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Chapitre 2 L’honneur dans l’univers socioculturel méditerranéen du Nouveau Testament

2.5 Mécanismes de préservation de l’honneur dans les interactions sociales

2.5.3 L’hospitalité

L’hospitalité préserve l’honneur des personnes étrangères en entourant celui de l’invité du caractère sacré et en respectant les rôles de l’hôte et de l’invité. Cette vision est inspirée du code de l’hospitalité de la Grèce antique qui formalise un mythe selon lequel le dieu Zeus se déguise, de manière inattendue, à la fois en étranger et en mendiant.

La mythologie grecque conçoit Zeus comme le chef de tous les dieux et, en ce sens, l’être le plus sacré. Il est connu et admiré par les Grecs. De ce fait, il n’est pas un étranger au sens de l’inconnu ni un mendiant. Son déguisement en étranger signifierait que « le plus sacré de tout devrait être lié à de l’étranger339 ». Ce qui est un renversement de perception du dieu

Zeus qui, tout en restant le plus sacré, n’était plus un étranger pour les Grecs. De fait, la mentalité ambiante conçoit l’étranger comme quelqu’un qui appartient au monde « extraordinaire », c’est-à-dire sacré et qui est inconnu. Comme inconnu, « l’étranger est entouré du mystère qui l’allie au sacré340 ». Par son appartenance au monde mystérieux ou

inconnu, l’étranger est dangereux. Pour éviter ce danger, « il faudrait lui refuser l’admiration, ou le pourchasser ou encore le séduire comme des esprits ou des vampires, ou, s’il est admis, il doit être socialisé, c’est-à-dire sécularisé dans un processus qui

337 « As co-clients to the same Patron-Broker, the disciples had to learn to be benevolent and gracious to the

other disciples, and to have greater reciprocity among themselves as equals » N. F. Santos, « Family,

Patronage… », p. 222.

338 « They needed to see that they were not competitors or follow combatants for honor, but rather colleagues

and fellow-contributors to the honor of their gracious and generous Patron-Broker » Id.

339 « The most sacred of all should be allied to the outsider » Julian Pitt-Rivers, « The Law of Hospitality »,

The Fate of Shechem or the Politics of sex : Essays in the Anthropology of the Mediterranean, Cambridge

University Press, 1977, dans Giovanni da Col et Andrew Shryock (dir.), From Hospitality to Grace. A Julian

Pitt-Rives Omnibus, Chicago, HAU Books, 2017, p. 170.

implique nécessairement une inversion341 ». Même étant socialisé, « l’étranger est toujours potentiellement hostile342 » et pourtant il est aussi le mendiant343. À première vue, le déguisement du bon dieu Zeus déjà socialisé en étranger apparaît aux Grecs comme une ambiguïté. À deuxième vue, « le fait que le dieu prenne la forme d’un étranger ou d’un mendiant assure le respect du devoir moral d’hospitalité344 ».

Cette vision donne lieu à la loi de l’hospitalité qui se fonde sur une ambivalence. Manifestement, « elle impose l’ordre par un appel au sacré, elle fait de l’inconnu le connu et elle remplace le conflit par l’honneur réciproque. Elle n’élimine pas complètement le conflit, mais le met en suspens et elle interdit son expression345 ». Suivant cette loi, l’hospitalité « implique une transformation de l’étranger hostile, hostis, en invité, hospes (ou hostis) ; [il s’agit de] transformer celui dont les intentions sont supposées hostiles à celui dont l’hostilité est mise en suspens346 ». Cette transformation de l’ennemi en invité

signifie : « Au lieu de traiter l’étranger avec hostilité, il doit être serré contre la poitrine, être honoré et avoir la priorité ; au lieu d’être abusé, il faut le secourir ; au lieu d’être le dernier, il doit être le premier, au lieu d’être une personne qui peut être insultée librement, il devient celui qui ne peut en aucun cas être dénigré347. »

Plus pratiquement, l’hospitalité « implique l’échange d’honneur. L’hôte et l’invité doivent s’honorer mutuellement348 ». Cet honneur désigne le respect des rôles de l’hôte et de

l’invité qui sont limités à leurs territoires respectifs. L’hôte est défini comme quelqu’un établi sur le territoire où « il revendique l’autorité. En dehors de cela, il ne peut pas

341 « If this danger is to be avoided he must either be denied admittance, chased or enticed away like evil

spirits or vampires, or, if granted admittance, he must be socialized, that is to say secularized, a process which necessarily involves inversion » Id.

342 « The stranger is always potentially hostile » Ibid., p. 170. 343 « The stranger is also the beggar » Id.

344 « The fact that the God took the form of the stranger or beggar ensured the enforcement of the moral duty

of hospitality » Id.

345 « It imposes order through an appeal to the sacred, makes the unknown knowable, and replaces conflict by

reciprocal honor. It does not eliminate the conflict altogether but places it in abeyance and prohibits its expression » Ibid., p. 178.

346 « The inversion implies a transformation from hostile stranger, hostis, into guest, hospes (or hostis), from

one whose hostile intentions are assumed to one whose hostility is laid in abeyance » Ibid., p. 172-173.

347 « His transformation into the guest means therefore that, from being shunned and treated with hostility, he

must be clasped to the bosom and honored and given precedence ; no longer to be suborned, he must be succored ; from being last, he must be first, from being a person who can be freely insulted he becomes one who under no conditions can be disparaged » Ibid., p. 172.

maintenir ce rôle. Quelqu’un ne peut pas être un invité sur un terrain où il a des droits et des responsabilités349 ». Bien que l’invité jouisse d’une certaine préséance accordée par l’hôte, il ne remplace pas ce dernier. Aussi, l’invitation peut être refusée sans que les deux protagonistes n’en soient déshonorés. De même, par l’envoi et l’acceptation de l’invitation, l’hôte et l’invité ne se déshonorent pas, mais s’honorent mutuellement.