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LE CHAMP DE LA GERONTOLOGIE

3. Mise en enquête :

3.1. Présentation des lieux d’enquête :

3.1.2. Le bain à Feuillage :

3.1.2.1. La maison de retraite de Feuillage :

La maison de retraite Feuillage1 se situe sur la commune rurale du département de la Côte d’Or. Pour en savoir davantage sur l’histoire de la région, il suffit de feuilleter l’ouvrage La haute Vallée de l’Ouche et son bassin, l’histoire contée au fil de

l’eau (Barastier, 2008) trouvé à l’entrée de l’établissement ; et de s’apercevoir que la

présence de l’eau y est constante. De plus, l’histoire des bains et des étuves (Laty, 1996) nous apprend que la vallée de l’Ouche était une zone de résistance au XVII° siècle lors

de la fermeture des bains publics pour des raisons de morales sociales. L’adresse de la maison de retraite précise : rue du lavoir. La présence de l’eau persiste.

La maison de retraite accueille soixante-deux personnes, elle est gérée par une association loi 1901 à but non lucratif. Créée en 1957 du champ socio-éducatif, l’association a pour vocation d’apporter un soutien matériel aux personnes vulnérables. Elle est aujourd’hui l’une des plus grandes entreprises dans le département, et ses actions portent sur l’hébergement des plus démunies et l’accompagnement médicosocial.

La maison de retraite a ouvert en 2010 un centre de formation. Elle devient un lieu de réflexion et d’enseignement dans une logique de modélisation et de transmission de pratiques professionnelles. Centre de pratiques, de recherche et d’enseignement, l’Ehpad poursuit son histoire d’engagement associatif militant des pratiques professionnelles de la relation d’aide. Générations, centre de formations sanitaires et

sociales, c’est son nom, offre un large panel de formations en gérontologie allant d’une

demi-journée à quatre jours, et sa démarche œuvre pour une coconstruction. Les propositions s’insèrent directement dans la Formation Professionnelle Continue (FPC), légiférée dans la loi de 16 juillet 1971, et qui donnera lieu successivement à diverses possibilités de formations tant collectives qu’individuelles.

3.1.2.2. Un espace habité :

La maison de retraite est une structure récente et elle répond à des logiques architecturales de type Ehpad. Dès la porte d’entrée, l’hospitalité offre de larges fauteuils. La capacité d’hébergement est organisée en trois espaces de vie sur deux niveaux. Chaque lieu dispose d’une vingtaine de chambres. Le pôle administratif dans la continuité du hall d’entrée s’étend jusqu’à la salle à manger spacieuse et lumineuse donnant sur une terrasse à l’opposé des bâtiments d’hébergement.

On y distingue deux zones : une de plain-pied, occupée par l’administration, l’intendance et la restauration ; et la seconde contigüe constituée d’un espace rond sur deux étages est destinée à l’hébergement. Ainsi, l’architecture globale se présente comme une maison avec un espace commun ; et une partie à l’écart, plus calme et privative.

La rondeur du secteur nocturne, à l’image d’un ventre, procure une atmosphère de sécurité. L’étage est séparé en deux parties, dont une zone fermée d’un digicode qui

répond à un référentiel d’accueil de personnes désorientées. Le CANTOU1, petite unité fermée, accueille des personnes atteintes de troubles démentiels, comme le stimule sa fonction. Ce lieu s’organise autour d’un projet spécifique liant la vie quotidienne aux activités d’accompagnement relationnel. La disposition architecturale de cette unité de

vie, fait du centre un espace commun avec aux extrémités des zones aménagées (coin

cuisine, coin détente, coin repas).

Historiquement, le premier Cantou, UHR (Unité Hébergement Renforcé) fut créé en banlieue parisienne par Gérard Caussanel à la fin des années 70, selon quatre axes :

- la qualité de vie des résidents

- la qualité des relations avec les résidents et leurs proches - la qualité du personnel

- l’inscription de l’établissement dans un réseau gérontologique comportant des soins coordonnés.

À ce moment, l’aspect communautaire servait de référence de socialisation, un concept en pleine affirmation.

À Feuillage, le bâtiment du cantou englobe un espace extérieur aménagé en terrasse. Les couloirs vitrés laissent la lumière naturelle éclairer les zones de passage et d’errance, qui sont souvent des endroits angoissants. Les chambres donnent sur un couloir qui conduit vers la salle d’animation et de repas. Les chambres sont individuelles dotées d’une salle de bain séparée. L’organisation circulaire permet une circulation centrifuge et fluide et répond ainsi à la déambulation des personnes atteintes de troubles, dits, démentiels. Cette structuration rassurante pour les résidents est également utile pour les équipes. Les vitres et les espaces ronds facilitent la surveillance et amplifient les sons. Cette spatialité permet ainsi d’entendreet de voir plus facilement les déplacements. Par ce caractère panoptique (Foucault, 2008), l’architecture s’habite d’une logique de surveillance et d’un rôle contenant.

1

CANTOU : Centre d’Activités Naturelles Tirées d’Occupations Utiles. Le cantou, en patois, représente le lieu où se trouvait la grande cheminée autour de laquelle se centralisait l’ensemble de la vie du foyer.

3.1.2.3. Séjour de recherche :

Le premier contact avec l’institution remonte à septembre 2009, suite à une information donnée par un collègue-étudiant qui connaissait personnellement l’établissement. À ce moment, l’établissement s’initiait à l’évaluation formative en collaboration avec l’ORS1, pour formaliser une technique particulière de soin corporel : Le Bain-serviette®2. Mon intérêt pour la toilette se concrétisa autour d’une demande commune pour l’obtention d’une bourse de recherche, dont l’objectif était de poursuivre l’étude en cours. À l’issue de deux années des demandes financière infructueuses, nos rapports se sont modifiés. La négociation de terrain s’étant centrée sur le montage financier, sans bourse celle-ci a dû être réévaluée.

Ce n’est qu’en mai 2011 soit près de deux ans après, que ma présence à Feuillage s’est effectuée dans des conditions très différentes : réduction de mon temps de présence, et distinction avec la première étude. Car l’infirmière coordinatrice impliquée considérablement dans la première étude, ne voyait aucune raison pour une seconde. « Je ne vois pas la nécessité de faire deux études » me réitéra-t-elle dès mon arrivée. L’enquête avec l’ORS finie, elle avait permis à la pratique une modélisation suffisante pour qu’elle soit proposée comme pratique innovante3 dans les formations que cette dernière enseignait. L’inutilité d’une seconde étude remettrait en cause ma présence. Cependant, une fois sur place et engagée dans un cursus universitaire, j’ai poursuivi mon investigation. L’élan du début n’y était plus, et a assombri les quinze jours sauvegardés pour l’enquête.

Dès le lundi matin, la tonalité était donnée. Retardée sur la route, mon arrivée s’est suivie par une attente prolongée dans l’entrée et de quelques minutes de remontrances dans le hall de la part de l’infirmière coordinatrice : Virginie. Puis, nous nous sommes entretenues dans son bureau. Durant ce premier entretien, mes pieds se sont progressivement gelés. Ce face-à-face cadrant et glacial, a totalement restreint ma mobilité. Dans ce climat d’hostilité, les informations m’arrivaient au compte-goutte. Ce goutte-à-goutte vital me maintenait sur le terrain. Virginie orientait mes interviews me rappelant sans cesse « je ne vais pas faire le travail à votre place ». Elle retraçait

1 Office Régional de Santé.

2 Pratique développée dans la troisième partie. 3

La démarche auprès de l’ORS s’insérait dans la mise en place du centre de formation de l’établissement en 2010.

l’itinéraire de l’ethnographe de l’ORS dans un planning organisé. Comme un guide touristique, elle me pilotait dans ce qu’il lui était apparu intéressant dans l’étude précédente, sans toute fois vouloir me la transmettre.

Les conditions matérielles, elles aussi, n’étaient pas favorables. J’avais trouvé un logement en chambre d’hôtes à cinq minutes de l’établissement, une ancienne maison d’accueil pour personnes âgées m’a-t-on dit par la suite, extrêmement froide et sentant le renfermé. Ce lieu avait été choisi pour pouvoir aller et venir jour et nuit, mais ce plan a été contrarié par cet accueil distant et non coopérant, et un méchant coup de froid qui m’a rendue malade deux jours pour finir avec une extinction de voix. Après la mobilité qui s’était réduite, mon expression se limitait. Je ne pouvais qu’écouter et voir.