• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 Revue de la littérature au sujet de Jn 7,53-8,11

1.2 Interprétations synchroniques du texte dans sa forme

De manière générale, les travaux des méthodes synchroniques n’abordent pas l’historicité de l’arrière-plan de Jn 7,53-8,11 ou celle du texte lui-même, mais analysent celui-ci tel qu’il est dans sa forme littéraire finale. Comme plusieurs travaux, certains de ceux-ci font intervenir dans leurs analyses des éléments relevant d’autres approches.

1.2.1 Analyse littéraire et rhétorique

Certains travaux centrés sur le texte du récit de la femme adultère l’abordent dans une perspective littéraire ; d’autres sous l’angle plus rhétorique. L’article de François Rousseau publié en 1978 emploie l’analyse littéraire pour présenter le texte de Jn 7,53-8,11 comme une pièce de style oral et un paragraphe parmi d’autres du Nouveau Testament, mais qui vient briser la suite littéraire logique de deux paragraphes entre lesquels il a été souvent intercalé74. Cette analyse illustre l’hypothèse selon laquelle « le Nouveau Testament n’a pas été écrit en paragraphes, mais en groupements plus ou moins considérables de stiques75 ». Dans son argumentaire, l’auteur mentionne implicitement le contexte social de la péricope en présentant Jésus comme semblable aux hommes ordinaires, mais aussi et surtout comme différent d’eux, comme maître par excellence dont le rôle est d’enseigner76.

74 François Rousseau, « La femme adultère. Structure de Jean 7,53-8,11 », Biblica 59/4 (1978), p. 463-480. 75 Ibid., p. 464.

Pour sa part, l’article de Gail R. O’Day publié en 1992 analyse Jn 7,53-8,11 sous l’angle rhétorique en inversant la procédure habituelle qui consiste à examiner d’abord l’historicité du texte, puis à étudier son contenu77. L’auteure estime que cette procédure fige la lecture, c’est-à-dire qu’elle offre une sorte de précompréhension fixe des textes. L’analyse rhétorique, quant à elle, honore ce que l’auteure appelle la forme rhétorique du texte et permet de réexaminer sa composition comme récit. Ainsi, celui dit de la femme adultère ne se restreint pas à cette dernière et Jésus, soit au péché comme pivot opposé à la grâce. Il est plutôt possible que Jésus subvertisse le statu quo social en traitant la femme, les scribes et les pharisiens sur un pied d’égalité, une réorganisation que certains peuvent percevoir comme un chaos social. En ce sens, G. R. O’Day « suggère qu’il y avait une résistance à inclure Jn 7,53-8,11 dans les Évangiles écrits, c’est-à-dire la canonisation de ce récit, en raison des craintes androcentriques que ce texte évoquait78 », dont le contrôle de la

sexualité féminine par les hommes.

Thomas Deans aussi utilise la rhétorique, mais en lien avec la composition littéraire dans son essai publié en 201479. Les deux approches conjointes révèlent des façons inattendues par lesquelles l’écriture faite pourtant dans le silence peut fonctionner en partenariat avec la parole et persuader de telle manière que la parole seule ne peut pas. Ainsi, cet essai « se concentre sur ce bref épisode intrigant (Jean 7,53-8,11) pour explorer le pouvoir rhétorique de l’écriture en tant que performance publique, l’interaction de l’oralité et de l’alphabétisation, le rapport de l’écriture à la réflexion et la rhétorique du silence80 » à

l’action sociale. Cette approche hybride permet d’estimer que les situations rhétoriques chargées de Jésus sont créées par les circonstances dans lesquelles il entreprend d’enseigner : sous le contrôle attentif des autorités et les opinions sur son identité qui se rassemblent en un mélange de croyants, de curieux et de sceptiques.

77 G. R. O’Day, « John 7:53-8:11... », p. 631-640.

78 « I suggest that there was resistance to including John 7,53-8,11 in the written Gospels – that is, so the

canonization of this story – because of the androcentric fears this text evoked » G. R. O’Day, « John 7:53-

8:11... », p. 639.

79 Thomas Deans, « The Rhetoric of Jesus Writing in the Story of the Woman Accused of Adultery (John

7:53-8:11) », College Composition and Communication 65/3 (2014), p. 406-429.

80 « This essay focuses on that brief, intriguing episode (John 7.53-8.11) to explore the rhetorical power of

writing as a public performance, the interplay of orality and literacy, the relationship of writing to reflection, and the rhetoric of silence » Ibid., p. 407.

Comme T. Deans, Jacek Oniszczuk emploie aussi une approche hybride dans son article publié en 201781. Il utilise pour la première fois l’analyse rhétorique biblique et sémitique, une méthode en trois étapes principales décrites par Roland Meynet : le texte, le contexte biblique et l’interprétation82. En ce sens, il aborde Jn 7,53-8,11, non pas pour discuter des questions historico-critiques, mais en vue d’établir les limites de sa composition. Il se propose de relever le défi de l’interpréter « tel qu’il est maintenant dans le canon des Écritures, grâce à une analyse approfondie de sa composition83 », avec les considérations sur son contexte biblique. Il accorde une plus grande attention à la composition du récit et aux considérations sur son contexte biblique qui permettent d’aborder certaines questions d’interprétation. Celle-ci porte notamment sur les questions d’ordre grammatical et lexicographique ainsi que sur une série de textes de l’Ancien Testament que Jn 7,53-8,11 évoque. L’auteur souligne ceux qui sont derrière « la question de droit soulevée par les scribes et les pharisiens (8,4-5) sur la façon de punir l’adultère84 » et le geste mystérieux de Jésus, c’est-à-dire les traces qu’il fait de son doigt.

En plus d’analyser le texte dans sa forme, F. Rousseau, G. R. O’Day et T. Deans mentionnent des éléments du contexte social du récit tels que la ressemblance et la différence entre Jésus et les hommes de sa société, les craintes androcentriques et les circonstances où Jésus est sous le contrôle des autorités. Ces éléments devront être explicités, par exemple, par des travaux qui analysent l’arrière-plan historique et socioculturel de ce récit.

1.2.2 Analyse structurale et sémiotique

Les travaux qui utilisent l’analyse structurale et la sémiotique se concentrent de manière plus particulière à la structure du texte et aux mots comme des signes. Une contribution de Richard Rivard au livre publié en 1987 propose une analyse sémiotique du court récit de Jn 8,2-11 considéré comme un segment isolable, mais dont l’amont et l’aval ne sont pas

81 Jacek Oniszczuk, « Composition et message de la péricope de la femme adultère (Jn 7,53-8,11) », Exercices

de rhétorique 8 (2017) [https://journals.openedition.org/rhetorique/488?lang=en] (consulté le 11 octobre 2020).

82 Roland Meynet, Traité de rhétorique biblique, Pendé, Gabalda (coll. Rhétorique sémitique 11), 2013 cité

par J. Oniszczuk, « Composition… », § 2.

83 J. Oniszczuk, « Composition… », § 2. 84 Ibid., § 19.

étrangers à l’organisation des contenus85. L’auteur utilise un procédé appelé la « sémiotique

de manipulation86 ». Celle-ci sert à montrer comment les scribes et les pharisiens apparaissent comme des contestataires du savoir et du pouvoir de Jésus en manipulant la loi de Moïse dont ils se prennent pour maîtres et en refusant à Jésus le pouvoir de se hisser au niveau du destinateur de la loi et du destinateur épistémique des valeurs dans la culture traditionnelle qu’ils représentent.

Indépendamment de R. Rivard, Joseph Caillot utilise la sémiotique dans sa contribution au collectif Le Christ et la femme adultère publié en 2001 en suivant une méthode de lecture en trois temps similaire à l’analyse narrative du schéma quinaire – l’intrigue, le « centre du centre » et la résolution87. Par cette approche, l’auteur analyse le récit comme un ensemble de trois parties en Jn 8,2-11, à savoir une mise en demeure (v. 2-6) où l’enseignement de Jésus est adressé à tout le peuple ; un non-lieu (v. 7-9) centré sur « un geste silencieux et réitéré d’écriture sur le sol, accompagné de l’énoncé d’un principe de discernement des conduites humaines, susceptibles de faire naître chacun, un à un, à sa propre vérité88 » ; et

l’élargissement (v. 10-11) par un dialogue personnalisé en trois temps entre Jésus et la femme qui est maintenant quelqu’un de précis : « la femme. » Cette lecture se conclut par l’inépuisable miséricorde qui élargit sa propre exigence : « Après avoir reconnu le non-lieu de la condamnation, chacun est invité à faire d’une telle démesure sa propre demeure, à savoir l’espace toujours recommencé de sa libre marche sur la terre des vivants89. »

Pour sa part, George Aichele utilise l’analyse structurale. Il indique que son essai publié en 2004 « explore le récit problématique de la “femme adultère” (Jean 7,53-8,11) en relation avec les structures logocentriques qui définissent l’Évangile de Jean90 ». En ce sens, il interprète les deux actes d’écriture de Jésus sur la terre, propres à cette péricope, comme

85 Richard Rivard, « Loi ancienne et écriture nouvelle : une analyse sémiotique de Jean 8,2-11 », dans

Algirdas Julien Greimas et collab., De Jésus et des femmes. Lectures sémiotiques, Montréal/ Paris, Bellarmin/ Cerf, 1987, p. 135-156.

86 Ibid., p. 137.

87 Joseph Caillot, « L’espace de la libre marche », dans Dominique Meens et collab., Le Christ et la femme

adultère, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 67-92.

88 Ibid., p. 88. 89 Ibid., p. 91.

90 « Explores the problematic story of the “woman taken in adultery” (John 7:53-8:11) in relation to

logocentric structures that define the Gospel of John » George Aichele, « Reading Jesus Writing », Biblical Interpretation 12/4 (2004), p. 367.

« des textes que nous ne pouvons pas lire et qui ne peuvent donc pas signifier91 ». Il suggère que ces textes de Jésus « finissent par apparaître dans l’Évangile de Jean pour rassurer le lecteur que l’heureuse annonce a, après tout, suffisamment réussi dans sa tâche de signifier l’incarnation de la Parole préexistante, tout en annonçant la finitude inhérente et l’incomplétude de n’importe quel texte92 ».

Comme R. Rivard et J. Caillot, Anne Fortin utilise la sémiotique dans son article portant sur Jn 8,1-11 publié en 2017, mais elle ne fait pas mention de cette approche93. Celle-ci apparaît plutôt dans le style littéraire de l’auteure et dans le nom du périodique – Sémiotique et Bible – qui a publié l’article. Celui-ci se concentre sur le rapport entre les acteurs selon leurs rôles et sur la loi dans un espace. L’auteure souligne le rôle de Jésus comme un enseignant de la loi de chair par sa parole dans le Temple. Il est préféré par tout le peuple aux scribes et aux pharisiens qui figent la loi de pierre dans leurs discours. C’est pourquoi ces derniers cherchent à tuer Jésus. Ils estiment que ce dernier porte ombrage à leur enseignement et à leur autorité, et menace leur pouvoir par sa parole94.

1.2.3 Modèle transactionnel du récit

Une approche hybride dont certains éléments s’apparentent à la sémiotique est utilisée par Piet van Staden dans son article publié en 2015 qui aborde le récit de la femme adultère95. Il s’agit du modèle transactionnel du récit tel qu’exposé par Louise Rosenblatt96 et soutenu

par des termes d’aspect dramatique. Il désigne « les relations dans lesquelles chaque élément conditionne et est conditionné par l’autre dans une situation mutuellement constituée97 ». Il fait partie de plusieurs autres développés en sciences sociales et utilisés en études bibliques. Il est choisi avec soin, c’est-à-dire en fonction des textes narratifs décrits

91 « Texts that we cannot read and which are therefore unable to signify » Id.

92 « Do eventually appear in John’s Gospel, where they reassure the reader that the Gospel has after all

succeeded sufficiently in its task of signifying the incarnation of the pre-existent Word, even as they announce the inherent finitude and incompleteness of any text » Ibid., p. 267-368.

93 A. Fortin, « Comment lire… », p. 30-39. 94 Ibid., p. 32.

95 P. v. Staden, « Changing Things... », 13 p.

96 Louise M. Rosenblatt, « The Transactional Theory: Against Dualism », College English 55/4 (1993), p.

377-386 cité par P. v. Staden, « Changing Things... », p. 3.

97 « Relationships in which each element conditions and is conditioned by the other in a mutually–constituted

situation » Louise M. Rosenblatt, Writing and Reading : The Transactional Theory, Center for the Study of

Reading Technical Report no 416, University of Illinois at Urbana-Champaign, Champaign, 1988, p. 2 cité par

comme littérature de performance, ce qui est le cas de Jn 7,53-8,11. Ce critère indique que le modèle ne s’applique pas à tout texte comme « la personnalité dyadique ou la culture de la honte [qui] est devenue la position de repli explicative, une sorte de solution deus ex machina pour des problèmes exégétiques difficiles98 ». Lorsqu’il est appliqué à la réalité modélisée, c’est-à-dire au texte de la littérature de performance, il permet d’assurer son bon ajustement. Pour cette raison, il est utilisé concomitamment avec le modèle dramaturgique, une narratologie postclassique qui emploie de façon nouvelle et dynamique les théories narratologiques activées à la fois sur les niveaux d’analyse dramaturgique et de sémiotique visuelle. Ce modèle dramaturgique emploie les termes « rôle » et « statut » qui réfèrent à la culture méditerranéenne « honneur-honte ». Ainsi, l’interprétation montre comment Jn 7,53-8,11 fonctionne comme un pivot de pouvoir dans l’Évangile.

P. v. Staden se contredit dans l’explication du choix de son approche et dans l’application de celle-ci en faisant référence à la culture « honneur-honte » qu’il réfute pour choisir le modèle transactionnel de la dynamique. En d’autres termes, l’auteur prétend se distinguer des exégètes qui ont recours à la conception socioculturelle honneur-honte en Méditerranée en utilisant, pour sa part, le modèle transactionnel de la dynamique comme approche pour interpréter de manière originale Jn 7,53-8,11. Comme mentionné précédemment, ce modèle fonctionne en lien avec celui dit dramaturgique qui emploient les termes de la conception socioculturelle honneur-honte en Méditerranée.