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L'honneur dans l'univers socioculturel méditerranéen du Nouveau Testament : application à Jn 7,53 - 8,11

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(1)

L'honneur dans l'univers socioculturel méditerranéen

du Nouveau Testament. Application à Jn 7, 53 - 8, 11

Mémoire

Kyavumba Sadiki

Maîtrise en théologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

L’honneur dans l’univers socioculturel

méditerranéen du Nouveau Testament

Application à Jn 7,53-8,11

Mémoire

Kyavumba Sadiki

Sous la direction de :

(3)

Résumé

Depuis les quatre dernières décennies du vingtième siècle, la recherche en études bibliques reconnaît de plus en plus l’importance d’utiliser la conception de l’honneur dans l’univers socioculturel méditerranéen des premiers siècles de l’ère commune comme approche interprétative des textes du Nouveau Testament.

Le présent mémoire montre que cette conception de l’honneur éclaire Jn 7,53-8,11 de manière particulière par rapport à d’autres approches interprétatives utilisées dans la littérature au sujet de ce récit communément appelé la femme adultère. Il décrit les personnages de ce dernier comme des individus et des groupes inscrits dans l’univers socioculturel méditerranéen qui fait une distinction rigide des genres et une autre des rôles. La première consiste à favoriser une domination sociale des hommes sur les femmes. Quant à la seconde, elle promeut les humiliations en utilisant la compétition au cours de laquelle les hommes se disputent le rôle de préséance sociale opposé à celui de subalterne. En ce sens, les interactions entre le camp des scribes et des pharisiens et celui de Jésus présentées dans la littérature sur ce récit désignent une compétition en vue d’acquérir l’honneur. La question que les scribes et les pharisiens posent à Jésus et l’adultère d’une femme mentionné dans cette question sont compris comme des défis lancés à l’honneur de Jésus lié à ses rôles de maître de la loi et chef du peuple.

Quant à Jésus, il convertit sa préséance sociale – qui le garantit contre le déshonneur – en bonté éthique, dite grâce. De ce fait, il ne se venge pas du complice adultère de la femme, mais transforme la compétition comme mode d’acquérir l’honneur en relations maître-disciple et patron-courtier-client. Ainsi, il attribue l’honneur comme courtier de Dieu le patron à quiconque devient son disciple. Seule la femme semble accepter cet honneur. Quant aux scribes, aux pharisiens et aux anciens, ils se retirent de la scène.

(4)

Abstract

Since the last four decades of the twentieth century, research in biblical studies has increasingly recognized the importance of using the conception of honor in the Mediterranean socio-cultural World of the first centuries of the Common Era as an interpretive approach to texts of the New Testament.

This dissertation shows that this conception of honor sheds a special light on Jn 7:53-8:11 commonly referred to as the story of the adulterous woman compared to other interpretive approaches used in the literature about this story. It describes the characters of this story as individuals and groups inscribed in the Mediterranean socio-cultural World, which makes a rigid distinction between genders and another between roles. The first is to promote social domination of men over women. As for the second, it promotes humiliation by using competition in which men compete for the role of social precedence as opposed to that of subordinates. In this sense, the interactions between the camp of the scribes and Pharisees and that of Jesus presented in the literature review on this account indicate a competition for the acquisition of honor. The question that the scribes and Pharisees ask Jesus and the adultery of a woman mentioned in that question are understood as challenges to Jesus’ honor as master of the law and leader of the people.

As for Jesus, he converts his social precedence – which guarantees him against dishonor – into ethical goodness, called grace. Therefore, he does not take revenge on the adulterous accomplice of the woman but transforms competition as a mode of acquiring honor into master-disciple and patron-broker-client relationships. Thus, he attributes the honor as the broker of God the patron to whoever becomes his disciple. Only the woman seems to accept this honor. As for the scribes, Pharisees and elders, they withdraw from the scene.

(5)

Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des abréviations, sigles et acronymes ... vii

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

0.1 Esquisse de la conception de l’honneur en Méditerranée comme approche ... 2

0.2 Jn 7,53-8,11 comme œuvre littéraire et théologique en Jean ... 4

0.3 Problématique de recherche... 6

0.4 Question de recherche et hypothèse d’interprétation ... 7

0.5 Objectifs du mémoire ... 8

0.6 Division du mémoire ... 8

Chapitre 1 Revue de la littérature au sujet de Jn 7,53-8,11 ... 10

1.0 Introduction ... 10

1.1 Méthodes diachroniques ... 11

1.1.1 Critique textuelle ... 11

1.1.2 Autres méthodes historico-critiques ... 16

1.2 Interprétations synchroniques du texte dans sa forme ... 21

1.2.1 Analyse littéraire et rhétorique ... 21

1.2.2 Analyse structurale et sémiotique ... 23

1.2.3 Modèle transactionnel du récit ... 25

1.3 Méthodes centrées sur le contexte historique et socioculturel ... 26

1.3.1 Critique sociohistorique et postcoloniale ... 27

1.3.2 Analyse du contexte socioculturel, féministe et décoloniale ... 28

1.4 Conclusion ... 31

Chapitre 2 L’honneur dans l’univers socioculturel méditerranéen du Nouveau Testament ... 34

(6)

2.1 L’univers méditerranéen ... 35

2.1.1 Facteurs géographiques et historiques ... 35

2.1.2 Facteurs socioculturels, économiques et politiques ... 36

2.1.3 Les contradictions culturelles ... 36

2.2 Trois modèles en anthropologie culturelle comme approches en études bibliques 38 2.2.1 Le modèle structuro-fonctionnaliste ... 38

2.2.2 Le modèle de conflits ... 39

2.2.3 Le modèle symbolique ... 40

2.3 Compréhension générale de l’honneur ... 42

2.3.1 Définition de l’honneur ... 42

2.3.2 Caractéristiques de l’honneur ... 43

2.3.3 Composantes de l’honneur et son antagoniste le déshonneur ... 46

2.3.3.1 Statut de genre ... 46

2.3.3.2 Autorité ... 50

2.3.3.3 Respect ... 52

2.4 Formes d’honneur ... 54

2.4.1 L’honneur attribué ... 55

2.4.1.1 Par la naissance dans une famille ... 55

2.4.1.2 Par l’appartenance à tel groupe naturel large ... 57

2.4.1.3 Par les relations patron-client comme groupe hybride ... 59

2.4.2 L’honneur acquis ... 61

2.4.2.1 Compétition en vue d’acquérir l’honneur : défi-réponse... 62

2.4.2.2 Déroulement de la compétition et l’acquisition de l’honneur ... 65

2.4.2.3 Sort de l’honneur devant un tribunal ... 67

2.4.2.4 Notes d’attention ou angles morts ... 67

2.5 Mécanismes de préservation de l’honneur dans les interactions sociales ... 69

2.5.1 Se définir par la famille fictive ... 69

2.5.2 Reconfigurer la relation patron-client en analogie dominante ... 71

2.5.3 L’hospitalité ... 74

2.5.4 La grâce de Dieu ... 76

2.6 Conclusion ... 78

Chapitre 3 Application du concept de l’honneur à Jn 7,53-8,11 ... 81

3.0 Introduction ... 81

3.0.1 Texte de Jn 7,53-8,11 ... 82

3.1 Description des personnages ... 83

3.1.1 Jésus ... 85

(7)

3.1.3 Les scribes, les pharisiens et les anciens ... 90

3.1.4 Une femme ... 93

3.2 Compétition entre scribes-pharisiens et Jésus en vue d’acquérir l’honneur ... 95

3.2.1 Réclamation ... 96

3.2.2 Défi ... 96

3.2.3 Réponse ... 98

3.2.4 Verdict public ... 99

3.3 Transformation de la compétition en relations maître-disciple et patron-courtier-client 100 3.3.1 Relation maître-disciple ... 100 3.3.2 Relation patron-courtier-client ... 102 3.4 Conclusion ... 106 Conclusion ... 108 4.1 Synthèse ... 108

4.2 Pistes de réflexion en guise d’ouverture ... 110

Annexe : Schéma de la compétition ... 120

Bibliographie ... 121

(8)

Liste des abréviations, sigles et acronymes

Art Article

collab. Collaborateur

coll. Collection

COVID-19 Coronavirus Disease 2019 ou Maladie à coronavirus 2019 dir. Sous la direction de

Dt Livre du Deutéronome

EUMC Entraide Universitaire Mondiale du Canada

Ex Livre de l’Exode

ex. Exemple

FTSR Faculté de théologie et de sciences religieuses

Ibid. Ibidem : le même document, cité dans la note précédente

Id. Idem : le même document, cité dans la note précédente, la même page

Jn Évangile de Jean

Joh Gospel of John

Lc Évangile de Luc

Lv Livre de Lévitique

Macc Livre des Maccabées

Mc Évangile de Marc

Mt Évangile de Matthieu

NA28 Nestle et Aland 28e édition

no Numéro

NT Nouveau Testament ou New Testament

PA Pericope Adulterae

RDC République démocratique du Congo

s.j. Société de Jésus

St. Saint

1Tm Première lettre à Timothée

trad. Traduction

v. Verset

(9)

Remerciements

La réalisation de ce mémoire a connu le concours des personnes que je tiens à remercier. Je remercie le professeur François Nault d’avoir suscité mon intérêt de recherche sur Jn 7,53-8,11 dans le cours Révélation et théologie à la Faculté de théologie et de sciences religieuses (FTSR) de l’Université Laval à l’hiver 2016. Merci également au professeur Guy Jobin pour les apprentissages au sujet de la recherche. Merci très particulier au professeur Sébastien Doane d’avoir accepté d’être mon directeur de recherche et de toute sa direction avec un côté ludique à une période où les rencontres physiques n’étaient plus possibles à cause de la COVID-19.

Merci à Léandre Syrieix, Elisabeth Sauvageau, Marine El Hajj, Olivier Michaud, Jocelyne Michaud, Alain Machia Machia, Gaston Mumbere, Pacifique Kambale, Fortuné Kamate, Jonathan Bishop et Kimberly Anne Saint-Laurent pour les échanges avec eux au cours de la rédaction de ce mémoire.

Je remercie les Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame pour la bourse Marguerite Bourgeoys qui a appuyé financièrement ma maîtrise. Dans le même ordre, je remercie les Sœurs de Sainte-Jeanne-d’Arc, les chevaliers de Colomb ainsi que le Bureau des bourses et de l’aide financière de l’Université Laval et la FTSR.

Merci pour les encouragements de la part de mes frères et sœurs religieux et laïcs assomptionnistes au Québec et aux États-Unis ainsi que de mes amis Thérèse Groulx et Robert Sarault, celles de l’association étudiante Entraide Universitaire Mondiale du Canada (EUMC) à l’Université Laval, de mes parents Flora Kavira Sivaminya et Joseph Tsongo-Mano Kambale, de mes sœurs et mes frères en République démocratique du Congo.

(10)

Introduction

À environ un mois de l’élection présidentielle prévue le 3 novembre 2020 aux États-Unis d’Amérique, les candidats Donald Trump du parti républicain et le démocrate Joe Biden ont confronté leurs idées au cours d’un débat télévisé. Bien que ce débat ne soit pas dans la même sphère géographique, temporelle et culturelle, la conception de l’honneur dans l’univers socioculturel méditerranéen des premiers siècles de l’ère commune permet de l’interpréter comme expression d’une compétition entre les deux candidats en vue d’acquérir l’honneur lié au rôle de président. Que ce soit par des insultes, des questions, des pièges, chacun des deux a tenté de se faire valoir devant le public et de solliciter l’approbation de ce dernier.

À la lumière de cette conception de l’honneur, j’interprète dans ce mémoire les interactions entre le camp des scribes et des pharisiens et celui de Jésus en Jn 7,53-8,11 comme une compétition en vue d’acquérir l’honneur1. De manière plus large, je vais analyser ce récit à

partir de la conception de l’honneur en Méditerranée comme approche2. À mes yeux,

celle-ci éclaire ce récelle-cit de manière particulière, c’est-à-dire par rapport à d’autres approches utilisées dans la littérature.

Dans cette introduction, je vais d’abord esquisser cette conception de l’honneur comme approche en études bibliques et Jn 7,53-8,11 comme œuvre littéraire et théologique. Ensuite, je vais décrire une problématique de recherche en lien avec l’approche choisie et la littérature sur Jn 7,53-8,11 ; puis je vais formuler la question de recherche et une hypothèse d’interprétation. Enfin, je vais élaborer les objectifs et présenter la division de ce mémoire.

1 Dans ce mémoire, j’utilise l’appellation française le récit de la femme adultère comme la plupart des travaux

faits en cette langue et je maintiens the Pericope Adulterae (PA) dans les citations anglaises qui l’emploient. Je retiens aussi Jn 7,53-8,11 comme référence biblique de ce récit récurrente chez les anglophones.

2 Pour des raisons de fluidité de lecture, j’emploie pour la suite la simple expression l’honneur en

(11)

0.1 Esquisse de la conception de l’honneur en Méditerranée comme approche

J’utilise la conception de l’honneur en Méditerranée comme approche ou modèle interprétatif dans la foulée de la recherche sur le Nouveau Testament qui reconnaît de plus en plus son importance pour comprendre les textes bibliques. Joseph H. Hellerman présente une impression globale de l’utilisation de cette approche en études bibliques :

The final quarter of the twentieth century has been characterized by the employment of a variety of new methodologies in NT study. Models imported from the field of cultural anthropology have proved particularly fruitful for scholars interested in gaining a better understanding of the world of the early Christians. Near the beginning of almost every introductory textbook dealing with the cultural background of the NT, the reader encounters a chapter addressing Mediterranean sensibilities concerning honor and shame. Honor is consistently identified as the single most important value or “good” in the ancient world. The cultural centrality of honor serves, in turn, to explain much about Jesus’ interactions with his antagonists in the Gospel narratives3.

Plusieurs travaux emploient conjointement l’honneur et la honte4 ; mais comme J. H. Hellerman, je préfère parler uniquement de l’honneur, car la honte est comprise comme une composante spécifiquement féminine de l’honneur détenu par les hommes en Méditerranée au premier siècle après la naissance de Jésus-Christ5. Je souligne certaines

critiques selon lesquelles l’univers socioculturel méditerranéen n’est pas si uniforme6. À ce

sujet, David D. Gilmore parle plutôt de « l’unité méditerranéenne7 ». J’admets celle-ci en

considérant qu’elle inclut les individus et les groupes représentés par les personnages des récits du Nouveau Testament, en particulier celui de la femme adultère. De ce point de vue,

3 Joseph H. Hellerman, « Challenging the Authority of Jesus: Mark 11:27-33 and Mediterranean Notions of

Honor and Shame », Journal of the Evangelical Theological Society 43/2 (2000), p. 213. Je maintiens cette citation en anglais ; mais d’autres seront traduites en français, sauf celles comptant dix lignes et plus.

4 Halvor Moxnes, « Honor and Shame », Biblical Theology Bulletin A Journal of Bible and Theology 23/4

(1993), p. 167-176. Je mentionne celui-ci parce qu’il est souvent cité parmi les théoriciens des notions de l’honneur et de la honte en Méditerranée, et lui-même analyse notamment le récit biblique Lc 13,10-17 à partir de ces notions. D’autres travaux qui emploient les deux notions seront cités dans le chapitre de méthode pour leur apport principalement à celle de l’honneur.

5 Je vais développer cette compréhension dans le chapitre de méthode.

6 Comme critiques de cette notion, David D. Gilmore mentionne : Jeremy Boissevain, Friends of Friends.

Networks, Manipulators and Coalitions, New York, St. Martin’s, 1974 ; Jeremy Boissevain, « Uniformity and

Diversity in the Mediterranean: An Essay in Interpretation », dans John G. Peristiany (dir.), Kinship and

Modernization in Mediterranean Society, Rome, Center for Mediterranean Studies, American Universities

Field Staff, 1976, p. 1-11 ; John Davis, The People of the Mediterranean: an Essay in Comparative Social

Anthropology, London, Routledge & Kegan Paul, 1977.

7 David D. Gilmore, « Anthropology of the Mediterranean Area », Annual Reviews Anthropology 11 (1982),

(12)

j’emploie l’expression « univers du Nouveau Testament » empruntée au bibliste américain Bruce J. Malina8. Toutefois, je note déjà que ce récit de la femme adultère aurait été ajouté à l’Évangile de Jean à une date relativement tardive après une transmission orale9. Malgré le manque de précision du contexte de production de ce récit, il provient de l’univers socioculturel méditerranéen des premiers siècles, une culture fortement marquée par le concept de l’honneur.

Les anthropologues Jullian Pitt-Rivers et John Peristiany10 sont souvent cités au sujet de la conception de l’honneur dans cet univers, mais un grand nombre de travaux utilisent le modèle développé par B. J. Malina pour interpréter les textes bibliques aussi bien de l’Ancien que du Nouveau Testament. Cet emploi récurrent du modèle de B. J. Malina a été critiqué, comme souligne Zeba Crook :

À partir de la grande quantité de travaux ethnographiques modernes et d’anciennes sources primaires, Bruce Malina a développé un modèle d’honneur et de honte qui, bien que critiqué, a résisté à l’épreuve du temps. De nombreux chercheurs sur l’univers biblique du premier siècle après Jésus-Christ ont bénéficié du pouvoir explicatif de ce modèle, une influence non limitée à ceux affiliés à B. Malina11.

8 Bruce J. Malina, The New Testament World. Insights from Cultural Anthropoly, Third Edition, Revised and

Expanded, Westminster John Knox Press, [1981] 2001. Je traduis World non pas par monde, mais par univers. Dans le chapitre de méthode, je vais présenter l’explication que B. Malina donne sur l’univers du Nouveau Testament comme étant méditerranéen.

9 Pour Hans von Campenhausen, ce récit « is “replete with implausibilities [and it] can hardly be placed in

the life of Jesus” » Hans von Campenhausen, « Zur Pericope von der Ehebrecherin (Joh 7,53-8,11) », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 68 (1977), p. 175, cité par Armin D. Baum, « Does the

Pericope Adulterae (John 7:53-8:11) have Canonical Authority ? An Interconfessional Approch », Bulletin for

Biblical Research 24/2 (2014), p. 174. Dans la littérature, il n’y pas de consensus sur la date de composition

ni sur l’auteur de ce récit, mais celui-ci aurait été inséré dans l’Évangile de Jean entre le deuxième et la fin du quatrième siècle. Je vais revenir sur la question de l’auteur dans la section qui suit et sur le lien plus large avec l’Évangile de Jean dans le chapitre de revue de la littérature.

10 Tous les deux auteurs contribuent au collectif John G. Peristiany (dir.), Honor and Shame: The Values of

Mediterranean Society, London, Weidenfeld & Nicolson, 1965.

11 From the vast amount of modern ethnographic work and ancient primary sources, Bruce Malina developed

a model of honor and shame that, while criticized, has stood the test of time. Many scholars of biblical antiquity have benefited from the explanatory power of Malina’s model, an influence not limited to those affiliated with the Context Group. Zeba Crook, « Honor, Shame, and Social Status Revisited », Journal of Biblical Literature 128/3 (2009), p. 592. Voici quelques critiques du modèle de B. J. Malina: Cyril S. Rodd,

« On Applying a Sociological Theory to Biblical Studies », Journal for the Study of the Old Testament 19 (1981), p. 95-106 ; David A. DeSilva, Depisting Shame: Honor Doscourse and Community Maintainance in

the Scientific Approaches to New Testament Interpretation, Edinburgh, T & T Clark, 1999 ; David G. Horrell,

« Models and Methods in Social-Scientific Interpretation: A Response to Philip Esler », Journal for the Study

(13)

Dans le chapitre de méthode où je présenterai la conception de l’honneur en Méditerranée, je tiendrai compte des critiques et de plusieurs éléments importants pour les appliquer à Jn 7,53-8,11.

0.2 Jn 7,53-8,11 comme œuvre littéraire et théologique en Jean

Dans ce mémoire, je retiens le récit de la femme adultère dans son état final (Jn 7,53-8,11), c’est-à-dire j’en traite de façon synchronique en tant qu’œuvre littéraire et théologique. Aussi je tiens compte du fait que son contexte de production, son auteur ainsi que ses destinataires et même la place qu’il a dans l’Évangile de Jean restent l’objet de débats. Plusieurs auteurs font remarquer le contexte de conflit entre personnages masculins de ce récit12. Plus précisément, Dominique Hernandez suggère que la lapidation, une expression de conflit, est une raison pour laquelle ce récit a été inséré en Jean :

La lapidation est d’ailleurs l’un des motifs expliquant l’insertion de ce texte dans l’évangile de Jean, évangile qui met en scène à de nombreuses reprises l’hostilité des Juifs pour Jésus : à la piscine de Bethesda lors de la guérison du paralytique, le dessein de tuer Jésus est manifeste (5,18) et lors de la fête des Dédicaces, les pierres seront ramassées pour le lapider (7,1)13.

Toutefois, Jean Zumstein note que la violence qui « fait écho au conflit du christianisme johannique avec la synagogue pharisienne (9,22 ; 12,42 ; 16,2) a laissé des traces dans l’évangile qui renvoie à un lien certes passé, mais étroit, avec le judaïsme palestinien14 ». Il

souligne que « les problématiques centrales du judaïsme palestinien (par ex. : la Loi ou le Temple) ne sont plus des questions centrales pour la théologie johannique15 ». Il avance

Matthew: A Critical Assesment of the Use of the Honour and Shame Model in New Testament Studies,

Tübingen, Mohr Siebeck (coll. WUNT 1/165), 2003.

12 Richard Rivard, « Loi ancienne et écriture nouvelle : une analyse sémiotique de Jean 8,2-11 », dans

Algirdas Julien Greimas et collab., De Jésus et des femmes. Lectures sémiotiques, Montréal/Paris, Bellarmin/Cerf, 1987, p. 135-156 ; Anne Fortin, « Comment lire les Écritures ? Jn 8,1-11 », Sémiotique et

Bible 168 (2017), p. 31-39; Roy Bowen Ward, « The Case for John 7:53-8:11 », Restoration Quarterly 3/3

(1959), p. 130-139 ; Amy Smith Carman, « The Abusive Religious Leaders of John 8 : How a Misnamed Story Can Help Religious Institutions Deal with Sexual Assault », Priscilla Papers 33/3 (2019), p. 8-11.

13 Dominique Hernandez, « La femme adultère et les hommes infidèles », Foi et vie 109/5 (2010), p. 37. Dans

cette citation, l’auteur ne mentionne pas l’abréviation de l’évangile (Jn) devant les chiffres indiquant les chapitres et les versets. D’autres auteurs adoptent cette manière. Je vais également l’adopter pour les références successives au même livre biblique, notamment dans le chapitre d’interprétation.

14 Jean Zumstein, « Chapitre 20 : L’évangile de Jean », dans Daniel Marguerat (dir.), Introduction au

Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, Labor et Fides, 2000, p. 357.

(14)

aussi que « la critique textuelle révèle que 5,3b-4 et 7,53-8,11 […] constituent des séquences qui sont venues se greffer postérieurement sur le texte de Jn. Ces deux séquences ne font donc pas partie de l’œuvre sous sa forme primitive, mais ressortent dans l’histoire de sa réception16 ». De ce point de vue, Urban C. von Wahlde souligne le fait que l’Évangile de Jean est un résultat d’un processus de rédaction étalé sur plusieurs années et que son auteur final a pu utiliser plusieurs traditions orales ou écrites17. C’est ainsi que le récit de la femme adultère en fait partie, bien que son origine demeure objet de débats. Il est parfois identifié à Luc ou à Marc18, mais Chris Keith montre que sa localisation initiale – et non pas son origine – est le texte de Jean, duquel il aurait été retranché et dans lequel il a été inséré de nouveau19.

En tenant compte de ces remarques, je prends aussi au sérieux certaines déclarations et d’autres remarques relevant de l’histoire de la réception de ce texte, en particulier celles relatives à la théologie, formulées par Gail R. O’Day. Cette auteure estime que les écrits d’Augustin sur ce récit « ont eu l’influence la plus décisive sur la manière dont ce texte est interprété (du moins dans l’Église occidentale)20 » et elle déclare :

16 Id.

17 Urban C. von Wahlde, The Gospel and Letters of John, vol. 1, Introduction Analysis and Reference (LII705

p.) ; vol. 2, Commentary on the Gospel of John (XVII-929 p.) ; vol. 3, Commentary on the Three Letters of

John (XII-441 p.) ; Grand Rapids, Eerdmans (coll. The Eerdmans Critical Commentary), 2010 cité par Michel

Roberge, « Vues nouvelles sur l’Évangile de Jean ? À propos du commentaire de von Wahlde (II) », Laval

théologique et philosophique 73/2 (2017), p. 255.

18 En fait, ce récit est parfois relié à Luc ou à Marc. Michel Gourgues est l’un des auteurs qui estiment que ce

récit aurait d’abord été lucanien avant d’être johannique. Michel Gourgues, « Moi non plus je ne te condamne pas. Les mots de la théologie de Luc en Jean 8,1-11 (la femme adultère) », Sciences Religieuses 19/3 (1990), p. 305-318. Quant à Josep Rius-Camps, il l’attribue principalement à Marc. Josep Rius-Camps, « The Pericope of the Adulteress Reconsidered: The Nomadic Misfortunes of a Bold Pericope », New Testament

Studies 53/3 (2007), p. 379-405. Les uns et les autres présentent des preuves internes, dont le style littéraire,

ou des preuves externes comme d’anciens manuscrits où ce récit figure notamment dans l’Évangile de Luc. Ces deux travaux vont être présentés en détail dans le chapitre de revue de la littérature.

19 Chris Keith, « The Initial Location of the Pericope Adulterae in Fourfold Tradition », Novum Testamentum

51 (2009), p. 209-231. Celui-ci va être présenté dans le chapitre de revue de la littérature.

20 « Have had the most decisive shaping influence on how this text is interpreted (at least in the Western

church) » Gail R. O’Day, « John 7:53-8:11. A Study in Misreading », Journal Biblical Literature 111/ 4

(1992) », p. 634. Voici la phrase d’Augustin qui aurait influencé une interprétation quasi généralisée de ce récit, mais que G. R. O’Day déplore en quelque sorte : « Relicti sunt duo, misera et misericordia » qui se traduit par « ils ne restèrent plus que deux, la misérable et la miséricorde » : Saint Augustin, « Traités sur l’Évangile de s. Jean. Traité XXXIII, 5 », dans Péronne et collab. (trad. et notes) Œuvres complètes de saint

Augustin évêque d’Hippone, tome 9, Paris, Librairie de Louis Vivès, 1869, p. 609. Marie-François Berrouard

(trad. et notes), Œuvres de saint Augustin. Homélies sur l’Évangile de saint Jean XVII-XXXIII, Paris, Études augustiniennes (coll. Bibliothèque Augustinienne 72), 1998. Karl Barth parle de la grâce et de la miséricorde dont la femme aurait bénéficié de la part de Jésus, mais il ne cite pas Augustin. Karl Barth, « La loi de grâce

(15)

Jesus is grace and mercy in this text, but his mercy is not exclusively visible in contrast to the woman’s sin. To summarize the story as sin (woman) and grace (Jesus) is to objectify and dehumanize the woman the same way the scribes and Pharisees do in v. 4. It is to define her away because of her sexuality rather than to treat her as a full person as Jesus does in v. 10-11. It is to accept the scribes and Pharisees’ definition of the woman (and the issues) rather than Jesus’. It is to ignore the invitation issued by Jesus in v. 7 and to cast a stone […]. By highlighting the woman’s sin, and hence her unworthiness as a candidate for grace, the rest of the text is reduced to prolegomena. The larger social questions of Jesus’ relationship to the religious establishment and the challenge he presented to the status quo are lost to the woman’s sin21.

Dans cette observation de G. R. O’Day, je souligne le conflit du monde derrière Jn 7,53-8,11 sans écarter le thème théologique de la grâce, des éléments que la conception de l’honneur en Méditerranée éclaire dans ce mémoire.

0.3 Problématique de recherche

La conception de l’honneur en Méditerranée comme modèle interprétatif permet d’identifier un écueil important non encore exploré dans la littérature portant sur Jn 7,53-8,11. Cet écueil consiste à ne pas définir et expliciter le contexte socioculturel méditerranéen des premiers siècles et la notion de « l’honneur masculin » alors que plusieurs travaux s’y réfèrent pour au moins trois interprétations de ce récit22. Il s’agit notamment du conflit d’autorité entre les scribes et les pharisiens d’un côté et Jésus de l’autre ; de la domination sociale des hommes sur la femme ; de la capacité d’un

du royaume absout la femme adultère », Flambeau 55 (1979), p. 262-265. Dans son travail où il analyse le récit de la femme adultère, Jean-Daniel Causse cite Augustin au sujet de la grâce chrétienne, mais non pas la fameuse phrase. Jean-Daniel Causse, « Il n’y a de grâce qu’insensée », Études théologiques et religieuses 85/3 (2010), p. 359-369. Le pape François et Enzo Bianchi citent la phrase d’Augustin. Pape François, Lettre

apostolique Misericordia et misera, Rome, le Saint-siège, 2016, no 8 ; Enzo Bianchi, Jésus et les femmes, trad.

de l’italien par Daniela Cardiroli, Montréal, Novalis, 2018, p. 116.

21 G. R. O’Day, « John 7:53-8:11… », p. 634.

22 Leticia A. Guardiola-Sáenz, « Border-Crossing and its Redemptive Power in John 7:53-8:11: A Cultural

Reading of Jesus and the Accused », dans Ingrid Rosa Kitzberger (dir.), Transformative Encounters. Jesus

and Women Re-Re-viewed, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2000, p. 267-291 ; Barbara A. Holmes et

Susan R. Holmes Winfield, « Sex, Stones, and Power Games : A Woman Caught at the Intersection on Law and Religion (John 7:53-8:11) », dans Cheryl A. Kirk-Duggan (dir.), Pregnant Passion: Gender, Sex, and

Violence in the Bible, Atlanta, Society of Biblical Literature (coll. Semeia Studies 44), 2003, p. 143-162 ;

Joan Mueller, «Throwing Religious Stones. God’s Law as Mercy in John’s Gospel (John 7:53-8:11) », The

Bible today 50/4 (2012), p. 221-226 ; Michael O’Sullivan, « Reading John 7:53-8:11 as a Narrative Against

Male Violence Against Woman », Hervormde Teologiese Studies Teologiese Studies/ Theological Studies 71/1 (2015), Art # 2939, 8 p.

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personnage masculin nommé Jésus de se tirer d’affaire des conflits ainsi que sa manière de traiter avec égalité les hommes et la femme. Les travaux où je souligne ces interprétations utilisent diverses approches interprétatives, mais aucun d’entre eux n’analyse le récit de la femme adultère uniquement à partir de la conception de l’honneur en Méditerranée. Celui de Piet van Staden en aurait pu être un, car il emploie exactement les termes de cette conception dans sa méthode en citant même Jerome H. Neyrey et B. J. Malina, deux références majeures à ce sujet en études bibliques23. D’ailleurs, ces derniers commentent brièvement Jn 7,53-8,11 en y appliquant la conception de l’honneur en Méditerranée24. Quant à P. v. Staden, il nie l’utilisation de cette conception qui, à ses yeux, apparaît comme un recours facile et généralisé pour l’interprétation des textes bibliques difficiles. S’il l’admettait en l’explicitant comme approche, sa publication aurait été une interprétation de Jn 7,53-8,11 faite à partir de ladite conception.

0.4 Question de recherche et hypothèse d’interprétation

Le récit de la femme adultère a déjà été éclairé à partir de diverses approches interprétatives par lesquelles il est saisi. D’ailleurs, je tiens à explorer plusieurs travaux qui utilisent celles-ci. Mais comme je l’ai souligné précédemment, la conception de l’honneur en Méditerranée l’éclaire de manière particulière ; c’est pourquoi je l’utilise comme approche dans ce mémoire. Ce travail est guidé par la question de recherche formulée ainsi : Comment Jn 7,53-8,11, saisi par diverses approches interprétatives, est-il éclairé de manière particulière par la conception de l’honneur en Méditerranée ?

Mon hypothèse interprétative est la suivante : La conception de l’honneur en Méditerranée comme approche permet de comprendre que les personnages du récit de la femme adultère représentent des individus et des groupes inscrits dans un système socioculturel qui fait une distinction rigide des genres et une autre des rôles. La première consiste à favoriser une

23 Piet van Staden, « Changing Things Around: Dramatic Aspect in the Pericope Adulterae (Jn 7:53-8:11) »,

Hervormde Teologiese Studies Teologiese Studies/ Theological Studies 71/3 (2015), Art # 3071, 13 p. Ce

travail sera présenté de manière un peu plus détaillée dans le chapitre de revue de la littérature.

24 Bruce J. Malina et Richard L. Rohrbaugh, Social-Science Commentary on the Gospel of John, Minneapolis,

Fortress, 1998, p. 292-293 ; Jerome H. Neyrey, The Gospel of John, Cambridge, Cambridge University Press (coll. The New Cambridge Bible Commentary), 2007, p. 29-30 et 151-152.

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domination sociale des hommes sur les femmes. Quant à la seconde, elle promeut les humiliations (la honte au sens négatif du terme ou le déshonneur) en utilisant la compétition au cours de laquelle les hommes se disputent le rôle de préséance sociale opposé à celui de subalterne. De ce point de vue, l’adultère d’une femme signifie l’incompétence de l’homme à assumer la préséance sociale par le contrôle de la conduite sexuelle des femmes de son groupe. Cet adultère est un outrage à son égard ainsi qu’envers son groupe face à d’autres hommes ; un affront dont il devrait se défendre afin de réaffirmer son honneur. Jésus apparaît plutôt comme un homme dont la préséance sociale le garantit contre les humiliations, se convertit en bonté éthique dite grâce et lui permet de ne pas se venger, mais d’attribuer l’honneur à quiconque fait allégeance à lui. Ainsi, il transforme la compétition comme mode d’acquérir l’honneur en relation maître-disciple et en nouveau patronage dont il est le chef-courtier, le chef ou le patron suprême étant Dieu. En fin de compte, seule la femme le reconnaît comme ce chef qui lui attribue l’honneur et s’inscrit dans son système. Quant aux scribes, pharisiens et anciens, ils se retirent de la scène.

0.5 Objectifs du mémoire

Le présent mémoire porte trois objectifs. Le premier qui est le plus important consiste à interpréter Jn 7,53-8,11 à partir de la conception de l’honneur en Méditerranée pour montrer comment les personnages masculins se lancent mutuellement les défis et y répondent en vue d’acquérir l’honneur des autres en mettant en jeu un personnage féminin et la loi que celui-ci aurait enfreinte ; mais aussi comment le personnage masculin nommé Jésus transforme le système socioculturel de référence. Le deuxième objectif est de présenter de manière détaillée la conception de l’honneur en Méditerranée. Le troisième consiste à exposer plusieurs travaux portant sur le récit de la femme adultère selon leurs approches respectives, une manière de décrire ce récit comme objet d’étude de ce mémoire et pour permettre à d’autres chercheurs d’accéder facilement à ces éléments de la littérature.

0.6 Division du mémoire

Ce mémoire est divisé en trois chapitres. Le premier nommé Revue de la littérature au sujet de Jn 7,53-8,11 va se construire à partir des travaux portant sur ce récit qui vont être

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présentés selon leurs approches respectives en soulignant des éléments qui pointent vers la conception de l’honneur en Méditerranée.

Pour construire un cadre de la nouvelle interprétation de Jn 7,53-8,11 proposée dans ce mémoire, le deuxième chapitre va présenter cette conception de l’honneur à partir des travaux du socio-anthropologue britannique Julian Pitt-Rivers. Dans une série d’articles, celui-ci apporte des contributions fondamentales au développement d’arguments sur la notion d’honneur qu’il définit, explicite et déploie dans d’autres notions telles que la grâce et l’hospitalité25. La conception de l’honneur en Méditerranée comme modèle interprétatif

lui-même va être présentée en citant abondamment le bibliste américain Bruce J. Malina qui, comme mentionné précédemment, le développe en études bibliques à partir des travaux des anthropologues26. D’autres travaux vont aussi être cités, tels que ceux qui apportent des

explications sur l’univers méditerranéen27, sur l’honneur dans cet univers et sur des

approches utilisées en recherche à ces sujets.

Dans le troisième chapitre, je vais appliquer la conception de l’honneur présentée dans le deuxième chapitre à Jn 7,53-8,11 en prenant la vingt-huitième édition du texte biblique grec établi par Eberhard Nestle et Kurt Aland (NA28)28. Je vais recourir à certains travaux portant sur ce récit, notamment ceux présentés dans la revue de la littérature29.

25 Julian Pitt-Rivers, « Honour and Social Status », dans John G. Peristiany (dir.), Honour and Shame: The

Values of Mediterranean Society, London, Weidenfel and Nicolson, 1965, p. 20-77; Julian Pitt-Rivers,

« Radcliffe-Brown Lecture in Social Anthropology. Honour », Proceedings of the British Academy 94 (1997), p. 229-251; Julian Pitt-Rivers, « The Law of Hospitality », The Fate of Shechem or the Politics of Sex :

Essays in the Anthropology of the Mediterranean, Cambridge University Press, 1977, dans Giovanni da Col et

Andrew Shryock (dir.), From Hospitality to Grace. A Julian Pitt-Rives Omnibus, Chicago, HAU Books, 2017, p. 163-184; Julian Pitt-Rivers, « The Place of Grace in Anthropology », HAU: Journal of Ethnographic

Theory 1/1 (2011), p. 423-450.

26 B. J. Malina, The New…, [1981] 2001. C’est principalement dans ce livre que B. Malina développe la

conception de l’honneur en Méditerranée comme modèle interprétatif en études bibliques. Il renchérit plusieurs éléments notamment dans ses contributions au collectif Jerome H. Neyrey (dir.), The Social World

of Luke-Acts: Models for Interpretation, Michigan, Baker Academic, [1991] 2016.

27 J’ai déjà mentionné celui de David D. Gilmore qui est éclairant à ce sujet. D. D. Gilmore,

« Anthropology… », p. 175-206.

28 Eberhard Nestle et Kurt Aland, Novum Testamentum Graece, 28e édition revue, Stuttgart, Deutsche

Bibelgesellschaft, 2012, p. 403-404.

29 Jusqu’ici, j’ai parlé en « je » en considérant l’aspect personnel de l’introduction. Pour la suite, j’emploie le

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Chapitre 1

Revue de la littérature au sujet de Jn

7,53-8,11

1.0 Introduction

La littérature portant sur Jn 7,53-8,11 remonte à la patristique latine, plus précisément à Jérôme qui a recopié ce récit dans ses manuscrits de la Vulgate présentés au pape Damase en 384 et qui l’a commenté. Ambroise aussi en traite dans ses lettres datées de 385-387 de même qu’Augustin dans ses Traités sur l’Évangile selon saint Jean en 416-41730. Plus tard,

il a été commenté par d’autres auteurs, dont Jean Calvin les années 154031, Alfred Loisy en

192132 ainsi que Rudolf Bultmann en 194133.

30 C. Keith, « The Initial Location... », p. 220-223. Les attestations de Jérôme, d’Ambroise et d’Augustin au

sujet du récit de la femme adultère apparaissent comme les plus certaines parmi les plus anciennes dont celle rapportée par Eusèbe. Dans son Histoire de l’Église, ce dernier parle de Papias qui souligne dans l’Évangile

selon les Hébreux un récit au sujet d’une femme accusée de beaucoup de péchés devant le Seigneur. Eusèbe

de Césarée, Histoire ecclésiastique 3.39.17. Pour C. Keith, « there is little about this statement that is not

debated, including whether it actually refers to PA [Pericope Adulterae], exactly which work “Gospel of the Hebrews” refers to (i.e., Gos. Heb., Gos. Eb., or Gos. Naz.), and, as noted, whether Papias or Eusebius knows PA in this text »: C. Keith, « The Initial Location... », p. 223. Lire aussi Wieland Willker, A Textual Commentary on the Greek Gospels. The Pericope de Adultera: Jo 7:53-8:11, vol. 4b, Bremen, online

published 12th edition 2015, p. 8 [http://www.willker.de/wie/TCG/TC-John-PA.pdf] (consulté le 26 octobre

2020). Selon Michel Gourgues, Jérôme parle de quelqu’un qui a inséré ce récit dans l’Évangile de Jean avant lui (Contra Pelagianos, 17), « mais aucune attestation ne nous en est parvenue ». M. Gourgues, « Moi non plus… », p. 306. M. Gourgues note aussi que le Codex Bezae qui date du cinquième siècle est « le premier manuscrit grec à ranger le récit de la femme adultère dans 1’évangile de Jean » Id.

31 John Calvin, The Gospel According to St. John 1-10, trad. Thomas Henry Louis Parker, Calvin’s

Commentaries, Michigan, William B. Eerdmans (coll. Grand Rapids 11), 1959, p. 206-209 cité par A. D.

Baum, « Does the Pericope... », p. 169-175.

32 Alfred Loisy, Le quatrième évangile. Les épîtres dites de Jean, Deuxième édition refondue, Paris, Émile

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Ce chapitre ne traite que des interprétations exégétiques récentes, c’est-à-dire des travaux au sujet de Jn 7,53-8,11 publiés dans la deuxième moitié du vingtième siècle ainsi qu’au vingt et unième. Ceux-ci sont présentés dans l’ordre chronologique selon leurs méthodes respectives : diachroniques, synchroniques, centrées sur le contexte historique et socioculturel. Ce choix de présentation par méthodes et l’ordre de celles-ci permettent de décrire le possible contexte de production du récit, sa composition et ses interprétations. Par ailleurs, une attention particulière est accordée aux éléments soulignés dans la problématique de recherche au sujet de l’univers socioculturel méditerranéen des premiers siècles de l’ère commune et de la conception de l’honneur.

1.1 Méthodes diachroniques

Plusieurs travaux étudient le récit de la femme adultère dans une démarche de type historico-critique, donc diachronique. Certains d’entre eux privilégient la critique textuelle comme approche en vue de s’interroger sur l’appartenance de ce récit à l’Évangile de Jean. Ils font appel à ses preuves ou témoins internes – à savoir le style littéraire ou linguistique, le vocabulaire et la thématique théologique – et aux preuves externes – à savoir les anciens manuscrits, les commentaires des Pères de l’Église latine et en soulignant son absence dans les commentaires des Pères de l’Église grecque. D’autres travaux historico-critiques tentent d’aborder l’historicité du monde derrière le texte.

1.1.1 Critique textuelle

L’article de Michel Gourgues publié en 1990 ouvre la série des travaux qui analysent le récit de la femme adultère du point de vue de la critique textuelle34. Précisons qu’il s’agit de ceux dont nous disposons. Chacun de ceux-ci abordant une question particulière, celui de M. Gourgues traite du style et de la théologie de ce récit comme étant ceux de l’Évangile de Luc. Il indique qu’« un bon nombre d’indices font en effet apparaître ce texte – la “perle égarée”, comme on l’appelle parfois – comme un corps étranger dans le quatrième

33 Rudolf Bultmann, Das Evangelium des Johannes, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht (coll.

Kritisch-exegetischer Kommentar über das Neue Testament 2), [1941] 1986; trad. George Raymond Beasley-Murray, Rupert William Noel Hoare et John Kenneth Riches, The Gospel of John: A Commentary, Oxford, Basil Blackweil, 1971.

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évangile35 ». C’est par ces indices du thème théologique de miséricorde que ce récit est lié à l’Évangile de Luc.

Ce travail de M. Gourgues accorde une certaine importance aux attitudes de Jésus communes entre le récit de la femme adultère et l’Évangile de Luc pour présenter le thème de miséricorde, tel étant son objectif. Toutefois, il ne montre pas le lien entre ce thème et les termes décrivant le conflit entre Jésus et ses adversaires. Pourtant ces termes aussi justifient le lien entre ce récit et l’Évangile de Luc : « Des scribes l’ont bien senti qui, dans toute une famille de manuscrits, ont inséré 1’épisode dans 1’Évangile de Luc, – la suite de 21,38, juste avant l’entrée dans la passion, au terme des affrontements entre Jésus et ses adversaires, que Luc 20-21 situe à Jérusalem – et en particulier au Temple36. »

John Paul Heil estime que M. Gourgues néglige ou sous-évalue des liens linguistiques frappants entre le récit de la femme adultère et d’autres récits johanniques37. Il fait

remarquer un consensus actuel sur des preuves externes de ce récit comme étant non-johannique. Il laisse celles-ci de côté et propose de remettre en question les preuves internes par lesquelles M. Gourgues soutient le caractère non-johannique de ce récit. J. P. Heil montre des liens linguistiques et littéraires remarquables indiquant que Jn 7,53-8,11 ne nuit pas, mais contribue à la progression narrative de Jn 7-8.

L’article de Brad H. Young publié en 1995 ne réagit ni à celui de M. Gourgues ni à celui de J. P. Heil38. Il analyse la critique faite par Ulrich Becker à partir d’un ensemble de preuves internes et de témoins externes selon laquelle le verset 6a de Jn 8 est une interpolation. Il admet que chacun des manuscrits, « le manuscrit de Théodore de Bèze (Codex Bezae), Codex M ainsi que les minuscules 264 et 1071 place Jean 8,6a à une position

35 Ibid., p. 306. 36 Ibid. p. 308.

37 John Paul Heil, « The Story of Jesus and the Adulteress (John 7:53-8:11) Reconsidered », Biblica 72/2

(1991), p. 182. Gail R. O’Day aussi indique : « For a treatment of John 7:53-8:11 that provides both stylistic

and theological evidence for Lucan authorship, see Michel Gourges (sic), “‘Moi non plus je ne te condamne pas’ : Les mots et la théologie de Luc en Jean 8, 1-11 (la femme adultère)”, Sciences Religieuses 19 (1990) 305-18 ». Lire G. R. O’Day, « John 7:53-8:11 »: p. 639 note 24.

38 Brad H. Young, « “Save the Adulteress!”: Ancient Jewish Responsa in the Gospels? », New Testament

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différente dans le récit39 » et indique que « la formulation de l’ensemble du texte trahit

l’influence sémitique à travers la preuve d’un travail éditorial en grec40 ». B. H. Young

pense plutôt que « le récit de la femme adultère dans la tradition évangélique décrit à l’origine un ancien responsum juif donné par Jésus comme une parabole dramatique en action41 ». Selon lui, les pharisiens cherchaient une interprétation de la loi juive, qui n’était ni monolithique ni légaliste dans leur tradition et pour laquelle les scribes jouaient un rôle important. En effet, « quand ils [les pharisiens] ont appris que Jésus, un jeune enseignant populaire avec des idées innovantes, était dans le Temple, ils ont cru qu’il pourrait être utile. En tant qu’enseignant reconnu venant de Galilée, il pourrait posséder une nouvelle vision. Les pharisiens ont décidé de chercher un responsum auprès lui42 ».

Comme plusieurs exégètes et en particulier à la suite de Robinson, Josep Rius-Camps soutient que « le vocabulaire et le style du récit de la femme adultère ne correspondent pas à ceux de l’Évangile de Jean43 ». Il s’appuie sur certains manuscrits dans lesquels se trouve

ce récit pour analyser son style permettant de montrer son origine comme étant l’Évangile de Marc.

La comparaison des témoins [pour désigner les manuscrits] avec le texte [du récit dans la Bible] révèle qu’il [le texte du récit] a été conservé sous deux formes distinctes, l’une (attestée par le Codex Bezae et les minuscules 2722 et 1071) du style de Marc, et l’autre (attestée par f 13) qui reproduit le style de Luc. La conclusion tirée est que le récit a d’abord été composé par Marc (et placé après Marc 12,12) puis adopté par Luc (après Luc 20,19). En raison de la clémence morale apparente affichée par Jésus, le récit aurait été retiré [par les chefs d’Église] à une date rapprochée des deux Évangiles, puis réinsérée plus tard dans certains manuscrits, mais à différents endroits44.

39 « Beza, Codex M, and the minuscules 264 and 1071 all place John 8.6a in a different position in the story »

Ibid., p. 60. Voici ledit verset 6a : « Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège, pour avoir de

quoi l’accuser » (Traduction Œcuménique de la Bible – TOB).

40 « The wording of the entire text betrays Semitic influence through evidence of editorial work in Greek »

Ibid., p. 63.

41 « The story of the adulteress in the gospel tradition originally described an ancient Jewish responsum

which was given by Jesus as a dramatic parable in action » Ibid., p. 65.

42 « When they learned that Jesus, a young teacher with innovative ideas and a popular following, was in the

Temple, they believed that he might be of assistance. As a recognized teacher coming from Galilee, he might possess fresh insight. The Pharisees decided to seek a responsum from Jesus » Ibid., p. 68.

43 « The vocabulary and style of the PA do not correspond to the vocabulary and the style of the Gospel of

John » J. Rius-Camps, « The Pericope... », p. 380.

44 Comparison of the witnesses to the text reveals that it has been preserved in two distinct forms, one

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Dans son article publié en 200945, Chris Keith critique le style textuel ou linguistique soutenu par J. Rius-Camps comme preuve majeure de non-appartenance du récit de la femme adultère à l’Évangile de Jean, mais à celui de Marc (placée après Mc 11,21-12,12 où les grands prêtres, les scribes et les anciens remettent en question l’autorité de Jésus)46 ou à celui de Luc (à placer après Lc 20,1-19 qui parle du premier conflit de Jésus avec les mêmes chefs juifs mentionnés en Marc)47. Pour sa part, il avance que son analyse est basée sur un manuscrit (négligé) et une preuve patristique de la localisation du récit de la femme adultère dans la tradition évangélique, ce qui fait une différence méthodologique entre l’approche de J. Rius-Camps et la sienne48. De fait, C. Keith réfute l’analyse du style

linguistique par laquelle J. Rius-Camps tente de démontrer la source textuelle du récit. Il suggère plutôt de poser la question, non pas où situer ce récit en fonction de son auteur, mais où il aurait pu être situé en fonction de l’endroit où les premiers chrétiens l’ont lu. En ce sens, les preuves externes disponibles, à savoir les manuscrits et les témoignages patristiques permettent d’affirmer qu’un scribe a inséré initialement ce récit à son emplacement actuel, c’est-à-dire en Jn 7,53-8,11, en 38449, bien que son origine soit probablement non-johannique. Pour C. Keith, la place initiale du récit de la femme adultère dans les manuscrits bibliques reste celle où le scribe l’a recopié en 384, bien qu’il ait été placé en d’autres endroits pour revenir, en fin de compte, en son lieu initial mentionné. Dans la même optique que C. Keith, une série de deux articles publiés par John David Punch en 2013 réfute les affirmations qui soutiennent un vocabulaire « non johannique » en Jn 7,53-8,11 comme preuves internes de non-appartenance de ce récit à la littérature

by f 13) that reproduces the style of Luke. The conclusion drawn is that the account was first composed by Mark (and placed after Mark 12.12) and subsequently adopted by Luke (after Luke 20.19). Because of the apparent moral leniency displayed by Jesus, the story would have been removed at an early date from both Gospels, and then later reinserted by some manuscripts but at different places. Ibid., p. 379.

45 C. Keith, « The Initial Location... », p. 209-231.

46 J. Rius-Camps, « The Story of Jesus and the Adulteress Reconsidered: The Nomadic Misfortunes of a Bold

Pericope », New Testament Studies 53/3 (2007), p. 379-405 cité par C. Keith, « The Initial Location... », p. 209. C. Keith aurait apporté des modifications au titre de l’article de J. Rius-Camps qui est « The Pericope of the Adulteress Reconsidered: The Nomadic Misfortunes of a Bold Pericope », peut-être pour éviter deux mentions de Pericope.

47 J. Rius-Camps, « Origen Lukano de la Pericopa de la Mujer Adultera », Filologia Neotestamentia 6 (1993),

p. 149-176 cité par C. Keith, « The Initial Location... », p. 209.

48 C. Keith, « The Initial Location... », p. 211.

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johannique50. Les deux articles font remarquer la subjectivité de ces affirmations et exposent une multitude de variantes dans l’Évangile de Jean dont un certain nombre se trouvent en Jn 7,53-8,11.

Pour sa part, l’article d’Armin D. Baum publié en 201451 utilise la critique textuelle avec une approche interconfessionnelle52 pour aborder la question de la canonicité du récit de la femme adultère. Du point de vue de la critique textuelle, l’auteur indique que les versets 2 à 11 de ce récit auraient été composés par un interpolateur et ajoutés à l’Évangile de Jean entre la fin du deuxième et le début du quatrième siècle. Le même interpolateur aurait « probablement aussi composé Jean 7,53-8,1 comme une transition narrative afin de connecter le récit avec son contexte évangélique53 ». Quant à la question de la canonicité proprement dite, elle est posée par les théologiens et porte, non pas d’abord sur l’historicité du récit, mais sur les preuves de son authenticité comme partie de la littérature johannique. L’auteur souligne l’évaluation négative de l’authenticité littéraire du récit et, de ce fait, de sa canonicité, selon certains théologiens. D’autres admettent cette canonicité en dépit de l’inauthenticité littéraire présumée de ce récit qui aurait circulé dans la première moitié du deuxième siècle comme enseignement de Jésus afin de contester la position selon laquelle l’adultère et le meurtre étaient impardonnables. Bien plus, ce récit ferait déjà partie de l’œuvre de Papias54 dans le deuxième siècle et cet auteur l’aurait repris en Asie Mineure

des disciples des apôtres à qui ceux-ci l’auraient transmis comme une tradition orale venant des maîtres, notamment de l’école johannique comme certaines traces de style l’indiquent. Comme dans ses deux articles présentés précédemment, J. D. Punch soutient encore dans un chapitre d’un livre publié en 2016 le style comme preuve interne de l’appartenance du

50 John David Punch, « An Analysis of ‘Non-Johannine’ Vocabulary in John 7:53-8:11, Part 1 », Die Skriflig/

In Luce Verbi, Art #93, 47/1 (2013), 6 p ; John David Punch, « An Analysis of ‘Non-Johannine’ Vocabulary

in John 7:53-8:11, Part 2 », Die Skriflig/ In Luce Verbi Art #98, 47/1 (2013), 6 p.

51 A. D. Baum, « Does the Pericope... », p. 163-178.

52 L’approche interconfessionnelle désigne trois modèles canoniques classiques résultant de différents critères

appliqués pour déterminer les limites du canon : l’approche ecclésiologique (ou catholique romaine), l’approche pneumatologique et l’approche historico-théologique. Lire A. D. Baum, « Does the Pericope...», p. 164-177.

53 « This interpolator probably also composed John 7:53-8:1 as a narrative transition in order to connect the

PA with its Gospel context » Ibid., p. 164.

54 Papias dans Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, 3.39.17 : « The same writer (i.e. Papias)… has

expounded another story about a woman, who was accused before the Lord of many sins, which the Gospel according to the Hebrews contains » (LCL, Lake) : A. D. Baum, « Does the Pericope... », p. 174. Rappelons

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récit de la femme adultère à la littérature johannique55. De ce point de vue, il ne choisit pas de l’ignorer à l’instar de nombreux commentateurs qui le traitent de mouton noir dans l’Évangile de Jean. En plaidant pour son inclusion, il en présente aussi les preuves externes en examinant la théorie dite de « la suppression ecclésiastique », une expression inventée par Jennifer Knust56. J. D. Punch expose encore les preuves internes en vue de souligner la compatibilité de ce récit avec le contexte littéraire johannique : sa congruence grammaticale et syntaxique avec les discours des Tabernacles (Jn 7-8)dont il interromprait le flux, selon certains auteurs qui, pourtant, n’expliquent pas la nature de cette interruption. Quant aux preuves externes, elles sont constituées des manuscrits et des témoins patristiques qui indiquent que les scribes, probablement pour des raisons pieuses et par la peur des hommes de voir la sexualité des femmes échapper à leur contrôle, auraient omis sciemment ce récit qui ferait bien partie de l’Évangile de Jean à son endroit actuel (Jn 7,53-8,11).

En somme, les travaux en critique textuelle sont divisés au sujet de la congruence du récit de la femme adultère avec l’univers johannique. Elle est niée par certains d’entre eux et admise par d’autres qui en présentent les preuves externes et internes. Parmi ceux qui soutiennent son inclusion, J. D. Punch attribue son extraction des anciens manuscrits aux chefs de l’Église pour des raisons pieuses, une hypothèse qui pourrait être vérifiée par les travaux centrés sur l’historicité du récit.

1.1.2 Autres méthodes historico-critiques

Les travaux centrés sur l’historicité des faits racontés utilisent généralement la critique textuelle comme première étape de la méthode historico-critique. Tel est le cas de l’article du professeur Joachim Jeremias publié en 1951 qui analyse un possible contexte historique

55 John David Punch, « The Piously Offensive Pericope Adulterae », dans David Alan Black et Jacob N.

Cerone (dir.), The Pericope of the Adulteress in Contemporary Research, London/New York, Bloomsbury T & T Clark, 2016, p. 7-31.

56 « A theory of “ecclesiastical suppression” » Jennifer Knust, « Jesus, an Adulteress, and the Development

of Christian Scripture », dans Jean-Jacques Aubert et Zsuzsanna Varhelyi (dir.), A Tall Order: Writing Social

History of the Ancient World: Essays in Honor of William V. Harris, Muninch, K. G. Saur, 2005, p. 71-72 cité

par J. D. Punch, « The Piously Offensive… », p. 8. La théorie de « la suppression ecclésiastique » désigne une position selon laquelle les premiers dirigeants de l’Église auraient retiré intentionnellement le récit de la femme adultère des anciens manuscrits pour des raisons pieuses. Lire J. D. Punch, « The Piously Offensive… », p. 8.

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de Jn 7,53-8,1157. L’auteur met en parallèle quelques versets de ce récit avec le procès de Jésus devant le Sanhédrin (Mc 14,53-65) qui n’avait pas de compétence dans les affaires de peine capitale et avec Mc 12,13-17 où Jésus demande de rendre hommage à l’empereur romain. Selon l’auteur, Jésus n’aurait pas ordonné l’exécution de la femme, car il aurait usurpé le pouvoir des autorités romaines ; il ne nie pas non plus cette exécution de peur d’aller à l’encontre de l’enseignement ordinaire de la loi de Moïse. Pour Thomas Walter Manson qui rapporte cette interprétation de J. Jeremias, Jésus adopte les attitudes du juge président selon le droit pénal romain en écrivant d’abord la phrase, puis en la lisant à haute voix à partir du dossier écrit. Si cette interprétation est plausible, note T. W. Manson, il serait nécessaire d’appliquer à tout le récit l’analyse du contexte historique proposée par J. Jeremias.

Roy Bowen Ward reprend l’hypothèse de J. Jeremias et T. W. Manson dans son article publié en 195958. Celui-ci tente de reconstituer l’historicité de Jn 7,53-8,11, dans la mesure du possible, en faisant référence aux preuves textuelles et en portant une attention à certaines hypothèses formulées à partir d’importantes découvertes des manuscrits. Il recourt à la critique de la forme, une approche appelée aussi la forme hybride par Martin Dibelius59, qui désigne la transformation d’un paradigme ou d’un système de pensée en conte. Par ce recours, R. B. Ward compare Jn 7,53-8,11 avec le récit où Jésus dit de rendre hommage à l’empereur romain ou de payer l’impôt à César (Mc 12, 13ss). Il s’appuie également sur le travail de Henry Cadbury qui « a montré que le vocabulaire et le style du récit de la femme adultère sont caractéristiques, non pas de Jean, mais de Luc60 ». Au sujet de la terminologie importante dans le récit, R. B. Ward cite Eric F. F. Bishop pour qui

57 Joachim Jeremias, recension de Thomas Walter Manson, « The Pericope de Adultera (Joh 7:53-8:11) »,

Zeitschrift fuer die neutestamentliche Wissenschaft 43 (1950/51), p. 145-150, parue dans Zeitschrift fuer die neutestamentliche Wissenschaft 44 (1952/1953), p. 255-256.

58 R. B. Ward, « The Case for John... », p. 130-139.

59 Martin Dibelius, From Tradition to Gospel, New York, Scribner, 1935, p. 43 cité par R. B. Ward, « The

case for John... », p. 131.

60 « Has shown the vocabulary and style of the pericope adulterae are characteristic – not of John – but of

Luke » Henry Cadbury, « A Possible Case of Lukan Authorship », Harvard Theological Review 10 (1917), p.

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« l’ensemble du tableau présenté dans le récit indique “un arrière-plan oriental, sinon palestinien61” » qui est un contexte de conflit, selon J. Jeremias et T. W. Manson :

Si l’explication de Jeremias-Manson est acceptée, alors le récit de la femme adultère montre un aperçu du conflit produit parce que le Sanhédrin n’avait pas de compétence dans les cas de peine capitale. Dans les documents du début du deuxième siècle, ce point est oublié ; selon le témoignage de l’Évangile de Pierre, ce sont les Juifs, et non les Romains, qui ont réellement mis Jésus à mort62.

Toutefois, l’arrière-plan oriental ou palestinien du récit mentionné par R. B. Ward demeure de l’ordre de l’hypothèse à vérifier.

Charles P. Baylis, quant à lui, aborde l’historicité de la question de la loi dans le récit de la femme adultère sans citer J. Jeremias et T. W. Manson. Au début de son article publié en 198963 , il souligne l’affirmation quasi universelle selon laquelle aucun récit de la Bible ne

peut être pleinement compris en dehors de son cadre contextuel et il indique que Jn 7,53-8,11 « est rarement enseigné avec une compréhension du contexte environnant64 », c’est-à-dire historique dans lequel ce récit peut être inscrit. Il réfère ce récit à l’apogée de l’école johannique qui présente Jésus comme prophète dont Moïse avait parlé en Deutéronome 18,15. De ce point de vue, Jésus a obéi à la loi mosaïque telle qu’elle était comprise par toutes les personnes et il l’a appliquée complètement en véritable maître de la loi, « tandis que les scribes et les pharisiens l’ont utilisée pour tenter de réfuter sa prétention65 ».

En présentant Jésus comme prophète et maître, C. P. Baylis fait référence au contexte biblique large. Cependant, l’historique de la tension entre l’école johannique et d’autres écoles n’est pas suffisamment décrite. Soulignons, en passant, la mention des plus âgés dans le travail de C. P. Baylis pour indiquer, non pas un rapport chronologique entre

ceux-61 « The whole picture presented in the pericope points to “an eastern, if not a Palestinian background” »

Eric F. F. Bishop, « Pericope Adulterae », Journal of Theological Studies 35 (1934), p. 44 cité par R. B. Ward, «The Case for John... », p. 133.

62 If the Jeremias-Manson explanation is accepted, then the pericope adulterae shows an insight into the

conflict produced because the Sanhedrin did not have competence in capital-punishment cases. In early second century material this point is forgotten; witness the Gospel of Peter in which it is the Jews, not the Romans, who actually put Jesus to death. R. B. Ward, « The Case for John... », p. 134.

63 Charles P. Baylis, « The Woman Caught in Adultery. A Test of Jesus as the Greater Prophet », Bibliotheca

Sacra (1989), p. 171-184.

64 « Is rarely taught with an understanding of the surrounding context » Ibid., p. 171. 65 « While the scribes and Pharisees used it to attempt to disprove His claim » Ibid., p. 172.

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