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LE CHAMP DE LA GERONTOLOGIE

2. Orientations de recherche :

2.1. Une situation de troubles :

2.1.2. Les persistances :

Dans l’incertain, l’absence alterne avec la présence, est met en doute des facultés persistantes. Cependant, des îlots de surprises existent, les aidants sont souvent étonnés d’un acte qu’ils pensaient disparu chez son proche. Un évènement oublié resurgit dans le présent. Dans le contexte de trouble de la mémoire, le possible et le restant paraissent s’oublier eux aussi, victimes d’un affrontement où le passé se vit au présent, alors que de nombreuses facultés persistent et se redéfinissent.

2.1.2.1. Une mémoire affective et émotionnelle :

Claudine Montani, psychologue clinicienne s’appuyant sur la psychanalyse, avance l’hypothèse d’une mémoire intuitive et conative permanente, mais mise en retrait par une plus noble. « Notre expérience psychothérapique, nous incline à penser

qu’au fur et à mesure que s’efface la mémoire instrumentale (hautement cognitive) réapparait une mémoire intuitive (fortement affective) » (Montani, 1994, p. 71).

L’idée d’une mémoire autre que sémantique, biographique ou procédurale, met en avant une compétence mnésique du sensible. Cependant, sa proximité avec l’intuition l’assimile à l’instinct et à l’archaïque. Si ressentir s’appuie sur une aptitude naturelle et biologique, le décodage des perceptions s’effectue selon un ordre culturel appris et construit. Le retour à une mémoire plus affective ou émotionnelle ne perd donc pas de

son humanité, bien au contraire, il remet sur le devant de la scène les premiers vécus émotionnels de socialisation et d’apprentissage. Dans le quotidien, certaines activités s’abandonnent en fonction des charges émotionnelles engagées. Les habitudes biographiques se remanient en fonction des plaisirs ressentis et recherchés. Des compétences mémorielles semblent se prolonger dans une propension au plaisant, à l’agréable et au réconfort.

Quand tout parait s’effacer, le corps maintient son efficience émotionnelle et réactionnelle. Il devient une source d’expression, où les émotions servent d’énergie à des vecteurs cognitifs.

« Nous savons que la maladie d’Alzheimer altère précocement « le cerveau qui pense », et préserve longtemps « le cerveau qui ressent » », préface le Docteur Olivier

de Ladoucette, l’ouvrage écrit et peint par Sylvie Aguettant. Ce recueil d’histoires poétiques symbolisant la pensée sous forme d’un oiseau, est destiné aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Il peut être utilisé par les proches et les soignants comme une ressource pour communiquer et favoriser la relation avec ceux qui perdent la mémoire, mais dont « le cœur se souvient » (Aguettant, 2013, p. 22).

2.1.2.2. Les maux et la parole :

Dans les établissements d’hébergement, le silence se fait polymorphe : un silence de recueillement qui facilite la rétrospection, un silence d’évitement éloignant toutes stimulations intempestives, un silence d’apaisement des douleurs ; un silence de repos. Le silence s’impose aussi par manque de mots.

Ces silences renforcent l’image d’un lieu de transit, où patiemment les gens attendent dans un silence monastique. Cet aspect sacralisé rajouterait-il un poids à ses personnes vieillissantes pour qui se confère le devoir de partir en silence ? Comment les personnes souffrantes de la maladie d’Alzheimer vivent-elles ce silence ?

La déontologie médicale stipule des règles de confidentialité. La parole se pèse, se décline en temps de relève, et de notes de transmission. Et, sur ces voies de restrictions s'amoncèlent des tensions où le moindre geste fait office de déclaration cathartique. Un comportement peut alors faire flamber les bruits de couloirs, délestant de manière désordonnée les non-dits accumulés et enfermés dans une assignation au silence.

Les troubles du langage pour les uns et les freins prescrits pour les autres, privent non seulement de la dimension de l’échange, mais également du processus d’élaboration collective. Car si nous pensons avec les mots, il semblerait que nous nous liions à travers eux.

Cependant, les comportements indiquent bien souvent des voix(es) de résistance. Le réseau se fait discret dans un langage non verbal qui s’opposerait tout en le respectant, au sacrement des mots. Une construction lexicale et syntaxique du geste et du mouvement traduit un langage tout aussi expressif dont les corps se font les interprètes.

2.1.2.3. Des compétences redistribuées :

En fixant sur les oublis, la personne malade perd progressivement le sentiment de savoir. Même durant les périodes de conscience, elle doute de ce qui lui reste. Elle atrophie ses facultés restantes par un manque de confiance en elle.

De son côté, la famille tente de compenser le caractère imprévisible de l’état de santé de son proche, afin de stabiliser la situation. En prenant en main les espaces vacants, elle s’acquiert également les espaces de décision. Les formations des aidants familiaux et les mesures juridiques (curatelle par exemple) organisent ce transfert. Les familles sont instruites à des devoirs nouveaux.

Le test de Zarit1 ou l’inventaire du fardeau est destiné aux familles de personne en perte d’autonomie. Il sert à évaluer de manière métrique la charge matérielle et affective des proches. Sous forme de questions, ce test rend compte d’un épuisement de l’aidant dû à un faire à la place. La famille deviendrait une victime collatérale de cette maladie qui par ondulations, se décharge sur l’entourage et insiste à faire-faire. Cette porosité renforce l’idée d’une lourde charge mesurable, et pose la résistance et l’endurance de l’aidant comme compétences déterminantes. Les aidants sont alors formés et leur santé surveillée, car la situation d’aide translate du contagieux.

Face à ce bilan pragmatique de charge et de décharge, des témoignages de familles, des romans et des récits de vie, laissent entrevoir des arrangements plus

1 Test de Zarit ou échelle de pénibilité ou inventaire du fardeau, évaluation neuropsychologique de l’aidant familial : http://www.e-sante.fr/s-occuper-malade-dement-fardeau-parfois-lourd-porter/actualite/758

heureux. Jours après jour, des relations nouvelles se créent loin des droits et des devoirs. La maladie redistribue les cartes positionnelles en remettant à zéro le compteur relationnel.

Chaque jour la personne malade rétablit un environnement pour pouvoir se retrouver dans un quotidien. Et chaque soir, elle rassemble désespérément des traces mnésiques pour une reconstruction du lendemain. La peur de ne pas arriver à se repérer fait place à une angoisse permanente dont le caractère irraisonné est dû à l’oubli de l’objet perdu. Les aidants familiaux accompagnement ce mouvement quotidien et continuel de réhabilitation journalière.