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Expliquer, interpréter

Dans le document Apprendre comme Inventer (Page 168-171)

Chapitre III – Analyses

9. Le cadre théorique et les conditions d’analyse

9.1. Expliquer, interpréter

La difficulté est avant tout d’échapper à la querelle classique entre perspective herméneutique et perspective explicative causale. En effet, l’acte pose un problème particulier dans le cadre de cette querelle de fond, dans les sciences humaines (Mendel, 1998, 62-77). L’insension comme acte, l’inventer de l’apprendre, pose la question de sa compréhension « avec les deux yeux » que sont la vision par l’interprétation et la vision par l’explication (Mendel, 1998, 75). Mais nous ne souhaitons pas nous écarteler entre des outils qui prétendraient faire accéder à la nécessaire interprétation d’un « sens subjectif », et des méthodes d’explication « objective » de la situation d’apprendre comme inventer. D’un côté, la perspective herméneutique « met l’accent sur le sens que revêt pour le sujet toute manifestation de soi (…). Pour l’observateur, la compréhension de ce sens implique une connaissance qui ne peut se limiter à la seule expression manifeste du sujet : elle doit s’élargir à la culture dans laquelle il vit ainsi qu’à sa

subjectivité entière, par laquelle et à l’intérieur de laquelle cette culture prend vie et

sens. Pour accéder à une telle connaissance, la compréhension intersubjective (observateur-sujet) apparaît indispensable » (Mendel, 1998, 63). Ainsi est posée la question illimitée de l’interprétation puisque : « on ne comprend vraiment le sens que de ce qu’on peut soi-même imaginer qu’on pourrait éprouver ou exprimer ». Au cours de la conduite d’entretien, ce problème est partiellement résolu par l’attitude

Gérard Delacour - Apprendre comme Inventer

empathique non directive, et par la formation psycho-analytique de certains interviewers qui parviennent à une maîtrise de leur suspension du jugement. Pour l’accès et l’analyse du sens, l’observateur « reliera la manifestation étudiée non à une cause objective, mais à tout un réseau complexe de représentations et significations culturelles et subjectives » (Mendel, 1998, 63), ce qui peut occasionner de grandes dérives ou provoque le brusque retour à la raison par l’autorité de la tradition référencée. L’apprendre comme inventer ne peut pas non plus donner lieu à une exégèse du mystère, au risque de considérer les traces de l’insension comme une production ésotérique qui appartient exclusivement au Sujet singulier et donc incommunicable comme telle. D’un autre côté, l’autre perspective, explicative causale, considère comme « inutile et non pertinent dans les sciences humaines et sociales tout accès à la connaissance qui se ferait par la recherche d’un sens subjectif » (Mendel, 1998, 65). Ainsi la Vérité pourrait-elle être dite, en toute lumière, par des experts qui échapperaient à toutes les sortes de conditionnements personnels et sociaux, parce qu’ils auraient accès à l’explication des phénomènes humains grâce à la découverte de clés objectives de compréhension ? Nous sommes en accord avec Mendel qui déclare absurde « une telle coupure radicale entre méthode interprétative et méthode explicative ». Nous ne pouvons pas nous résoudre à choisir entre les deux méthodes en nous satisfaisant ainsi d’un apaisement simpliste et momentané. Nous avons souhaité remplacer « subjectivité » par « cadre de référence », et « objectivité » par « cadre référentiel ». Dans l’apprendre comme inventer, nous expérimentons, pour nous-mêmes et à travers les résultats fournis par autrui, d’être soumis « à une interactivité entre deux forces à reconnaître dans leurs vérités particulières : le sujet (et) la réalité étrangère au sujet. Avec cette question : comment (…) donner une place équitable à la fois à la subjectivité [cadre de référence] et à l’objectivité [cadre référentiel] sans céder à la tentation ni de l’éclectisme tiède ni de l’arbitraire subjectiviste auquel mènerait inévitablement tout essai de pseudo-évaluation des proportions respectives des forces en présence ? » (Mendel, 1998, 66-67). Nous posons la double nécessité d’une écoute de la part du Sujet expert, - dépasser l’entendre, que ce soit vers l’explicite ou non – et d’un éclairage du sens par le Sujet inventeur de ce sens. La méthode consiste d’une part à relever, dans le discours recueilli, les

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modalités d’apparition et de liaison des données subjectives qui ouvrent l’expert à une

compréhension interprétative. D’autre part, quelque chose déborde le « hic et nunc », le singulier enfermé dans une existence conjoncturelle et unique. Penser ainsi, c’est « recourir à l’explication, c’est définir des causes ayant leur raison ailleurs que dans le seul discours de l’analysant : dans une réalité qui a son siège dans la matérialité du monde ». Mendel s’interroge sur ce qu’il désigne comme une « constante : la nécessité pour l’être humain de relier toute manifestation de soi à du sens ». Dans le cadre de notre objet, il nous semble nécessaire de considérer le statut épistémologique particulier des sciences humaines et sociales comme un statut qui « reconnaîtrait l’impossibilité pour ce qui les concerne d’échapper à une tension et même à une interactivité entre subjectivité et objectivité » (Mendel, 1998, 75). Si on considère la notion d’acte, « par exemple l’acte de travail, on se trouve contraint de reconnaître que l’acte accompli dans une institution productive est soumis à des contraintes qui dépendent de l’organisation du travail ». L’acte du Sujet se réalise « sur un mode morcelé, partiel par rapport à ce qu’est l’acte complet de l’institution. De telles particularités vont retentir sur le sens que prendra son acte pour le sujet qui l’accomplit, et ce retentissement, qui prédétermine de

l’extérieur du sujet – un extérieur objectivement perceptible et mesurable – une partie

de la subjectivité, imprimera sa marque dans le vécu (plaisir ou souffrance, intérêt ou démotivation, etc.) et s’inscrira finalement dans la personnalité » (Mendel, 1998, 76). Comprendre ce qui prend sens « intrasubjectivement » pour le Sujet entraîne qu’ « on ne peut (…) se limiter au sujet seul, à son discours, ni même à l’étude de la relation intersubjective avec les autres. Puisque l’organisation du travail joue un rôle essentiel dans la formation du sens, il faut nécessairement, à l’intérieur même du modèle construit de compréhension du sens, reconnaître, assumer, intégrer ce fait objectif comme composante explicative-causale. Il est nécessaire dès lors d’élaborer un autre modèle plus complexe, explicatif et compréhensif à la fois, dans lequel organisation du travail et sujet se trouveront en interactivité » (Mendel, 1998, 76-77). Ainsi Mendel nous fournit un modèle qui tient compte ensemble du social et du psychologique, modèle qui permet le double regard de l’explication et de la compréhension.

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