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Perspective et intrigue

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Chapitre I – Problématique

2. Construire la subjectivité et le sens

2.1. Perspective et intrigue

Jusqu’ici, nous avons personnalisé l’activité d’apprendre comme inventer, en la situant du point de vue du Sujet singulier qui la vit. En choisissant le champ de la Didactique professionnelle, auquel vient s’adjoindre une didactique du Sujet, nous avons fait le choix de ce qui nous semble en harmonie avant tout avec notre expérience vécue depuis des décennies sur des terrains de formation très divers : nous nous sommes focalisés sur « le sujet capable, pragmatique et agissant, et non sur le sujet épistémique et connaissant » (Pastré & Rabardel, 2005, 3). Quand nous disons que le Sujet opère un passage du Savoir à la Connaissance qui lui est appropriée, nous ne disons pas que l’action est subordonnée à la connaissance, mais que la construction du Sujet comme Sujet capable, par lui-même « ne consiste pas d’abord pour lui à construire des connaissances, mais à se transformer lui-même dans un processus de développement »

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(Pastré & Rabardel, 2005, 3). Nous sommes en accord avec cette théorie : la place du Sujet se comprend à partir de son activité. Et en l’occurrence, l’activité du Sujet dans l’apprendre comme inventer, est une construction de sens dans le but de s’approprier le Savoir, incorporation qui a elle-même pour but de pouvoir-faire, et que le Sujet de ce pouvoir-faire soit reconnu comme compétent. Le travail de ce que nous avons commencé à appeler inférence inductive, et que nous détaillerons dans le sous-chapitre trois de cette première partie, doit s’appuyer sur des ressources qu’il nous faut découvrir. Pour ces auteurs, « Un sujet privé de ses ressources est profondément affecté dans son pouvoir de faire. » et : « un sujet ne peut pas se confondre avec les ressources dont il dispose, autrement dit de s’engager dans des genèses. Les schèmes, concepts, instruments, genres, mondes dont dispose un sujet constituent le domaine du

préorganisé27 dans l’activité au sein duquel, dans le fonctionnement courant, le sujet puise. Mais survient une crise, une rupture, et l’on peut voir alors que le sujet ne peut pas se confondre avec l’organisation de son activité : il est irréductible et insubstituable par rapport à elle. Cela n’est pas facile à comprendre, car cela revient à admettre qu’on ne peut pas assigner une place précise au sujet. Le sujet n’est ni dans une place, ni dans une autre : il est dans le mouvement qui permet de passer d’une place à l’autre » (Pastré & Rabardel, 2005, 4). L’analyse de l’activité d’apprendre comme inventer ne fournit que des traces d’absence d’un préorganisé. Où le Sujet puise-t-il alors les ressources pour opérer des inférences inductives ? Certes, le Sujet n’a pas de place précise. Ce qui apparaît dans le résultat, c’est le passage du Sujet lui-même d’une place à l’autre, c’est-à-dire que le Sujet n’est pas dans le mouvement, mais il est le mouvement. Et les auteurs nous fournissent une heuristique compatible avec nos hypothèses : « …ne cherchons pas à imaginer un sujet régalien, qui constituerait dans une sorte de toute-puissance le monde qui l’entoure » (Pastré & Rabardel, 2005, 4). Pour le moment, nous formons seulement l’hypothèse d’une spécificité du Sujet de l’apprendre comme inventer : les ressources pour le Sujet y seraient alors spécifiquement disponibles, car inventées à partir de lui-même, ce qui est de prime abord incompréhensible.

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Il nous faut penser le monde subjectif de l’acteur pour comprendre ce qui fait sens et comment se construit le sens. « Quelles sont les conditions méthodologiques pour élucider le sens que les hommes construisent de leur situation ? (…) Pour cela, il faut pouvoir pénétrer dans le monde subjectif de l’acteur, dans son monde vécu » (Dejours, 2002, cité par Jouanneaux). Jouanneaux parle, à propos de l’acteur en situation, de « comprendre son action de sujet. » (souligné par l’auteur, Jouanneaux, 1999, 43) Et pour nous, comprendre l’action de sujet apprenant ne se réalisera pas par une approche positiviste top-down. L’analyse de l’activité, à la genèse de l’analyse ergonomique du travail, est de type ascendant, bottom-up (Wisner). L’analyse d’activité, aussi bien d’apprenti pilote à l’atterrissage que celle de chercheur en action de conceptualiser, ne s’épuise pas par la collecte d’éléments qui seraient listés au sein de processus historisés. Dans son article « Travail et sens du travail », Yves Clot rappelle que pour Christophe Dejours, « le problème du sens », dans l’analyse du travail, « est central » (Clot, 2004, 330)28. Et que « l’objet de la psychodynamique du travail n’est pas le travail. », mais les « dynamiques intra et intersubjectives puisque la subjectivité est construite au prix d’une activité sur soi-même, sur son expérience vécue et sur ses déterminations inconscientes », « …la psychodynamique du travail n’est pas une psychologie du travail mais une psychologie du sujet. » (Clot, 2004, 317) Le travail humain est un travail de subjectivation, comme « activité sur soi ». Et « le sens du travail n’est pas dans le travail » lui-même, car l’écart entre le travail prescrit et le travail réel ne renvoie pas seulement aux compétences de l’opérateur ni à ses capacités personnelles de savoir et de comprendre. Renforçant son point de vue avec Curie et Dupuy (Clot, 2004, 319)29, Yves Clot nous dit que « si le travail réel n’est pas conforme au travail prescrit, c’est que la femme ou l’homme ne sont pas seulement des producteurs mais des acteurs engagés dans plusieurs mondes et plusieurs temps vécus à la fois… » (Clot, 2004, 319). Il existe pour Yves Clot une véritable personnalisation des conduites de travail. Nous pensons de même que cette personnalisation concerne toute

28 Dejours, Christophe (1996) Introduction : psychodynamique du travail, in Revue internationale de psychologie, 5, 5-12.

29 Curie, J. et Dupuy, R. (1996) L’organisation du travail contre l’unité du travailleur, in Clot, Y. (éd.) Les histoires de la psychologie du travail. Approche pluridisciplinaire. Octarès, Toulouse, 180-189.

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activité d’apprentissage, par analogie avec le paradigme de Leplat, entre la tâche

d’apprendre prescrite et l’activité d’apprendre réelle. De même, si nous revenons à la

définition classique qui distingue respectivement l’activité en « Comment Faire ? » et la tâche en « Quoi Faire ? », et sans reprendre ici le détail de travaux qui ont participé aux fondations de la Didactique Professionnelle (Clot, 2004, 320)30, nous savons que « la tâche est ce qui est à faire, l’activité est ce qui se fait » (Clot, 2004, 320)31. Pour Amalberti et Hoc (1998, 209-234), tâche effective et activité sont synonymes. Mais, « regardée ainsi, l’activité de travail n’offre plus guère d’espace aux mouvements subjectifs » (Clot, 2004, 320). Or dans l’activité de l’acteur résident des opérations dont le cadre est non seulement hors du travail prescrit mais aussi hors de la tâche effective. C’est pourquoi Yves Clot a proposé une autre conceptualisation de l’activité de travail, en termes de « clinique de l’activité (…) visant à rapatrier les questions du sens à l’intérieur de l’activité elle-même » (Clot, 2004, 321), et ajoute : « On ne saurait mieux dire qu’un chantier est ouvert pour dépasser une conceptualisation de l’activité qui la réduit aux séquences opérationnelles de l’action ». La question posée, à partir de l’émergence du paradigme de Leplat, puis dans la suite des débats dont il est question en clinique de l’activité, est celle du questionnement sur la position de l’expert, placé à l’extérieur du travail. Selon Clot qui cite J.Curie32 : «…l’insistance à se placer à l’extérieur du travail pour en comprendre le sens ne doit pas, cependant, être interprétée comme un déni de la pertinence de l’analyse du travail lui-même. A une condition : que celle-ci s’intéresse non seulement aux occupations du travailleur mais aussi à ses préoccupations » (Clot, 2004, 321). Si l’activité est une lutte entre des possibles, entre des intentions compétitives de laquelle émerge une intention dans le réel présent de l’acteur, le choix opéré de facto dans l’activité réalisée, contrairement à ce qu’en dit Clot, nous semble résoudre ce conflit dans le cas de l’activité d’apprendre. Nous ne parlons pas du résultat, mais des conditions du passage de l’avant, « je ne sais pas », à

30 Guérin, F. et al. (1991) Comprendre le travail pour le transformer. Editions de l’ANACT, Paris. 31 Leplat, J. et Hoc, J.-M. (1983) Tâche et activité dans l’analyse psychologique des situations, in Cahiers de Psychologie cognitive, 3/1, 49-63.

32 Curie, J. (2000) Travail, personnalisation, changements sociaux. Archives pour les histoires de la psychologie du travail. Éditions Octarès, Toulouse, p.307.

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l’après, « je sais », d’un apprenant. Mais pouvons-nous éclairer l’activité d’apprendre par ce que dit Clot de l’activité en général ? « Si l’activité réalise la tâche en la transformant en tâche effective qui occupe le sujet, inversement, la tâche effective réalise aussi – plus ou moins bien – les soucis et conflits vitaux de son activité, les mobiles personnels et collectifs qui le pré-occupent33. C’est pourquoi, opposée à

elle-même, elle peut avoir une histoire » (Clot, 2004, 325). Ce sur quoi nous nous interrogeons : dans quel sens l’activité d’apprendre, dans l’instant désigné comme passage induit à la connaissance, a-t-elle une histoire ? Nous voulons dire, le passage, le moment d’inférence inductive, peut-il être considéré comme un moment d’histoire ? Et ce que narre Yves Clot de l’analyse d’activité sur les lignes automatiques de conditionnement de pâtes dans l’agro-alimentaire (Falcetta, Clot et Pèlegrin, 1994 ; Clot, 1995, cités par Clot, 2004, 326), se retrouve dans notre analyse d’activité des peintres en bâtiment (Delacour, 1976), où nous avions rencontré la même nécessité pour les opérateurs de « sentir » ce qui doit être fait, ainsi que les mêmes sollicitations à transgresser la règle, à la fois pour satisfaire la rentabilité prescrite et être conforme au respect du « pouvoir d’agir » de chacun. Dans toutes nos expérimentations et nos réalisations de dispositifs de formation, que ce soit par exemple pour des conducteurs occasionnels de camions (Delacour, 2002), ou pour la hiérarchie intermédiaire en milieu de sécurité sanitaire (Delacour, 2003), nous avons découvert ce que Clot appelle des « pré-occupations lancinantes » que telle opératrice va partager avec tel autre acteur, ce qui a pour effet de transformer l’activité de celui-ci. Pour notre objet, la pré-occupation, s’il en est, est pour le Sujet apprenant de réussir à apprendre et de réussir à utiliser le savoir, pour être compétent. Mais en pensant ainsi, ce sujet est déjà dans l’occupation, dans l’action. Le fait même de penser son ignorance, et l’impératif de réussir, font partie intégrante, c’est-à-dire sont à l’intérieur de l’activité. Nous pourrons peut-être y pointer des éléments d’une histoire, ou du moins d’une intrigue que nous pourrions appeler une épopée inductive, et dont un des objectifs serait de faire apparaître les manifestations tacites, intérieures et le plus souvent cachées au Sujet lui-même. Cela n’est pas la

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préoccupation de l’expert dans le cas des transgressions et autres événements vécus par les opératrices en activité, pour Yves Clot. On pourra nous objecter que le propos porte sur la souffrance au travail, née de la réduction plus ou moins grande du pouvoir d’agir de l’opérateur. Mais nous aussi, nous sommes confrontés au questionnement vif et douloureux du Sujet apprenant en situation d’apprendre, mis à l’épreuve du douter de son apprendre, de agir, de réussir à comprendre, de pouvoir-savoir, de pouvoir-utiliser ses connaissances. Ces pré-occupations sont des occupations à part entière du Sujet qui doit inventer sa réussite. Mais si, à l’instar de la clinique de l’activité nous nous démarquons de l’objectivisme et du cognitivisme en psychologie, néanmoins la théorie de la clinique de l’activité ne nous semble pas pouvoir s’appliquer à l’analyse d’activité de l’incorporation de connaissance par un Sujet apprenant. Parce qu’une difficulté aporétique est apparue dans la question d’analyser la conceptualisation-en-acte du Sujet apprenant à atterrir, ou du Sujet chercheur en train d’inventer des concepts, nous en venons à douter que ces activités soient des événements historiques dont nous pourrions faire l’archéologie.

Comment la parole vient-elle à l’action ? Comment elle vient aux images du corps ? Comme elle vient à elle-même, lorsqu’il s’agit de s’expliquer et d’expliquer à autrui son propre discours ? Il y aurait un « silence à entendre » dans toute conceptualisation qui est cette création ou cet inventer dont nous parlons. C’est le « taire parlier » de Montaigne, oxymore que Claire Surgers signale (Surgers, 2007a, 29) en parallèle aux décors de l’action, silencieux eux aussi, tout aussi silencieux que les lieux et les temps qui sont les cadres de l’Apprendre aux instants où cela devient appris. Il ne s’agit pas d’une absence de mots, mais d’une langue qui n’est pas constitutive d’un discours. Cette langue est un langage silencieux qui transmet du sens, le sens de la construction individuelle de la connaissance. Car cette construction de sens s’opère, telle la perspective d’un décor de théâtre, pour le Sujet placé au punctum de sa vision, sur cet axe unique donné par le scénographe. Le Sujet apprenant, tel le Prince, se trouve occuper la place que lui a donné le perspecteur, celui qui organise, au théâtre de la Renaissance, la scénographie ou perspective (Surgers, 2007b, 5). De même que les

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fonctions de création n’y étaient pas distinguées de celles de fabrication et d’exécution (Surgers, 2007b, 6), de même pour nous ici, elles ne le sont pas pour le Sujet apprenant. L’ingeniere italien est simplement « celui qui trouve ». Mais pour voir ce qu’il y a à voir, il existe une place idéale, celle du Prince car elle se trouve au punctum de la perspective (Surgers, 2007b, 81). Le Sujet apprenant incorpore les éléments de la situation facilitée par le perspecteur, l’enseignant. Car c’est l’expert qui propose (impose) le décor, la boite sacrée dans laquelle se trouve le spectateur, l’Apprenant. N’entendons-nous pas parler de « mise en perspective » dans tel apprentissage ? Risquons l’analogie qui nous semble féconde, entre la systématisation de l’emploi de la perspective dans le Théâtre classique et la disparition du sens singulier de l’image : « L’image a lentement perdu son rôle de discours autonome pour devenir l’illustration du texte : elle lui a été subordonnée », dit Anne Surgers (Surgers, 2007a, 34). Il y a dévaluation du cadre de référence de l’Apprenant, au profit du texte du Savoir, et subordination du point de vue de l’un au profit d’une grille référentielle commune. Comme si cette rhétorique commune devait recouvrir, d’évidence, l’incommunicable individuel. Face à face, le Savoir en montée, fort de ses références affirmées, et l’ignorance en disparition silencieuse, pleine de son cadre de référence à la langue cachée ou niée, car subjective. Et que peut-elle être d’autre ? Sur les traces de l’Apprendre dont il s’agit, pourrions-nous nous interroger sur leur structure théorique ? C’est-à-dire sur la structure d’un visible silencieux, de cette inventer éloquent qui s’opère dans le Sujet apprenant ? Mais il ne s’agit pas d’une rhétorique, une res

litteraria, dont les traces peuvent être analysées et étudiées. Il s’agit d’un fantôme, d’un

spectre, d’un vague souvenir, quelque chose comme « le mouvement d’un corps, le ton d’une voix, le souffle », qui « eux, disparaissent sans laisser de trace ailleurs que dans la mémoire » (Surgers, 2007a, 39). Y a-t-il un langage de l’inventer présent dans l’apprentissage, comme il existe un langage de l’œuvre ? Un langage de la composition ? Une ou des figurations de ces situations ? Et donc une rhétorique de l’incorporation des connaissances ? Et cette langue permettrait-elle de construire un discours historique ? C’est un problème lié à notre objet. Le silence autour du cadre de référence du Sujet ignorant est celui de la disparition, conjointe au corpus d’énoncés

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produits, des circonstances de lieu, de temps et de conceptualisation dans l’action comme données historiques. Cette disparition est d’autant plus effective qu’elle s’accompagne de l’oubli de ces circonstances, précisément parce qu’elles ont été les conditions de l’émergence de la connaissance en prenant la place de l’état précédent. Tel un matériau qui disparaîtrait du fait même d’avoir été utilisé pour une construction suivante, sans laisser de traces, même diluées. Et dont l’archéologie deviendrait donc impossible. « Savoir atterrir », avoir produit « le concept de », « savoir compter », « savoir marcher » ou « savoir chanter » viennent occulter les états précédents d’absence de ces connaissances désormais intégrées au Sujet, qui les détient incorporées en lui, sans jamais plus pouvoir les ressentir comme détachées ou extérieures à lui, sans jamais pouvoir rejouer le passage de l’ignorance à la connaissance. Même si l’on tentait de le faire, comme sorte de jeu. Je ne pourrais jamais revenir à un état de « non savoir marcher », ou « non savoir parler », ou « non savoir atterrir », etc. Ces savoirs se sont incorporés en moi. Leur être comme connaissances est passé de chaos à éternité. Mon cadre de référence actuel ne me permet pas de retrouver l’état antérieur d’un autre cadre qui était le mien, avant ces transformations. Mais il est légitime de se demander si la mémoire de tels passages, comme morceau d’historicité, est conservée ? Et dans ce cas, qu’y a-t-il de spécifique et que peuvent nous apprendre ces instants de conceptualisation retrouvé, où le Savoir s’incorpore en nous ? Décrire pour tel ou tel Sujet la singularité de ses apprentissages permettrait-il d’en dégager des concepts universels de l’Apprendre ? Et pour cela, ce qui a surgi, et comment cela a surgi, à tel moment, dans le Sujet apprenant, peut-il être historicisé ? Il faudrait pouvoir en décrire l’intrigue, dit Paul Veyne (1971) .

La Didactique professionnelle nous a appris qu’on pouvait « apprendre des situations ». Nous avions été prévenus que « l’expérience resterait à jamais mystérieusement opaque si on ne pouvait y déceler à l’œuvre un processus de conceptualisation », dans l’action, bien entendu (Pastré, postface Vinatier, 2009, 211). Cependant la question de l’intrigue de l’incorporation de la connaissance dans et par le Sujet est autre chose, semble-t-il, que l’histoire d’un processus. Le concept d’intrigue a été enrichi par Pierre Pastré qui

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l’avait emprunté à Paul Ricoeur pour faire une analyse de l’activité en tenant compte de deux propriétés de la situation : sa temporalité et sa singularité. « L’intrigue transforme les événements en histoire » comme le dit Isabelle Vinatier (Pastré, postface, Vinatier, 2009, 213). L’intrigue, c’est ce qui reste d’intelligible dans le récit d’un événement passé qui ne se reproduira pas. Sans y entrer ici, disons que cela nous fait penser à d’autres situations d’interactivité entre sujets, dont l’un écoute et l’autre raconte tout ce qui lui est possible de dire de son travail réflexif. L’interaction langagière est un récit (Vinatier, 2009, 160-162), et le concept d’intrigue permet « de fonder une analyse qui respecte les trois propriétés majeures de la situation d’interaction : sa singularité, sa temporalité, son interactivité » (Pastré, postface, Vinatier, 2009, 213). Dans notre situation d’apprendre comme inventer, nous retrouvons les propriétés de singularité et de temporalité. Quant à l’interactivité, elle est présente sous deux formes complémentaires : d’une part le Sujet apprenant n’est jamais seul, comme le dit Vygotski, d’autre part il est, dans le passage de l’ignorance à la connaissance, en

interactivité avec lui-même, ce dont il faut nous expliquer. Le Sujet est à soi-même

comme face à un Autre, en situation de jugement de soi et de recherche de performance en action, ce qui renvoie à la question de l’identité pour-soi. Ce qui est en jeu, entre soi et soi, c’est que bien entendu « un sujet a besoin d’autrui (et) c’est autrui qui le constitue comme sujet » (Pastré, postface, Vinatier, 2009, 215) mais que l’analyse de soi, de soi-même comme un autre, comme dit Ricoeur, engage « la construction de la

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