• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 Application du concept de l’honneur à Jn 7,53-8,11

3.1 Description des personnages

3.1.3 Les scribes, les pharisiens et les anciens

Les scribes et les pharisiens ont été mentionnés précédemment comme des maîtres en Israël opposés à Jésus et maintenant comme membres du peuple dont ce dernier apparaît comme le chef. Le récit fait des mentions explicites d’eux ensemble : la nomination γραμματεῖς καὶ οἱ Φαρισαῖοι – les scribes et les pharisiens – (Jn 8,3) et la désignation αὐτοῖς – à eux – (8,7) par le narrateur ; leur autodésignation ἡμῖν – à nous (8,5). Il fait aussi des mentions semi- explicites, à savoir les désignations par Jésus : ὁ ἀναμάρτητος ὑμῶν – le non-pécheur d’entre vous – (8,7b) et οὐδείς – personne – (8,10) ainsi que οἱ δὲ – et eux – (8,9) par le narrateur. Ces mentions sont dites semi-explicites parce qu’elles renverraient également à d’autres individus présents sur la scène du drame. Il mentionne implicitement les pharisiens sans les scribes, mais avec les anciens par l’expression ἕκαστος – chacun d’entre eux – au début de la narration (7,53). En effet, les deux groupes sont les seuls personnages apparus dans le récit de la femme adultère parmi les protagonistes de l’épisode précédent (7,45- 52)404.

Soulignons l’expression πρεσβυτέρωνcomme une mention explicite et distincte des anciens (8,9). Elle semble faire référence à certains individus dans le groupe des scribes et des pharisiens qui ont posé une question à Jésus (8,4) et alors qui se retirent du temple (8,9). Selon J. Oniszczuk, presbyteroi405 est un adjectif comparatif pluriel qui « prend souvent dans la tradition juive et chrétienne un sens technique, indiquant une mission (voir Mt 15,2) ou un titre désignant les membres d’un organisme officiel, en particulier le Sanhédrin (voir

404 J. Oniszczuk, « Composition… », § 10.

Lc 22,66 ; 1Tm 4,14)406 ». L’auteur estime qu’en « Jn 8,9 on doit plutôt exclure le sens technique, parce que le contexte suggère qu’il s’agit ici simplement de gens d’un âge avancé407 ». J. D. Punch mentionne « les plus âgés » comme une deuxième possible désignation de πρεσβυτέρων, la première étant les anciens à titre de respect. En effet, « ce sont les anciens, soit ceux qui ont le plus grand respect ou peut-être ceux qui étaient “plus âgés et plus sages” qui sont les premiers à partir après que Jésus a invité les sans péché à commencer par la lapidation planifiée de la femme408 ». Pour C. P. Baylis déjà cité dans le chapitre de revue de la littérature, « le mot “aîné”, appliqué aux grands prêtres et pharisiens, impliquait leur position d’honneur409 ». De ce point de vue, les anciens du récit sont

considérés comme des personnages à part entière ayant une préséance sociale. Cette considération se justifie aussi par le rapprochement entre Jn 7,53-8,11 et les épisodes Mc 11,21-12 et Lc 20,1-19 où les anciens font partie du groupe des grands prêtres et des scribes qui remettent en question l’autorité de Jésus410.

En Jn 7,53-8,11 comme dans ces épisodes auxquels ce récit est rapproché, les anciens forment avec les scribes et les pharisiens un même cercle d’amis ou une famille de substitution au sein du peuple d’Israël et qui cherchent à acquérir l’honneur de Jésus411. L’épisode précédant ce récit et le début de celui-ci mentionnés précédemment indiquent une proximité particulière entre les anciens et les pharisiens au sein de cette famille de substitution. Ils y apparaissent comme des équipes d’hommes jouant le rôle de chef même au sein du groupe national, c’est-à-dire du peuple.

Ce sont d’abord les pharisiens qui jouent assez clairement ce rôle auquel ils associent les scribes. En effet, ils reviennent de leurs maisons (7,53) et se rendent au temple avec ceux- ci, traînent avec eux une femme accusée d’adultère (8,3), la placent au milieu de la foule

406 J. Oniszczuk, « Composition… », § 8. 407 Id.

408 « It is the elders, either those with the greater respect or perhaps those who were “older and wiser” who

are the first to depart after Jesus invites the sinless ones to commence with the planned stoning of the woman»

J. D. Punch, , « The Piously… », p. 16.

409 « The word “eldest” when applied to the chief priests and Pharisees, implied their position of honor »: C.

P. Baylis « The Woman Caught… », p. 182. Voir la section 1.1.2, chapitre 1 de ce mémoire.

410 J. Rius-Camps, « The Story… », p. 379-405 cité par C. Keith, « The Initial Location... », p. 209.

Explications détaillées, voir la section 1.1.1, chapitre 1 de ce mémoire.

411 Au sujet du cercle d’amis comme famille de substitution, lire B. J. Malina, The New…, p. 36. Dans ce

(8,4) et prennent ensemble la parole en public qu’ils adressent au maître Jésus (8,5). Par cette adresse, ils semblent adopter une attitude de disciples qui cherchent une réponse auprès de Jésus reconnu comme un nouveau jeune maître venu de Galilée412. Toutefois, Brad H. Young précise que les pharisiens se présentent à Jésus comme des interprètes de la loi, un rôle où les scribes occupent une place importante413. De ce point de vue, ils sont des maîtres de la loi, et non pas des disciples de Jésus. Ils apparaissent aussi comme des chefs du peuple, ou des chefs religieux selon Amy Smith Carman414, en se prenant pour des autorités qui contrôlent la chasteté des femmes du groupe national415 : « Cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère […]. Moïse nous a ordonné de lapider de telles femmes » (8,4-5).

Michel Gourgues fait remarquer la mention régulière des pharisiens parmi les opposants de Jésus en Jn 7-8416. Pour sa part, le narrateur souligne que ces pharisiens et les scribes

parlaient à Jésus « pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser » (8,6a). Encore M. Gourgues explique que le verbe accuser, katēgoreō417, « renvoie à une démarche publique

accomplie devant une instance officielle – notamment le pouvoir romain – et visant à faire mettre quelqu’un à mort418 ». De ce point de vue, les pharisiens et les scribes cherchent à

tuer Jésus et, en ce sens, ils sont ouvertement ses opposants. Comme ils forment un groupe à part, ils sont en compétition avec lui en vue d’acquérir l’honneur lié à son rôle de maître de la loi et à celui de chef du peuple. Le meurtre qu’ils cherchent à commettre est un défi du premier degré, dit outrage, lancé à son honneur et dont il ne pourrait pas se tirer d'affaire419. Par ailleurs, ils auraient commis un sacrilège par ce meurtre s’ils reconnaissaient Jésus comme chef du peuple auquel ils appartiennent420. De ce fait, ils

412 B. H. Young, « “Save the Adulteress!”… », p. 68. Explication détaillée, voir la section 1.1.1, chapitre 1 de

ce mémoire.

413 Id.

414 A. S. Carman, « The Abusive Religious... », p. 8-11. Voir la section 3.2 du chapitre 1 de ce mémoire. 415 B. J. Malina, The New…, p. 47. Au sujet de l’homme dont le rôle comprend le contrôle de la sexualité des

femmes de son groupe social : les sections 2.3.3.1 et 2.3.3.2, chapitre 2 de ce mémoire.

416 M. Gourgues, « Moi non plus… », p. 308.

417 Cette translittération est aussi de l’auteur lui-même. 418 M. Gourgues, « Moi non plus… », p. 313.

419 Rappelons que « every social interaction that takes place outside one’s family or outside one’s circle of

friends is perceived as a challenge to honor, a mutual attempt to acquire honor from one’s social equal ». B.

J. Malina, The New…, p. 36. Au sujet du meurtre comme défi du premier degré: Ibid., p. 44. Dans ce mémoire, voire la section 2.4.2.1, chapitre 2.

apparaissent comme des groupes sans honneur. Il en est de même du fait qu’ils se retirent de la scène sans répondre à Jésus (8,9), avouant ainsi leur défaite dans la compétition engagée avec lui421.

D’autre part, ils agissent comme des courtiers422, c’est-à-dire des mandataires des anciens,

étant donné que ceux-ci se retirent en premier après avoir entendu la réponse de Jésus à la question posée par ceux-là. En se retirant en premier, les anciens apparaissent comme des chefs des scribes et des pharisiens dont ils assument l’échec et l’humiliation. Comme le peuple est sous-entendu après Jn 8,3 et que tous se retirent après les anciens, ce peuple semble faire allégeance plus à ceux-ci qu’à Jésus resté seul et la femme au temple (8,9). De ce point de vue, les anciens seraient des chefs du peuple. Toutefois, celui-ci semble tiraillé entre deux autorités en conflit, celle de Jésus envers qui il a du respect en venant à lui et celle des anciens représentés par les scribes et les pharisiens qui l’entraînent à laisser Jésus au temple. Ce retrait du peuple serait aussi sa manière de prononcer le verdict pour la victoire de Jésus en compétition avec les scribes et les pharisiens.