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LE CHAMP DE LA GERONTOLOGIE

2. Orientations de recherche :

2.1. Une situation de troubles :

2.1.3. Une désorganisation :

2.1.3.1. Une thérapeutique en défaut :

Aujourd’hui, les progrès chimiothérapeutiques chargent le terme de maladie d’un espoir de guérison, et ce retour à la santé se couple à une thérapeutique adaptée. Il n’existe actuellement aucun médicament pour guérir la maladie d’Alzheimer. Cette absence de remède met à défaut la croyance d’un système médical guérisseur. Une profonde confiance aux avancées biomédicales et aux prouesses pharmaceutiques se traduit par une attente réciproque entre malade et médecine d’une médication. Cependant dans le cas de la maladie d’Alzheimer, le manque de réponses curatives renforce cette situation de maladie incertaine déjà instaurée par les troubles, et l’écarte d’une standardisation de soin commun. Cette vacance développe des intérêts nouveaux et des rapports inédits apparaissent.

Une consultation médicale se conclut généralement par une prescription médicamenteuse. Sans chimiothérapie à proposer, l’action médicale perd de sa valeur thérapeutique. Seuls quelques médicaments sont proposés pour stabiliser les troubles du comportement, ainsi réhabilitent-ils du même coup une relation patient-médecin ?

Reconnaissant la famille comme étant touchée par la maladie, elle devient alors médicalement à surveiller. Les conférences sur les risques des aidants interrogent sur ce resserrement thérapeutique autour de la famille. À défaut d’avoir un protocole médicamenteux pour les malades, une thérapeutique serait-elle en train de se développer

autour des aidants ? De plus, ce glissement par défaut entrainerait-il une modification des rapports familiaux ?

2.1.3.2. Les troubles spatiotemporaux :

Les premiers signes de la maladie se lisent, non dans les examens biologiques, mais surtout à travers les comportements. Les dérèglements créent des situations incongrues et suscitent de la part de l’entourage de l’incompréhension et du questionnement. Les gestes, les réactions, et les attitudes sont dits inadaptés, décalés, inadéquats, insensés. Non compris par les proches, mais également par elle-même, la personne s’en défend en démentant les situations qui lui sont reprochées. La lecture des comportements et leurs traductions seraient-elles unilatérales ?

Les atteintes mémorielles ne sont pas linéaires. Elles alternent entre moments de conscience et de plongées rétrogrades (Gineste et Pellissier, 2010). De manière inattendue, la personne se voit transportée dans le passé, et elle revit physiquement et émotionnellement l’intégralité de l’expérience déjà vécue. Ces retours mnésiques réinvitent dans le présent des moments heureux comme des situations douloureuses ou effrayantes et éliminent les évènements d’après. L’entourage redoute ces souvenirs réactualisés, peut-être par peur de se retrouver confronter à des situations qu’il souhaiterait oublier.

De plus, la personne malade peut passer d’un état d’apathie à un moment d’agitation sans qu’aucune raison ne soit a priori détectable. Cette imprévisibilité du comportement est à l’origine d’un isolement progressif du couple aidant-aidé avec l’environnement. Car ne pouvant prévoir les actions de son proche, mais également ses réactions, l’aidant principal préfère circonscrire les risques. Il n’ose plus recevoir, sortir dans des lieux publics, se retrouver dans des situations de vie sociale dans lesquelles les comportements seraient jugés. Il ressent de la honte face à de possibles débordements comportementaux. Le pas-de-porte du domicile devient ce seuil de l’acceptable au-delà duquel la maladie devient intimement visible et soumise aux regards sociaux. La maladie dérègle les manières d’agir du malade comme celles de ses proches et restreint considérablement les rapports avec l’extérieur.

Au sein d’une institution, la déambulation est le premier des comportements gênants pour la collectivité et est considérée comme étant le troubles le plus problématique. Il n’est pas rare de trouver une personne atteinte de troubles Alzheimer installée dans le lit de sa (ou son) voisin(e). Cette présence désorganisée, perturbe l’ordre, elle dérange et est source de conflit.

Reconnues comme des formes d’apaisement, la déambulation et l’errance sont aujourd’hui intégrées dans les projets architecturaux des établissements. Le bâtit inclut cette dimension dans leur spatialité en mettant en place par exemple des jardins de soin1 ou des couloirs de déambulation. Cependant, la cohabitation reste difficile, car se mouvoir dans l’espace reste une forme d’occupation des lieux2.

Notons cependant que de nouvelles approches dites non médicamenteuses, basées sur les connaissances en neuropsychiatrie des Symptômes Psychologiques et Comportementaux des Démences (SPCD), tentent de traduire et contenir ces manifestations comportementales et à limiter l’usage des psychotropes.

2.1.3.3. Les troubles de la communication :

De la neurologie, les dysfonctionnements mnésiques de la maladie d’Alzheimer réduisent les aptitudes cognitives et modifient le raisonnement. L’analyse des informations qui lui parviennent devient difficile. Le système cognitif utilise un processus dit pare-excitatif, un concept psychologique qui trie, sélectionne, priorise. Sans cela, la personne est assaillie en permanence par des stimuli, et se sent submergée ; ce qui peut déclencher des réactions d’agressivité ou d’agitation. De plus, cette désagrégation de la censure cognitive, l’amène à dire tout haut ce qu’il pensait tout bas. Les évènements gardés sous silence, comme les secrets de famille, rejaillissent et viennent bouleverser l’ordre familial déjà fragilisé par la situation de maladie. Qu’en est-il de l’ordre institutionnel ?

Les atteints aphasiques poussent progressivement la personne dans la catégorie des non communicants. Le repli, les pertes de mots et l’oubli deviennent-ils pour la

1 Delphine Moras, communication Le Jardin de soin, Journée des Jeunes Chercheurs du 27 avril 2012, organisée par les doctorants du CRÉA (Centre de Recherches et d’Études Anthropologiques), Université Lyon 2.

personne un refuge à cette surstimulation incontrôlable de l’extérieur ? L’oubli progressif de l’expression serait-il un acte (conscient ou non) de protection pour la personne elle-même, mais également pour l’entourage ? De ces obstacles communicationnels qui engendrent rapidement une rupture relationnelle, pouvons-nous en avoir une autre lecture ?

À l’intérieur de la famille et particulièrement du couple, la place de la parole se modifie avec le temps. « On n’a pas besoin de se parler, on se comprend », la quotidienneté tisse cette communication familière entre deux corps qui se connaissent et se reconnaissent. La durée et la proximité façonnent l’expertise corporelle. Quand l’ouïe n’est plus très juste (ou jeune), ou quand les mots deviennent inintelligibles et chaotiques, les corps instruits d’expériences intimes prennent le relai.

L’énonciation de troubles praxiques réduit progressivement ce langage des corps en une expression maladive et dolente. Cette interprétation semble délaisser celle d’un processus quotidien, qui assure la liaison par son apport transformatif, pour rendre compte d’une expérience difficilement descriptible.

2.2. Problématique :

C’est sur un tableau de l’aléatoire et de l’incertain que se problématise l’activité quotidienne de la toilette. Comme un affront aux croyances traditionnelles, le refus des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer attaque les logiques instituées. Ainsi, le (la) malade en déclinant l’intervention de la gériatrie, nous inviterait-elle à revisiter les rapports intronisés dans le soin ?