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ENTRE LA POLÉMIQUE ET L’IMPASSE

1.1 Andrés Sorel comme intellectuel engagé. Rôle et positionnement

1.1.3 Un militant… du langage

Dans le contexte actuel, on assiste massivement à l’absence, au silence ou à la reconversion de l’intellectuel de gauche contestataire – qui trouve une place privilégiée aux côtés du PSOE depuis sa victoire électorale en 1982 – et à la presque disparition de son discours public dans les médias (presse, radio, télévision)2. Le développement en Espagne de la « Culture de la Transition » (CT) et son esprit de consensus et de cohésion a déplacé vers la

1 Byung-Chul Han, Psicopolítica. Neoliberalismo y nuevas técnicas de poder, trad. de l’allemand par Alfredo Bergés, Barcelone, Herder, 2014, p. 17. L’auteur souligne.

2 Selon le philosophe Santiago Alba Rico, « Lo que sin duda resulta extraño es que todavía en nuestros días […] sigamos identificando a los intelectuales con la izquierda y la rebeldía cuando lo normal, lo rutinario, lo esperado, ha sido exactamente lo contrario: asociados objetivamente al poder económico, la mayor parte de ellos ha cooperado siempre con los reyes, los tiranos y los conquistadores ». Dans S. Alba Rico, « Los intelectuales y la política: de vuelta a la realidad », Archipiélago. Cuadernos de crítica de la cultura, n°66, 2005, p. 11-19. Citation p. 14. La figure de l’intellectuel s’est reconfigurée lors des protestations des indignés à partir de 2011, qui ont été soutenues par des personnalités du monde de la culture comme José Luis Sampedro, Eduardo Galeano, Eduard Punset ou le dessinateur Plantu.

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marginalité médiatique les discours critiques envers le statu quo1. Comme souligne le philosophe Santiago Alba Rico2 – qui définit les intellectuels comme des « trabajadores del pensamiento y militantes del lenguaje » – le paradigme de l’intellectuel a complètement changé aujourd’hui, dans la mesure où il y a une rupture entre le savoir et la persuasion. Désormais, le prestige a changé de place, car les « intellectuels » contemporains qui persuadent sont issus de la société du spectacle : footballeurs, chanteurs, stars, acteurs, etc. De plus, les intellectuels les plus médiatiques cautionnent souvent un discours de nature complaisante et flatteuse avec le pouvoir en place, sauf à de rares exceptions, comme par exemple celle de l’écrivain Juan Goytisolo, lors du discours du Premio Cervantes 20143.

Contre toute attente, Sorel revendique encore aujourd’hui, adoptant une position à contre-courant, la figure de l’intellectuel engagé de la gauche radicale. Cela peut probablement paraître une position démodée ou obsolète, voire inefficace, mais elle met en relief le besoin d’une voix critique, d’un contre-pouvoir provocateur face aux décisions politiques et économiques de l’ordre néolibéral : guerres, impérialisme, corruption, impunité, pauvreté, etc. En ce sens, Sorel a une conception très idéaliste, et également très ambitieuse, de ce que doit être un intellectuel et de ce envers quoi doit-il s’engager :

Intelectuales comprometidos. Con el lenguaje. Con su pureza. Restituyendo a las palabras su significado. Comprometidos con la belleza, frente a la extensa invasión de la fealdad que domina todos los ámbitos de las culturas. Con la pasión crítica […]. Con la negación de los valores del mercado, en la ética y la sensibilidad que conforma la independencia. Comprometidos en la desconfianza ante los poderes políticos, ante las alienaciones religiosas, ante conceptos como los de patriotismo, militarismo. Denuncia de la irracionalidad, de los falsos valores absolutos, de la deificación de la historia, de la ciencia, de los cánones sociales o artísticos, de las leyes políticas, los valores consagrados por el uso y la tradición. En el apoyo a los herejes, a los perseguidos, a los marginados4.

Cette citation synthétise tous les points abordés dans son œuvre littéraire, que l’on analysera par la suite. Parallèlement, elle nous fait prendre conscience du fait que la terminologie « intellectuel engagé » n’est plus qu’un pléonasme, car l’intellectuel est toujours quelqu’un

1 L’écrivain Gonzalo Torné affirme sur cette question : « En el núcleo de la CT se establecen unos intereses comunes entre los políticos y los grandes medios de comunicación y sus intelectuales, por el que estos últimos dejan de ser críticos y vigilantes del poder, para convertirse en sus custodios y pedagogos (cuando no en sus bufones) ». G. Torné, « Un mes en el que la CT enfermó », dans G. Martínez (Coord.), CT o la cultura de la Transición. Crítica a 35 años de cultura española, Barcelone, Debolsillo, 2012, p. 56.

2Ibid., p. 15.

3 Dans son discours « A la llana y sin rodeos » du 27 avril 2015, assez critique, Goytisolo affirme : « Ser objeto de halagos por la institución literaria me lleva a dudar de mí mismo, ser persona non grata a ojos de ella me reconforta en mi conducta y labor ». Disponible en ligne sur [ http://www.europapress.es/cultura/noticia-discurso-completo-juan-goytisolo-premio-cervantes-2014-20150423163314.html]. Consulté le 26/11/2015. Andrés Sorel lui rend hommage dans son article « Juan Goytisolo », La antorcha del siglo XXI, nº 86, 13/05/2015, dans lequel il explique les raisons de son absence à l’acte. En ligne [http://andressorel.blogspot.com.es/2015/05/numero-186.html]. Consulté le 26/11/2015.

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d’engagé, qui agit depuis un positionnement concret et qui porte une vision précise du monde, que ce soit dans un sens plus conservateur ou plus progressiste, que ce soit par son discours, ou par ses silences et ses absences. Autrement dit, il existe un clivage entre ceux qui cautionnent le système et ceux qui le remettent en question. En ce sens, et suivant la théorie élaborée par Gramsci, il serait plus juste de qualifier Sorel d’« intellectuel critique »1. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la première des choses dont l’intellectuel doit s’occuper selon Sorel est le fait de restituer le véritable sens du langage, qui pour l’auteur est constamment altéré, manipulé et usurpé par les représentants du pouvoir : les mots droits de l’homme, liberté,

démocratie, égalité ou justice ont perdu tout leur sens dans une société hypermédiatisée et spectaculaire, dominée par un pouvoir politique qui cache à coup d’euphémismes ses intérêts économiques et qui empêche toute possibilité d’initiative révolutionnaire2. Le souci du langage, de son usage et de ses répercussions politiques, notamment d’oppression sur la population, constitue une problématique majeure pour Sorel. En tant qu’intellectuel critique et en tant qu’écrivain, il cherche à la fois un style particulier et dénonce l’utilisation historique du langage comme un système manipulateur qui va à l’encontre de la libération de l’être humain. Sans doute, il partage cette réflexion autour de l’usage particulier du langage avec l’écrivain Autrichien Karl Kraus, qui considérait la presse comme la principale responsable d’avoir provoqué la Première Guerre Mondiale ainsi que le nazisme, en raison de son usage corrompu de la langue3.

Cette obsession devient plus explicite dans la mise en scène métalinguistique qui a lieu dans son roman …y todo lo que es misterio (2015)4, dans lequel le couple protagoniste, les écrivains Paul Celan et Ingeborg Bachmann, se proposent d’humaniser la langue allemande compte tenu de l’utilisation manipulatrice et dénaturante que les nazis et leur novlangue de propagande en ont fait dans le but d’incarner la vraie Allemagne5. Le projet nazi était de vider le contenu intellectuel du langage et de le remplacer par des émotions proches du fanatisme.

1 Comme l’affirme Michel Winock : « Depuis le théoricien marxiste Antonio Gramsci, on a coutume d’opposer l’intellectuel critique et l’intellectuel organique, ce dernier n’ayant pour rôle que de justifier la classe dominante dans ses pouvoirs en produisant l’idéologie de sa domination ». Dans M. Winock, Le Siècle des intellectuels,

op.cit., p. 619.

2 Dans son blog, Sorel s’exprime ainsi sur la question : « Cuándo, en nuestra impotencia, alentaremos al menos un lenguaje que no sea embaucador, conformista, que devuelva a la palabra su exacto significado, que impida, cuando se habla de determinadas políticas y desarrollos económicos, de culturas y progresos, drogar a los pueblos para impedir sus revoluciones ». A. Sorel, « ¿Volverán las nuevas ideologías en los pensamientos sus ideas a colgar? »,

La antorcha del siglo XXI, 106, 02/02/2016. En ligne

[http://www.andressorel.blogspot.com.es/2016_02_01_archive.html]. Consulté le 03/02/2016.

3 Voir à ce propos Jacques Bouveresse, Schmock ou Le triomphe du journalisme. La grande bataille de Karl Kraus, Paris, Seuil, 2001.

4 Andrés Sorel, Y todo lo que es misterio, Madrid, Akal, 2015.

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Paul Celan essaye, avec la lumière de ses poèmes, de le sauver, de le dépurer, de rétablir en définitive son véritable sens, et c’est pour cette raison qu’au fil de la diégèse s’intercalent souvent des vers des poèmes de Celan, qui constituent même les titres d’une bonne partie des sous-chapitres du roman, notamment sur le thème de l’amour et de la mort. Selon Alma – la narratrice, témoin des bombardements d’Alcañiz pendant la Guerre Civile, qui raconte à son compagnon Tristán les relations tumultueuses entre Ingeborg Bachmann et Paul Celan –, surmonter l’empreinte que le nazisme a laissée sur la langue allemande est un véritable défi :

La lengua del III Reich. Repetición de formas sintácticas vulgares y propagandísticas que terminan convirtiéndose en carne y sangre del vivir, sentir, expresarse del pueblo. Se van grabando en el subconsciente de quienes las escuchan y terminan por conformar una conciencia colectiva. El veneno se ha inoculado sin que sean conscientes de ello, hasta que pasa a convertirse en su forma de expresión y vida. ¿Podrá, se pregunta Celan, encontrarse un antídoto capaz de desnazificar el lenguaje?1

On constate qu’il y a donc une correspondance entre le but de Sorel, en tant qu’intellectuel critique, de démasquer, de dévoiler le véritable sens des mots, et la tâche de Paul Celan en vue de restituer la langue allemande, de la nettoyer de son passé le plus manipulateur et sinistre. Selon Ingeborg Bachmann, le contenu de la langue nazie était basé sur un projet de destruction du progressisme afin d’empêcher la libération des peuples. Dans une discussion avec Paul Celan, elle fait un parallèle avec un usage de type religieux :

Porque el lenguaje hitleriano era en el fondo un lenguaje religioso […], lenguaje basado en afirmaciones rotundas, repetitivas y con un halo misterioso, credos cuyo origen resulta de difícil explicación pero son aceptados sin dudas ni réplicas posibles […], como una música pegadiza que se apodera de los oídos y termina incardinándose en el ser humano a la manera en que la sangre corre por las venas2.

Cette image du sang qui circule dans les veines illustre bien la difficulté que suppose l’extirpation d’une idéologie totalitaire qui a réussi à s’installer dans les esprits de la population allemande et qui, malgré la fin de la guerre, a la peau dure. Ce système totalitaire impose une série d’habitudes qui ont pour base l’émotion (les chants, les drapeaux, les symboles, les consignes, les automatismes gestuels, etc.) et donc, d’une certaine façon, l’irrationalité3, et un

1 Andrés Sorel, Y todo lo que es misterio, op. cit., p. 157.

2Ibid., p. 62.

3 Malgré des différences évidentes, on pourrait néanmoins établir un parallèle entre l’utilisation des émotions par le nazisme et le rôle des émotions dans le système néolibéral qu’aborde le philosophe Byung-Chul Han : « Las emociones […] están reguladas por el sistema límbico, que también es la sede de los impulsos. Constituyen un nivel prerreflexivo, semiinconsciente, corporalmente instintivo de la acción, del que no se es consciente de forma expresa. La psicopolítica neoliberal se apodera de la emoción para influir en las acciones a este nivel prerreflexivo. Por medio de la emoción llega hasta lo profundo del individuo. Así, la emoción representa un medio muy eficiente para el control psicopolítico del individuo ». B-C. Han, Psicopolítica, op. cit., p. 74-75. L’auteur souligne.

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langage spécifique qui le construit. Enfin Tristán1, le compagnon d’Alma, souligne aussi la similitude entre le langage franquiste et celui du national-socialisme allemand, tous deux faisant partie de la même famille idéologique : le fascisme. Pour Tristán :

El lenguaje franquista y el nacionalsocialista poseían sus objetivos y unos métodos comunes basados en la reiteración de las mentiras y los dogmas para ejercer un efecto dominante sobre sus pueblos. Eufemismos, calumnias, limitación del léxico, mitos históricos, nacionalismo exacerbado, adoración a los himnos, leyendas, banderas, pero lo peor era la imposición a través de él de la violencia, del culto a sus héroes, a la fuerza bruta, la ridiculización de los débiles, del pensamiento, acoso, aislamiento y persecución y muerte de todos los considerados enemigos. Yo vengo de habitar en la sombra, me decía Celan, y desde ella busco palabras nuevas para existir2.

Un autre aspect de la citation est l’opposition entre la beauté de la littérature et de la parole poétique par rapport à une réalité injuste, mesquine et laide aux yeux de l’auteur. Face à un modèle de société qu’il déplore, et dans le but de lutter contre « la extensa invasión de la fealdad que domina todos los ámbitos de las culturas », l’écrivain – car pour Sorel écrivain et

intellectuel deviennent deux concepts synonymes – construit un espace parallèle. La littérature devient alors un refuge, un jardin paratopique pour cultiver les valeurs de culture, de savoir, de connaissance, qui sont devenues des réalités marchandes dans la société contemporaine. Face au cirque médiatique, face à la vulgarité d’un langage grossier et insultant, certains passages des récits soréliens deviennent un espace pour la détente, pour les sens, pour la réflexion et le silence3. L’écriture de Sorel contredit l’axiome canonique dominant qui stipule que la littérature engagée est en soi de la mauvaise littérature. Et cet exercice se concrétise chez Sorel dans la construction magistrale d’une prose très personnelle, complexe, d’une forte volonté de style souvent poétique et évocateur de belles images, qui exprime parfois les expériences les plus destructrices et douloureuses, les plus sombres et injustes du pouvoir. Dans ce paradoxe réside sa valeur, sa capacité à captiver le lecteur, à le faire rêver, imaginer, en même temps que s’indigner et l’inviter à la réflexion. Par exemple, le narrateur omniscient de El falangista vencido y desarmado décrit l’état d’abattement de Silvia au lendemain du coup d’État franquiste, le 18 juillet 1936. C’est un état douloureux, exprimé sur un ton dramatique bien que poétique, plein de sens métaphoriques et d’images stimulantes autour des larmes et de leur

1 Personnage fictif qui vit la Guerre Civile espagnole à Alcañiz, et qui partage avec Celan son exil en France et sa déportation à Auschwitz. Finalement, tous deux survivent au camp d’extermination nazi.

2 Andrés Sorel, Y todo lo que es misterio, op. cit., p. 116.

3 Néanmoins, dans des romans comme El falangista vencido y desarmado, on a affaire à la figure d’un narrateur omniscient interventionniste, qui juge et qui emploie un langage grossier pour décharger sa colère contre les dominants (principalement les militaires franquistes). Malgré tout, cette utilisation peut-être choquante, mais pour autant poétique, du langage est le fruit d’une colère dont l’origine se trouve dans la peur et le silence imposés dans l’Espagne franquiste, dont l’auteur a été victime et qui maintenant fait retour au fil du récit comme un boomerang. Une colère qui, en dehors de sa pertinence ou de son efficacité esthétique, peut véritablement perturber certains lecteurs.

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absence. Il y a un passage de l’expression des larmes vers le silence, vers l’intériorisation de la peur :

En las horas de la tarde, cuando ya tuvo plena consciencia de la tragedia que les abatía a todos, navegó por las sábanas del lecho acunado por el manto de lágrimas que pronto envolvió la totalidad de su cuerpo. Ya no poseía capacidad para absorberlas o detenerlas. Pronto dejarían de desbordarla. Que su cuerpo se quedaría seco, tronchado como el árbol al que le han extirpado todas sus raíces, cuya savia se ha secado para siempre (Falangista, 86).

Dans cette recherche presque obsessionnelle pour arriver à redonner son véritable sens au langage, Sorel construit une œuvre romanesque qui, de la façon la plus poétique possible contre la bienséance, appelle les choses par leur nom. Cela s’observe par ailleurs dans une volonté de style qui prête une attention spéciale à la sonorité, au rythme de la phrase, et qui s’oppose ainsi au langage mensonger du pouvoir1. Dans Las guerras de Artemisa, le soldat Luis Vives emploie un langage rythmique pour la description de la ville de La Havane, symbole de la liberté, pleine de lumière et de vie :

La luz explota en las ventanas, quema las celosías, derriba los muros de las casas, mientras la calle baila en sus ritmos y droga con sus olores, la calle está siempre, aunque parezca dormida, en perpetuo movimiento. Es fiesta pícara y sensual, sexo y comida en reivindicación de la vida (Artemisa, 242).

Notons le choix métaphorique des verbes qui apportent de la lumière, de la chaleur et du mouvement (« explota », « quema », « derriba », « baila »), les parallélismes syntaxiques, l’emploi anaphorique de « la calle » ou l’expressivité rythmique de la polysyndète (« y »). De même, la musique classique est très présente dans l’œuvre de l’auteur. C’est une manière de canaliser les sentiments, de dégager l’esprit, et sa fonction n’est pas celle d’une simple ornementation de l’atmosphère, mais elle implique un usage symbolique de la culture spécifique du personnage, comme Silvia dans El falangista vencido y desarmado, qui écoute la 9ème symphonie de Beethoven, associée dans la scène au camp républicain et à l’espoir d’une fraternité qui tardera à être de retour (Falangista, 207, 215). Dans un autre contexte, la musique porte une charge euphémistique – la beauté devant l’horreur – dans l’usage qu’en fait le nazisme à travers le violon de K dans Último tango en Auschwitz (2013), obligé de jouer devant le défilé de juifs destinés aux chambres à gaz.

1 Sorel considère que la préoccupation linguistique est également une constante chez José Saramago. Il affirme ainsi à propos de son roman Ensayo sobre la lucidez : « [Saramago] nos muestra una constante de su literatura, de nuestro propio tiempo histórico: la perversión del lenguaje, la manipulación de la palabra por los políticos, la virtualidad que la ha descarnado destruyendo sus implicaciones conceptuales, sus posibles referencias éticas o ideológicas ». A. Sorel, « Saramago: literatura y política », La Razón, 22/05/2004. En ligne [http://www.rebelion.org/hemeroteca/cultura/040522as.htm]. Consulté le 30/11/2015.

61 1.1.4 Contre le pouvoir. Avec ses victimes

Pour Sorel, l’intellectuel doit porter un esprit libre, indépendant du pouvoir et des partis politiques, et dans sa définition émerge une idée de méfiance1 vis-à-vis des institutions considérées par l’auteur comme réactionnaires et violentes, notamment l’Église et l’Armée, ainsi que toute idéologie nationaliste et patriotique. Tout au long de son parcours romanesque, on peut sans effort retrouver la critique de ces éléments, comme un fil conducteur. Ces institutions et tout ce qu’elles représentent ont sûrement toujours été une contrainte pour l’auteur, en tant qu’intellectuel et en tant que citoyen de son époque, car il a connu et subi la dictature franquiste dès le début, avec les traces psychologiques que cela suppose pour cette génération. À la différence de nombre d’intellectuels progressistes pour qui le seul temps légitime pour construire des romans critiques et sociaux était la dictature franquiste, pour Sorel, la critique des institutions répressives se poursuit par temps démocratiques. Ce choix délibéré de l’auteur met en avant en quelque sorte une idée d’exigence démocratique face à une nouvelle époque – celle qui commence après la mort de Franco en 1975 et se poursuit jusqu’à nos jours – considérée comme héritière et encore très proche des désirs du dictateur. Le poids de l’idéologie national-catholique, bien qu’il ait progressivement disparu formellement des institutions, reste