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Dans Le Problème du mal, Naville définit le bien en ces termes : « Le bien est ce qui doit être ;

il renferme toujours une obligation pour nous, pour les autres, ou pour la volonté suprême […]. »2. Il est « l’objet

commun de la raison, de la conscience et du cœur : de la raison comme ordre, de la conscience comme devoir, du cœur comme joie. ». Le mal, au contraire, est « ce qui ne doit pas être », ce que « Dieu ne veut […] pas

[…]. »3. Dans le monde des hommes, les trois formes du mal sont « l’erreur, qui est le mal de la

1 Sur la discontinuité chez Ducasse, cf. Jamel GUERMAZI, « Les Procédés de la discontinuité dans Les Chants de

Maldoror », pp. 189-203, dans Poétiques de la discontinuité de 1870 à nos jours, Clermont-Ferrand, Presses universitaires

Blaise-Pascal, Maison de la Recherche, 2004.

2 Ernest NAVILLE, Le Problème du mal. Sept discours [Genève, Cherbuliez, 1869], Whitefish, Kessinger publishing, 2010, p. 17.

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raison », « le péché, qui est le mal de la conscience » et « la souffrance, qui est le mal du cœur »1. L’éthique de Naville est à la fois théiste et néo-platonicienne. Elle s’appuie, d’une part, sur la toute-puissance et la bonté absolue de la volonté divine, et d’autre part, sur l’unité traditionnelle du bien, du beau et du vrai. Le philosophe cite d’ailleurs Platon qui, au livre VIIe de La République, « présente le bien

comme le soleil des esprits »2. Si cette forme d’idéalisme a largement influencé le romantisme et la première moitié du XIXe siècle, elle sera battue en brèche à partir des années 1850 par des auteurs tels que Gautier, Nerval, Balzac et surtout Baudelaire. Voilà comment M. Watthee-Delmotte décrit cette mutation :

En quête de repères, la littérature cherche ses figures signifiantes dans un imaginaire de l’altérité où la figure biblique de Satan fait ses offices avant de tomber en désuétude, soit par le recul de la foi, soit par l’adhésion au matérialisme positiviste. L’imaginaire du Mal intègre alors significativement les signes de l’indétermination, témoignant de l’impuissance à se fixer des définitions nettes du Bien et du Mal.3

Reflétant ces transformations profondes de l’imaginaire du mal, la poésie de Ducasse réfute les thèses défendues par Naville ; elle le fait tantôt sur le mode ironique, tantôt de manière explicite.

On ne peut nier cette évidence : l’univers des Chants de Maldoror est dominé par le mal. À la strophe 5 du chant I, le poète en dénonce l’universalité, se rattachant ainsi, comme le fait remarquer Philippe Sellier, à la tradition des textes bibliques4 : « J’ai vu, pendant toute ma vie, sans

en excepter un seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. Ils appellent les motifs de leurs actions : la gloire. » (I, [5], 42). Le

constat est sans appel : motivée par orgueil, la méchanceté de l’homme est perpétuelle (« pendant

toute ma vie ») et générale (« sans en excepter un seul »). Au début du chant II, Maldoror s’en prend à

l’image mensongère que l’homme a de lui-même : « Dans tous les temps, il avait cru, les paupières

ployant sous les résédas de la modestie, qu’il n’était composé que de bien et d’une quantité minime de mal. Brusquement je lui appris, en découvrant au plein jour son cœur et ses trames, qu’au contraire il n’est composé que de mal, et d’une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer. » (II, [1],

75). L’antiphrase des « paupières ployant sous les résédas de la modestie » dénonce l’orgueil de l’homme, qui s’imagine meilleur qu’il ne l’est. Le chiasme « composé que de bien et d’une quantité minime de mal. […] composé que de mal, et d’une quantité minime de bien » rétablit la vérité en renversant le rapport entre le bien et le mal. Le cynisme de l’hyperbole finale (« une quantité minime de bien que les

1 E. NAVILLE, Le Problème du mal. Sept discours, op. cit., p. 71.

2 E. NAVILLE, Le Problème du mal. Sept discours, op. cit., p. 17.

3 M. WATTHEE-DELMOTTE, « Le Mal dans la littérature : un imaginaire en mutation (de 1850 à 1950, cent ans de lettres françaises) », pp. 143-152, dans Revue d’histoire ecclésiastique, volume 95/3, juillet-septembre 2000, p. 151.

4 Cf. Épître aux Romains, III, 11-18, Psaume 53, 3, Jérémie, IV, 9 (Philippe SELLIER, dans LAUTRÉAMONT, Les Chants de

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législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer ») force le trait en offrant une vision pessimiste de

l’humanité.

Mais Maldoror appartient lui-même à cette humanité qu’il attaque et qui le lui rend bien : « Le mal que vous m’avez fait est trop grand, trop grand le mal que je vous ai fait, pour qu’il soit volontaire. » (I, [10], 57-58). Le chiasme met en relief la réciprocité du mal en même temps que l’irresponsabilité probable des deux partis : si ce mal est « trop grand », c’est qu’il dépasse les capacités humaines et maldororiennes, c’est qu’il vient d’une puissance et d’une volonté toutes deux transcendantes.

Pourtant, ce n’est pas la raison qui pousse Maldoror à épargner la vie de Lohengrin au chant II : « La douleur que tu me causeras ne sera pas comparable au bonheur de savoir, que celui qui me blesse,

de ses mains meurtrières, est trempé dans une essence plus divine que celle de ses semblables ! Oui, c’est encore beau de donner sa vie pour un être humain, et de conserver ainsi l’espérance que tous les hommes ne sont pas méchants, puisqu’il y en a eu un, enfin, qui a su attirer, de force, vers soi, les répugnances défiantes de ma sympathie amère !... » (II, [3], 81). Un espoir se fait jour, celui de voir une exception parmi les hommes, mais

cet espoir est pervers, puisque Maldoror souhaite être la victime consentante de cet humain hors norme : les antithèses « douleur »/« bonheur » et « mains meurtrières »/« essence plus divine » indiquent une confusion entre le plaisir et la douleur, mais aussi entre la violence, expression du mal, et la pureté divine, substance du bien. Au chant IV, cependant, Maldoror semble avoir fait le deuil de tout espoir et proclame « que le mal qu’a fait l’homme ne peut plus se défaire » (IV, [4], 71).

L’homme est un être mauvais, mais le poète paraît hésiter sur l’origine de ce mal, ainsi que sur sa nature : est-il inhérent ou transcendant à l’homme ? N’est-il pas lié, par ailleurs, à une certaine forme de volupté ?

De fait, dans l’imaginaire des Chants de Maldoror, le bien et le mal tendent à se confondre. Le bien ne se manifeste qu’à travers des paroles ou des gestes qui se révèlent bien souvent illusoires. Ainsi à la strophe 4 du chant II, Lombano est consterné de voir que personne ne porte assistance à l’enfant qui poursuit son omnibus : « Le coude appuyé sur ses genoux et la tête entre ses

mains, il se demande, stupéfait, si c’est là vraiment ce qu’on appelle la charité humaine. Il reconnaît alors que ce n’est qu’un vain mot, qu’on ne trouve plus même dans le dictionnaire de la poésie, et avoue avec franchise son erreur » (II, [4], 82). Les italiques désignent la charité humaine comme une expression toute faite, en

d’autres termes « un vain mot ». Dans l’hymne à l’océan déjà, Maldoror décrivait la charité comme une comédie à la portée de tout un chacun : « J’ai été en relation avec des hommes qui ont été vertueux. Ils

mouraient à soixante ans, et chacun ne manquait pas de s’écrier : “Ils ont fait le bien sur cette terre, c’est-à-dire qu’ils ont pratiqué la charité : voilà tout, ce n’est pas malin, chacun peut en faire autant.” » (I, [9], 53). Le

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verbe pratiquer contribue à présenter l’exercice de la charité comme une activité parmi d’autres ; l’expression familière « ce n’est pas très malin » en fait même quelque chose de trivial et de banal. Maldoror ira jusqu’à donner lui-même l’exemple au chant VI : après avoir livré Mervyn à une mort qui se révèlera incertaine, le criminel pousse « l’audace » et « l’impiété » jusqu’à donner « l’aumône » à « une jeune fille en haillons qui lui tend la main » (VI, [9], VII, 249).

Si le bien n’est qu’une affaire d’apparat, il arrive également qu’il soit mis au service du mal. Après avoir torturé l’adolescent du chant I, Maldoror joue les sauveurs et vient panser ses blessures : « Comme alors le repentir est vrai ! L’étincelle divine qui est en nous, et paraît si rarement, se

montre ; trop tard ! Comme le coeur déborde de pouvoir consoler l’innocent à qui l’on a fait du mal […] ! » (I, [6],

44). L’exclamative « Comme le repentir est vrai ! » est antiphrastique et dénote un humour cruel. L’antithèse « consoler »/« fait du mal » met en lumière l’aisance avec laquelle on peut passer d’un extrême à l’autre, du mal au bien. L’image de « l’étincelle divine » est le symbole implicite et sacrilège de cette duplicité : elle rattache le mal et la perversion à l’essence de Dieu. Les questions oratoires de Maldoror exprimeront cette ambivalence : « Hélas ! qu’est-ce donc que le bien et le mal ! Est-ce une

même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuissance, et la passion d’atteindre à l’infini par les moyens même les plus insensés ? ».

Le balancement de l’homme entre le bien et le mal est lié à sa double quête de puissance et d’infini. Et ce sont l’infini et la puissance de Dieu lui-même qu’il cherche à obtenir.

Au fond, le mal ducassien reflète la vision qu’en a la modernité ; il est multiforme, intériorisé et esthétisé : « Le Mal, en définitive, qu’il soit de nature circonstancielle (la maladie, la catastrophe)

ou personnelle (la faute, le mal intentionnel), ne se comprend plus comme l’effet de l’action d’une puissance satanique extérieure, mais s’explique par la détermination d’un milieu, par le produit d’influences croisées dont le point de rencontre est l’obscur inconscient d’un individu. »1.

Les Chants de Maldoror traitent du mal éthique, mais aussi spirituel : en s’opposant à Dieu,

Maldoror donne une couleur satanique à son épopée. L’œuvre aborde aussi les thèmes de la douleur physique et morale : elle fait la part belle aux souffrances du corps et de l’esprit, des affres de la torture au calvaire de la folie. Le mal se manifeste également sur le plan social à travers la violence, le crime et la guerre. Selon le poète, la racine de toutes ces horreurs se trouve dans le cœur de l’homme :

J’ai vu les hommes […] surpasser la dureté du roc, la rigidité de l’acier fondu, la cruauté du requin, l’insolence de la jeunesse, la fureur insensée des criminels, les trahisons de

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l’hypocrite, les comédiens les plus extraordinaires, la puissance de caractère des prêtres, et les êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des mondes et du ciel […]. (I, [5], 42)

Les comparaisons hyperboliques donnent l’étendue de la méchanceté humaine : on passe des attributs neutres et inanimés (« dureté du roc », « rigidité de l’acier fondu ») à des attributs animés et péjoratifs (« cruauté du requin », « insolence de la jeunesse », « fureur insensée des criminels », « trahisons de

l’hypocrite ») ; on passe aussi de l’extériorité de la méchanceté vraie (« fureur insensée des criminels »)

aux prestiges de la dissimulation et de l’artifice (« trahisons de hypocrite », « comédiens », « la puissance des

caractères des prêtres », c’est-à-dire leur duplicité, « les êtres les plus cachés en dehors »). Le cœur de

l’homme est noir et impénétrable : il n’est que perversité et faux semblants.

Enfin, comme chez Baudelaire, le mal devient un thème littéraire à part entière, un objet de fascination esthétique. À la strophe 3 du chant I, le poète définit le but et la singularité de son acte créateur :

Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen de nobles qualités du coeur que l’imagination invente ou qu’ils peuvent avoir. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! Délices non passagères, artificielles ; mais, qui ont commencé avec l’homme, finiront avec lui. Le génie ne peut-il pas s’allier avec la cruauté dans les résolutions secrètes de la Providence ? ou, parce qu’on est cruel, ne peut-on pas avoir du génie ? (I, [3], 41)

Le poète fait la distinction entre, d’un côté, une masse d’anonymes écrivains qui, pour avoir les faveurs du public, donnent à voir une bonté illusoire ou possible, mais toujours incertaine, et de l’autre, sa propre personne, mise en relief par la forme emphatique « moi ». Contre le romantisme hugolien, qui assimilait le « génie » et la toute-puissante à la bonté1, Ducasse associe le génie à la cruauté, au mal. Le verbe « peindre » renvoie au topos de la peinture d’après nature, l’ut pictura poesis. Le poète se donne pour mission de décrire l’appétence naturelle de l’homme pour le mal ; mais il se demande si cette écriture n’accomplit pas quelque volonté providentielle : il s’approprie ainsi le génie divin, et attribue à Dieu des intentions cruelles.

Ducasse s’inscrit en filiation avec Baudelaire. Chez lui aussi, le mal est en l’homme ; mais le jeune poète innove en voyant le mal comme la preuve même de ses origines divines. C’est cette hérésie qui constitue l’objet même de sa poésie.

Et si le poète chante le mal, son double, le personnage de fiction, en sera l’incarnation, l’avatar.

1 Hugo écrit ainsi dans William Shakespeare : « […] si le granit avait un cœur, quelle bonté il aurait ! Eh bien, le génie est du

granit bon. L’extrême puissance a le grand amour. » (V. HUGO, William Shakespeare, pp. 245-455, dans Œuvres complètes.

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Le mal est contenu dans son nom même, Maldoror ; il est aussi étroitement lié à son histoire et à sa destinée. Tremdall dit de lui qu’« il est maudit » (III, [3], 142) et qu’ « il maudit ». Si l’on se fie à l’étymologie de maudire — du latin maledicere, de male, « mal », et dicere, « dire »1 — Maldoror serait donc celui à qui l’on a dit du mal et celui qui dit le mal. Autrement dit, le poète héros qui, blessé par le verbe, se venge par le verbe. À la strophe 4 du chant I, il affirme être « né

méchant » (I, [4], 41) et avoir caché son caractère avant de pouvoir s’épanouir dans le crime ; à la

strophe 11 du même chant, il déclare surpasser la méchanceté de tous les hommes réunis, lesquels l’admirent religieusement : « Oui, je vous surpasse tous par ma cruauté innée, cruauté qu’il n’a pas dépendu

de moi d’effacer. Est-ce pour ce motif que vous vous montrez devant moi dans cette prosternation ? » (I, [11], 57).

Au chant II, Maldoror soutient à l’inverse qu’il est né bon, et que ce sont les prières factices exigées par Dieu qui l’ont perverti2 : « Après ces commencements, étonnez-vous de me trouver tel que je suis ! (II, [12], 113). Dans le même chant, c’est à l’homme qu’il attribue au contraire cette responsabilité : « […] je n’étais pas aussi cruel qu’on l’a raconté ensuite, parmi les hommes ; mais, des fois, leur

méchanceté exerçait ses ravages persévérants pendant des années entières. Alors, je ne connaissais plus de borne à ma fureur ; il me prenait des accès de cruauté, et je devenais terrible pour celui qui s’approchait de mes yeux hagards, si toutefois il appartenait à ma race. » (II, [13], 118). Mais quelques lignes plus loin, le voilà qui

avoue son mensonge : « Ma raison ne s’envole jamais, comme je le disais pour vous tromper. Et, quand je

commets un crime, je sais ce que je fais : je ne voulais pas faire autre chose ! ». Maldoror éprouve une sorte de

fascination narcissique pour sa méchanceté, comme lorsqu’il se parle à lui-même : « Je ne suis pas si

méchant que toi : voilà pourquoi ton génie s’incline de lui-même devant le mien... En effet, je ne suis pas si méchant que toi ! Tu viens de jeter un regard sur la cité bâtie sur le flanc de cette montagne. Et maintenant, que vois-je ?... Tous les habitants sont morts ! » (IV, [5], 174). Il y a une contradiction apparente dans cette

comparaison : si Maldoror n’est pas aussi « méchant » que son interlocuteur, pourquoi ce dernier s’inclinerait-il devant son « génie » ? La scène met en fait en abyme le dédoublement du poète en héros : celui-ci possède la méchanceté, dire la force destructrice, celui-là le génie, c’est-à-dire le pouvoir créateur. En définitive, méchanceté, génie et pouvoir se confondent de part et d’autre de la double scène fictionnelle et poétique.

Ce pouvoir créateur et destructeur, c’est aussi celui de cette divinité que le poète décrit implicitement comme l’origine du mal. Il y aurait par conséquent une synonymie entre l’acte créateur, la puissance et le mal.

Poésies représentent un renversement spectaculaire. Le poète passe en effet de l’éloge du

mal à celui du bien. Pour Ré Soupault, la lecture du Problème du mal explique ce changement

1 F. GAFFIOT, « Maledico », p. 941, dans Dictionnaire Français-Latin, Paris, Hachette, 1934.

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brutal : « […] c’est l’étrange volte-face de Poésies, où Ducasse, après avoir chanté le mal dans Maldoror, ne veut

plus chanter que le bien. C’est très nettement la thèse de Naville, dont la pensée fondamentale est une dialectique du bien et du mal. En effet, le mal n’est pas possible sans le bien, ni le bien sans le mal […]. » 1. Cette affirmation doit être doublement nuancée. D’une part, la pensée de Naville ne saurait s’appuyer sur une dialectique, au sens hégélien du terme, du bien et du mal, puisque le bien est ce qui doit être et le mal ce qui ne doit pas être. D’autre part, cette palinodie s’avère être beaucoup plus ironique que sincère.

Dans Poésies I, le poète concède que le problème du bien et du mal est une question certes essentielle, mais dangereuse :

Tant on était rempli de stupeur et d’inquiétude, plutôt que d’admiration réfléchie, devant des ouvrages écrits d’une main perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes d’une âme qui n’appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à son aise dans les conséquences dernières d’un des deux moins obscurs problèmes qui intéressent les cœurs non-solitaires : le bien, le mal. Il n’est pas donné à quiconque d’aborder les extrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. (P I, 265)

Malgré leur condamnation apparente, le poète ne nie pas la valeur de ceux qui ont abordé ces sujets délicats : « Quelques caractères, excessivement intelligents, il n’y a pas lieu que vous l’infirmiez par des

palinodies d’un goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dans les bras du mal. » (P I, 264-265). Le terme de

« palinodies » sert d’indice métapoétique : il fait allusion au texte même de Poésies, que le poète invite à lire au second degré. En effet, les affirmations absurdes, trop hyperboliques pour être sincères, apparaissent bientôt : « À quoi bon regarder le mal ? N’est-il pas en minorité ? » (P I, 272). À première vue, Ducasse offre un contrepoint au constat amer des Chants de Maldoror : le bien est universel et les exceptions sont si rares qu’elles ne valent pas qu’on s’y attarde. Les questions rhétoriques et l’exagération presque comique font cependant douter de cet optimisme. Vient la question du génie, nécessairement liée dans Poésies II à celle de la bonté : « Le génie garantit les