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Chapitre 1. Les marqueurs de l’engagement. Singularités et analogies

1.2 Le personnage sorélien ou la poétique du vaincu

1.2.2 Le personnage du prisonnier

Une autre catégorie de la typologie du personnage vaincu est celle qui concerne le prisonnier, victime d’un régime totalitaire, comme c’est le cas de la Roumanie de Nicolae Ceausescu (1967-1989) ou du camp d’extermination d’Auschwitz (1940-1945).

Le roman La caverna del comunismo (2007) représente une critique radicale non pas de l’idée de communisme, mais de son application totalitaire dans une bonne partie du XXe siècle. Qualifiée de fantaisie politique dans le paratexte, cette œuvre à caractère dystopique est une fiction faisant sans cesse écho à l’Histoire réelle. La critique du système communiste se fait principalement entre ceux qui subissent le pouvoir et ceux qui l’exécutent ou le représentent.

« K », le personnage central qui ouvre le roman – un hommage sans doute à Franz Kafka et Joseph K., le protagoniste du roman Le procès1 – explique ses conditions de travail

1 Dans Le procès (1925), Joseph K. se réveille un matin et, pour une raison obscure, est arrêté et soumis aux rigueurs de la justice.

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déplorables. Il s’agit d’un mineur condamné à creuser jour et nuit dans une caverne souterraine placée sous le Palais du Peuple de Ceausescu à Bucarest à partir de 1984, pour construire, concrètement, la chambre funéraire, d’un accès extrêmement labyrinthique1 où reposera le cercueil du dirigeant : « una tumba laberíntica de acero y hormigón conformando un cerrado universo en el que K había pasado a ser su único habitante » (Caverna, 31). En effet, il s’agit d’une victime d’un pouvoir qui relève de la mégalomanie et de la démesure. Actuellement, il se trouve complètement seul face à des travaux colossaux.

Son prénom, réduit à une simple consonne, est un symbole de sa faible visibilité sociale : presque inexistante, comme un simple numéro ou, comme l’indique le narrateur : « un fantasma que vaga sobre un mundo desvanecido y seguramente olvidado » (Caverna, 37). De plus, on ne dispose pas d’information sur son caractère ou sur son physique, et très peu sur sa biographie, ce qui donne au personnage une portée universelle, car il représente le sacrifice incessant d’une population condamnée à obéir, comme lui-même. Le narrateur le présente comme un ouvrier peu cultivé, victime de la propagande littéraire de son pays : « El minero había leído poco durante su vida, fuera de los manuales del partido, los libros que narraban hazañas de Ceausescu, y algunas poesías de poetas y patriotas rumanos » (Caverna, 15).

Dans cet immense sous-sol complètement isolé de l’extérieur, il y a des ampoules allumées en permanence, et les montres, les agendas et les calendriers des mineurs ont été confisqués. Selon K : « Aquí el tiempo no existe » (Caverna, 17)2. L’attitude mégalomane et destructrice de Nicolae Ceausescu est pointée du doigt quand K se pose des questions sur les travaux de construction du Palais : « Nos miramos más aterrorizados que estupefactos ante la magnitud de aquellos proyectos, el coste humano y económico que le iba a suponer al país » (Caverna, 16). Il n’a pas le droit de poser des questions au chef des travaux, l’arpenteur, car « las preguntas […] como las opiniones políticas, habían sido declaradas inexistentes en nuestra tierra » (Caverna, 24). Sa seule fonction est de travailler. Réfléchir est une activité privative de l’arpenteur, car c’est lui qui possède toutes les réponses à ses questions. Mais même lui obéit aux ordres, dans une structure bureaucratique et hautement hiérarchique : « Para decidir lo que ha de hacerse ya estamos nosotros, los que pensamos que pensamos, que tampoco pensamos, más bien yo diría que también obedecemos » (Caverna, 24).

1 Ce n’est pas par hasard si le narrateur compare à un moment donné Ceausescu avec la mythique figure du Minotaure, dans le but de dénoncer son aspect le plus sauvage et ses pulsions instinctives. Il fait aussi l’objet de plusieurs comparaisons parodiques, tels que « Dracula, le descendent du comte de Transylvanie », « Dieu » ou « Pharaon », afin de ridiculiser sa perversité et son culte de la personnalité.

2 Le personnage de K vit dans une sorte de cauchemar sous terre, où le moindre lien avec l’extérieur a été supprimé par l’arpenteur (pas de sons, pas de contact avec la famille). Il a perdu la notion du temps (année, semaines, jours) et même la communication orale avec les autres travailleurs de la cave a, au fur et à mesure, disparu.

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K ignore combien de temps lui reste pour finir de creuser dans la cave, dans un travail mécanique, dur et visiblement éternel. Il est le représentant traumatique de la parole confisquée, mais par le biais de l’euphémisme il réussit à parler de la situation catastrophique de son pays et du tyran qui est à la tête du pouvoir, sans pour autant assumer la parole : « Fueron, dicen los que dicen estas cosas que nosotros no podemos decir, varios millones de personas las sacrificadas por culpa de la locura de un analfabeto sagaz, tan astuto como inmoral y cruel » (Caverna, 27).

À travers le dispositif métaleptique, K s’adresse directement au lecteur pour insister sur le fait que la situation de terreur imposée par Ceausescu pour consolider son pouvoir n’est pas fictive, mais bien réelle, et que lui et ses collègues mineurs la subissent : « Algunos podrán pensar que esta historia es pura fabulación […] Y sin embargo, yo, K, afirmo que es real » (Caverna, 68). Il raconte aussi son vécu à Bucarest, submergé dans des queues immenses pour obtenir de quoi manger, dans un pays devenu une « colonia penitenciaria » (Caverna, 83). Il témoigne du malheur d’un peuple résigné, méfiant, constamment surveillé, obligé d’obéir et recevant en partage la peur et la famine : « Fatalistas, desprovistos de esperanza, la única religión que nos unía era la resignación. Hermanados en el hambre y en el miedo » (Caverna, 81). Aujourd’hui, il travaille seul dans la caverne, dans l’obscurité, sans musique, et sans la compagnie de ses collègues mineurs, décédés pour la plupart. En effet, le sous-sol du Palais du Peuple roumain est une métaphore de l’incommunication, de la déconnexion entre la population et les dirigeants du pays.

Il fait partie des personnages anonymes qui subissent les aléas de l’Histoire. Le temps pour le plaisir est inexistent pour lui, qui assure qu’on l’a obligé à creuser la terre de son pays à vie, après avoir été faussement accusé d’être gréviste : « Me acusaron de ser uno de los instigadores de las huelgas mineras de los años 70 » (Caverna, 83). Puis d’avoir été durement torturé : « Fui encarcelado y no os aburriré con las torturas que me inflingieron » (Caverna, 83). Ce personnage est un bouc émissaire, une sorte de dommage collatéral produit par une politique extrême et farfelue, mais représentatif d’une bonne partie de la population roumaine de l’époque, plongée dans l’oppression. Sa valeur principale est celle de la résistance, de sa survie à une dure punition, voire à une répression : « Antes fui detenido y golpeado y torturado. Ahora soy un obrero de la revolución y construyo la Casa para el Pueblo » (Caverna, 143). Dans l’histoire de son travail, il passe de l’exploitation en raison d’un salaire misérable quand il travaillait dans une usine, à la condamnation à vie à cause d’une punition inexplicable :

No cavo mi propia tierra por gusto o necesidad, sino que siempre me han obligado a cavar la tierra de los otros. Al principio por un mísero jornal. Después por la condena que me impusieron. Una

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mañana me desperté sentenciado a cavar de por vida. Y aquí sigo, cavando, cavando (Caverna, 15-16).

Désormais, il a assumé les valeurs de l’abnégation et de la soumission et il a pu miraculeusement éviter la mort, habituellement causée par un suicide ou par un règlement de comptes politique : « Yo, K, no era solo el condenado, era el instructor de mi propio proceso » (Caverna, 82). C’est un véritable résistant qui travaille d’arrache-pied dans des conditions inacceptables, complètement isolé et sans le moindre droit. En effet, il n’a que des obligations : « Cavamos, cavamos, a eso se reduce la vida en el tiempo y el país que dejaron de existir. Cavábamos nuestras tumbas » (Caverna, 24). De ce fait, K représente une dichotomie entre le

vouloir et le devoir. Il doit faire ce travail par obligation et sans le moindre confort, alors qu’il aimerait être libéré de cette charge de travail inhumaine, et voir enfin la lumière de l’extérieur – autrement dit, être libre. Il est le fruit d’une punition et d’une politique répressive et aveugle, qui aurait pu lui coûter la vie. Au fil du temps, il a fini par s’adapter et par assumer son rôle, voyant le côté positif : « Luego ya me acostumbré a la oscuridad, a vivir con las sombras […] Incluso me considero el dueño del mundo. Los convoco [los muros] y me pertenecen » (Caverna, 146). Malgré tout, K garde encore l’espoir de pouvoir être liberé une fois les travaux finis : « [Me comunicaron] que hasta que concluyéramos el proyecto no podríamos regresar a la luz » (Caverna, 16).

À la fin du roman, K finit par mourir dans la caverne, tout seul et sans pouvoir atteindre la lumière promise – ce qui était son véritable souhait –, décomposé et transformé en cendres lors de l’incendie désastreux qui désole le lieu : « Un resplandor de fuego se extendió por doquier » (Caverna, 358). Paradoxalement, le narrateur raconte que ce qui brûle réellement est la mémoire historique, justement celle que l’on vient de découvrir à la lecture de l’œuvre. C’est comme si le roman, une fois lu, finissait par s’autodétruire, comme un cauchemar épineux dont personne ne voulait se souvenir. À notre sens, l’auteur veut exprimer à travers le symbolisme de la mort de K que cette forme autoritaire d’application du communisme – basée sur l’obéissance hiérarchique et la répression systématique des dissidents – est vouée à l’échec et à la disparition. Dans un sens plus large, cela signifie qu’il faudrait tout détruire pour mieux régénérer le système, une possibilité que la diégèse délègue directement au lecteur, puisque « difícilmente de aquellas cenizas podría renacer vida alguna » (Caverna, 358).

Un personnage homonyme est le protagoniste d’un autre roman : Último tango en Auschwitz (2013). Il s’agit de K, un violoniste juif1 déporté dans le camp d’extermination d’Auschwitz à l’âge de seize ans, et recruté dans l’orchestre du camp – composé de détenus –

1 D’autres violonistes réels ont pu inspirer l’auteur, comme par exemple Jacques Stroumsa (Salonique, 1913) présent dans le récit, Henry W. Meyer (1923-2006) ou encore Jozef Kropinski (1913-1970).

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que dirigeait Mosin Kals1, grâce à sa virtuosité. Après avoir vécu des moments horribles dans l’ambiance du camp, il réussit, par miracle, à ne pas être exterminé. Le récit commence par nous montrer K à l’âge adulte, traumatisé par cette culpabilité du survivant2. Le récit s’ouvre avec un cauchemar du personnage sur sa vie dans le camp, dont Mosin Kals l’avait déjà prévenu à l’époque : « Si milagrosamente sales vivo, nada de lo que ahora ves podrás transmitirlo, nadie te escuchará, sólo envenenará tus sueños » (Tango, 23). En tout cas, il s’agit d’un témoin oculaire qui nous livre en tant que spectateur privilégié toute sorte de détails sur la vie dans le camp : le voyage en train, les anecdotes, la famine, les odeurs, les travaux forcés, les tortures, les exterminations, etc.

Son prénom, comme on l’a déjà indiqué pour le personnage du roman précédent, symbolise sa faible relevance existentielle : c’est une simple lettre, mais avant tout un banal numéro, le 178.825, gravé sur son avant-bras gauche comme il était habituel dans la logique du rationalisme nazi, et que le personnage évoque souvent. La référence au monde kafkaïen est aussi explicite, car comme le dit K : « Los metamorfoseados en insectos carecemos de lenguaje correcto […] Y además vivimos impotentes, indefensos y atormentados por las dudas » (Tango, 46-47). Son identité est déchirée, marquée à vie par une expérience dont il ne peut pas se défaire. Il se présente de cette façon :

Me llamo, le dije a la muchacha, K, K de Kafka, K de Kommando, K de Krematorium […] Los nombres, mi nombre, no existen. Y el dígito que me identifica, 178.825, a ti nada ha de decirte. Porque hace ya más de medio siglo que no soy sino un número. El día que llegué a Auschwitz perdí mi identidad (Tango, 23).

On ne dispose pas de beaucoup de données sur K, que ce soit au niveau de son physique, de son aspect vestimentaire ou de sa personnalité. Ce qui intéresse le narrateur est de nous fournir son portrait psychologique pendant et après son passage par le camp, ainsi que quelques éléments biographiques. Cependant, K avoue n’appartenir à aucun parti ni organisation politique, mais il a toutefois ses propres opinions : « No, no soy ni he sido nunca miembro de ningún partido […] Pero sí comparto formulaciones realizadas por determinados pensadores o escritores » (Tango, 27). C’est un homme solitaire et discret, mais qui a une connaissance profonde du monde intellectuel et une grande culture. Il parle fréquemment des écrivains comme Stanislaw Jerzy Lec, Primo Levi, William Shakespeare, Paul Celan, et il a même rencontré Albert Einstein aux États-Unis, où K a été exilé. Pendant ce temps, il ne mène aucune

1 Pour construire ce personnage, l’auteur s’est sûrement inspiré du compositeur et chef d’orchestre Simon Laks (1901-1983), juif Polonais déporté à Auschwitz en juillet 1942.

2 Le souvenir des autres prisonniers qui ont été brûlés dans le four crématoire du camp le martyrise : « Les veo a ellos, como si me contemplaran desde allí arriba, como si me reprocharan diciendo : nada hiciste, nada hicisteis por salvarnos, y aquí estamos, aquí seguimos vagando eternamente » (Tango, 36).

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vie sociale. Il se contente de donner des cours de musique, et les livres sont pour lui de véritables camarades.

Après avoir découvert toute la littérature des survivants d’Auschwitz, K décide d’écrire ses mémoires afin de laisser un témoignage à caractère poétique et réflexif : « una confesión personal, interrumpida por meditaciones » (Tango, 18), ce qu’il fait par le biais d’une longue analepse qui remémore sa vie dans le Lager, et toutes les monstruosités dont il a été le témoin privilégié. Il ne prétend pas raconter ni interpréter Auschwitz, mais juste essayer de comprendre comment l’être humain a pu construire une chose semblable. Son but, plus humble, consiste à « ofrecer una expresión a la pesadilla que siempre me acompañó » (Tango, 40). Pour K, le fait d’écrire et de remémorer son passé signifie enfin la possibilité de vivre : « escribir sería vivir, vivir para hablar por primera y única vez y así caminar hacia la muerte » (Tango, 44).

Une jeune, appelée Kyoko et quarante ans plus jeune que lui, l’aide à transcrire ses écrits à l’ordinateur, lors de ce geste symbolique de passation de la mémoire : « Las páginas que ahora transcribes son sólo las del sufrimiento » (Tango, 28). K retrouve l’amour à la fin de sa vie et tombe amoureux de la jeune femme, son deuxième et dernier amour, avec qui il revit le plaisir oublié : « Hace muchos años que desaparecí, perdí las ganas de hablar y de vivir. Solamente tú me has enseñado qué pudo ser la vida » (Tango, 52).

Son but est que son histoire d’horreur puisse servir et être accessible aux nouvelles générations : « también puede hacerlo un lector si estos papeles llegaran a publicarse bajo algún nombre » (Tango, 32)1. De plus, étant donné la difficulté de raconter son expérience, par son côté invraisemblable, K en profite aussi pour parler ironiquement à Kyoko, pour évoquer l’amnésie mémorielle de la jeunesse actuelle sur ces événements : « Aquello no ocurrió y es el pasado además, ¿comprendes? Y otras cosas que ocurren en el presente no suceden tampoco, porque tampoco van contigo, no te atañen, luego no existen » (Tango, 33).

Il raconte qu’à Auschwitz il était aux ordres du blockführer, le SS responsable du baraquement, et sa fonction consistait à jouer de la musique sur commande et de force dans l’orchestre du camp, devant les prisonniers qui arrivaient par train, ou ceux qui allaient ou venaient pour faire des travaux forcés. L’orchestre jouait tout type de musique : des marches militaires, de la musique classique, du jazz, mais notamment des tangos, extraits qui apparaissent également au début des cinq séquences du roman. Nombreux sont les moments

1 Comme le souligne Javier Sánchez Zapatero, « dar cuenta de lo ocurrido se convierte así en una forma de oposición –quizá la única de que disponen los presos– contra los regímenes totalitarios ». En ce sens, le témoignage sert aussi à faire le lien avec le présent et à se projeter vers l’avenir : « Los testimonios de los supervivientes reconstruyen experiencias concretas del pasado que pueden ser aplicadas a problemáticas del presente, dándoles con ello un sentido de universalidad y ejemplaridad ». Dans J. Sánchez Zapatero, Escribir el horror. Literatura y campos de concentración, Barcelone, Montesinos, 2010, p. 106 et 108.

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pendant lesquels K s’interroge sur l’utilité de cette musique dans le camp, qui était devenue pour lui un instrument de torture, une « aliada de la muerte » (Tango, 121). Pour les nazis, la musique représentait une sorte d’extase, et contribuait à adoucir les mœurs des prisonniers, à maintenir l’ordre et la paix sociale. En effet, selon le lieutenant nazi Thomas Kahr : « La música es buena para dormir los pensamientos, apaciguar los sufrimientos, sobre todo las ofuscaciones que pueden concluir en actos de desorden o rebeldía » (Tango, 140). En revanche, les prisonniers la vivaient comme une torture supplémentaire. Selon Mosin Kals : « los presos odian la música y nos odian a quienes la interpretamos por reírnos de su sufrimiento » (Tango, 20). En résumé, la musique provoquait un effet euphémistique, car elle cachait la torture du camp sous d’harmonieux accords : « La música acompasa el sonido de los bastones que lejos de la fiesta quiebran costillas, de las sacudidas eléctricas que recorren los cuerpos de los castigados y enloquecidos » (Tango, 126).

À sa sortie du camp, en tant que survivant, K n’avait plus de famille à qui s’adresser – ses parents et ses sœurs furent exterminés à Auschwitz – ni à qui demander pardon pour ne pas avoir été exterminé. Il était « un árbol solitario carente de raíces, un árbol seco con una única pregunta dirigida a sí mismo: ¿por qué vivimos nosotros, por qué no fuimos sacrificados como los demás? » (Tango, 43).

Le personnage meurt peu après, dans les bras de Kyoko, qui se trouve face à un dilemme concernant l’utilisation de son héritage, et à qui il laisse une émouvante lettre d’adieu. Sa mort est tragique et symbolise le désir de K de transmettre sa mémoire :

El frío continuaba paralizando sus movimientos. Hizo un postrer intento por llamarle: ven, ven a mi lado, no te vayas, no te vayas así. Pero estaba sola. Nadie le respondía. Sollozaba con fuerza. Y a la mañana siguiente le comunicaron que K había muerto (Tango, 36).

Il meurt non seulement de vieillesse, mais aussi de toute la souffrance qu’il a cumulée pendant des années. Ce n’est pas très explicite, mais il paraît que K suggère dans sa lettre à Kyoko l’idée du suicide : « un hombre que ya no sobrepasará los setenta años de experiencia, porque ha comprendido que alargar un día más su agonía carece de sentido » (Tango, 52). C’est la conséquence d’une réalité devenue insurmontable pour K. Comme il a trouvé le relais pour perpétuer sa mémoire, K peut mourir en paix et avec la certitude que la cruauté qu’il a vécue ne sera pas passée sous silence après sa mort. Cette fin symbolise une invitation au lecteur de faire en sorte que, à la manière de Kyoko, la mémoire d’Auschwitz perdure, que l’on n’oublie pas ce qui s’y est passé, et que même si cela ne nous concerne pas directement, elle ait pour autant une place dans notre esprit. En définitive, que l’indicible soit enfin nommé.

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