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L’induction est une colligation

Dans le document Apprendre comme Inventer (Page 78-81)

Chapitre I – Problématique

3. Induction et invention

3.2. L’induction est une colligation

Nous entendons par induction le mouvement de l’esprit qui réunit en une synthèse un ensemble d’actions, de faits, d’idées et de pensées. Nous l’employons donc au sens de

colligation (Lalande, 1962, 149) tel que défini par William Whewell, c’est-à-dire

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comme la réunion de faits ou d’éléments disparates. William Whewell (1794-1866), philosophe et historien des sciences, professeur à Cambridge, nous livre sa conception de l’induction en sciences. « It will be sufficient at present to say (…) that by Induction is to be understood that process of collecting general truths from the examination of particular facts, by which such sciences have been formed. 50 » (Whewell, 2001, 5). Mais répétons qu’il ne faut pas voir dans cette définition l’approche logique classique qui fait remonter du fait particulier vers la loi. Son œuvre, History of Inductive Science, n’a pas été traduite, ce qui n’a pas facilité la connaissance de Whewell dans l’espace francophone, malgré sa modernité et son actualité incontestable par rapport aux travaux d’Auguste Comte et de Stuart Mill. Whewell s’était fixé de « déceler les principes et les lois qui règlent le progrès de la connaissance humaine, d’âge en âge, dans chacune de ses provinces. » (Whewell, 2002, VII). Seul, le Novum Organon, livre XI de sa Philosophie des Sciences Inductives, a été traduit en français et présenté par R. Blanché en 1938. Nous y trouvons des compléments qui éclairent notre approche de l’induction. L’aphorisme I est rédigé ainsi : « Les deux opérations par lesquelles la science est construite sont l’explication des conceptions et la colligation des faits. », cette dernière réclamant de « décrire la manière dont les découvertes sont faites et dont les idées permettent la connaissance. » Le chapitre IV du Novum Organon tout entier consacré à « la colligation des faits », propose la suite des aphorismes qui débutent chaque chapitre. L’aphorisme VIII nous parle de la relation entre induction et invention : « Les conceptions par lesquelles les faits sont reliés sont suggérés par la sagacité des inventeurs. Cette sagacité ne peut pas s’enseigner ; en général, son moyen pour réussir consiste à deviner et, à ce qu’il me semble, à forger différentes hypothèses d’essai et à choisir la bonne. Mais il n’y a pas de règles pour construire un jeu d’hypothèses appropriées, en l’absence du talent d’inventer. » (Whewell, 2002, 44). Quelle est la nature de cette sagacité dont il est question ? Le Sujet apprenant n’en est-il pas autant

50 Whewell, William (2001) History of The Inductive Sciences (1837), Collected Works of William Whewell ; volumes 1-3, préface de Richard Yeo, Griffith University (2001). Editions Thoemmes, Bristol. Fac-simile de l’édition de 1857, vol. I, p.5 : « « Il sera suffisant, pour le moment, de dire (…) que par

induction il faut comprendre ce processus de capter des vérités générales à partir de l’observation de faits

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doué, à sa manière, et dans la situation qui le concerne, lorsqu’il cherche à réussir ? Or si cette sagacité ne peut pas s’enseigner, d’où vient-elle et comment est-elle connue ? Est-elle même connue ? Il s’agirait de deviner, donc faudrait-il évoquer quelque chose de l’ordre de la divination ? Whewell en reparle à plusieurs reprises dans son oeuvre, mais sans jamais se départir de son idée centrale que l’induction, selon lui, opère un rassemblement dans un surgissement unifié d’idées confrontées au réel. Choisir la bonne hypothèse, pour un chercheur, c’est accéder à la possibilité d’une démonstration robuste, à des vérifications expérimentales qui seules permettront de parler de démarche scientifique. Mais Whewell précise bien qu’il n’y a aucune axiomatique pour la part ontogénétique qu’est le talent d’inventer ! Le débat reste béant, et on peut se demander quelle science concerne-t-il, mis à part la philosophie. Certains penseront que cette ontogenèse concerne la métaphysique. Ce que Whewell nous a apporté, c’est, selon Blanché : « le procédé de la libre hypothèse, contrôlée par ses conséquences expérimentales » (Blanché, 1969, 175). Nous pensons que Whewell nous en a dit davantage, comme nous venons de le voir, en parlant de colligation, c’est-à-dire en lui donnant la dynamique constructive de l’incorporation. En parlant d’induction, nous pensions parcourir l’espace de compréhension de ce concept, alors que nous ne réussissions qu’à le saisir dans son extension, c’est-à-dire le long de ses espaces d’application logique. L’insaisissable de son mode d’être qui n’est pas, encore une fois, un processus, nous entraîne à revenir au cœur de l’activité d’apprendre comme inventer, afin d’explorer la part d’invention du Sujet. Dans la colligation, il faut voir la mise en sens d’une complexité, qui fait synthèse. Le résultat de la colligation peut être dit une

incorporation parce qu’il s’agit d’une invention par la synthèse nouvelle d’idées pour et

par le Sujet, dans le Sujet. Nous ne dirons ni une « combinaison de moyens », ni une « découverte » puisqu’il ne s’agit ni de processus temporel, ni d’éléments préexistants. Il s’agit d’une colligation immédiate car elle « (…) n’a pas besoin de cas réitérés ou de propositions multiples pour se constituer : elle saisit, comme disaient les péripatéticiens, l’universel dans l’individu même. » (Maurice Blondel, commentaire de l’article

Induction, in Lalande, 1962, 507). L’explication la plus claire de la colligation, c’est

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faits observés, mais à les colliger, c’est-à-dire les relier par l’unité intelligible d’une conception nouvelle. Trouver la conception qui permette ainsi d’interpréter les faits, c’est accomplir le pas décisif de la découverte inductive. Et si cette conception est suggérée au savant par l’observation des faits, du moins ne se dégage-t-il pas des faits eux-mêmes, et exige-t-elle de la part de l’esprit une véritable invention » (Whewell, 2002, Introduction de R.Blanché, XXII). Il nous suffit de relire cela en remplaçant « savant » par « ignorant » ou « apprenant », et nous avons l’énonciation claire de notre intuition du rôle de l’induction dans tout apprentissage.

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