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L’entretien compréhensif non directif

Dans le document Apprendre comme Inventer (Page 145-153)

Chapitre II – Méthodologie

8. Le cadre pratique de l’entretien

8.1. L’entretien compréhensif non directif

La métaphore du lancement en orbite

En ces matières où il s’agit de l’élaboration et de l’utilisation de techniques psychosociologiques, il est aisé de procéder à des démonstrations, de proposer des exercices simples et de les filmer. L’analyse réflexive offre des éclairages immédiats, à n’en pas douter. Il en est tout à fait autrement pour les écrire. C’est pourquoi nous faisons le détour par une métaphore dont certaines analogies nous permettront d’énoncer les composantes de la conduite d’entretien compréhensif non directif.

Imaginons le cas d’une fusée qui doit lancer un satellite en orbite. Le schéma ci-dessous n’a aucune autre prétention que de proposer dans un déroulement temporel les analogies

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dont nous avons besoin pour nous faire comprendre. Le schéma complet ci-dessous sera rappelé en médaillon. ®1 ®2 ® 4 ® 6 ® 7 Q3 Q2 Q1 préparations QOD décollage ® 3 ® 5 ®1 ®2 ® 4 ® 6 ® 7 Q3 Q2 Q1 préparations QOD décollage ® 3 ® 5

Figure 4 – Métaphore du lancement en orbite

Détaillons la métaphore dans l’ordre, en partant du début, du lancement d’une fusée et de la mise en orbite de son dernier étage. L’entretien en situation duelle y est comparé, dans ses dimensions événementielle et temporelle. Parcourons les analogies significatives, depuis la préparation et le lancement jusqu’à la fin d’un « tour complet ».

préparations QOD décollage préparations QOD décollage Figure 5

Un entretien compréhensif non directif (ECND) nécessite des préparations de fond et de forme : choix de l’échantillon significatif, choix des conditions spatiales et temporelles, choix de la question ouverte de départ (QOD) en relation avec les hypothèses, choix des conditions de la validation de la QOD, choix de la présentation de la démarche

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d’entretien. Cette phase est celle de la préparation de la fusée et de son acheminement sur le pas de tir.

La Question Ouverte de Départ est la mise à feu de notre fusée. Remarquons que par analogie, la mise à feu ne signifie pas le décollage immédiat. Une pesanteur doit être vaincue : la fusée ne s’élève que lorsque la poussée est plus forte que la gravité de l’attraction terrestre. Il existe des décollages d’entretien qui sont plus ou moins inertes, plus ou moins rapides, ce qui dépend de facteurs très complexes sur lesquels la marge d’intervention de l’interviewer est très petite, et très fragile. Les corrections de décollage ne peuvent être brusques. Par exemple, si la question est purement et simplement renvoyée à l’interviewer, ou si l’interviewé se tait, ou encore s’il exprime qu’il n’a pas de réponse à la question, etc., l’interviewer doit appliquer la reformulation (que nous expliquons plus bas). Dans la très grande majorité des cas, la QOD lance l’entretien, et l’interviewer obtient une réponse exploitable qui correspond analogiquement au décollage du premier étage de la fusée. Dans cette phase risquée, l’interviewer considérera chaque instant qu’il passe à écouter comme le rapprochant de la mise en orbite de l’entretien.

®1 ®2 ® 4 ® 6 ® 7 Q 3 Q 2 Q 1 préparations QOD décollage ® 3 ® 5 ®1 ®2 ® 4 ® 6 ® 7 Q 3 Q 2 Q 1 préparations QOD décollage ® 3 ® 5

® 1

® 2

® 1

® 1

® 2

Figure 6

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L’interviewé a commencé à s’exprimer en parlant et en accompagnant sa prise de parole de plus ou moins de comportements non verbaux. Parfois la fusée s’élève sans difficultés, parfois elle peine, parfois il est nécessaire de mettre à feu un autre étage, par exemple si l’interviewé s’arrête de parler. En effet le lancement de l’entretien peut durer un certain temps et, ainsi que le schématise la figure 6, un « deuxième » étage doit parfois être lancé, qui n’est en aucun cas la répétition ou des « compléments » à la question de départ. La typologie de ces instants de l’entretien se résume en quatre grandes situations : des silences pleins, des silences vides, des demandes normatives sur ce qui vient d’être dit, des demandes de compléments, de l’interviewé à l’interviewer. L’interviewer doit relancer l’entretien, et il possède pour cela des outils dont le principal est la reformulation (Rogers) qui consiste à reprendre, en miroir, ce qui vient d’être dit et exprimé, soit en le répétant presque littéralement, soit en en faisant la

synthèse compréhensive empathique (Porter). Pour y réussir, l’interviewer aura du écouter, au double sens de ne pas parler et de faire silence intérieurement en suspendant

tout jugement (Freud). Lorsque l’interviewer est formé à pouvoir ainsi écouter, le problème de la mémorisation de ce qui est dit par l’interviewé ne se pose plus. Et l’interviewer est apte à faire des reformulations, c’est-à-dire à présenter à l’interviewé un miroir de son cadre de référence, le plus fidèle possible. De toutes façons, l’interviewer saura très vite s’il est empathique et apte à reformuler « correctement » car il existe une relation causale entre la conduite de l’entretien par l’interviewer et ce que l’interviewé livre de son cadre de référence.

La figure 6 montre aussi que parfois il faut plus d’une relance pour stabiliser le lancement de l’entretien.

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®2

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Figure 7

Parfois l’entretien est « en orbite », plus ou moins rapidement à partir de son lancement, ce qui se reconnaît au mode d’expression verbale de l’interviewé. D’une façon générale, le débit de parole est peu rapide. Il peut exister aussi des silences plus ou moins longs, qui sont « pleins », ce qui se diagnostique à l’observation de l’attitude de l’interviewé qui est alors « tourné vers l’intérieur de lui-même » et de son discours, les silences « vides » se reconnaissant à la sollicitation interrogative verbale ou non-verbale de la part de l’interviewé vers l’interviewer. Les silences pleins sont des signes positifs de fonctionnement empathique qui distinguent radicalement un entretien compréhensif non directif d’une interview par un journaliste.

Gérard Delacour - Apprendre comme Inventer ®1 ®2 ® 4 ® 6 ® 7 Q 3 Q 2 Q 1 préparations QOD décollage ® 3 ® 5 ®1 ®2 ® 4 ® 6 ® 7 Q 3 Q 2 Q 1 préparations QOD décollage ® 3 ® 5 ® 3 ® 4 ® 5 ® 3 ® 4 ® 5 Figure 8

La « mise sur orbite » est le signe d’un entretien correctement lancé. On observe que la prise de parole par l’interviewé est durable, qu’elle se déroule par l’expression d’éléments qui concernent le cadre de référence du Sujet, et qu’elle s’installe dans l’intériorité, voire dans l’intimité de pensée de l’interviewé. Nous notons que les reformulations successives qui accompagnent le chemin parcouru (R3,…) peuvent amener l’interviewé à se livrer au-delà de ce qu’il peut consciemment souhaiter.

C’est pourquoi, notamment en situation institutionnelle, il est très important de maîtriser cette mise en intimité du Sujet, et savoir arrêter un processus analytique qui peut être reproché à l’interviewer par la suite. Pour sortir à tout moment du processus de descente plus profonde dans le cadre de référence intime du Sujet, il suffit à l’interviewer de poser une question fermée qui fait sortir l’interviewé de l’expression de son cadre de référence, orbite sur laquelle il se trouve. Notons donc que techniquement, si l’interviewer fait l’erreur de poser des questions fermées au lieu de reformuler, il sortira aussi, mais involontairement, du cadre de référence du Sujet. La raison en est que toute

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question fermée exprime le cadre de référence de l’interviewer au lieu de se positionner à l’écoute de celui de l’interviewé par la non directivité d’une question ouverte.

Résumons en disant que l’entretien qui a débuté par la QOD, se poursuit autant que possible grâce à des relances empathique faites de reformulations.

® 6 ® 7 Q3 Q2 Q1 ® 6 ® 7 ® 6 ® 7 Q3 Q2 Q1 Figure 9

Se prolongeant dans une certaine durée, l’entretien permet d’obtenir une quantité et une qualité discursives. Et on observe qu’après avoir livré son cadre de référence, l’interviewé a souvent besoin de faire une sorte d’étape. L’interviewer connaît la technique de reformulation qui peut encore être appliquée au bout des quatre ou cinq précédentes : il s’agit d’une grande reformulation (R6) qui reprend tout ce qui s’est dit depuis le début. L’interviewer, en pratiquant ainsi permet à l’interviewé de se positionner sur plusieurs plans complémentaires de la situation duelle : en recevant la synthèse de son cadre de référence exprimé, l’interviewé prend conscience de ce qu’il a dit, entend ses propres enchaînements d’idées, et est assuré de l’écoute large que lui offre l’interviewer.

A ce point, l’interviewé a plusieurs possibilités : soit de continuer et d’approfondir encore, soit d’exprimer plus ou moins explicitement que le tour de la question ouverte a été fait.

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L’interviewer peut choisir ce moment pour poser des questions complémentaires (Q1, Q2, Q3,…), qui seront considérées comme « fermées », puisqu’elles arrivent au bout d’un certain temps, dans l’entretien, en fonction des réponses données spontanément par l’interviewé.

L’entretien peut être considéré comme terminé :

- lorsque les reformulations n’apportent aucun approfondissement supplémentaire, - lorsque les questions complémentaires n’apportent pas de réponse détaillée,

- lorsque des éléments de discours identiques à ceux qui ont déjà été fournis dans l’entretien, reviennent.

Figure 10

Il faut savoir que le niveau de profondeur d’un entretien compréhensif non directif dépend de deux facteurs : ce que l’interviewer est disposé à consacrer en temps et en qualité d’écoute, et la qualité des relances au cours de la phase de lancement. Prolongeons la métaphore : on se trouvera sur une orbite plus ou moins haute ou basse. Le cas de l’orbite interrompue, notamment par une rupture du contrat compréhensif par des questions fermées, a aussi été évoqué.

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