouta-t-il au bout d’un instant, laissez-moi monter sur cette roche ; ils entendront mes cris. »3. Mais quelques lignes plus

1 Concernant le sublime ducassien, cf. infra, pp. 161-167.

2 LUCRÈCE, De Natura Rerum, traduction, introduction et notes par Henri Clouard, Paris, Flammarion, « GF », 1964, p. 53. Bernardin de Saint-Pierre a écrit sur cet étrange sentiment des pages très incisives dans ses Études de la Nature (1784). Il s’agit plus précisément de l’étude X, « Des Concerts », et de l’étude XII, « Du Sentiment de la mélancolie ». L’auteur exploite cette forme de sublime lors de la fameuse scène du naufrage du Saint-Géran, dans Paul et Virginie (1788). Cet épisode, on le devine, a pu inspirer Ducasse. À ce propos, cf. Marcelin PLEYNET, « Lautréamont et Lucrèce », pp. 128-146, dans Art et littérature, Seuil, « Tel Quel », 1977. Sur les réflexions de Bernardin de Saint-Pierre concernant le suave mari magno, cf. Michel DELON, « Le Bonheur négatif selon Bernardin de Saint-Pierre », pp. 791-801, dans Revue d’Histoire Littéraire de la France, n°5, 1989.

3 Charles Robert MATURIN, Melmoth ou l’homme errant, traduction et notice biographique de Jean Cohen, pp. 625-943, dans François LACASSIN (éd.), Romans terrifiants, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1984, p. 663. Dans cet extrait, il est question du jeune Melmoth, et non de son ancêtre démoniaque.

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loin, Maldoror se démarque résolument le texte source et transforme son plaisir esthétique en plaisir sadomasochiste :

Chaque quart d’heure, quand un coup de vent, plus fort que les autres, rendant ses accents lugubres à travers le cri des pétrels effarés, disloquait le navire dans un craquement longitudinal, et augmentait les plaintes de ceux qui allaient être offerts en holocauste à la mort, je m’enfonçais dans la joue la pointe aiguë d’un fer, et je pensais