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Chapitre 3 Application du concept de l’honneur à Jn 7,53-8,11

4.2 Pistes de réflexion en guise d’ouverture

En guise d’ouverture de cette étude, nous explorons trois pistes de réflexion qui en ressortent. La première consiste à mettre en relation Jn 7,53-8,11 avec les crimes d’honneur. Yolande Geadah indique qu’« il n’existe pas de consensus international sur la définition précise du “crime d’honneur” [et que] ce terme fait l’objet de controverses472 ». Pour le Conseil du statut de la femme473 de même que dans son article « Les crimes d’honneur, comprendre pour agir474 », cette auteure retient la définition du Conseil de

l’Europe : « Le concept de “crimes dits ‘d’honneur’” recouvre toute forme de violence à l’encontre des filles et des femmes (plus rarement des hommes et des garçons), au nom de traditionnels codes d’honneur, exercée par des membres de la famille, des mandataires ou

472 Yolande Geadah, « Les crimes d’honneur, comprendre pour agir », Les Cahiers de Plaidoyer-Victimes –

Antenne sur la victimologie 10 (2016), p. 4.

473 Conseil du statut de la femme, Avis. Les crimes d’honneur : de l’indignation à l’action, Québec,

Bibliothèque et Archives nationales du Québec/Gouvernement du Québec, 2013, p. 20. Le Conseil du statut de la femme est un organisme de consultation et d’étude qui veille, depuis 1973, à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises. Il conseille la ministre et le gouvernement sur tout sujet lié à l’égalité et au respect des droits et du statut des femmes. L’assemblée des membres du Conseil est composée de la présidente et de dix femmes venant des associations féminines, des milieux universitaires, des groupes socio-économiques et des syndicats.

par les victimes elles-mêmes475. » Pour sa part, Aurore Schwab formule la définition suivante : « Le crime d’honneur est une mise à mort rituelle d’une personne, généralement une femme, qui est considérée avoir mis en péril l’honneur de son groupe (lignage, clan, tribu) par des paroles, des actes ou des soupçons compromettant sa chasteté, c’est-à-dire le capital symbolique de la lignée masculine476. » En fait, il s’agit généralement du crime d’homicide et celui-ci apparaît comme le seul moyen de « laver le déshonneur engendré par une telle transgression477 », celle de la chasteté de la femme. En ce sens, ce crime a pour objectif de restaurer l’honneur du groupe social et, en quelque sorte, de « décontaminer478 » ce dernier. Précisons que les auteurs de tels crimes sont généralement des hommes, en l’occurrence le mari de la femme considérée comme responsable du déshonneur familial, son père, son frère ou son oncle, ou parfois les membres du conseil de la tribu. La tâche peut être aussi confiée à un mineur de la famille, un jeune homme, qui sera traité en héros479. Celui-ci pourrait avoir des conséquences pénales moindres s’il est accusé de meurtre.

Remarquons que ces auteurs du crime d’honneur appartiennent au même groupe que la femme, victime dudit crime. En ce sens, cette dernière apparaît physiquement plus proche de ses bourreaux que son complice, mais l’homicide qui lave le déshonneur vise les deux protagonistes. De ce fait, « il s’ensuit deux crimes d’honneur480 », celui commis envers la femme et celui envers son complice. Au sens strict, l’assassin du complice de la femme appartenant au même groupe que cette dernière et non pas à celui de ce complice n’aurait pas commis de crime, car le crime est commis envers quelqu’un du même groupe. Cet homicide serait plutôt une réponse à l’outrage envers le groupe auquel appartient la

475 Conseil de l’Europe, L’urgence à combattre les crimes dits « d’honneur ». Rapport soumis à l’Assemblée

parlementaire, 8 juin 2009, § 13, p. 7 [http://semantic- pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURX LWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0xMjY5NiZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbn QvbncveG1sL3hzbC1mby9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkP TEyNjk2] (consulté le 22 octobre 2020).

476 Aurore Schwab, « Le crime d’honneur : dans les marges de la hiérarchie de genre », Criminologie 50/2

(2017), p. 123–124.

477 Ibid., p. 135.

478 Agnès Pavlowsky, « Les crimes d’honneur en Palestine », Confluences Méditerranée 59 (2006), p. 180. 479 A. Schwab, « Le crime… », p. 132.

femme481. La considération de cet assassinat comme un crime serait basée sur l’appartenance commune à l’humanité. Cependant, le groupe auquel appartient l’homme visé n’accepte pas toujours la mort d’un de ses membres qui peut provoquer, en retour, un crime de vengeance482. Dans une réflexion sur les crimes d’honneur au vingt et unième siècle, A. Schawb note que des voix s’élèvent en Palestine pour une justice permettant de châtier aussi bien l’homme que la femme « s’étant livrés à des rapports extraconjugaux483 ». De ce point de vue, les Palestiniens se déclarent favorables au crime d’honneur envers les hommes coupables de relations sexuelles illicites. Pour eux, l’exécution de ces hommes serait une réponse proportionnelle à l’outrage imposé par le complice de la femme au responsable du groupe de celle-ci et à ce groupe entier selon la conception de l’honneur en Méditerranée.

Les crimes d’honneur sont commis dans plusieurs pays et régions du monde : en Jordanie, au Liban, en Égypte, en Syrie, en Irak, dans les territoires palestiniens, au Pakistan, en Afghanistan, en Iran, en Turquie, au Maghreb, dans des pays d’Afrique noire, en Inde, au Bangladesh ainsi qu’en Amérique latine, notamment au Pérou, au Brésil et en Argentine484. Il y en a eu en Angleterre ainsi qu’au Canada. Ici, l’affaire Shafia apparaît comme le crime d’honneur le plus connu485. Il s’agit d’un quadruple meurtre de trois sœurs – Zainab Shafia

(19 ans), Sahar Shafia (17 ans) et Geeti Shafia (13 ans) – et de Rona Amir Mohammad (50 ans), la première épouse de leur père, Mohammed Shafia (58 ans). Elles ont été tuées par un accident criminel de voiture qui a eu lieu le 30 juin 2009 à Kingston Mills, en Ontario. La famille touchée, d’origine afghane, résidait à Saint-Léonard, à Montréal, au Québec. En janvier 2012, Monsieur M. Shafia, son épouse et mère des filles tuées, Touba Yahia (41

481 Comme B. Malina l’explique, « homicide committed on outsiders is not sacrilegious and might even be

meritorious, as in defense of the group’s honor in war – and often in peace » B. J. Malina, The New…, p. 45.

Dans ce mémoire, voir la section 2.3.3.3, chapiter 2.

482 A. Schwab, « Le crime… », p. 136. 483 A. Pavlowsky, « Les crimes… », p. 185. 484 Ibid., p. 178.

485 Radio-Canada, « L’affaire Shafia. Dossier » [https://ici.radio-canada.ca/dossier/7198/affaire-shafia]

(consulté le 26 octobre 2020, mis à jour le 15 mars 2018) ; TVA Nouvelles, « Quadruple meurtre pour l’honneur de la famille. Dossier procès Shafia » [https://www.tvanouvelles.ca/2011/11/01/quadruple-meurtre- pour-lhonneur-de-la-famille] (consulté le 26 octobre 2020, mis à jour le 17 janvier 2012). Retenons les deux références parmi tant d’autres.

ans), ainsi que leur fils Ahmed Shafia (19 ans) ont été jugés coupables de ce quadruple meurtre486.

Un regard sur les comportements et les attitudes jugés contraires aux codes d’honneur permet d’expliquer ce quadruple meurtre comme crime d’honneur. Soulignons, entre autres, le fait que « les deux adolescentes tombèrent amoureuses, Zeinab d’un jeune Pakistanais, et Sahar d’un jeune Latino-Américain, de religion chrétienne487 ». L’origine différente de l’amoureux de Zeinab ainsi que le niveau inférieur de ressources dont dispose sa famille par rapport à celle de son amante sont sources de déshonneur pour le père de Zeinab et toute la famille Shafia. Il en est de même pour la différence de religion entre Sahar, une musulmane, et son amant, un chrétien. À ces différences s’ajoutent la façon de se vêtir des filles et le fait même d’être dans des relations amoureuses sans avoir la permission paternelle. Quant à Geeti, bien qu’étant trop jeune pour avoir un amoureux, elle a été dite complice de l’idylle de ses sœurs488. Pour sa part, Rona était souvent critiquée par Touba, sa coépouse, « sur sa façon de s’habiller et de se maquiller, [et cette dernière] rapportait à son mari que [Rona] sortait souvent seule de la maison, sans dire où elle allait, semant ainsi le doute dans son esprit489 ». Ahmed avait été investi de l’autorité paternelle pour contrôler ses sœurs en l’absence de son père490. La cérémonie du mariage de Zeinab,

le 18 mai 2009, en l’absence de la famille de son fiancé, aurait attisé davantage la rage de son père. Cette cérémonie « sema la consternation et exacerba le sentiment de déshonneur pour toute la famille Shafia491 ». Celle-ci aurait pu commettre un crime d’honneur en faisant mourir le fiancé de Zeinab, mais cette dernière « dut essuyer la désapprobation générale de la famille élargie. Fortement ébranlée, elle consentit à l’annulation de son mariage, dès le lendemain de la cérémonie492 ». Sa famille est demeurée couverte de déshonneur. Son père, en connivence avec sa mère et son frère, ont fini par la tuer avec les trois autres victimes mentionnées.

486 Conseil du statut de la femme, Avis…, p. 94-95. 487 Ibid., p. 96. 488 Ibid., p. 99. 489 Ibid., p. 96. 490 Id. 491 Ibid., p. 98. 492 Id.

Sans faire de correspondance hâtive, un regard sur ce geste contemporain fondé sur des principes d’honneur permet de lire Jn 7,53-8,11 avec une vue renouvelée. Dans ce récit, les scribes et les pharisiens seraient semblables aux coupables de crime d’honneur dans la famille Shafia. En tant que prétendus chefs du peuple, ils projettent d’exécuter une femme qu’ils accusent d’adultère et tentent d’associer Jésus, un nouveau leader, à leur complot. Quant à ce dernier, il renonce de commettre un tel crime. Il met plutôt en œuvre la bonté comme conversion de sa préséance sociale en tant que chef du peuple garanti contre le déshonneur pour ne pas commettre le crime d’honneur envers la femme. Au lieu de l’exécuter pour une question d’honneur, il lui attribue de l’honneur en l’invitant à être non- pécheresse à l’instar du chef qu’il est. Cette attribution est effectuée dans une prise de parole qui la décloisonne et la rend actrice publique de la parole.

Le renoncement au crime d’honneur par Jésus ne serait pas l’unique cas de figure dans la Bible. Joseph qui est présenté comme son père adoptif aurait aussi renoncé à tel crime envers Marie, sa fiancée tombée enceinte avant qu’ils aient habité ensemble (Mt 1,18-25). Dans son contexte, les fiancés sont comme l’époux et l’épouse. Matthew J. Marohl montre que Joseph était dans un dilemme situé dans ce contexte de crimes d’honneur. Christopher B. Zeichmann indique que pour cet auteur, de nombreux chercheurs suggèrent que Joseph « soupçonne Marie d’adultère493 ». Par la possibilité d’adultère et du renvoi consécutif par Joseph, Marie et son enfant sont en danger d’être tués parce qu’une femme que l’on croit adultère doit être tuée par les hommes de son clan pour rétablir l’honneur familial. Suite à la révélation de l’ange du Seigneur, au lieu de faire subir le sort des femmes adultères à Marie, Joseph la prit chez lui, renonçant ainsi au crime d’honneur. Dans son étude, M. J. Marohl fait des liens entre les crimes d’honneur actuels et le récit biblique pour retrouver des éléments importants du texte biblique relatifs à l’honneur par une comparaison avec des éléments similaires de la culture contemporaine.

493 « Suspected Mary of adultery » Matthew J. Marohl, recension de Christopher B. Zeichmann, « Joseph’s

Dilemma “Honour Killing” in the Birth Narrative of Matthew, Eugene, Cascade, 2008 », parue dans The

Bible and Critical Theory 7/1 (2011), p. 128. En fait, ces chercheurs imaginent trois possibilités pour Joseph

de prise de conscience de la grossesse de Marie : « 1) he “suspected Mary of adultery”; 2) he “suspended all judgment”; 3) he “was filled with awe and feared to take Mary as his wife”. He [M. J. Marohl] concludes with most Protestant scholars that the first of these is the most viable » Id.

La deuxième piste de réflexion est liée au statut de genre féminin marginalisé par les prétendus chefs officiels, à l’instar des scribes et des pharisiens, et valorisé par Jésus, un leader nouveau venu dans l’institution religieuse en place. Comme notre analyse de Jn 7,53-8,11 l’a montré et comme Rekha Chennattu l’affirme, « c’est en réalité une histoire d’hommes mis en question par Jésus plutôt que l’histoire d’une femme surprise en adultère494 ». Pour notre réflexion, cette mise en question porte sur la marginalisation sociale des femmes du fait de leur sexe par un certain durcissement du « mythe de la femme déchue, impure495 » ainsi que de l’androcentrisme. En effet, Jésus tente de déconstruire ce mythe qui culpabilise la femme et l’androcentrisme qui l’écrase en vue d’établir une égalité entre elle et l’homme dans l’exercice du pouvoir public. Par la relation patron-courtier-client entre lui et cette femme, celle-ci apparaît plutôt comme contributrice à l’honneur du Père céleste, le patron, et non pas comme objet de honte. En lui parlant en public, Jésus déconstruit le mythe de la honte entourant la femme ainsi que sa réclusion au privé et fait d’elle une collaboratrice, au sens de partenaire, publique de l’homme contribuant à l’honneur de Dieu l’unique patron.

Pour appliquer cette interprétation dans un contexte précis, nous proposons de regarder vers les ministères au sein de l’Église catholique romaine, notamment en République Démocratique du Congo (RDC) et plus précisément dans le diocèse de Butembo-Beni. Albertine Tshibilondi Ngoyi montre que « l’androcentrisme est omniprésent dans les documents ecclésiaux sur la collaboration hommes/femmes dans l’Église496 » et dans des lieux du pouvoir d’où les femmes sont exclues497. Ce problème se pose également dans la

symbolique liturgique. En cette matière, quelques améliorations s’observent au sein de l’archidiocèse de Kinshasa, la capitale de la RDC, où les jeunes filles servent la messe comme font les garçons. L’androcentrisme demeure plutôt accentué dans le diocèse de Butembo-Beni, à l’Est du pays, où certains jeunes garçons enfants de chœur déclarent pouvoir quitter l’Église catholique si les jeunes filles devenaient servantes de messe. Face à de telles déclarations, il nous semble urgent d’approfondir le rapport de pouvoir entre

494 Rekha Chennattu, « Les femmes dans la mission de l’Église : Interprétation de Jean 4 », Bulletin de

littérature ecclésiastique CVIII (2007), p. 382.

495 Albertine Tshibilondi Ngoyi, « L’égalité hommes et femmes dans l’Église catholique en Afrique. Cas de la

République Démocratique du Congo », Lumen Vitae LXIX/3 (2014), p. 298.

496 Ibid., p. 303. 497 Ibid., p. 306.

homme et femme autour du rôle liturgique du prêtre. Celui-ci est joué encore aujourd’hui par des hommes et sert d’objet d’admiration pour les garçons enfants de chœur. Il apparaît comme le lieu symbolique le plus visible de l’androcentrisme au sein de l’Église catholique romaine. Si en Jn 7,53-8,11, Jésus brise l’élan des hommes en posture d’autorité religieuse qui abusent des femmes pour assoir leur autorité, il faudrait que les ministres le représentant reproduisent son schème et s’opposent aux développements de stratégies patriarcales et misogynes pouvant être mis en parallèle avec les adversaires de Jésus. L’épisode de Jn 7,53-8,11 peut devenir un texte central pour justifier une posture critique devant les dérives des autorités religieuses en Église envers les femmes. Au lieu de marginaliser ces dernières, la lecture de cet extrait peut motiver les disciples de Jésus en posture d’autorité à vouloir reproduire l’attitude de grâce de Jésus.

La troisième piste de réflexion est la dynamique de la figure du pasteur dans l’Église à la rencontre de la « big-man culture » en Afrique sub-saharienne498. Selon Lamont Lindstrom, « big man » est un concept typologique et une métonymie verbale employée en anthropologie pour désigner chacun des dirigeants mélanésiens comme étant « chef499 ». De fait, « “big man” ou “bigfala man” était, et est, admis comme un terme anglais pidgin désignant le leader (d’abord comme “chef” pour les leaders locaux et, historiquement, comme bos ou masta [le patron] pour l’importation européenne)500 ». En anthropologie mélanésienne, cette expression s’applique aux « dirigeants masculins dont l’influence politique est obtenue au moyen de l’oratoire public, de la persuasion informelle et de la conduite habile des échanges privés et publics des richesses501 ». Par extension, elle désigne le statut d’un homme ayant atteint « une position d’autorité hautement souhaitable dans n’importe quel domaine par quelque moyen que ce soit502 ». Elle sert de forte

498 S. E. Freeman et Richard D. Calenberg, « Understanding Honor-Shame. Dynamics for Ministry in Sub-

Saharan African », Bibliotheca Sacra 175 (2018), p. 425-438.

499 Lamont Lindstrom, « “Big Man”: A Short Terminological History », American Anthropologist 83/4

(1981), p. 900-901.

500 « “Big man” or “bigfala man” was, and is, an acceptable Pidgin English term for leader (in addition to

“chief’ for local leaders and, historically, bos or masta for the European import) » Ibid., p. 902.

501 « Male leaders whose political influence is achieved by means of public oratory, informal persuasion, and

the skillful conduct of both private and public wealth exchanges » Rena Lederman, « Big Man, Anthropology

of », dans James D. Wright (dir.), International Encyclopedia of the Social & Behavioral Sciences, 2nd

edition, Vol. 2, Oxford, Elsevier, 2015, p. 567.

502 « To attain a position of authority in any realm by any means is highly desirable because it is to attain the

caractéristique culturelle parfois reconnue ou étiquetée comme « complexe du grand homme » ou « système du grand homme503 ». Par ce complexe, des individus ont tendance à viser le rang d’un certain grand patron et à se faire connaître comme des gens ayant une relation privilégiée avec ce dernier qui peut les élever à son rang504.

Richard Calenberg montre que l’Afrique sub-saharienne est marquée par cette culture de grand homme en lien avec celle d’honneur. Dans ce contexte, les pasteurs ont tendance à se comporter comme des patrons. D’une certaine manière, ils sont assimilés aux scribes et aux pharisiens en Jn 7,53-8,11 qui tiennent solidement à leur préséance sociale et n’arrivent pas à la convertir en bonté éthique prétendant être déshonorés par cette conversion. R. Calenberg explique cette perception de la conversion de l’éminence en bonté comme honte par un exemple contraire, à savoir lui-même en tant que pasteur inspiré de Jésus qui lave les pieds de ses disciples. Pour sa part, il lave les pieds de l’un des leaders au cours d’une conférence et il explique :

Au départ, il semblait y avoir un sentiment d’embarras que moi, le leader missionnaire (« chef »), me faisais honte en posant un geste aussi inhabituel et humiliant. Mais lorsque l’importance et la signification bibliques de ce geste sont apparues aux yeux de ces pasteurs/dirigeants, dont plusieurs avaient été formés au séminaire, toute l’atmosphère dans la salle a changé et les résultats ont été spectaculaires505.

De fait, R. Calenberg s’inspire de Jésus comme un leader-serviteur. Celui-ci est apparu dans le récit analysé dans ce mémoire comme un chef ayant l’éminence en dépit de la honte. Un des faits honteux à son égard est celui du retrait de tout le monde de l’espace public pour l’y laisser. Il apparaît comme un chef non respecté par son peuple, mais ayant toujours l’honneur. Celui-ci demeuré en dépit du déshonneur est une entorse à la conception de l’honneur en Méditerranée, car le chef doit être respecté par les membres de son groupe. Jésus met plutôt en valeur la vision selon laquelle le statut de chef le garantit contre le déshonneur ; il convertit facilement son éminence en bonté sans être déshonoré.

503 Lamont Lindstrom, « “Big Man” … », p. 900-901.

504 S. E. Freeman et Richard D. Calenberg, « Understanding… », p. 427.

505 Initially, there seemed to be a sense of embarrassment that I, the mission leader (“chief”), was shaming

myself by doing such an uncommon and humbling thing. But when the biblical significance and meaning dawned on these pastor/leaders, many of them seminary-trained, the whole atmosphere in the room changed and the results were dramatic. Ibid., p. 438.

Ainsi, il prend sa responsabilité de chef du peuple en main en réattribuant l’honneur à la femme ayant été l’otage des scribes et des pharisiens, les prétendus chefs abuseurs.

Cette prise de responsabilité en main développe la piste de réflexion dans un sens