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Contours de l’engagement. Entre la liberté et la responsabilité

ENTRE LA POLÉMIQUE ET L’IMPASSE

1.2 De quoi l’engagement est-il le nom ? Andrés Sorel lecteur de Sartre

1.2.1 Contours de l’engagement. Entre la liberté et la responsabilité

À la manière de Sartre3, la base de l’engagement réside dans la liberté pour Andrés Sorel, qu’il applique aussi au scientifique – qui, selon lui, développe comme l’écrivain une pratique de création dans son travail :

El auténtico compromiso del creador o del científico tiene que ver, por encima de cualquier otra consideración, con la libertad. La libertad, la pasión por defenderla, el ansia por entregarse a su causa, es lo que nos convierte en auténticamente humanos, nos diferencia de las bestias y justifica el único progreso defendible: el del conocimiento. La libertad es la diferencia, pero es también el rechazo de la mentira4.

Selon cette citation, la défense de la liberté – d’action, de pensée, de conscience, de croyance – est le facteur déterminant qui meut l’écrivain, car c’est vraiment le seul élément qui nous rendrait véritablement humains. La liberté est donc le principe, la cause qui inspire l’action de l’écrivain engagé : en d’autres termes, la valeur universelle qu’il défend avant tout, à l’égard – et bien souvent contre, paradoxalement – du pouvoir en place et des partis politiques5. On a là un aspect fondamental de la démarche de Sorel, car en effet il semble que cette défense des valeurs universelles implique tôt ou tard une mésentente avec le pouvoir en place. De ce fait, dans l’ensemble des romans de l’auteur, ainsi que dans son parcours intellectuel engagé, on peut dégager un fil conducteur posant deux concepts antagoniques : la liberté face au pouvoir.

1 Andrés Sorel, El falangista vencido y desarmado, Séville, RD, 2006.

2 J.- P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit.

3 Pour J.-P. Sartre, « La littérature vous jette dans la bataille ; écrire c’est une certaine façon de vouloir la liberté ». J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, op. cit., p. 72.

4 Andrés Sorel, Siglo XX. Tiempo de canallas, Tafalla, Txalaparta, 2006, p. 144.

5 Le dictionnaire définit en ces termes la liberté: « État de celui, de ce qui n’est pas soumis à une ou des contrainte(s) externe(s) ». Trésor de la Langue Française Informatisé, article « Liberté ». En ligne [http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?11;s=1303572750;r=1;nat=;sol=0]. Consulté le 22/08/2018.

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L’écriture devient alors un acte ou un instrument de libération – se libérer de ce message que l’écrivain a à dire au monde et libérer les autres par le biais de son écriture. Comme le dit Sartre, « l’écrivain, homme libre s'adressant à des hommes libres, n’a qu’un seul sujet : la liberté »1.

En général, les écrivains engagés ont pour coutume d’inscrire leur conception particulière de l’engagement dans une œuvre, un essai, un article théorique ou un entretien, parallèlement à leurs publications littéraires. Ces manifestations servent à exposer leur conception de la littérature tout en fixant leur positionnement dans le champ littéraire, à justifier leur rapport particulier à la littérature, ainsi que leur manière d’écrire. C’est le cas par exemple de Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ? ou, plus récemment, de Belén Gopegui dans son opuscule Un pistoletazo en medio de un concierto. Acerca de escribir de política en una novela2. Comme l’indique Benoît Denis, « l’écrivain engagé, quelle que soit la manière dont il se positionne, est toujours conduit à se faire le théoricien de sa pratique »3. Dans le cas de Sorel, on ne trouve paradoxalement aucune publication ad hoc qui remplisse cette fonction. Son essai

Siglo XX. Tiempo de canallas (2006) aurait pu en constituer un exemple, mais Sorel y développe un acte engagé qui consiste à faire une critique viscérale du pouvoir dans toutes ses manifestations (politiques, médiatiques, religieuses, économiques, etc.), sans pour autant expliciter ce qu’il conçoit comme engagement littéraire.

Néanmoins, ce qu’il entend par engagement réapparaît dans quelques entretiens publiés dans divers journaux ou publications en ligne, dont notamment celui qu’il nous a aimablement consacré en juin 2010. Sorel, comme Sartre, part d’un postulat : toute la littérature, par vocation ou par omission, par conscience ou par inconscience, est engagée. Le terme « engagement littéraire » deviendrait donc un pléonasme4. Toute œuvre littéraire est engagée, qu’elle aborde la Guerre du Golfe ou la migration des hirondelles, et tout acte est une prise de position politique ou morale. Y compris dans un moment de crise, on a toujours le choix, et ce choix suppose un

1 J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, op. cit., p. 70. Par conséquent, et compte tenu de son œuvre, la liberté dans l’espace narratif consisterait pour l’auteur à ne pas se laisser séduire par la mode littéraire du moment, en écrivant ce qu’il a vraiment à dire, et à vouloir fermement échapper à toute sorte d’autocensure, plus ou moins consciente, s’éloignant délibérément du politiquement correct. Cette liberté s’opère également au niveau générique, puisque le roman est conçu comme un espace ouvert – et, donc, libre – dans lequel la dimension fictionnelle est en dialogue constant avec la dimension factuelle, notamment de l’historiographie et de l’essai, comme nous le verrons plus loin.

2 Belén Gopegui, Un pistoletazo en medio de un concierto. Acerca de escribir de política en una novela, Madrid, Editorial Complutense, 2008.

3 B. Denis, « Engagement et contre-engagement. Des politiques de la littérature », dans Jean Kaempfer, Sonya Florey et Jérôme Meizoz (dir.), Formes de l’engagement littéraire (xve-xxie siècles), Lausanne, Antipodes, 2006, p. 103-117.Citation p. 108.

4 À ce propos, Benoît Denis fait une distinction entre l’engagementlittéraire, qui est propre à toute œuvre littéraire, dans la mesure où elle véhicule une vision du monde, et la littérature engagée, une notion théorisée par Sartre au XXe siècle, qui relirait la littérature à une volonté consciente de responsabilité et d’intervention dans la vie politique. Voir B. Denis, Littérature et engagement. De Pascal à Sartre, op. cit., p. 9-12.

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positionnement, qu’on le veuille ou pas. La passivité, le silence, la résignation ou l’indifférence sont aussi des choix. Ainsi, le fondement de l’engagement réside dans le fait de dénoncer ou bien de laisser de côté le sujet. Selon l’auteur :

El escritor es escritor y es ser humano. Como escritor debe trabajar con ahínco en perfeccionar la herramienta de su oficio: el lenguaje. No pervertirlo. No acomodarlo a modas, reglas, convencionalismos. Estudiar sus límites y posibilidades para hacerlo acorde a sus planteamientos literarios. Pero como escritor no ha de olvidar que al tiempo es un ser humano y como ser humano ha de vivir en su tiempo, que es continuidad de otros tiempos y esperanza a la vez de otros distintos, mejores. Haga lo que haga, diga lo que diga, se compromete, siempre será un ser comprometido porque nada de lo que le rodea, en lo que participa, de lo que habla o de lo que escribe, le es ajeno1.

Cette conception de l’engagement de Sorel rejoint directement l’idée d’embarquement

développée par Blaise Pascal dans ses Pensées, et que Sartre reprend par la suite. On est tous condamnés à être libres, donc à choisir constamment. On est tous embarqués et donc responsables de ce que l’on fait, et par analogie, de ce que l’on écrit, de ce que l’on dénonce (ou pas). Autrement dit, personne ne peut prétendre à la neutralité, le silence complice étant une manière comme une autre d’être engagé. Comme le signalait en 1957 Albert Camus : « Tout artiste aujourd’hui est embarqué dans la galère de son temps. Il doit s’y résigner »2.

Le problème réside, à notre sens, dans le degré de conscience que l’écrivain porte sur ce qu’il dit et sur ce qu’il fait. Est-il conscient justement de sa position ? Selon Sartre, « si tout homme est embarqué cela ne veut point dire qu’il en ait pleine conscience ; la plupart passent leur temps à se dissimuler leur engagement »3. Comme l’affirme Sorel :

Nadie está fuera de él. Si se grita o si se permanece en silencio. Si se aplaude o si se silba. Si se participa o si se esconde. Siempre se está a favor o en contra de algo, aunque uno permanezca mudo, ausente, que esto es ya una forma de comprometerse. Importante es arremeter contra aquellos comprometidos en una sociedad determinada que niegan el compromiso a quienes la critican, desean transformarla4.

Non seulement il affirme être bien conscient de son engagement, mais il adopte également une attitude belligérante pour dénoncer tous ceux qui sont, sans forcément l’avouer, complètement engagés dans la défense ou la justification de l’état actuel du monde ; en d’autres termes, tous ceux qui pensent que l’on vit dans le meilleur des mondes possibles et qui refusent de le transformer. C’est le problème que pose le refus de l’engagement, qui s’avère être un faux

1Carlos Sáinz-Pardo, entretien inédit avec Andrés Sorel, Madrid, 23/06/2010. On souligne.

2 Albert Camus, Conférence d’Upsal, 14/12/1957. Cité par Emmanuel Bouju, « Geste d’engagement et principe d’incertitude : le “misi me” de l’écrivain », dans Emmanuel Bouju (Dir.), L’engagement littéraire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 49-59. Citation p. 53.

3 J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 83.

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débat, puisque c’est encore « une forme d’engagement, peut-être la plus authentique »1. On ne peut pas parler de littérature dégagée, car « il existe une possibilité de désengagement, qui consisterait pour l’écrivain à choisir le silence »2.

L’idée de la conscience d’être engagé apparaît même dans le dictionnaire Petit Robert, qui définit le mot engagement comme un « acte ou attitude de l’intellectuel, de l’artiste qui, prenant conscience de son appartenance à la société et au monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa pensée ou son art au service d’une cause »3. De cette définition se dégage aussi un axe important : celui de l’action. En effet, cette idée réapparaît dans d’autres définitions du mot engagement. Selon le Trésor de la Langue Française, l’engagement consiste en la « participation active, par une option conforme à ses convictions profondes, à la vie sociale, politique, religieuse ou intellectuelle de son temps »4. Dans le

Larousse on trouve le « fait de prendre parti sur les problèmes politiques ou sociaux par son action et ses discours »5. Dans ces dernières définitions, on remarque l’idée sous-jacente de

responsabilité envers quelqu’un, d’action, de lutte. On est là aux antipodes de la passivité, du silence ou de l’indifférence.

Dans la démarche de Sorel en tant qu’écrivain engagé, il y a souvent une responsabilité vis-à-vis de son époque, des circonstances historiques qui l’entourent. L’écrivain engagé, par sa conscience et ses choix esthétiques et thématiques, s’est déjà posé la question de la pertinence d’aborder ou non l’histoire, la mémoire, les circonstances actuelles, le devenir de l’être humain. Autrement dit, l’engagement chez Sorel est en quelque sorte un acte altruiste, collectif, communautaire, qui est à l’opposé du pragmatisme individualiste du « chacun pour soi », des valeurs qui sont propres au système néolibéral, qui n’est pas seulement un système économique, mais aussi un système de valeurs6. À notre sens, l’engagement sorélien surgit d’un constat conscient de l’état du monde, de la société, qui provoque un sentiment de colère, d’indignation dans l’esprit de l’écrivain, qui décide ensuite de passer à l’acte, de mettre sa plume au service d’une cause : défendre la liberté en écrivant contre le pouvoir. La conscience serait donc un « don » de la nature qui touche quelques écrivains privilégiés, et dont il faut se servir. Eduardo

1 Benoît Denis, Littérature et engagement. De Pascal a Sartre, op. cit., p. 10.

2Ibid., p. 36.

3 Article « Engagement ». Dans Josette Rey-Debove, Alain Rey et Paul Robert (Dir.), Le Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2013, p. 872-873.

4 Trésor de la Langue Française Informatisé, article « Engagement ». En ligne

[http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?11;s=3359085675;r=1;nat=;sol=0;]. Consulté le 22/08/2018.

5 Dictionnaire Larousse, article « Engagement ». En ligne

[http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/engagement/29510?q=engagement#29393]. Consulté le 22/08/2018.

6 L’engagement de l’écrivain peut bien évidement être mis au service de l’idéologie néolibérale, car il n’est pas l’apanage de la gauche.

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Galeano, un autre écrivain engagé, aborde cette question de la conscience, qu’il définit comme une glande qui torture le sujet pendant la nuit et qui « te impide dormir a pata suelta y sin otra molestia que los mosquitos del verano »1. De ce point de vue, mais dans un sens politique de liberté, Sorel cite Franz Kafka dans son opuscule Siglo XX. Siglo de canallas : « La conciencia está por encima de la autoridad de la ley del Estado »2.

Sorel est convaincu que, sur le terrain de la littérature, tout le monde est engagé, que ce soit dans un sens progressiste ou dans un sens réactionnaire :

El escritor nunca se descompromete. Eso es una falacia. El escritor siempre habla desde un compromiso. Lo que es necesario es precisar con quién compromete su vida y su obra. Hoy, la gran mayoría de ellos se supeditan a los intereses comerciales, al mercado, al desorden de una moral, unas leyes, bárbaras y criminales que santifican los terrorismos impuestos por los poderes oligárquicos, las iglesias, los poderes políticos3.

Dans ses mots, il aborde l’engagement depuis la dualité d’« être engagé avec », soit avec le pouvoir soit avec le contre-pouvoir – ou la dissidence face au pouvoir –, soit avec ceux d’en haut (une minorité) soit avec ceux d’en bas (la majorité). D’après la citation, être engagé, ce n’est pas seulement « être conscient de », mais aussi déclarer la nature de son positionnement. Il importe donc de dégager les biais qui sous-tendent un tel présupposé. Peut-être que l’attitude consciente et intentionnelle de l’engagement chez Sorel est liée au fait que ce dernier a vécu la dictature franquiste, de même que Sartre avait vécu la Seconde Guerre Mondiale en France sous l’Occupation. Ces circonstances historiques poussent à devoir prendre une décision, à agir – soit à collaborer avec le régime, soit à s’y opposer, soit à vouloir passer inaperçu et ne pas se manifester –, à être situé dans un camp ou un autre d’une manière explicite. Mais cet impératif éthique de positionnement ne disparaît pas en temps de paix, le choix étant pour l’être humain un exercice politique par excellence.

Dès son enfance, Andrés Sorel a toujours manifesté sa méfiance vis-à-vis du pouvoir en place, en l’occurrence le poids de l’idéologie du national-catholicisme franquiste et de l’Église catholique. Ces circonstances l’amènent à lire, à s’informer et à militer au Parti Communiste pour un temps. Sans doute cette personnalité a-t-elle été marquée par les circonstances historiques, notamment par l’impuissance face à la censure de certains de ses romans et essais. On peut supposer qu’un tel contexte a aiguisé la sensibilité de l’écrivain à l’injustice, voire a attisé sa colère face aux menaces pesant sur la liberté. Ce sentiment de colère, de rage, explique

1 Eduardo Galeano, Patas arriba. La escuela del mundo al revés, Madrid, Siglo XXI, 2007, p. 249.

2 Andrés Sorel, Siglo XX. Tiempo de canallas, op. cit., p. 146.

3 Teresa Galeote, « Andrés Sorel : “La Iglesia es el mayor cáncer de la sociedad española” », El otro país de este mundo, 01/11/2008. En ligne [http://www.grupotortuga.com/Andres-Sorel-la-Iglesia-es-el]. Consulté le 29/10/2015.

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en grande partie son positionnement et ses choix linguistiques ou esthétiques. En ce sens, à la question sartrienne de « qu’est-ce qu’écrire ? » Sorel répond dans un entretien : « Escribir, al fin y al cabo, es protestar, es gritar siempre, contra tus demonios internos o contra la sociedad externa »1. Il s’agit, finalement, de dire non, quelque chose de si simple, mais de si révolutionnaire2. Par ailleurs, le but de l’engagement n’est autre que de montrer, de signaler, de dévoiler en nommant. L’écrivain engagé est là pour faire émerger à la surface ces choses oubliées, cachées, ou inapparentes, consciemment déguisées. Pour Sorel, dévoiler consisterait, d’une part, à exercer sa responsabilité d’écrivain en dénonçant publiquement ces facteurs d’aliénation ; d’autre part, à faire prendre conscience au lecteur du problème et de cette réalité difficile à repérer. En ce sens, Sartre définit l’engagement comme « l’affirmation positive d’un Bien collectif, que la littérature aurait pour fonction de dévoiler au lecteur par l’exercice de la rationalité critique et l’usage transitif du langage »3. L’écrivain engagé, grâce à son analyse critique des situations, contribue donc à montrer aux autres ce Bien collectif. Plutôt qu’un Dieu tout-puissant, l’écrivain engagé selon B. Denis est un pédagogue qui veut instruire, faire connaître et faire comprendre4.

La citation de Sartre met en évidence également le vieux – et, à notre sens, encore faux – débat sur une littérature transitive ou intransitive, annoncé par Roland Barthes dans son article « Écrivains et écrivants »5. On a déjà abordé l’inconsistance du prétendu argument sur une littérature pure, formelle, dégagée, face à la littérature engagée, voire dénaturée, puisque l’écrivain part toujours d’un positionnement, d’un point de vue, d’une vision du monde – ce que l’on appelle l’idéologie, d’ailleurs –, et dont la neutralité reste impossible et la pureté est immédiatement corrompue. Néanmoins, pour la figure d’un écrivain engagé comme Andrés Sorel, on pourrait appliquer la catégorie hybride de l’« écrivain-écrivant » proposé par Barthes, c’est-à-dire l’écrivain qui prête attention autant à ce qu’il veut dire qu’à la manière dont il va le dire, celui dont « sa parole est libre, soustraite à l’institution du langage littéraire, et cependant, enfermée dans cette liberté même, elle secrète ses propres règles, sous forme d’une écriture commune »6. Il y a ici donc le constat d’une forme de repli ou de retranchement de la modernité

1 Lere Larrañaga, « Andrés Sorel, compromiso y literatura », Egin, 24/07/1994, p. 2-4. Citation p. 2.

2 Comme l’indique le Prix Nobel José Saramago : « “No”. Para mí, ésa es la palabra más necesaria. El “Sí” es una palabra acomodaticia demasiadas veces. El “No” siempre es una demostración de no querer, de lo que significa no querer algo. […] Al menos en mi caso, el “No” es una consecuencia de lo que está ahí fuera, fuera de mí y lo estoy rechazando con esa palabra. […] La palabra es necesaria hoy y, probablemente, la palabra más necesaria es “No” ». Dans Jesús Quintero, Entrevista, Madrid, Aguilar, 2007, p. 272-273.

3 Cité par Benoît Denis, « Engagement littéraire et morale de la littérature », dans Emmanuel Bouju (Dir.),

L’engagement littéraire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 31-42. Citation p. 39.

4 B. Denis, Littérature et engagement. De Pascal à Sartre, op. cit., p. 60.

5 Roland Barthes, « Écrivains et écrivants », Essais critiques, Paris, Seuil, 1964, p. 152-159.

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littéraire, dans sa dimension aporétique, notamment abordée par Theodor Adorno et Jurgen Habermas :

La posture moderne est ainsi fondée sur une aporie, d’ailleurs hautement productive, qui veut que la littérature s’insère dans l’espace public tout en s’en retranchant, qu’elle soit donc à la fois « dehors » et « dedans », déliée des contraintes sociales et pourtant dotée d’une fonction socialement reconnue et valorisée1.

Selon Benoît Denis, Roland Barthes représente la posture du contre-engagement : l’écrivain est « celui qui travaille sa parole […] et s’absorbe fonctionnellement dans ce travail » ou bien « celui qui absorbe radicalement le pourquoi du monde dans un comment écrire »2. À notre sens, écrivain et écrivant ne sont pas deux termes opposés ou contradictoires, mais tout à fait complémentaires. Les écrivains engagés comme Sorel savent très bien, et ils l’ont maintes fois déclaré, que le premier des engagements – ou, si l’on veut, la première responsabilité de tout écrivain – est celui de la forme, du potentiel du langage, en définitive, du bien écrire. Le langage est avant tout leur outil de travail, qui doit constamment se perfectionner. Mais cela n’empêche que l’écrivain engagé participe avec ses œuvres au débat sociopolitique. C’est un choix légitime, mais il n’implique pas d’abandonner la dimension formelle de l’écriture. En ce sens, l’un des topoï les plus fréquents sur l’écrivain engagé, en Espagne ou en France, est celui qui