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Les Chants de Maldoror

Dans Lautréamont. Éthique à Maldoror, M. Pierssens affirme qu’une même thèse anime Les

Chants de Maldoror et Poésies : « Nous ne saurions d’ailleurs trop insister sur ces contradictions, ces flottements, ces “bavures”. Leur présence est évidente surtout dans les Chants, car il est clair qu’ils n’obéissent pas sans tâtonnements ni à peu près à la stratégie qui oriente le développement global du texte. »3. Le critique s’attache par la suite à décrire cette stratégie : « Tout ce que permet une philosophie dont la problématique est organisée

de manière systématique, nous le trouverons dans les Chants traduit en littérature, en “poésie”. »4. Selon M.

1 J. JOVOVIC, « Les Correspondances du XIXe siècle. Questions de méthodologie », op. cit., p. 131.

2 José-Luis DIAZ, « Ce qu’Iris prête à Érato. Lettres de jeunes poètes du XIXe siècle », pp. 73- 84, dans Revue de

l’AIRE, nº 31, “Lettre et poésie”, 2005, p. 75.

3 Michel PIERSSENS, Lautréamont. Éthique à Maldoror, Lille, Presses universitaires de Lille, 1984, p. 31.

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Pierssens, Les Chants de Maldoror relèveraient de la poésie argumentative. Il s’agira donc d’identifier la ou les formes poétiques sur lesquelles s’appuie cette argumentation, de la replacer dans le contexte particulier du discours littéraire et de l’esthétique du XIXe siècle et enfin d’étudier son évolution jusqu’au chant VI.

Si les Chants de Maldoror illustrent une thèse, il convient de définir la forme poétique utilisée par le poète afin d’y parvenir.

On trouve dans cet ouvrage les trois genres de la rhétorique, à savoir le judiciaire, le délibératif et le démonstratif. Ce dernier domine cependant. En effet, le genre littéraire argumentatif dont l’œuvre se rapproche le plus semble être l’apologue, que M. Aquien définit ainsi : « Exposé d’une pensée morale sous la forme d’un récit qui peut être allégorique, et qui s’inscrit dans un

ensemble plus large. »1. Les cinq premières sections des Chants de Maldoror peuvent effectivement apparaître comme un recueil d’apologues. Une relecture rapide permet de mettre en évidence ce qui semble être un dispositif textuel articulant un discours fictionnel et un discours commentant cette fiction, qu’on qualifiera par conséquent de métafictionnel. Le discours fictionnel a pour fonction d’illustrer la morale défendue par le poète au moyen d’un récit édifiant. C’est ainsi qu’à la strophe 3 du chant I, le poète introduit Maldoror, le personnage principal, qui prend conscience de sa méchanceté naturelle : « J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon

pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! » (I, [3], 41). Le discours métafictionnel est un discours de régie qui énonce le but

de l’œuvre, organise ses éléments et suggère une interprétation morale. On peut citer par exemple les dernières lignes de la strophe 4 du chant II : « Ma poésie ne consistera qu’à attaquer, par tous les

moyens, l’homme, cette bête fauve, et le Créateur, qui n’aurait pas dû engendrer une pareille vermine. Les volumes s’entasseront sur les volumes, jusqu’à la fin de ma vie, et, cependant, l’on n’y verra que cette seule idée, toujours présente à ma conscience ! » (II, [4], 83). La mission que le poète assigne à la création paraît pour le

moins étonnante : on peut s’interroger sur la légitimité morale d’un sacerdoce poétique fondée sur le blasphème et la misanthropie.

La strophe 2 du chant IV pourrait bien apporter une réponse : « Le rire, le mal, l’orgueil, la

folie, paraîtront, tour à tour, entre la sensibilité et l’amour de la justice, et serviront d’exemple à la stupéfaction humaine : chacun s’y reconnaîtra, non pas tel qu’il devrait être, mais tel qu’il est. Et, peut-être que ce simple idéal, conçu par mon imagination, surpassera, cependant, tout ce que la poésie a trouvé jusqu’ici de plus grandiose et de plus sacré. » (IV, [2], 163). À ce qu’il semble, le poète se donne pour objectif de faire la peinture du

mal et des vices qu’il engendre — « rire », « orgueil », « folie » — afin de rendre le bien —

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« sensibilité », « amour de la justice » — désirable, et cela par contraste. Cependant, cette peinture de l’homme ne vise pas son amélioration, mais son dévoilement. Le poète cherche à dépasser l’idéal « grandiose » et « sacré » de toute œuvre d’édification, à savoir montrer l’homme « tel qu’il devrait

être », en réalisant plutôt son idéal poétique, c’est-à-dire montrer l’homme « tel qu’il est », du moins

dans sa propre « imagination » : en somme, par le verbe, il désire imposer comme absolue sa vision subjective de l’homme.

À cette première transgression d’ordre éthique s’ajoute un ensemble d’imperfections dans l’économie argumentative de l’œuvre. En premier lieu, toutes les strophes ne cadrent pas avec la définition de l’apologue : la morale, « la conclusion pratique » que le poète « a voulu faire tirer »1 de son texte, est assez souvent absente. En second lieu, le discours métafictionnel est marqué par la discontinuité, la désorganisation, et l’ironie du poète ne permet pas toujours de saisir le fond de sa pensée. Enfin, des digressions de toutes sortes — excursus encyclopédiques, considérations esthétiques, remarques sur telle ou telle figure de style, détails en rapport avec l’acte d’écriture lui-même — viennent rompre la continuité textuelle du dispositif censé articuler discours fictionnel et discours métafictionnel. Au niveau poétique et argumentatif, la stratégie des Chants de Maldoror paraît plus que contestable.

Faut-il pour autant penser avec M. Pierssens que même si les « Chants s’étaient fixé un but », « [m]algré leur ampleur, leur force, leur complexité, quelque chose dans la politique même de leur projet a fait

qu’ils ont mal tourné, et de l’avis même de leur auteur »2 ? Ce serait ne prendre en compte ni les spécificités de la rhétorique littéraire, ni les changements qui l’affectent à partir du romantisme.

Pour le philosophe Michel Meyer, la « grande différence entre la rhétorique littéraire et celle de la vie

quotidienne, c’est le contexte d’interlocution »3. En effet, lorsque littérature et argumentation se mêlent, le « logos concentre tous les pôles, l’éthos et le pathos ne sont pas effectifs, vu que personne ne parle physiquement

à quelqu’un de concret. ». En d’autres termes, en rhétorique littéraire, et plus particulièrement dans le

cadre fictionnel, l’échange argumentatif repose sur la manière dont le texte formule le problème abordé — le thème — et la réponse apportée — la thèse. M. Meyer décrit un continuum reliant deux pôles. Au premier pôle, l’auteur qui argumente s’exprime de façon littérale : « […] plus un

problème est spécifié littéralement, moins la forme est sollicitée pour marquer la différence question réponse dans le texte […]. Du même coup, le lecteur […] se retrouve dans une littérarité qui tisse le monde commun qu’il partage

1 Pierre LAROUSSE, « Morale », pp. 539-541, dans Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Mémo.-O,

Paris, Administration du Grand Dictionnaire Universel, 1874, p. 539.

2 M. PIERSSENS, Lautréamont. Éthique à Maldoror, op. cit., p. 16.

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avec le narrateur […], plus les références à ce monde sont présupposées comme allant de soi. »1. Dans ce premier cas, l’auteur formule le thème et la thèse, ce qui permet au lecteur de saisir le message argumentatif véhiculé par la fiction. À l’opposé, l’auteur peut choisir une écriture résolument symbolique :

[…] moins le problème est dit littéralement, plus c’est la textualité comme forme qui a la charge de traduire ce qui fait problème. Plus le texte sera figuration (et non mimétique), plus le lecteur […] doit suppléer aux réponses du texte […] et la distance se creuse alors davantage avec le narrateur. Le monde commun fait d’autant plus défaut que le langage s’y référant ne se sert plus à cela. On ne parle plus d’un lecteur sous le charme, mais d’un lecteur interpellé, mis en question, d’un langage qui n’est pas celui du quotidien, d’une problématique qui fait elle-même question. Le langage est plus symbolique, plus énigmatique, le fossé se creuse entre le littéral et le figuré. L’indétermination croit et elle finit par être son propre objet […].2

À l’inverse donc, lorsque l’œuvre tend à se réduire à son contenu fictionnel, c’est au lecteur que revient la tâche de l’interpréter, d’en extraire le thème abordé et la thèse défendue. Dès lors, on peut voir dans l’étrange économie discursive des Chants de Maldoror non plus un défaut de composition, mais bien un va-et-vient volontaire entre le littéral et le symbolique.

Dans le même ordre d’idée, la confusion entre le poète et son personnage se fait plus signifiante. Il est possible de rattacher cette identification intermittente à une forme littéraire, celle de l’exemplum médiéval, dans laquelle l’utilisation d’un exemple concret et personnel à fins argumentatives s’érige en un genre à part entière. Dominique Boutet définit l’exemplum en ces termes : « Forme littéraire latine médiévale, qui consiste en un récit bref, destiné à l’édification, qui prétend relater

un petit évènement vécu par son auteur ou qui a été rapporté à ce dernier, et dont l’auditoire est invité à tirer la leçon. »3. Le poète des Chants de Maldoror explique sa démarche à la strophe 4 du chant IV : « Car, si je laisse mes vices transpirer dans ces pages, on ne croira que mieux aux vertus que j’y fais resplendir, et,

dont je placerai l’auréole si haut, que les plus grands génies de l’avenir témoigneront, pour moi, une sincère reconnaissance. Ainsi, donc, l’hypocrisie sera chassée carrément de ma demeure. » (IV, [2], 163). En confessant

par écrit ses fautes et ses mauvais penchants, le poète prétend vouloir servir de contre-exemple, et aussi faire préférer la vertu au vice. Mais ce ton emphatique est pour le moins douteux. La familiarité de l’adverbe « carrément » souligne l’ironie malicieuse de la dernière phrase : alors même qu’il clame sa sincérité, le poète vient de faire preuve d’hypocrisie en affirmant chanter le bien en chantant le mal. On saisit mieux le sens du verbe « croire » (« on ne croira que mieux ») : il s’agit bien de duper le lecteur, de lui faire croire à la portée édifiante de l’œuvre.

1 M. MEYER, La Rhétorique, op. cit., p. 98.

2 M. MEYER, La Rhétorique, op. cit., p. 98.

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La confusion entre poète et personnage crée par ailleurs une porosité entre discours fictionnel et discours métafictionnel. En témoigne le thème épique, illustré dans les deux discours :

Eh bien, soit ! que ma guerre contre l’homme s’éternise, puisque chacun reconnaît dans l’autre sa propre dégradation... puisque les deux sont ennemis mortels. Que je doive remporter une victoire désastreuse ou succomber, le combat sera beau : moi, seul, contre l’humanité. Je ne me servirai pas d’armes construites avec le bois ou le fer ; je repousserai du pied les couches de minéraux extraites de la terre : la sonorité puissante et séraphique de la harpe deviendra, sous mes doigts, un talisman redoutable. (IV, [1], 159)

Il chante pour lui seul, et non pas pour ses semblables. Il ne place pas la mesure de son inspiration dans la balance humaine. Libre comme la tempête, il est venu échouer, un jour, sur les plages indomptables de sa terrible volonté ! Il ne craint rien, si ce n’est lui-même ! Dans ses combats surnaturels, il attaquera l’homme et le Créateur, avec avantage, comme quand l’espadon enfonce son épée dans le ventre de la baleine […] !... (IV, [2], 163).

Au combat fictionnel du héros répond le combat poétique du poète. De part et d’autre, héros et poète réactivent tous deux cette métaphore première qui, comme le rappelle Joëlle Gardes-Tamine dans La Rhétorique (1996), assimile l’art oratoire à un combat : « Refuser la violence, mais agir.

La rhétorique prend sa source dans la volonté pratique de l’emporter sur un adversaire qu’il faut vaincre. »1. Aux yeux des anciens, la rhétorique était un substitut à la violence, l’agôn, c’est-à-dire la lutte, l’affrontement ; aux yeux de Ducasse, il semble qu’il y ait de même une synonymie profonde entre la violence fictionnelle et la violence poétique.

En outre, la fragilité de la frontière entre fictionnel et métafictionnel modifie les rapports qui unissent ces deux discours. Au chant III, le discours métafictionnel s’efface presque entièrement ; à l’inverse, on assiste au chant IV à son développement exubérant. Quel est le discours subordonnant, quel est le discours subordonné ? L’un et l’autre forment en fait deux discours non pas indépendants, mais dépendants l’un de l’autre. L’écriture ducassienne confine bel et bien au symbolique tout en se réclamant d’une sorte de littéralité. Pour résoudre cet antagonisme, il faut une nouvelle fois faire appel à M. Meyer : « La transcendance de Dieu implique la

transcendance du sens. À l’époque romantique, c’est toute la littérature qui est impliquée et plus seulement la Bible ; on n’est plus au temps où l’éloignement de Dieu se marquait par l’opacité des écritures à interpréter. […] Le métaphorique est présent dans la poésie et ce que veulent dire les romans est une question qui se pose à son

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tour. »1. Le romantisme a permis aux écrivains d’assigner à la fiction un sens ésotérique et quasi sacré nécessitant une initiation et une interprétation.

Dans la continuité de cette métamorphose de la rhétorique littéraire, l’écriture des Chants

de Maldoror, en atténuant la frontière entre fiction et métafiction, entre personnage et poète,

apparaît comme une écriture métaleptique2 articulant deux problématiques : d’une part, un questionnement littéral et transgressif sur le mal, de l’autre, un questionnement symbolique et intime.

Le chant VI constitue à la fois une mise en abyme et une perfection de cette rhétorique de la métalepse. Sur ce point, ses deux premières strophes sont déterminantes.

Le poète présente la strophe d’ouverture comme une préface, autrement dit comme le « [d]iscours d’introduction à un texte » pouvant fournir des informations ou « constituer un commentaire

éclairant les enjeux de ce qui suit. »3. Dans le cas du dernier chant, ce paratexte annonce un changement générique d’importance : « Aujourd’hui, je vais fabriquer un petit roman de trente pages ; cette

mesure restera dans la suite à peu près stationnaire. » (VI, [1], 223). Mais le poète décrit également les

chants précédents. Il commente ainsi leur forme poétique, leur but et leur tonalité, et surtout, les oppose au chant à venir : « […] ne croyez pas qu’il s’agisse encore de pousser, dans des strophes de quatorze

ou quinze lignes, ainsi qu’un élève de quatrième, des exclamations qui passeront pour inopportunes, et des gloussements sonores de poule cochinchinoise […] mais il est préférable de prouver par des faits les propositions que l’on avance. » (VI, [1], 221). Le poète entend passer d’une écriture théorique et puérile à une

écriture pratique, factuelle et mature, celle du roman. Il ne manque pas de résumer ce travail accompli, qu’il estime cependant incomplet : « Prétendriez-vous donc que, parce que j’aurais insulté,

comme en me jouant, l’homme, le Créateur et moi-même, dans mes explicables hyperboles, ma mission fût complète ? ». C’est l’occasion pour lui d’affiner ses idées, de les formuler plus clairement. La poésie

des cinq premiers chants n’était pas qu’une attaque dirigée contre Dieu et les hommes : il s’agissait aussi d’une entreprise d’autodénigrement tout à fait consciente. C’est enfin une manière d’insister sur la valeur expérimentale de cette première partie : « Les cinq premiers récits n’ont pas été

inutiles ; ils étaient le frontispice de mon ouvrage, le fondement de la construction, l’explication préalable de ma poétique future […]. » (VI, [1], 222). Il y a de la malice dans cette ouverture, qui correspond à la

préface parodique telle que Daniel Sangsue la définit dans un article consacré au sujet : « […] on

1 M. MEYER, La Rhétorique, op. cit., p. 100.

2 Gérard Genette définit la métalepse comme la « manipulation — au moins figurale, mais parfois fictionnelle […] de cette

relation causale particulière qui unit, dans un sens ou dans l’autre, l’auteur à son œuvre, ou plus largement le producteur d’une

représentation à cette représentation elle-même […]. » (Gérard GENETTE, Métalepse, Paris, Seuil, « Poétique », 2004, p. 14).

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peut considérer qu’il y a préface parodique lorsqu’un discours préfaciel détourne les règles du “genre” de la préface, c’est-à-dire remet en question ses codes et sa rhétorique habituels […]. »1. Ainsi, alors même qu’il affirme sa volonté de se faire comprendre par le lecteur, le poète déclare peu après que son but est d’enfreindre ce principe inhérent à toute préface :

[…] je devais à moi-même, avant de boucler ma valise et me mettre en marche pour les contrées de l’imagination, d’avertir les sincères amateurs de la littérature, par l’ébauche rapide d’une généralisation claire et précise, du but que j’avais résolu de poursuivre […]. Cette préface hybride a été exposée d’une manière qui ne paraîtra peut-être pas assez naturelle, en ce sens qu’elle surprend, pour ainsi dire, le lecteur, qui ne voit pas très-bien où l’on veut d’abord le conduire […]. (VI, [1], 222-3).

L’enjeu n’est donc pas de se faire entendre littéralement, mais de susciter une lecture symbolique et a posteriori : « En effet, il m’était impossible de faire moins, malgré ma bonne volonté : ce n’est que plus tard,

lorsque quelques romans auront paru, que vous comprendrez mieux la préface du renégat, à la figure fuligineuse. »

(223). Si cette préface est qualifiée d’« hybride » par son auteur, c’est qu’elle superpose à son discours littéral une portée symbolique ; c’est aussi qu’elle constitue une enclave paratextuelle dans un espace textuel où se mêlent déjà discours fictionnel et discours métafictionnel : en ce sens, elle représente bien une mise en abyme de la rhétorique métaleptique sur laquelle se fonde l’écriture des Chants de Maldoror. Et si cette préface est celle d’un « renégat », c’est que le poète, celui qui transgresse les règles de l’exercice préfaciel, s’identifie peu ou prou au personnage, celui qui bafoue les lois morales. Dans cette préface atypique, la transgression poétique et la transgression fictionnelle se reflètent et se conjuguent.

Lui succède un petit prologue, la strophe 2, qui résume les épisodes précédents tout en mettant l’accent sur la fonction didactique des épisodes à venir : « […] il me sera possible de

commencer, avec amour, par ce sixième chant, la série des poèmes instructifs qu’il me tarde de produire. Dramatiques épisodes d’une implacable utilité ! » (VI, [1], 223). En quelques lignes, le poète rend

cohérent l’incohérence fictionnelle des cinq premiers chants, rappelant par la même occasion son changement de méthode : à la concaténation hasardeuse des apologues succède une « série de

poèmes instructifs » d’une « implacable utilité ». Le roman se profile comme une réécriture par sommation des apologues précédents. Enfin, ce prologue met en regard la première personne et la

troisième personne, le poète et le personnage :

Ce bandit est, peut-être, à sept cents lieues de ce pays ; peut-être, il est à quelques pas de vous. Il n’est pas facile de faire périr entièrement les hommes, et les lois sont là ; mais, on peut, avec de la patience, exterminer, une par une, les fourmis humanitaires. Or, depuis les jours de ma naissance, […] n’ai-je pas déjà écrasé sous mes talons, membre par

1 Daniel SANGSUE, « Préfaces parodiques », pp. 19-35, dans Revue des Sciences humaines, nº 295, “Préfaces et manifestes du XIXe siècle”, juillet-septembre 2009, pp. 21-22.

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membre ou collectivement, des générations entières, dont il ne serait pas difficile de concevoir le chiffre innombrable ? Le passé radieux a fait de brillantes promesses à l’avenir : il les tiendra. (VI, [2], 224-225).

Les deux figures, représentées par les pronoms « il » et « je », se rejoignent une fois encore autour du thème de la violence épique : l’épopée génocidaire de Maldoror était aussi celle du poète.