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Chapitre 2 L’honneur dans l’univers socioculturel méditerranéen du Nouveau Testament

2.3 Compréhension générale de l’honneur

2.3.2 Caractéristiques de l’honneur

Deux caractéristiques principales de l’honneur ressortent de sa définition formulée par J. Pitt-Rivers et de celle formulée par H. Moxnes ressort une des deux caractéristiques : (1) le sentiment ou le ressenti personnel et (2) la reconnaissance ou la qualification par la société. C’est la seconde caractéristique qui ressort de la définition formulée par H. Moxnes. Les deux caractéristiques bien distinctes sont interdépendantes, c’est-à-dire en corrélation. Le sentiment personnel désigne généralement l’estime qu’un individu a de sa réputation. C’est la conscience personnelle de son propre honneur. Quant à la reconnaissance ou la qualification, c’est l’acceptation de ce que la société estime être l’honneur de l’individu. Il ne s’agit pas d’une simple validation par la société du sentiment d’honneur que possède l’individu. Il s’agit d’une évaluation implicite ou explicite des valeurs de l’individu par rapport à celles de la société. En d’autres termes, la reconnaissance de l’honneur de l’individu par la société consiste en un certain procédé de correspondance implicite ou explicite entre les valeurs de l’individu et celles du système de valeurs de la société qui, de fait,

n’est jamais un code homogène de principes abstraits auxquels obéissent tous les participants dans une culture donnée et pouvant être extrait d’un informateur à l’aide d’un ensemble de questions hypothétiques. C’est plutôt un ensemble de concepts liés les uns aux autres et appliqués différemment par les différents groupes de statut définis par l’âge, le sexe, la classe, la profession, etc. dans le contexte social différent (pas seulement linguistique) dans lequel ils trouvent leur signification156.

C’est précisément le groupe social particulier auquel l’individu appartient qui reconnaît son honneur. Cette reconnaissance est possible dans la mesure où l’individu aspire aux idéaux de la société à travers son groupe social qui les applique. L’honneur lui-même « établit un

155 « Honor is fundamentally the public recognition of one’s social standing » H. Moxnes, « Honor... », p. 20. 156 A system of values is never a homogeneous code of abstract principles obeyed by all the participants in a

given culture and able to be extracted from an informant with the aid of a set of hypothetical questions, but a collection of concepts which are related to one another and applied differentially by the different status- groups defined by age, sex, class, occupation, etc. in the different social (not merely linguistic) context in which they find their meanings. J. Pitt-Rivers, « Honour and... », p. 39.

lien entre les idéaux d’une société et leur reproduction chez l’individu à travers son aspiration à les personnifier157 ». Cette reproduction des idéaux de la société chez l’individu indique d’une certaine manière la primauté de la reconnaissance sociale sur le sentiment personnel de l’honneur. En effet, « l’honneur reconnu par la société fixe les normes de ce que l’individu devrait ressentir158 ». En ce sens, « l’honneur de l’individu dépend presque

exclusivement de l’affirmation de la revendication d’honneur par le groupe social plus large auquel cet individu appartient159 ». Cette préséance de l’honneur du groupe social sur celui de l’individu est due à la préséance du groupe social sur l’individu dans la culture méditerranéenne où « réclamer l’honneur que la communauté ne reconnaît pas, c’est faire l’imbécile160 ». L’honneur ressenti par l’individu et non reconnu par son groupe social n’en

est pas un. L’individu a le devoir de savoir les valeurs de son groupe social auxquelles les siennes correspondent pour que son honneur soit reconnu. Pour ce faire, il se poserait des questions comme : « Quelles sont les attentes de mon groupe social ? Comment puis-je agir conformément à elles afin de préserver mon honneur161? » Dans la mesure où la

correspondance est avérée, le groupe doit reconnaître l’honneur de l’individu. Par cette reconnaissance, l’honneur que l’individu ressent est confirmé. De l’honneur reconnu et confirmé résulte un statut social de l’individu162. Toujours faut-il qu’il y ait le groupe pour

qu’il ait statut social de l’individu : « Sans groupe social pour reconnaître le statut, il n’y a pas d’honneur non plus163. »

Toutefois, l’honneur appartient rigoureusement à l’individu et non pas à son groupe. Celui- ci ne fait que reconnaître l’honneur ressenti par l’individu. En ce sens, le sentiment précède

157 « Honour […] provides a nexus between the ideals of a society and their reproduction in the individual

through his aspiration to personify them » Ibid., p. 22.

158 « The honour which is paid by the society sets the standards for what the individual should feel » Ibid., p.

38.

159 « One’s honor was almost exclusively dependent upon the affirmation of the claim to honor by the larger

social group to which the individual belonged » J. Hellerman, « Challenging … », p. 214.

160 « To claim honor that the community does not recognize is to play the fool » Bruce Malina et Richard

Rohrbaugh, Social Science Commentary, p. 213 cité par J. Hellerman, « Challenging … », p. 218.

161 « What are the expectations of my social group? How can I act in accordance with them so as to preserve

my honor? » Colin Patterson, « The World of Honor and Shame in the New Testament: Alien or Familiar », Biblical Theology Bulletin 49/1 (2019), p. 6.

162 H. Moxnes, « Honor... », p. 20.

163 « Without others to recognize status, there is no honor to be recognized either » Peter W. Gosnell, « Honor

la reconnaissance : « L’acte de sentiment est la pierre de touche de l’honneur164. » Il n’y a pas d’honneur que l’individu ne ressent pas. C’est lui, et non pas son groupe, qui en est responsable : « Un homme est ainsi toujours le gardien et l’arbitre de son propre honneur qui se rapporte à sa propre conscience et qui est trop étroitement lié à l’être physique de cet homme, à sa volonté et à son jugement de sorte que personne d’autre ne prenne la responsabilité de cet homme165. »

En somme, il y a un va-et-vient entre le sentiment personnel et la reconnaissance de l’honneur par la société : « Le sentiment d’honneur inspire une conduite honorable, la conduite reçoit la reconnaissance et établit la réputation, et la réputation est finalement sanctifiée par l’octroi des honneurs. L’honneur ressenti devient honneur auquel on aspire et l’honneur auquel on aspire devient honneur reconnu166. » En fait, « dans les sociétés

méditerranéennes anciennes et actuelles, l’honneur est reconnu à la fois comme une réalité affirmée socialement et comme un état d’esprit toujours présent au sein de l’individu167 ».

Notons que certains individus peuvent ressentir l’honneur sans nécessairement faire correspondre leurs valeurs à celles de la société. Le sentiment d’honneur de ces individus peut être reconnu par le groupe social large à travers leur groupe particulier. Par exemple, les stoïciens et les cyniques « dédaignaient les valeurs sociétales extérieures et la dépendance à l’égard des normes de leur société, préférant défendre leur propre sens philosophique interne de la valeur et de l’éthique168 ». L’honneur des stoïciens, notamment,

parvenait à être reconnu par ceux qui le devenaient, d’abord en Grèce et, progressivement, dans l’Empire romain.

164 « The act of resentment is the touchstone of honour » J. Pitt-Rivers, « Honour and... », p. 35.

165 « A man is therefore always the gardian and arbiter of his own honour, since it relates to his own

consciousness and is too closely allied to his physical being, his will, and his judgement for anyone else to take responsibility for it » Ibid., p. 28.

166 « The sentiment of honour inspires conduct which is honourable, the conduct receives recognition and

establishes reputation, and reputation is finally sanctified by the bestowal of honours. Honour felt becomes honour clamaid and honour clamed becomes honour paid » J. Pitt-Rivers, « Honour and... », p. 22.

167 « In Mediterranean societies both ancient and current, honor is acknowledged both as a socially affirmed

reality and as an ever-present mindset within the individual » C. Patterson, « The World… », p. 11.

168 « The Stoics and the Cynics disdained outward societal values and dependence upon the norms of their

society, preferring to stand by their own inner philosophical sense of value and ethics » William R. Romeris,