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Méthodes centrées sur le contexte historique et socioculturel

Chapitre 1 Revue de la littérature au sujet de Jn 7,53-8,11

1.3 Méthodes centrées sur le contexte historique et socioculturel

Un ensemble de travaux interprètent le récit de la femme adultère dans sa forme en faisant référence à son contexte historique et socioculturel. Cet ensemble n’utilise pas les étapes traditionnelles des méthodes historico-critiques. Les auteures et auteurs de ces travaux s’intéressent aux contextes socioculturels du monde ayant produit ce récit en étant conscients de leurs propres contextes, c’est-à-dire des contextes socioculturels de réception de ce récit. Certains d’entre eux précisent le contexte socioculturel du récit comme étant

98 « Dyadic personality or honour-shame culture has become the all-explaining fallback position, sort of a

celui de la conception de l’honneur ou honneur-honte en Méditerranée. D’autres font recours à certaines sciences humaines dans leur analyse.

1.3.1 Critique sociohistorique et postcoloniale

Dans son livre publié en 2011, Jung Eun Sophia Park interprète Jn 7,53-8,11 en utilisant la critique sociohistorique à partir d’une perspective postcoloniale coréenne fournissant une herméneutique sur l’expérience de la dislocation du point de vue d’une immigrante asiatique vivant aux États-Unis99.

En tant que contexte et norme herméneutique, j’interprète Jean 7,53-8,11 en utilisant la dynamique engageante du rituel chamanique coréen à partir de l’intertextualité. Dans mon interprétation émerge une frontière où la femme prise en flagrant délit d’adultère, selon la supposition des chefs religieux, et le public peuvent subir une transformation. Je comprends la femme qui a été prise en adultère comme une identité hybride s’engageant avec Jésus. La même femme acquiert une identité hybride plus renforcée en s’engageant avec d’autres dans une communauté100.

Dans cette lecture, l’auteure estime que l’identité hybride de la femme se construit à la frontière entre le fait que les hommes religieux se servent d’elle comme objet – ou outil (« a tool ») – pour mettre Jésus à l’épreuve ou pour recevoir la grâce de celui-ci – « the object to receive the grace of Jesus101 » – et le fait que cette femme devient sujet lorsqu’elle parle avec Jésus et le reconnaît comme Seigneur102.

Nous soulignons la mention des hommes religieux qui utilisent la femme pour mettre Jésus à l’épreuve dans la perspective de la conception socioculturelle de l’honneur en Méditerranée à laquelle elle référerait.

99 Jung Eun Sophia Park, A Hermeneutic on Dislocation as Experience. Creating a Borderland, Constructing

a Hybrid Identity, New York, Peter Lang Publishing, Inc., 2011.

100 As hermeneutical context and norm, I interpret John 7:53-8:11 using the engaging dynamics of the Korean

shamanic ritual out of intertextuality. In my interpretation, there emerges a borderland where the woman caught in adultery, supposedly religious leaders, and audience may experience transformation. In my interpretation, I understand the woman who was caught in adultery as a hybrid identity through engaging with Jesus and the same woman gain more strengthened hybrid identity through engaging with others in a community. Ibid., p. 115.

101 Ibid., p. 106. 102 Ibid., p. 106-110.

1.3.2 Analyse du contexte socioculturel, féministe et décoloniale

La conviction selon laquelle les textes culturels peuvent concevoir des idéologies en engendre une autre selon laquelle le texte biblique, qui a influencé la formation de la pensée occidentale, doit être étudié à la fois dans ses conditions sociohistoriques de production et de réception. Les deux convictions amènent Leticia A. Guardiola-Sáenz, dans sa contribution à un collectif publié en 2000103, à « présenter une lecture culturelle et régionale de Jn 7,53-8,11 à partir de l’expérience hybride d’un sujet bi-culturel de la frontière mexicaine-américaine, vivant dans la diaspora104 ». La lecture du récit faite de cette manière stratégique présente les scribes et les pharisiens en train de défendre le territoire public que le patriarcat leur a légué. Ils franchissent ses frontières pour envahir l’espace privé réservé à la femme qu’ils traînent à l’espace public pour la ridiculiser. Ils l’accusent d’avoir franchi la limite du privé et ainsi d’avoir défié le pouvoir du patriarcat de contrôler son corps et sa volonté, selon le système masculin d’honneur-honte des cultures méditerranéennes. Alors, l’auteure estime que le silence intensifié de Jésus face à ces accusations et sa réponse confrontent les hommes à la validité de leur système qui les opprime et pourtant qu’ils refusent de renverser en préférant l’isolement. Par conséquent, les scribes et les pharisiens manquent le salut et l’opportunité de vivre en indépendance équilibrée par rapport à l’Autre105. Cette interprétation s’actualise par une théorisation

« d’éléments d’une stratégie de lecture visant à habiliter les lecteurs des minorités en tant qu’agents du changement historique dans le processus en cours de décolonisation et de libération du Tiers-monde106 ».

Dans leur contribution à un collectif publié en 2003, Barbara A. Holmes et Susan R. Holmes Winfield analysent le contexte socioculturel en arrière-plan de Jn 7,53-8,11107. Elles s’appuient sur les travaux des femmes universitaires du Tiers-monde – l’éthicienne féministe Marcia Y. Riggs et la savante mujeriste (féministe) Ada Maria Isasi-Diaz – « pour soutenir l’argument selon lequel la femme prise en adultère conserve des choix

103 L. A. Guardiola-Sáenz, « Border-Crossing... », p. 267-291.

104 « To present a cultural, regional reading of John 7:53-8:11 from the hybrid experience of a bi-cultural

Mexican-American subject from the borderland, living in the diaspora » Ibid., p. 268-269.

105 Ibid., p. 285-289.

106 « The elements of a reading strategy aimed at empowering minority readers as agents of historical change

in the ongoing process of de-colonization and liberation of the Two-Thirds World » Ibid., p. 269.

personnels et des modalités de résistance même lorsqu’elle ne semble pas avoir d’opinion108 ». B. A. Holmes et S. R. Holmes Winfield situent cette femme dans le contexte

socioculturel méditerranéen antique en estimant qu’elle est prise non seulement en train de commettre l’adultère, mais également « entre les principales déclarations christologiques et les forces religieuses et juridiques juives et romaines en conflit109 ». En quelques mots, elle est coincée « au milieu d’une grave lutte de pouvoir110 », mais dont Jésus est le centre de la scène :

Ici, Jésus est confronté à une assemblée réunie pour donner libre cours à leur frustration et leur colère. Minimalement, ils peuvent être en colère contre la femme pour avoir violé les mœurs sociales […]. La foule des témoins est en colère, non seulement contre la femme adultère (et potentiellement toutes les femmes susceptibles d’abroger les droits matrimoniaux), mais aussi contre les Romains, qui ont déjà usurpé leur pouvoir en tant qu’hommes et qui menacent maintenant de détruire leur culture […]. Jésus défie les forces dominantes avec plus de candeur que de violence111.

Les auteures font une remarque dans laquelle nous soulignons le couple honte/honneur : « Notez que les discours de condamnation sexuelle opèrent généralement à plus d’un niveau. Dans ce texte, la rhétorique de l’accusation est fondée sur la foi, est égalitaire, et est façonnée par honte/honneur, tandis que la rhétorique et les pratiques de contrainte et de punition invoquent inévitablement des présomptions hiérarchiques, patriarcales et provinciales112. »

108 « To support the argument that the woman caught in adultery retains personal choices and modalities of

resistance even when she seems to have no opinion » Ibid., p. 148.

109 « Between major Christological declarations and clashing Jewish and Roman religio-legal forces » Ibid.,

p. 145.

110 « In the midst of a serious power struggle » Ibid., p. 156.

111 Here, Jesus is confronted by an assembly gathered to give vent to their frustration and anger. Minimally,

they may be angry with the woman for violating the social mores [...]. The crowd of witnesses is angry, not just with the woman caught in adultery (and potentially all women who may abrogate marital property rights), but also with Romans, who have already usurped their power as men and who now threaten to destroy their culture [...]. Jesus challenges the dominant forces with innocence rather than violence. Ibid., p.

157-158.

112 « Note that the discourses of sexual condemnation usually operate on more than one level. In this text, the

rhetoric of accusation is faith-based, egalitarian, and shaped by shame/honor, while the rhetoric and practices of constraint and punishment inevitably invoke hierarchical, patriarchal, and provincial presumptions » Ibid., p. 149.

L’approche que Joan Mueller utilise dans son article publié en 2012 aurait pu être nommée féministe, mais elle est dite plus précisément considérations interculturelles113. L’auteure imagine la femme adultère au milieu d’une foule dans la culture dernière Jn 7,53-8,11. Elle la compare avec les femmes voilées du Moyen-Orient dans des régimes fondamentalistes telles qu’illustrées dans des clips vidéo récents. Elles sont déclarées coupables d’adultère en vertu de la loi religieuse en place et contraintes de resserrer les cercles d’hommes désapprobateurs. Cette comparaison permet de comprendre l’horreur commune liée au péché d’adultère en tant qu’acte de viol du lien sacré de la famille. En d’autres termes, il mine l’honneur familial : « Dans les cultures où les anciens décident des unions conjugales, il [l’adultère] déstabilise l’autorité civile à son niveau le plus élémentaire114. » En faisant un lien avec sa culture, l’auteure indique que les mariages arrangés et polygames, perçus comme scandaleux par certains Occidentaux, sont comparables à l’adultère dans les cultures où le tissu social se construit par une forte distinction mâle-femelle. En lisant Jn 7,53-8,11 sur la base de ces considérations interculturelles, J. Mueller comprend que la femme n’a pas commis qu’un faux pas sexuel en rencontrant en secret un homme qui n’est pas son mari. Elle a menacé le tissu de sa société, mais la loi de miséricorde comme verdict de Jésus fait tomber les pierres religieuses – la loi mosaïque – par lesquelles elle devrait être punie dans sa communauté.

Michael O’Sullivan choisit de lire Jn 7,53-8,11 avec une herméneutique féministe dans son article publié en 2015115. Il le lit également « dans ses propres termes sans faire référence à son contexte littéraire plus large, comme le préconise O’Day (1992a: 297), au motif que les auteurs sont divisés quant à savoir s’il appartient ou non d’origine à la tradition de l’Évangile de Jean116 ». Plus précisément, M. O’Sullivan considère ce récit comme la façon

dont Jésus, un homme et en sa qualité de sauveur, réagit à la situation d’une femme en danger d’être lapidée par d’autres hommes pour des motifs religieux. L’auteur souligne que ceux-ci, les scribes et les pharisiens, marginalisent les femmes en société, les oppriment et

113 J. Mueller, « Throwing... », p. 221-226.

114 « In cultures where elders decide marital unions it destabilizes civil authority at its most basic level »

Ibid., p. 222.

115 M. O’Sullivan, « Reading John... », 8 p.

116 « I choose to read the text with a feminist hermeneutic (O’Sullivan 2010: 302-309). I also read it on its

own terms without reference to its larger literary context, as O’Day (1992a: 297) advocates, on the grounds that scholars are divided as to whether or not it belongs originally to the tradition of John’s Gospel » M.

projettent sur elles la culpabilité des actes répréhensibles de leur propre vie. En même temps, ils maintiennent une notion culturelle destructrice de « l’honneur masculin » et sa présomption de prendre les femmes pour la propriété des hommes, soumises à ceux-ci et à leur contrôle. Selon M. O’Sullivan, l’influence du monde derrière le texte aiderait également à expliquer d’autres éléments, notamment l’absence de mention de l’homme adultère et surtout la violence kyriarcale117 contre les femmes.

Comme M. O’Sullivan, Amy Smith Carman indique son approche comme étant l’herméneutique féministe en stipulant dans son article publié en 2019 lire Jn 8,1-11 en tant que femme118. Elle le lit en pensant également à l’épidémie d’agressions sexuelles qui a émergé dans des universités et des lieux de travail ainsi que parmi les chefs religieux et politiques. Elle souligne que cette épidémie ne concerne pas un individu ou une institution en particulier, mais il s’agit d’abus sexuels que les femmes ont subis au cours des siècles, souvent de manière encadrée par l’institution et en silence. Cette approche permet de mettre en cause certaines hypothèses interprétatives apportées au récit et de renommer celui-ci : « Le récit des chefs religieux violents. » Il s’agit des scribes et des pharisiens, ces hommes abuseurs, qui utilisent leur privilège pour tenter de tuer une femme en la rendant honteuse afin de solidifier leur pouvoir. En même temps, ils cherchent à tuer un autre homme, Jésus, qui déconstruit leur dynamique de pouvoir et d’autorité comme des interprètes de la loi et des juges. L’auteure estime que la femme du récit pourrait être considérée comme une survivante d’abus de pouvoir et surtout d’abus sexuels de la part de ces hommes religieux.