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Perte et absence/ ab-sens dans Dans ma maison sous terre

II.5.a.1.L’écriture du laboratoire chez Delaume

I. La perte et l’absence/ ab-sens

I.1. Perte et absence/ ab-sens dans Dans ma maison sous terre

Dans Dans ma maison sous terre, lřauteure-narratrice souffre de lřabsence et de la perte de ses parents, de la vérité et de lřidentité. Dřailleurs, Delaume déclare lors dřune interview que lřabsence pourrait être lřénergie motrice de toute écriture :

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GOUNELLE A. et B. RAYMOND, En chemin avec Paul Tillich, Berlin-Münster-Wien-London-Zürich, Lit Verlag, 2005, p.51.

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(…) on nřest quřavec lřabsence. Elle pèse en creux et on se démène pour la combler, cřest une perte dřénergie épouvantable. Quand on a trop dřabsents, on nřest plus dans la vie. Et puis écrire sans être motivé par lřabsence, cřest aussi agréable, parce que creuser au fond de soi peut sřavérer une forme de facilité.187

Les grands absents qui ont bouleversé la vie de lřauteure-narratrice sont ses parents, morts assassinés lors dřun double homicide : son père tue sa mère et se suicide sous ses yeux. Dřailleurs le roman sřouvre sur la scène de lřauteure-narratrice assise devant la tombe de sa mère : « Ce que je fais ici, cřest rester sur cette tombe, B5 touchée coulée. Assise. Parfois debout, devant ou à côté. Dedans il y a ma mère, et le grand-père dessus.188 »

Cette scène dramatique a traumatisé à vie lřauteure-narratrice puisquřelle revient sans cesse harceler son esprit : « Je ne pourrais pas dire j’ai tout vu. Tout. Rien inventé. Je me protège dřHiroshima. Mes fantômes resteront, captifs, mon âme une ombre (…) Jřai peur que tout remonte car jadis j’ai tout vu. Tout. Rien inventé189». Elle se rappelle alors que cet évènement traumatisant lřa privée de faire ses adieux à sa mère : « je ne lui ai pas dit au revoir. La dernière image dřelle cřest son corps qui sřévide carrelage de la cuisine. Je voulais voir un corps allongé sur la table et inventer sa vie pendant la préparation aux adieux190 ». Le vide et le manque prennent alors place dans lřâme de lřauteure-narratrice incapable de saisir un dernier moment avec le cadavre de sa mère :

Ce qui est traumatisant, cřest un cercueil fermé durant la messe dřadieu, parce que maman sans tête nřétait pas présentable. Savoir où elle en est me rassurerait beaucoup. Quelques images concrètes plutôt que des souvenirs me permettraient sûrement de ne plus souffrir du manque. Je serais raisonnable si on me le montrait191.

Le fantôme de la mère hante alors les pensées de lřauteure-narratrice : « Souvent, je me dis quřelle a froid. Sous terre, la température est constante, 13°. Ses os doivent être transis, et cřest tout ce quřil en reste. Ma mère, un squelette perforé. Cřest à ça que renvoie le mot

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DELAUME, Chloé cité in LORET, E., Interview. « Chloé Delaume assassine sa grand-mère », op. cit.

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DELAUME, Ch., Dans ma maison sous terre, op. cit., p.7.

189 Ibid., p.188-189. 190 Ibid., p.187. 191 Ibid., p.153.

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maman, pour moi, dans la réalité192». Lřauteure-narratrice submergée par la solitude pense aussi à celle des morts sous terre : « Les morts sont souvent seuls, les vivants le savent bien, mais quelque part, je crois, ils ne peuvent le supporter193». La solitude et lřabsence de la figure maternelle pousse lřauteure-narratrice à inventer des scènes imaginaires lui permettant dřentrer en contact avec elle :

Jřimagine ce que ça me ferait si à la place dřune tombe ma mère était un arbre, et je trouve ça grotesque. Jřirais pleurer dessous, je me frotterais à lřécorce, je mâchouillerais les feuilles, je lui parlerais sûrement. Jřinterpréterais ses ombres et ses moindres mouvements, la tête dans les branchages. Je ferais semblant de croire quřelle nřest pas vraiment morte puisquřelle permet la vie.Je ne trouve pas ça très sain, ni pour lřancien vivant, ni pour ceux qui le visitent194

.

La comparaison de la mère avec un arbre révèle lřincapacité de lřauteure-narratrice à accepter sa perte en désirant la réincarner sous forme dřarbre qui « permet la vie » pour pouvoir profiter de sa présence et de sa tendresse. Ses pensées désespérées lřentraînent de ce fait dans une forme de névrose, mais selon elle il sřagit de « la névrose dřabandon, on a beau la connaître et même lřapprivoiser on ne lřéradique pas. Un sentiment en creux, dans les bras de lřabime la berceuse prend racine, un seul hêtre vous manque et tout est calciné195 ». Ainsi, le grand manque est celui de la mère, un seul être (« hêtre ») qui pourrait le combler.

La perte et lřabsence de la mère pousse alors lřauteure-narratrice à entrer dans un jeu avec les morts en entreprenant dřécouter leurs confessions sous forme de chant. Toutefois, lřauteure-narratrice nřest pas prête à oublier lřévènement tragique qui a tout bouleversé dans sa vie « j’ai tout vu. Tout. Rien inventé196 », et de ce fait toute forme de joie disparaît de son univers : « Jřai trente-cinq ans, un an de plus que jamais nřaura ma mère. Je lui survis officiellement. Je suis une femme, plus son enfant. Je nřarrive pas à mřen réjouir 197». Et dans une scène dřanalysant/analyste la narratrice explique et comprend les réactions de Théophile ainsi que de son psychanalyste qui lui font remarquer quřelle cherche à se réincarner dans lřimage de sa mère :

Théophile tousse un peu et me demande ce que ma mère aurait rêvé de faire de sa vie. Je réponds écrivain. Il sourit. Je mřénerve. Le coup de la maman qui survit en fifille, de fifille qui sřapproprie la vie de sa maman, de cřest trop tard 192 Ibid., p.187. 193 Ibid., p.156. 194 Ibid., p.152. 195 Ibid., p.127. 196

Ibid., p.188. (Lřitalique est de lřauteure)

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pour lřautre et cette autre nřest pas vous, le Dr Lagarrigue me lřa fait récemment.198

Ainsi, traumatisée par la scène du crime et souffrant de lřabsence notamment de la mère, lřauteure-narratrice crée un lien particulier avec la mort en contractant des pulsions de mort qui la poussent aux limites de la folie : « Jřai des pulsions de mort tous les après-midi. Ça me prend au réveil, ce nřest même pas brutal plutôt doux et tranquille. Le vide est lancinant. Jřhésite deux ou trois fois dans la journée199

». La mort obsède donc lřauteure-narratrice et émerge même dans ses rêves :

Chaque nuit je perds mes dents dřune façon différente. Elles sřeffritent, se dissolvent, en dominos se déracinent, parfois je les crache par poignées. Il nřy a pas de sang. (…) Je connais comme tout le monde la symbolique des dents. Les petits os à vif et lřangoisse de la mort, la faiblesse et la chute de la vitalité(…) ça ne sřarrête pas, chaque nuit je perds mes dents de façon différente et chaque jour je redoute que mes gencives ne soient veuves200.

La mort et les morts envahissent, à cet effet, la pensée de lřauteure-narratrice et la motivent pour entreprendre lřécriture dřun livre au sein dřun cimetière en écoutant des défunts « ressuscités », en train de se confesser. Ce projet dřécriture est accompagné dřun mal-être qui nřarrive pas à sřapaiser : « Jřai attrapé la maladie de la mort le 30juin 1983. Depuis je nřavance quřen rappel. Jřai essayé lřamour, lřamitié et la drogue. Mais ça nřa rien changé. Toujours le même mal-être qui en sale parasite dévore le cœur et lřâme : je ne guérirais pas201. »

Par ailleurs, la figure paternelle ne représente pas le manque mais elle est le symbole même de lřabsence dans ses différents sens : absence physique et absence de tendresse et dřamour. En effet, son père les laissait souvent seules, sa mère et elle, en partant en mer( étant un marin) pendant des semaines, cette absence nřaffecte toutefois en rien lřanonymat de la famille :

Ma mère tenait beaucoup à la réputation de la famille, comme si cette dernière nřétait pas à tout point anonyme, comme si le fait dřêtre professeur lui conférait lřaura des instituteurs sous Pagnol, comme si la ville entière avait les yeux braqués sur nous. Nous = ma mère + moi + [le père : ses absences]202.

En outre, lřauteure-narratrice décrit un père violent qui veut même imposer ses points de vue politiques :

198

DELAUME, Ch., Dans ma maison sous terre, op. cit., p.138.

199 Ibid., p.129. 200 Ibid., p.61. 201 Ibid., p.127. 202 Ibid., p.56.

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Ma mère connut deux hontes mettant en danger la réputation de la famille. La première était le patronyme Abdellah qui fut bienheureusement raclé au profit dřun autre plus gaulois. La seconde fut son adhésion de force au Parti socialiste. Un soir mon père revint avec des tracts, et lřemmena dans une soirée. Il nous a longtemps battus avant quřelle lui dise oui. Quand ils revinrent ma mère criait. (…)Jřavais peur quřils mřappellent, je me mordais les doigts dans le fond de mon lit203.

Et même pendant lřabsence du père, lřauteure narratrice et sa mère vivaient dans la peur de lřombre de ce père tyrannique : « une torture du père à distance, sournoisement. Un contrôle de nos heures, ficelles à nos mouvements 204 ».

Chez le psychanalyste, lřauteure-narratrice dit ne retenir de son enfance que la violence du père qui la battait, une violence qui a atteint son paroxysme lorsquřil est devenu le bourreau qui a assassiné sa mère devant ses yeux. Etant témoin de cette scène traumatisante, lřauteure-narratrice se définit alors comme psychotique : « Quand on est psychotique on ne perd pas son temps sur un divan moelleux. On a bien mieux à faire. Eviter que papa nřapparaisse dans le couloir et quřil vous dise viens là, viens là je třai raté. Enfin cřest un exemple205». Lřauteure-narratrice opte alors pour un châtiment très particulier, celui de dépouiller son père de son nom, et dans ce sens le rayer de son existence : « Mon père ne doit être Sylvain que pour moi, pour les autres il doit être ton, son, le père. Je dépouille lřhomme de son prénom, plus personne ne pourra le nommer, alors il ira en enfer. Jřapplique les châtiments que je peux 206

». Notons que le choix du verbe « dépouiller » est très significatif puisque si nous nous référons au dictionnaire Larousse en ligne (larousse.fr), la première signification donnée est « enlever la peau dřun animal 207» qui renvoie donc au démantèlement physique ; cřest-à-dire que lřauteure-narratrice voudrait réduire son père à un corps voire même à un objet, et le violenter en le démantelant comme le ferait un enfant avec ses jouets. En outre, la cinquième définition de ce verbe est « prendre quelque chose à quelquřun malgré lui, le lui soustraire, lřen priver, le déposséder208 », traduit effectivement cet acte de dépossession quřa effectué lřauteure-narratrice pour se venger de son père ; et remarquons aussi que la conjugaison du verbe

203

DELAUME, Ch., Dans ma maison sous terre, op. cit., p.56.57.

204 Ibid., p.57. 205 Ibid., p.62. 206 Ibid., p.47. 207

Dictionnaire Larousse en ligne :

http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9pouiller/23885?q=d%C3%A9pouiller#23762 (consulté le 02-01-2014).

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« dépouiller » avec le pronom personnel « je » le confond avec le nom dérivé du même verbe « la dépouille » qui renvoie à un corps mort.

Enfant traumatisée, haïssant le père et étant en manque de la mère, après lřévènement tragique, lřauteure-narratrice, métamorphosée en « une boule de haine 209

», est accueillie par la famille de son oncle, et elle est alors confrontée à une absence de compréhension de son état psychologique, son oncle et sa femme lui inspiraient à cet effet « un mépris abyssal 210» :

Lřorpheline, qui rappelons-le est 50°/° arabe, ne savait que souiller. Négation de lřintimité, incapacité à intégrer la notion dřaltérité aussi. Penser lřadolescent comme un individu, non comme une créature modelable à merci. Respecter le deuil, comprendre le choc. Accepter que le choc ait eu lieu et quřelle en ait été témoin. Que ça ait brisé quelque chose. Que dans le reflet de la vitre, accoudée à la table, elle voit parfois son père, son père qui la menace avec une arme à feu211.

Lřabsence définit aussi le rapport de lřauteure-narratrice avec sa grand-mère, en effet, elle décide de couper court avec elle pour la punir :

La grand-mère que je voulais punir, par mon absence cřest bien ça, déjà la punir. Parce quřelle sřétait refusée à venir déjà chez moi (…) elle se déplaçait dans le Sud pour aller chez tante Jeanne (…) mais quitter sa banlieue pour venir à Paris, dans un taxi payé, elle ne le pouvait pas (…) Venir cřétait admettre que je mřen étais sortie212

.

Selon lřauteure-narratrice les deux femmes ne se sont pas vues depuis une longue période : « Je ne lřai pas vue depuis longtemps, si longtemps quřelle a dû faner, blanchir et se poudrer encore, au riz rance, oui, bien davantage 213 ». Ne plus être en contact avec sa grand-mère est ainsi pour lřauteure-narratrice une manière de la châtier pour lřavoir abandonnée, sous-estimée et humiliée à plusieurs reprises. Lřauteure-narratrice lui en veut surtout de ne pas remplir sa fonction de grand-mère et dřêtre indifférente à sa souffrance :

Comment peux-tu encore oser te regarder quand je pense à ces fois où je venais chez toi perdue et suicidaire et où tu ne mřoffrais que tes foutus gâteaux, tes plaintes, tes jérémiades, tes choix de vernis à ongles, jamais tu nřas daigné me proposer ton lit, ton canapé en velours pourtant se dépliait. Egoïste, narcissique, une purulence, cœur sec214

.

209

DELAUME, Ch., Dans ma maison sous terre, op. cit., p.42.

210 Ibid., p.43. 211 Ibid., p.43. 212 Ibid., p.43. 213 Ibid., p.33. 214 Ibid., p.123.

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Et au cœur dřun monologue lřauteure-narratrice sřexplique : « cette vieille carne égoïste ne pourra reconnaître en toi quřune égarée, une perdue, mon premier livre une merde de

petite salope voilà ce quřelle mřa dit essayant dřêtre hautaine pour camoufler la crudité de

lřinsulte sous le vernis 215

». Elle se rappelle aussi de son sang froid dans le tribunal : « au tribunal elle dira : je ne mřen souviens pas. Puis : je nřai jamais dit ça. Suivi de : elle invente. (…) Une merde de petite salope et un tissu de saloperies. Voilà ce quřelle a dit, votre honneur, je vous le jure. Sa voix ne tremblait même pas216 ». La « bêtise » de la grand-mère pousse lřauteure-narratrice à faire un choix crucial, seule lřune dřelle pourrait exister :

En finir avec moi, en finir avec ça, ce nřest pas du tout pareil. En finir avec moi, cřest tuer Chloé Delaume et laisser Igor veuf. En finir avec ça, cřest mettre un terme à une histoire familiale impossible à gérer. Une histoire si vorace quřelle impose ses victimes et exige pour se clore un dernier sacrifice. Cřest la grand-mère ou moi. Et je ne suis pas certaine de vouloir me dévouer. Pourtant je pourris de ne céder à lřappel, à la trame narrative que cette fiction prescrit217

.

La relation de lřauteure-narratrice avec sa grand-mère était donc sous tension et elle le sera davantage à cause dřun nouvel évènement. En effet, en 2004 lřauteure-narratrice rencontre sa cousine qui lui révèle un secret dévastateur : « ma cousine donc, alors, mřa informé avec un sourire désarmant de bonne foi quřelle avait eu, par la grand-mère, une

nouvelle qui va te faire plaisir »218. Cette nouvelle fait sécrouler lřunivers de la protagoniste de Dans ma maison sous terre et rouvre sa plaie : « je suis la plaie de ma famille. Je refuse de cicatriser 219». Et cřest ainsi que dřautres formes de lřabsence/perte émergent dans le texte : lřabsence de la vérité, la perte de lřidentité et la perte du contrôle sur son existence.

Lřauteure-narratrice, orpheline depuis vingt-cinq ans, pendant lesquels elle a lutté pour survivre au traumatisme dřavoir assisté à un double homicide et dřêtre ainsi la « fille dřun assassin [… et] dřun suicidé220

», et étant sur le point de faire le deuil « jřavais réglé mes contes et je voulais la paix 221», se retrouve confrontée à sa bâtardise surprise : « Je ne sais plus qui je suis à cause dřune soustraction. (…) On m'a enlevé mon père, c'est un gouffre

215

DELAUME, Ch., Dans ma maison sous terre, op. cit., p.44. (Lřitalique est de lřauteure).

216

Ibid.., p.44. (Lřitalique est de lřauteure).

217 Ibid., p.129-130. 218 Ibid., p.45. 219 Ibid., p.87. 220 Ibid., p.49. 221 Ibid., p.43.

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sans fond, je suis au puits d'Alice, les jupons alourdis de questions amidon 222». Cette nouvelle était comme de la foudre pour lřauteure-narratrice, et elle a du mal à la saisir : « Sylvain n’est pas ton père, ce nřest pas une phrase correcte, elle relève de lřinacceptable dans la bouche de la cousine223

» ; en effet, il sřagit pour elle dřune réalité inadmissible qui enfonce davantage le couteau dans la plaie et noircit encore plus, une histoire familiale déjà très difficile à gérer, elle sřinterroge alors auprès de Théophile : « jřétais la fille dřun suicidé, à présent ce que je suis, dites le moi Théophile, dites, comment ça sřappelle224

». Sa croyance en elle et même en Dieu sřeffondre :

Jřai foi en Némésis, je sais quřelle me guidera. Théophile soupirant : vous ne croyez plus en Dieu mais en une déesse grecque, voilà qui ne sřarrange pas. Ce nřest pas nřimporte laquelle, cřest celle de la vengeance, quand je mřadresse à elle je ne parle pas au plafond, Némésis comprend tout, Némésis nřa pas de père, elle est née de la Nuit, dans la Théogonie : le don de ce qui est dû225.

La déesse grecque Némésis représente donc deux réalités qui obsèdent lřauteure-narratrice : dřabord la vengeance contre tous ceux qui lřont élevée dans le mensonge et, comme une Némésis née de la nuit, elle tente de rompre toute filiation avec le père ( faux père ou père biologique). Sa vengeance se dresse dřabord contre sa grand-mère, lui reprochant dřavoir trop attendu pour la délivrer dřun passé trop pesant :

Pourquoi elle nřa rien dit, et quřest-ce quřil lřa amenée à la révélation. Attendre tant dřannées pour lâchement faire tourner mon germe de bâtardise. Elle aurait pu avant, bien avant, tant de fois. En tête à tête aussi, oui, combien dřoccasions. (…) Elle aurait dû le dire bien avant, plein de fois. Quand je vomissais mon père en lavage dřestomac, quand je tremblais à lřidée que la schizophrénie relève de la génétique. Quand jřai écrit un livre qui ne parlait que de lui(…) elle aurait dû le dire, oui, cřétait un devoir. Une grand-mère doit toujours protéger ses enfants et ses petits-enfants sinon à quoi elle sert. La mienne vraiment à rien226.

Elle pense alors que sa grand-mère agit en égoïste puisque « pourquoi parler en 2004, si ce nřest pour me récupérer. Ravoir enfin sa petite fille, lřaînée de ainée, autour de sa carcasse peu à peu replacer les pions227 ». Lřauteure-narratrice entreprend alors dřécrire tout un livre pour se venger dřelle puisque « la grand-mère savait tout, et depuis le début

222

DELAUME, Ch., Dans ma maison sous terre, op. cit., p.68.

223 Ibid., p.48. 224 Ibid., p.49. 225 Ibid., p.120. 226 Ibid., p.35. 227 Ibid., p.70.

69 (…) Et, jamais elle nřen a rien dit228

». Elle nřexige pas alors des excuses de la part de sa grand-mère car « il est beaucoup trop tard. Elle mřa laissé pousser à lřombre dřun mensonge, dans un terreau poisseux de folie et de sang. Une plante carnivore mřa grignoté le cœur. Aujourdřhui il est temps quřelle lui saute à la gorge229

».

Lřauteure-narratrice se retrouve de ce fait la victime « dřune fiction qui sřest très mal