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Compétition en vue d’acquérir l’honneur : défi-réponse

Chapitre 2 L’honneur dans l’univers socioculturel méditerranéen du Nouveau Testament

2.4 Formes d’honneur

2.4.2 L’honneur acquis

2.4.2.1 Compétition en vue d’acquérir l’honneur : défi-réponse

Selon B. Malina, « chaque interaction sociale qui a lieu en dehors de sa famille ou de son cercle d’amis est perçue comme un défi à l’honneur, une tentative mutuelle d’acquérir l’honneur de son égal social269 ». Comme interactions sociales, l’auteur nomme : « L’offre

des cadeaux ; l’invitation au dîner ; les débats sur des questions de la loi ; l’achat et la vente; l’organisation des mariages ; l’organisation de ce que nous pourrions appeler des entreprises coopératives pour l’agriculture, les affaires, la pêche, l’entraide, etc.270 »

Ces interactions sont comme des questions-réponses mises en jeu de pousse-pousse ou bien jeu de casse-tête. Le côté de questions dans ce jeu est constitué de défis, tandis que l’autre côté est constitué de réponses ou répliques. De cette façon, les interactions sociales désignent « une sorte de tiraillement social constant appelé défi-réponse271 ». Plus précisément, il s’agit d’un concours ou un jeu constant pour acquérir l’honneur des autres dans lequel « les joueurs sont confrontés à des victoires, des égalités et des pertes272 ». Comme défis-réponses, ces interactions sociales « se déroulent selon les modèles d’honneur appelés défi-réponse273 ».

La constance de défis-réponses pour acquérir l’honneur s’explique notamment par une vision sociale en Méditerranée selon laquelle « l’honneur et la réputation, comme tous les biens de la vie, sont limités274 ». Cette vision est l’une de quatre raisons interconnectées qui

268 « Can be won and lost on a daily basis through acts of benefaction and the agonistic contest of challenge

and riposte » Z. Crook, « Honor... », p. 593.

269 « Every social interaction that takes place outside one’s family or outside one’s circle of friends is

perceived as a challenge to honor, a mutual attempt to acquire honor from one’s social equal » B. J. Malina, The New…, p. 36.

270 « Thus gift-giving; invitation to dinner; debates over issues of law; buying and selling; arranging

marriages; arranging what we might call cooperative ventures for farming, business, fishing, mutual help, and the like » Id.

271 « Challenge and response is a sort of constant social tug of war, a game of social push and shove » Ibid.,

p. 33.

272 « A contest or game of honor, in which players are faced with wins, ties, and losses » B. J. Malina, The

New…, p. 36.

273 « All these sorts of interaction take place according to the patterns of honor called challenge-

response » Id.

expliquent les interactions ayant pour but d’acquérir l’honneur de l’autre en sociétés méditerranéennes : « (1) La perception que toutes les marchandises, y compris l’honneur, existent en quantité limitée ; (2) le phénomène “d’envie” résultant du succès des autres ; (3) “l’amour pour l’honneur” qui a imprégné la Grèce, Rome et la Judée ; et (4) la nature compétitive générale de la société ancienne275. » À cause de la constance des défis-réponses dans la culture méditerranéenne, « les anthropologues nomment cette culture agonistique276 ». Cette appellation renvoie aux compétitions d’athlétisme ou à toute sorte de compétitions entre égaux désignées par le mot grec agon277. De ce point de vue, les interactions pour acquérir l’honneur sont des compétions ou des conflits ou encore des hostilités.

Toute compétition en vue d’acquérir l’honneur obéit à un éventail de lois non écrites. Une sorte de principe général voudrait qu’il y ait un défi lancé à l’honneur de quelqu’un et que cette personne réponde à ce défi ; que les deux partis aient une égalité d’honneur, c’est-à- dire aient les statuts sociaux équivalents, et soient membres de groupes sociaux différents. Qu’il y ait également un public pour reconnaître l’honneur acquis.

Le défi lancé en vue d’acquérir l’honneur est « une prétention d’entrer dans l’espace social de l’autre278 ». David Gilmore suggère que cet espace social désigne la richesse, le statut lié

au respect et la masculinité (virilité). En d’autres termes, l’espace social désigne les composantes de l’honneur : le statut de genre, l’autorité et le respect. De ce point de vue, « l’honneur en Méditerranée contient trois vecteurs de compétition distincts : premièrement, pour la richesse ; deuxièmement, pour le statut au sens de respect ; et troisièmement, pour une masculinité étroitement définie comme virilité279 ». C. Patterson souligne que la compétition en vue d’acquérir l’honneur ne peut avoir lieu qu’entre les

275 « Four complementary reasons account for these prevalent challenge-responses : (1) the perception that

all goods, including honor, existed in limited supply ; (2) the phenomenon of “envy” that resulted from the success of others ; (3) the “love for honor” that pervaded Greece, Rome, and Judea ; and (4) the general competitive nature of ancient society » De Silva, Honor, Patronage, p. 31 cité par N. F. Santos, « Family,

Patronage… », p. 208.

276 « Because of these constant and steady cues in Mediterranean culture, anthropologists call it an agonistic

culture » B. J. Malina, The New…, p. 36.

277 Id.

278 « The challenger is a claim to enter the social space of another » B. J. Malina, The New…, p. 33.

279 « The Mediterranean honor contains three separate vectors of competition: first, for wealth ; second, for

status in the sense of respect ; and third, for a masculinity narrowly defined as virility » D. D. Gilmore,

égaux en ces vecteurs respectifs. À ses yeux, « les interactions entre ceux qui ne sont pas des égaux sociaux ne font généralement pas appel à une poursuite d’honneur parce que la relation de dominance est déjà établie avant l’interaction280 ».

L’entrée dans l’espace social d’un égal comme défi pour une compétition peut avoir un objectif positif ou négatif. L’objectif positif est de « gagner une part de cet espace ou de s’implanter de manière coopérative et mutuellement bénéfique281 ». Quant à l’objectif négatif, il est de « déloger l’autre de son espace social soit temporairement soit de façon permanente282 ». Par rapport à l’un ou l’autre objectif, les défis – pour désigner en même temps les compétitions – sont classés en trois degrés. Le premier, dit outrage, « implique le déshonneur extrême et total d’un autre sans révocation possible283 ». Cet outrage désigne,

notamment, « le meurtre, l’adultère, l’enlèvement, le faux témoignage et la dégradation sociale totale d’une personne en privant quelqu’un de tout ce qui est nécessaire à son statut social284 ». À ces outrages énumérés s’ajoutent particulièrement ceux qui sont commis contre son compatriote. Ceux-ci « ne sont tout simplement pas révocables, mais ils nécessitent une vengeance285 ». Le deuxième est « une privation importante de l’honneur avec la possibilité de révocation, par exemple, en restaurant des objets volés, en effectuant une restitution monétaire pour séduire celui dont la fille n’est pas fiancée ou n’est pas mariée, etc.286 » Le troisième consiste en des interactions régulières et ordinaires. Dans ce cas de figure, les défis lancés sont les plus faciles à relever et « nécessitent des réponses sociales normales, par exemple, rembourser un cadeau avec un cadeau de valeur égale ou permettre à d’autres d’épouser mes enfants s’ils laissent mes enfants épouser les leurs287 ».

280 « Interactions between those who are not social equals generally do not call for pursuit of honor because

the dominance relationship is already established prior to interaction » C. Patterson, « The World of

Honor… », p. 9.

281 « To gain some share in that space or to gain a cooperative, mutually beneficial foothold » B. J. Malina,

The New…, p. 33.

282 « To dislodge another from that person’s social space, either temporarily or permanently » Id.

283 « The first degree involves extreme and total dishonor of another with no revocation possible » Ibid., p. 44. 284 « Murder, adultery, kidnapping, bearing false witness, and total social degradation of a person by

depriving one of all that is necessary for one’s social status » Id.

285 « Outrages against one’s fellow Israelite that are simply not revocable but require vengeance » Id. 286 « The second degree would be a significant deprivation of honor with revocation possible, for example, by

restoring stolen items, by making monetary restitution for seducing one’s unbetrothed, unmarried daughter, and the like » Ibid., p. 44.

287 « The regular and ordinary interactions that require normal social responses, for example, repaying a gift

with one of equal of better value, or allowing others to marry my children if they let my children marry theirs » Ibid., p. 44-45.

Notons que « tout déshonneur implicite ou explicite doit permettre une satisfaction proportionnelle au degré de déshonneur présent288 ». Par exemple, l’individu déshonoré de n’avoir pas pu répondre au défi du deuxième degré doit lancer, à son tour, un défi du même degré et non pas du premier ou du troisième. Dans le cas contraire, il perd son honneur dans la compétition.