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L’inventer dans l’apprendre

Dans le document Apprendre comme Inventer (Page 81-90)

Chapitre I – Problématique

4. Réel, imaginaire, invention

4.1. L’inventer dans l’apprendre

Le cours de Gilbert Simondon à l’Institut de Psychologie51, regroupé en un ouvrage nommé « Imagination et Invention », est présenté par Jean-Yves Chateau comme : « Une théorie de l’image à la lumière de la notion d’invention et de l’invention à la lumière de la notion d’image. » (Simondon, 2008, VII). Simondon avait envisagé aussi comme titre pour son cours : « Images mentales et inventions » (Simondon, 2008, note

1, XII). La liaison imagination/invention nous apparaît comme fondamentale pour notre

recherche car il s’agit de rendre compte d’une unité génétique entre ces deux concepts. Précisons que nous n’utilisons ni le terme d’image, car il ne s’agit pas de représentation objectale mais du rôle de l’Imaginaire du Sujet dans l’activité d’apprendre, ni le terme d’invention qui est ambigu car il peut nommer un processus ou un résultat, et comme nous sommes amenés à admettre qu’il ne s’agit ni de l’un ni de l’autre, nous lui avons

51 Année universitaire 1965-1966, Sorbonne, Institut de Psychologie de le rue Serpente, polycopié distribué aux étudiants, puis publié dans le Bulletin de Psychologie (novembre 1965 à mai 1966). La dernière édition (2008) est la référence bibliographique que nous utilisons.

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préféré l’infinitif substantivé : l’inventer, pour son mode actif. La colligation comme mise en sens par le Sujet apprenant, nous renvoie à plusieurs instances : l’inventer fusionne le Réel avec l’Imaginaire du Sujet apprenant. L’inventer n’est ni une inférence, ni une déduction, c’est une organisation immédiate de l’activité conceptuelle ; l’incorporation du Savoir en est le résultat sous forme de connaissances appropriées intrinsèquement pour et par le Sujet ; le Sens ainsi produit est le schème52 conjoint à la construction du Sujet par le Sujet ; sa reconnaissance sociale des connaissances acquises par le Sujet est la Compétence qui lui est reconnue, suivie généralement de perfectionnements successifs tout au long de la vie. La connaissance incorporée qui est le résultat de l’inventer dans l’apprendre, reste néanmoins ambiguë, et il nous faut préciser ce qu’elle peut être, si nous disons qu’elle n’est ni inférée, ni ressentie. Elle appartient au Sujet au terme d’une genèse spécifique, de la situation au schème, c’est-à-dire du Réel au Symbolique, par l’inventer.

Simondon ne sépare pas imagination et perception, quoiqu’elles ne soient pas identiques, car elles sont liées l’une à l’autre en acte. Pour Bachelard « Imaginer, c’est s’absenter », et c’est pour mieux « s’élancer vers une vie nouvelle. » (Bachelard, 1943,

10). Il y a bien pour Bachelard un « réalisme de l’irréalité ». Nous souhaitons, pour la

clarté de l’exposé, citer cet extrait de la présentation de Simondon que fait J.Y. Château :

« C’est qu’on ne peut séparer la « fonction de l’irréel » de la « fonction du réel », affirme Bachelard en réponse à Sartre : « Un trouble de la fonction de l’irréel retentit sur la fonction du réel ». C’est que parfois « le rêve est plus fort que l’expérience » ; mais c’est qu’il précède depuis toujours toute expérience objective, qui doit se gagner sur et contre lui. Plutôt que de chercher à penser l’imagination à partir de la perception (envisagée comme répétition de la perception, ou dans sa différence avec la perception, qu’elle soit de degré ou de nature), il faut montrer « le caractère primitif, le caractère psychiquement fondamental de l’imagination créatrice », tel est l’objet que se donne Bachelard au début de La Terre et les rêveries de la volonté. Car quand le réel est

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présent dans toute sa force, comme dans la perception, on est porté à oublier tout ce qui est inconscient et qui s’épanche dans la vie consciente, et il faut « redoubler d’attention si nous voulons découvrir l’activité prospective des images, si nous voulons placer l’image en avant même de la perception ». Les images ne sont pas toutes répétition ou représentation de ce qui a été perçu ; il y a aussi des images qui précèdent et informent la perception, des images créatrices. » (Simondon, 2008, XXII).

La conscience, pour Bachelard, n’est pas « imageante » mais « imaginante » et cette imagination est créatrice : elle informe la perception. Pour nous, elle est concomitante de la perception, ce qui ne s’oppose pas à ce qu’elle soit une fonction de réalisation. L’incorporation du Savoir est un résultat présent à la fois à la conscience du Sujet, et dans la réalité transformée par l’action du Sujet. Ainsi, lorsque Bachelard énonce « le caractère psychiquement fondamental de l’imagination créatrice », nous pensons au caractère conceptuellement fondamental de l’imagination créatrice. Nous étayons l’inventer dans l’apprendre par cette définition de Simondon : « L’invention est l’apparition de la compatibilité extrinsèque entre le milieu et l’organisme et de la compatibilité intrinsèque entre les sous-ensembles de l’action (…). Quand le problème est résolu, la dimension de l’acte final du résultat englobe, dans ses caractères dimensionnels, le régime opératoire qui l’a produit » (Simondon, 2008, 139-140). La pensée de Gilbert Simondon nous paraît d’autant plus pertinente qu’il part d’une question et sa réponse : « A quelle situation correspond l’invention ? A un problème, c’est-à-dire à l’interruption par un obstacle, par une discontinuité jouant le rôle d’un barrage, d’un accomplissement opératoire continu dans son projet » (Simondon, 2008,

139). Or, au coeur de toute situation d’apprendre, le Sujet ignorant se trouve confronté à

des obstacles intrinsèques et extrinsèques. Simondon poursuit : « Hiatus et incompatibilité sont les deux modes problématiques fondamentaux ; ils se ramènent à l’unité sous les espèces d’un défaut d’adaptation intrinsèque de l’action à elle-même dans ses différentes séquences et dans les sous-ensembles qu’elles impliquent ; les solutions apparaissent comme des restitutions de continuité autorisant la progressivité des modes opératoires, selon un cheminement antérieurement invisible dans la structure

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de la réalité donnée. » (Simondon, 2008, 139). L’inventer cimente l’unité du sens pour le Sujet qui se donne ainsi la compréhension de ce qu’il apprend. La complexité qui lui échappait ou qui le maintenait dans l’en deçà de la connaissance, ne disparaît pas. Elle prends corps et cohérence, c’est-à-dire qu’elle devient sens, elle donne au Sujet le pouvoir-faire et le se voir faire. Mais comme pour toute invention, le chemin était caché, il ne devient chemin qu’après coup, dans les tentatives poétiques de reconstitution de l’histoire identitaire dont se nourrit le Sujet.

Réel de l’activité et imaginaire du Sujet

Rappelons que l’analyse du travail puis l’analyse de l’activité ont été à la recherche de fondements scientifiques et de modélisations systémiques. Partis de la métaphore de l’Homme comme machine à penser et à calculer, la recherche s’est orientée vers l’analyse des processus de pensée. Dans sa « méthode réfléchie » du « cours d’action », Jacques Theureau mentionne l’origine taylorienne de telles approches. Dès avant 1972, « la psychologie cognitiviste53 » s’appuie sur son paradigme de l’Homme comme système du traitement de l’information (Theureau, 2004, 19). Et de rappeler les promesses de l’Intelligence artificielle, par exemple telles qu’elles ont été faites par Newell et Simon en 1972 dans leur ouvrage Human Problem Solving54, où la théorie recherchée est « une théorie du processus » (Theureau, 2004, 20). Les phénomènes étudiés appartiennent au cours temporel des événements, qui s’enchaînent logiquement les uns aux autres, jusqu’à l’invention de modèles de traitement de l’information, tel que, par exemple, GOMS55. L’ambition en est de modéliser le comportement d’un acteur « en donnant ses buts, opérateurs, méthodes et règles de sélection pour choisir

53 J. Theureau dit « cognitiviste » et non « cognitive » pour souligner que cette psychologie cognitiviste ne lui apparaît pas « constituer la seule psychologie cognitive possible. » (Theureau, 2004, 19, note 4). 54 Newell, A. et Simon, H. (1972) Human Problem Solving. Englewood Clifs : Prentice-Hall.

55 GOMS : Goals, Operators, Methods, and Selection Rules, propose de « Modéliser le comportement, depuis la tâche jusqu’aux actions physiques ». Rappelons que GOMS est fondé sur le modèle de « processeur humain » décrit par Card, Moran et Newell. A ce sujet, on peut consulter le site : http://k.cognitic.com/méthodes

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entre plusieurs alternatives »56. La démesure de l’ambition de telles expériences de laboratoire va jusqu’à affirmer la capacité du modèle de prédire des séquences du comportement de l’acteur et de prédire le temps requis pour telles actions particulières, ainsi que de fournir la finesse de détail de modélisation de ces prédictions. Mais, à la première « erreur » de l’acteur, l’analyse du comportement de l’utilisateur pose un problème non pris en compte par la théorie. En effet, l’activité d’un acteur, obligatoirement expert, est vue comme une suite « d’opérateurs » élémentarisés, aux effets spécifiques, dans des durées spécifiques. Ces « opérateurs » sont des « actes élémentaires moteurs ou de traitement de l’information » (Theureau, 2004, 22)56. Ce qui distingue et oppose la Didactique professionnelle d’une telle approche taylorienne, c’est qu’elle propose l’analyse de l’activité à partir d’indicateurs prélevés dans l’activité naturelle observée qu’il ne s’agit pas de découper en unités d’observation qui seraient indépendantes de la réalité complexe des situations vécues. De plus, la Didactique professionnelle voit l’erreur humaine comme une valeur de construction car dans toute situation vécue d’apprentissage, il y a toujours l’erreur féconde. Elle est un des éléments qui incitent et portent le Sujet à apprendre. Au-delà des effets d’annonce, la possibilité de traiter l’information à l’aide de programmes informatiques, c’est-à-dire de calculs logiques uniquement déductifs, semble avoir fait long feu. Nous renvoyons à l’analyse de Jacques Theureau des « raisons des limites du renouvellement cognitiviste de l’analyse du travail » (Theureau, 2004, 24-28), qui mentionne que Newell et Simon eux-mêmes indiquaient déjà en 1972 que « la manipulation de symboles peut se référer à un ensemble de phénomènes beaucoup plus large que la simple logique déductive »voir

note54

.

Notre approche d’une définition de la représentation s’est condensée à partir de ce que dit Francisco Varela du comportement cognitif. « L’hypothèse cognitiviste prétend que la seule façon de rendre compte de l’intelligence et de l’intentionnalité est de postuler que la cognition consiste à agir sur la base de représentations d’un monde extérieur prédéterminé qui ont une réalité physique sous forme de code symbolique dans un

56 Card S.K., Moran T.P. et Newell A. (1980) Computer Text Editing : An Information Processing Analysis of a Routine Cognitive Skill, Cognitive Psychology, 12, 32-74 cité par Theureau, 2004, 22.

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cerveau ou une machine57 » (Varela, 1989a, 38). Ces conceptions sont d’autant plus éloignées de nos convictions et de nos expériences qu’elles renvoient à « la représentation adéquate d’un monde extérieur prédéterminé. » (Varela, 1989b, 90). Nous pensons, pour ce qui concerne notre objet, qu’il n’est pas utile de se référer à un réel en dehors de la réalité présente dans la représentation du Sujet. D’ailleurs, la question de l’existence du réel – qui est bien de se définir par le fait de « résister », dit Bachelard – est précisément l’objet de la Science, en tant qu’impossible à comprendre – cum-prehendere – au sens d’englober, de connaître en totalité. La représentation qui nous intéresse ici est celle que le Sujet singulier se fait de la réalité en situation. « … l’entité cognitive a –par définition- une perspective. Cela signifie que ses liens avec l’environnement ne sont pas « objectifs », indépendants de la situation, des attitudes et de l’historique du système. Bien au contraire, ces liens dépendent étroitement de la perspective établie par les propriétés sans cesse émergentes de l’agent lui-même, et du rôle joué par ces redéfinitions de la cohérence du système entier » (Varela, 1996, III). C’est ce que Varela appelle enaction, concept qui vient éclairer « les questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de notre vie. Elles ne sont pas prédéfinies mais enactées58, on les fait émerger59 sur un arrière-plan et les critères de pertinence sont dictés par notre sens commun d’une manière toujours contextuelle. » (Varela, 1996, 91).

Maturana et Varela, à partir d’une « réflexion théorique et épistémologique portant sur des recherches biologiques » (Theureau, 2004, 28), ont pu replacer la cognition au

57 En italique dans le texte.

58 Pour Varela, alors que la représentation relevait de deux conceptions : soit comme reconstitution d’un monde extérieur prédonné (réalisme), soit comme projection d’un monde intérieur prédonné (idéalisme), la cognition est une action incarnée. C’est-à-dire fondée sur des expériences qui découlent du fait d’avoir un corps doué de facultés sensori-motrices et des capacités individuelles sensori-motrices qui s’inscrivent dans un contexte biologique psychologique et culturel plus large. La perception et l’action étant inséparables dans la cognition vécue, et pas seulement associées par simple contingence mais comme ayant évolué ensemble, on parle d’enaction pour décrire que : 1) la perception consiste en une action guidée par la perception, 2) les structures cognitives émergent des schèmes sensori-moteurs récurrents qui permettent à l’action d’être guidée par la perception. (Varela, 1993, 234-235)

59 En italique dans le texte. De plus, le traducteur donne cette explication en note : « Le premier de ces deux néologismes reproduit le terme anglais « enaction », en tentant de préserver la proximité entre « action » et « acteur » ; le second nous vient de la tradition de la phénoménologie qui traduit

hervorbringen par « faire-émerger », ce terme s’opposant d’emblée à l’émergence par le verbe « faire »,

qui implique un geste du sujet et ne dépend pas uniquement d’une qualité intrinsèque de ce qui émerge. » (Varela, 1996, (N.d.T.) 91)

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centre de systèmes vivants autonomes. Ceux-ci sont déclarés « autopoïétiques » en raison de leur organisation « comme un réseau de processus de production de composants qui, a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produit, et qui, b) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau » (Varela, 1989b, 45). Car si les rapports dynamiques d’un système vivant – notre Sujet apprenant par exemple – avec son environnement, constituent son « couplage structurel » et que l’histoire de tout changement structurel est une ontogenèse (Theureau, 2004, 28-29), qu’est-ce qui est à l’origine non pas de ce résultat, mais de ce dynamisme et des transformations de ce système vivant ? Nous nous trouvons, semble-t-il, une fois encore, éclairés par une théorisation des interactions du système vivant avec son environnement – pour nous, ici c’est le Sujet apprenant en situation d’apprendre comme inventer –, et par des outils d’observation certes très pertinents, mais cela ne rend pas compte de la colligation entre les éléments de la réalité et l’imaginaire du Sujet, sauf peut-être à invoquer la thèse varélienne de la « clôture opérationnelle » du système nerveux qui est un composant des systèmes vivants évolués. La notion de clôture opérationnelle pose une question d’envergure : nous comprenons que cette clôture n’est pas une fermeture qui traduirait l’absence d’interaction avec l’extérieur mais est la caractéristique d’un système autonome dont les processus dépendent « récursivement les uns des autres pour la génération et la réalisation des processus eux-mêmes » (Maturana & Varela, 1987, 86, cité par Theureau, 2004, 29). Peut-elle nous aider à comprendre la dialectique intrinsèque à l’œuvre, entre réalité et imaginaire du Sujet apprenant, qui a pour résultat tangible et observable extrinsèquement, l’incorporation de connaissances ? Ni les notions d’input ou d’output, ni a fortiori de stimulus n’ont jamais fourni de réponse à cette question. L’information – référentielle – est devenue, pour Varela « in-formation », c’est-à-dire, dit Theureau, ce qui est « formé de l’intérieur », c’est-à-dire construit. Pour ce système vivant, son autonomie invoquée nous intéresse d’autant plus qu’elle est explicative d’un réseau d’interactions intrinsèques qui « détermine sa propre identité » (Theureau, 2004,

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tel système, autonome, construit de l’intérieur, en clôture opérationnelle vis-à-vis du monde c’est-à-dire capable de générer sa propre adaptation, y réussit par l’apprendre comme inventer ? Theureau nous engage sur la distinction varélienne entre trois ordres de couplage structurel, dont nous retenons celui de troisième ordre qui concerne les organismes ayant un système nerveux. Le couplage structurel de tels systèmes vivants est « social » ou « structurel mutuel ontogénique » (Theureau, 2004, 31). Nous sommes parvenus au point de penser que « l’anthropologie cognitive située » définie par Jacques Theureau à partir de l’hypothèse varélienne de l’autopoïese étendue de la recherche en laboratoire à un acteur en situation naturelle, ne prendrait pas en compte la génération d’une adaptation du système vivant qu’est l’être humain, en apprentissage, au moment où le Sujet ne construit pas, mais invente. Nous sommes pour notre part contraints, pour avancer, de faire l’hypothèse de la détermination d’une instance dont nous n’avons pas encore parlé, l’imaginaire. Car Varela a dû s’expliquer sur certaines analyses de comportement animal, à propos desquelles il avait été écrit : « Tout se passe comme si les interactions passées semblaient déterminer la conduite actuelle, comme si ces interactions s’inscrivaient comme modifications du système nerveux, et agissaient par relation causale sur le comportement. Cette observation fondamentale semble être à l’origine de l’idée selon laquelle le système nerveux détient tout un stock de représentations, d’origine génétique ou ontogénétique [innées ou acquises]. Cela permet d’établir des analogies avec l’ordinateur et avec les notions de stockage et de traitement de l’information. » (Varela, 1989b, 146) Theureau explique que « D’après Varela : « Cette interprétation n’est pas nécessaire : elle confond deux domaines phénoménaux : le premier concerne le système en tant qu’unité, et le second concerne l’histoire de son couplage structurel. Ces deux domaines exigent des explications de type différent, opérationnelles pour le premier, symboliques pour le second » (Theureau, 2004, 35). Varela admet que le paradigme de l’ordinateur est limité, mais pas inutile. Theureau rappelle que Varela précise que ses critiques des notions informationnelles et du paradigme de l’ordinateur « …ne visent pas à montrer que ces notions sont creuses. Elles tendent à montrer qu’elles deviennent problématiques lorsqu’elles sont utilisées de manière opérationnelle dans le domaine des systèmes naturels » (Varela cité par

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Theureau, 2004, 35). Car, « avec l’hypothèse de l’autopoïèse, il est bien fini le paradis cognitiviste où l’on pouvait postuler la correspondance de tout avec tout, du « niveau des neurones » avec celui du « langage » et avec celui de l’ « intentionnalité » (Theureau, 2004, 37). Sans prétendre entrer dans une analyse spécifique qui n’a pas sa place ici, Theureau, en débutant la deuxième partie de sa Méthode réfléchie, « Philosophie, phénoménologie de l’activité humaine et contribution à une épistémologie générale enactive » (Theureau, 2009, 315) par la notion stoïcienne d’appropriation (οικειοσισ), nous fait avancer dans notre quête. Cela « implique un mouvement d’appropriation de l’ensemble du monde et de l’humanité à soi-même et inversement, qui est effectué en relation, non pas avec un philanthropisme, un altruisme ou un humanisme, mais avec son propre bonheur d’être raisonnable » (Theureau, 2009,

324). Avec la priorité de l’appropriation à soi-même, et la nécessité d’un écho que nous

reconnaissons comme social, il s’agit d’un ensemble porté par le Sujet individuel. Car l’appropriation est « propre à un individu donné ». Ce qui fait de ce Sujet un être dynamique, en constante interaction avec lui-même et avec le milieu. Ces couplages s’effectuent en tension, comme nous l’avions rencontré dans les formulations de Simondon, ce que Theureau rappelle : « Ce que l’individuation fait apparaître n’est pas seulement l’individu mais le couple individu-milieu. » (Simondon, cité par Theureau, 2009, 326). Mais nous nous trouvons précisément, dans l’inventer de l’apprendre, en rupture avec tout système de correspondance symbolique de couplage, que ce soit entre le Sujet et le milieu, car non relié en causalité, ou que ce soit en propre au Sujet car non repérable en acte mais seulement après coup, dans ses résultats.

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