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Le Sujet pour-soi

Dans le document Apprendre comme Inventer (Page 90-107)

Chapitre I – Problématique

4. Réel, imaginaire, invention

4.2. Le Sujet pour-soi

Dans une conversation organisée par Katharina von Bulow entre Francisco Varela et Cornelius Castoriadis, en 1995, ce dernier approuve deux des principes énoncés par Varela : clôture cognitive et clôture informationnelle. « C’est que pour un pour-soi, un sujet psychique, donc, ou un vivant ou une société, il y a création d’un monde propre,

Eigenwelt (…) en allemand, et que rien ne peut entrer dans ce monde propre s’il n’est

transformé selon les principes de ce monde » dit Castoriadis (Castoriadis, 1999, 62) Et nous ajoutons : et s’il n’apporte sa vision intrinsèque, qui est de l’ordre de son

imaginaire, du savoir qui est une composante extrinsèque et qui appartient au monde qui le constitue. Le Sujet transforme en se les appropriant ce que Freud appelait « très

justement des masses d’énergie, des masses de matière en mouvement » et qui deviennent des « qualités pour le sujet » avec le fait que, bien entendu, « il n’y a jamais correspondance terme à terme, c’est-à-dire, par exemple, que la perception de la couleur est toujours fonction d’un contexte perceptuel » et évidemment subjectif (Castoriadis, 1999, 62). Pas de terme à terme non plus pour la perception de l’atterrissage par l’élève qui incorpore en acte ce qui fait qualité pour le Sujet dans la situation. Le dialogue se poursuit en écho entre Cornelius Castoriadis et Francisco Varela qui revient sur son terrain de biologiste, et évoque l’autopoièse : « F.Varela – L’autopoièse qui veut dire littéralement autoconstruction, autoproduction… », Castoriadis l’interrompt : … ou autocréation…, F.Varela – … ou autocréation, oui, c’est un néologisme grec inventé pour désigner ce dont Corneille60 vient de dire un mot, il y avait donc alors, à l’époque où on a travaillé sur ce thème, la volonté de s’opposer à ce qui était, vers les années

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soixante-dix, la pensée dominante qui voyait dans le vivant un système plutôt recueilleur d’informations, captant l’information, les chocs venant de l’extérieur pour, ensuite, leur imposer une certaine manipulation unitaire. Ce modèle, fondé sur la métaphore de l’ordinateur, nous semblait tout à fait insatisfaisant » (Castoriadis, 1999,

63-64).

Car la notion que nous reprenons à notre compte pour tenter d’avancer un pas dans la compréhension de la mise en sens de l’apprendre qui s’effectue par et dans l’invention à l’œuvre dans le Sujet apprenant, est celle de sujet pour-soi, dont la vie même est un pour-soi qui se développe et se construit dans un milieu, à partir des données du monde, mais aussi et conjointement par des processus et des passages opérés intrinsèquement par ce Sujet, sur lui-même.

« F.Varela – (…) On a donc forgé ce concept d’autoproduction ou autocréation ou autopoièse pour exprimer ce fait fondé sur la biologie même de l’organisme, sur la biochimie et la vie cellulaire. Pourquoi ? Parce que, et c’est là le deuxième point important pour moi, c’est un geste qui est à l’origine, à la racine même de la vie. Il n’est même pas besoin de le penser au niveau des mammifères, des humains ou des êtres sociaux : la vie en tant que processus autoconstituant contient déjà cette distinction d’un pour-soi, comme dirait Corneille, source de, d’où émerge l’imaginaire, capable justement de donner du sens à ce qui n’est que masses d’objets physiques. Cet enracinement du sens dans l’origine de la vie, c’est là la nouveauté de ce concept d’autonomie, d’autopoièse. » (Castoriadis, 1999, 64-65) Qu’est cette autonomie dont parlent tous deux Varela et Castoriadis ? Un Homme autonome dans une société autonome est un projet politique. Le nomos, c’est la loi, l’autonomie, la loi qui vient de moi, la loi que je m’impose. En quoi cela peut-il concerner les sciences de l’éducation ? Car Varela annonce que « la passion épistémique, le désir de savoir » est premier, mais sans relation directe avec le socius et le politique. Or, pour Castoriadis « la propriété de l’être est de faire surgir de nouvelles formes » ce qui entraîne l’idée, féconde à nos yeux, que « rien, dans le savoir, ne s’oppose à l’idée que nous pourrons un jour créer une société dans laquelle des êtres humains autonomes pourront collectivement se

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gouverner dans l’autonomie. » (Castoriadis, 1999, 81). Enracinement dans l’origine de la vie pour Varela, moteur de la construction de l’histoire pour Castoriadis, l’imaginaire se montre à l’œuvre d’un pour-soi engagé socialement par et dans l’activité du Sujet. Avant même d’approcher le rôle de cette « détermination essentielle », dont parle Castoriadis, appelée imaginaire, nous avons besoin de préciser ce que nous avons désigné comme instant où le Sujet se représente et où le Sujet fait ce qui ne lui est pas donné, mais que le Sujet fait exister.

L’acte d’insension

C’est le point où nous proposons, par nécessité61, le mot INSENSION pour désigner ce moment du pour-soi à l’oeuvre ainsi que nous venons de le décrire jusqu’ici dans ce premier chapitre, c’est-à-dire lorsque le Sujet vit son apprendre comme inventer dans un surgissement du sens. Pour le Sujet apprenant, cela désigne le savoir qui passe de son statut extrinsèque référencé à la connaissance intrinsèque utilisable pour et par ce Sujet. Mais nous manquons d’un terme, d’un mot, pour désigner cet instant de passage qui est au cœur de notre recherche : dans le mot INSENSION, le préfixe in- pointe le « dans » de induction et invention. « Ce préfixe entre dans la formation de mots où il indique le mouvement vers l’intérieur ou la position intérieure, spatiale ou temporelle » (Dictionnaire Historique de la Langue Française, 1998, 1801). In-, de insension, est à la fois un mouvement et une position dans le Sujet, ce qui va nous conduire à différencier l’action de l’acte. Le radical du mot porte la polysémie du mot sens, conjointe à l’action liée à tout organe de perception du réel, à la faculté de comprendre comme vecteur de toute sémantique et à la direction empruntée. L’insension du Sujet apprenant exprime à la fois qu’il perçoit, qu’il comprend, qu’il juge, et qu’il oriente. « En ancien français, (…) six acceptions principales sont en usage : faculté de juger, sagesse, jugement pratique (bon sens), finesse d’esprit et ruse, connaissance technique (valeur proche

61 Notre hésitation a été grande avant de fournir un néologisme et doit être considérée avec l’humilité indispensable à la tentative de créer une notion ou un concept.

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d’art), et manière de voir » (Dictionnaire Historique de la Langue Française, 1998,

3458). Le suffixe nominal en -ion exprime une action ou un résultat d’action, et ici, la

dynamique de ce qui n’est pas un processus mais une fusion, une colligation instantanée, un passage conceptuel sans épaisseur historicisable.

L’insension est à l’œuvre dans le creuset constitué des représentations du réel et de l’imaginaire du Sujet encore ignorant. L’insension participe à la conquête du schème en étant à la fois autopoièse et prélèvement d’invariants dans le réel interprété par le Sujet en train d’apprendre. La différence que nous y voyons avec l’enaction comme ce qui « désigne les gestes qui accompagnent le faire-émerger de quelque chose. » (F. Varela, in Castoriadis, 1999, 71), c’est que ce n’est pas seulement à partir de la tâche qu’il y a émergence. En Didactique professionnelle, nous travaillons à la compréhension de l’apprentissage non à partir de la tâche et de ses divers découpages, quels qu’ils soient, mais à partir de l’activité, à laquelle participe la faculté imaginaire du Sujet. Nous ne nous situons donc pas au sein d’une architecture cognitive séquentielle [A  B  C] ni

d’une architecture vectorielle pour accomplir des tâches : [A  X pendant que B  Y],

A et B faisant partie de la même machine à déduire. L’affectif, et l’engagement qui va avec, ne sont pas de l’ordre de la tâche. S’il y a surgissement d’un sens pour le Sujet, c’est malgré et non pas à partir de « la vie psychique et sociale humaine (qui) n’est pas identitaire » mais qui est « magmatique », comme dit Castoriadis. « Tout d’un coup » (Ah ! Encore ce « tout d’un coup » !), « une nouvelle base est créée, qui, précisément parce qu’elle est de ce type, n’est pas fondable ; elle est peut-être justifiable s’il s’agit d’un système rationnel, mais elle n’est pas fondable parce que c’est une création. Et une création qui n’est ni déductible, ni productible : c’est là le vrai sens du nouveau. Si elle est déductible et productible, elle n’est pas nouvelle, elle est potentiellement dans le système antérieur. » (Castoriadis, 1999, 73). On ne peut donc pas simuler la création. Nous avons parlé d’invention, et non de création, pour marquer que ce qui est nouveau,

tout d’un coup, n’est cependant ni créé ex nihilo, ni seulement par l’imaginaire. Ne

serait-ce qu’en écho à la préexistence d’une volonté de savoir et de comprendre qui porte le Sujet apprenant à être attentif au monde et à ses questions. On ne peut pas non

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plus invoquer l’aléatoire, car c’est bien de et par la volonté du Sujet qu’il y a insension, au sein de la situation vécue. Nous parlons de possibles non prédéterminés, de possibles qui ne préexistaient pas. Le Sujet active et/ou reconnaît son désir d’apprendre. Par l’insension dont il est le sujet, il transforme le monde et se transforme, se construit tout à la fois. Cette possibilité n’est inscrite formellement nulle part, et, de plus, on ne peut la désigner que pour soi, dans un rapport à soi-même qui ne re-produit rien, mais qui invente ce que je ne savais pas. Nous ne pouvons pas en décrire le processus intime, ni la reproduire en laboratoire. Ni aléatoire, ni calculable, l’insension n’est pas l’émergence partielle d’une propriété qui serait globale, mais un acte, au sens de Mendel, comme nous nous proposons de l’explorer maintenant. Précisons que notre critique du mot émergence ne signifie pas que nous refusons d’admettre que l’insension fusionne des propriétés et autres êtres inconceptualisables, le plus souvent en grand nombre, mais seulement que nous ne trouvons pas d’inscriptions d’un possible qui se mettrait à apparaître sous certaines conditions. Nous devrons vraisemblablement nous en tenir au post factum, dans la constatation de l’acquisition de connaissances par le Sujet et de leur reconnaissance sociale.

« On décide une action, on rencontre un acte » nous jette Gérard Mendel en titre de l’introduction d’un ouvrage majeur : « L’acte est une aventure ; du sujet métaphysique au sujet de l’actepouvoir62 » (Mendel, 1998, 7). Il s’agirait d’un trou noir, selon lui, depuis l’origine de notre culture : le concept d’action aurait absorbé le phénomène de l’acte. Les deux mots seraient devenus interchangeables, mais toujours au sens unique d’action. Nous tentons un terme à terme entre Mendel et notre schématisation de l’apprendre (Figure 2, page 45), entre action et savoir-faire, d’une part, et acte et pouvoir-faire, d’autre part. L’action, c’est pour Mendel, « ce qui se passe « dans la tête » du sujet aussi bien à propos de l’acte encore en projet que de la continuation de ce projet durant l’acte ou bien à propos de l’acte une fois advenu. » Et l’acte, « concerne pour nous l’interactivité du sujet et d’une réalité qui lui est étrangère – autrui, la société, la nature ; il reste à ce titre un impensé majeur de notre culture. » (Mendel, 1998, 8)

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C’est à partir de ces définitions données par Mendel que nous souhaitons débattre de l’invention dans l’apprendre, comme acte. Pour nommer cet acte, nous venons de proposer le mot insension qui désigne l’en acte de l’incorporation du savoir au Sujet par le Sujet. Les catégories de l’action reconnues depuis Aristote (motivation, intention, projet, délibération, décision, volonté, etc.) sont présentes dans le pré-acte. La forme de pensée qui prolonge ce pré-acte dans l’acte peut être dite rationnelle-théorique (consciente, verbale, discursive, téléologique, rationnelle, etc.), et Mendel précise qu’est moins bien connue « la forme de pensée spécifique au sujet engagé de manière interactive dans la pratique proprement dite de l’acte. » Tout le chapitre IV de son livre y est consacré (Mendel, 1998, 295-399). Il s’agit de la pensée du faire, récurrence de la Didactique Professionnelle, qui n’est pas seulement l’intelligence pratique. Mendel y pointe trois éléments hétérogènes : une pensée téléologique, ce qui en fait une pensée rationnelle-pratique ; une pensée du savoir-faire et de l’expérience ; une pensée de l’intelligence inventive (Mendel, 1998, 297-298). L’intelligence pratique est implicite et analogique : elle s’incarne dans des gestes quotidiens ou professionnels, elle est complexe, elle utilise souvent plus l’image que les mots. Qualitativement, cette intelligence utilise la métis (µετισ), c’est-à-dire la prudence avisée, la sagesse pertinente, sur des plans divers, mais « où toujours l’accent est mis sur l’efficacité

pratique63, la recherche du succès dans un domaine de l’action », ce qui fait preuve d’inventivité face aux questions et difficultés pratiques à résoudre. Il s’agit d’adaptation efficace, de « rationalité instrumentale » (Mendel, 1998, 300-301), c’est un type d’intelligence « engagée dans la pratique, affrontée à des obstacles qu’il faut dominer en rusant pour obtenir le succès dans les domaines les plus divers de l’action » (Detienne & Vernant, cité par Mendel, 1998, 302)64. Ainsi, lorsque Gérard Vergnaud demande à un jeune élève qui ne sait pas poser la division, de diviser 64 par 4 (« 64/4 »), l’élève adapte pratiquement ce qu’il connaît, en l’occurrence l’addition et la multiplication : 64 c’est « 4+ 60 » ; il y a « 1 » fois 4 dans le /4 ; il y a « 15 » fois 4 dans 60 ; le résultat est

63 En italique dans le texte.

64 Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les Ruses de l’intelligence. La métis des Grecs. Coll. Champs, Paris : Flammarion (1989), page 8 (cité par Mendel, 1998, 302).

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donc « 1+15 » = 16note 65. C’est ainsi que nous pensons que la µετισ doit sans doute « parler » du fond de l’insension, comme elle parlait de l’intérieur de Zeus après qu’il l’eut avalée, pour que le Sujet ignorant finisse par s’approprier le savoir. Ce qui en fait aussi une approximation, une débrouillardise, une erreur aussi, car nous savons que c’est par là que commence toute connaissance. Une erreur qui porte la preuve de la capabilité du Sujet ignorant d’induire66 et donc de produire sa connaissance appropriée, un jour. Car c’est l’induire en acte qui est important, qui n’est pas une action d’induire. Il y a « connivence avec le réel » dit Mendel, « bigarrure et chatoiement de la métis (…) avec le monde multiple, divisé, ondoyant, où elle est plongée pour y exercer son action (…) ». L’acte d’insension est à l’origine du pouvoir-faire du Sujet. C’est pourquoi nous pensons que cet acte est primordial en situation de formation, car il ouvre le savoir-faire sur le pouvoir-faire. Le pouvoir-faire est le dépassement du savoir-faire, qu’opère le Sujet à la première personne, dont on reconnaît la compétence.

Disons que l’action est dans l’histoire de la pensée et dans la pensée de l’histoire, l’acte est dans la résistance de la pensée et dans la pensée de la résistance, et donc dans son dépassement. Car l’obstacle refuse la pénétration et l’autorise en même temps, à l’instant de l’application de la puissance du Sujet ignorant sur et dans la situation d’apprendre. Ce qui signifie que nous n’avons pas, pour l’objet qui nous occupe ici, à tenter de reconstruire ce qui serait sa réalité cachée dans le temps, sa vérité factuelle architecturée : l’insension ne renvoie à aucun logos parce qu’on ne peut conduire aucun raisonnement constructif qui en rendrait compte. Aucune « nature simple » cartésienne là-dedans (Descartes cité par Mendel, 1998, 10)67. La plupart de nos enseignements offrent les conditions d’un hors-acte, puisque grâce « au vaste réservoir d’un savoir déjà constitué », le Sujet n’aurait plus qu’à y sélectionner la meilleure règle d’action apprise, « le sujet ne risque pas d’affronter à nu l’aventure de l’acte. » (Mendel, 1998, 139) Cela représente, pour nous, un obstacle majeur non seulement à la production de

65 Gérard Vergnaud, communication orale, 11 mars 2010.

66 Nous n’oublions pas que induction est employée par nous dans le sens de colligation, tout au long de cette recherche. Nous employons le substantif colligation, et le verbe induire.

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connaissances, mais aussi à la construction identitaire du Sujet. En effet, dans l’acte d’insension, nous voici en présence, post factum, des résultats d’une faculté de l’esprit sans repérage préalable de son existence dans la personne. L’insension n’existe pas comme processus. Elle est. Elle est acte en soi, même si auparavant tout a été mis en projet pour l’action d’apprendre. L’insension est d’un coup. Sans prévenir ni l’observateur, ni le Sujet. Et nous avons beau savoir qu’elle va – sans doute – être, à un moment ou à un autre, chez l’élève qui apprend, chez le pilote qui s’entraîne, chez le chercheur qui se repose dans son bain, ou chez le coiffeur qui monte un chignon68, mais sans jamais pouvoir prévenir du moment en question. Lorsque l’insension a pris place, elle n’est déjà plus, elle a disparu du fait même qu’elle a eu lieu. Elle n’existe ni au présent, ni au passé racontable. Au futur, elle n’est pas repérable dans le Sujet singulier. Sa possibilité est seulement inscrite dans la dynamique de l’advenir de sa conceptualisation. Il n’y a aucun doute sur son existence, prouvée sous la forme de ses effets. Nous sommes à la fois dans la réalité présente au Sujet, à n’en pas douter, mais dans un réel insaisissable comme processus. Tentons une métaphore : celle d’une tornade qui se serait produite en notre absence, et nous serions prêts à fermer les fenêtres sur le prochain coup de vent, pour le saisir et l’étudier. Non, « Avec l’acte, ce qui est « à advenir devant » (ad-venturus69) ouvre sur l’inconnu, sur l’imprévisible. » (Mendel, 1998, 15), c’est-à-dire que Prométhée, celui qui possède la pré-vision et dont le frère jumeau est Épiméthée, celui qui comprend après coup, tente bien toujours de se démarquer, mais il ne peut y parvenir. L’acte et sa pratique ont des caractères spécifiques, dont Mendel pense qu’ils ont été occultés dans la culture occidentale. Ces caractères « représentent la rencontre interactive du sujet et d’une réalité hors sujet, vécue toujours comme potentiellement dangereuse car non complètement maîtrisable par l’homme. » (Mendel, 1998, 23) Le risque est inscrit dans l’acte. Cette prise de risque fait partie intégrale de l’apprendre, l’être humain cherchant parfois à se rassurer

68 Autre exemple de terrain riche pour la Didactique professionnelle : en école de coiffure, le corps enseignant s’accorde pour dire que « le chignon », qui est l’ultime apprentissage de l’élève déjà chevronné, « ne s’apprend pas, ne se transmet pas, ne se décrit pas, il faut le sentir de l’intérieur de soi venir au bout des doigts. » (Traité de coiffologie, Gérard Garbis, Ecole Internationale de Coiffure, Paris) 69 En italique dans le texte.

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dans des situations où il n’y aurait aucun risque à faire. Comme dit Mendel, le risque exprime à la fois la nature et la réalité de l’acte. Il lui est inhérent. Mais le risque n’est pas le seul obstacle inhérent à l’acte, « tant de résistances (…) s’opposent en permanence à nos actes. » L’acte, c’est « l’action plus quelque chose70 » (Mendel, 1998,

49). Ainsi les obstacles apportent, cela est très facile à expérimenter dans toute situation

d’apprendre, des richesses insoupçonnables qui sont au départ ressenties par l’ignorant comme des contraintes ou des barrages. Comme des barrières placées avant même toute possibilité de faire. « On décide une action, on rencontre l’acte. » (Mendel, 1998, 56) lorsqu’on franchit le pas, machine désirante du Sujet qui s’est mise en marche. Que

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