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LE CHAMP DE LA GERONTOLOGIE

2. Orientations de recherche :

2.1. Une situation de troubles :

2.2.1. L’altération relationnelle :

Le recul d’une expression orale pousse la relation soignant-soigné vers de nouvelles modalités communicationnelles dans lesquelles les ressentis perceptuels complètent ce qui ne peut se voir ni se dire, et où les sensations alimentent les interactions.

2.2.1.1. La relation soignant/soigné :

En référence à Mickael Balint, l’efficacité thérapeutique se fonderait sur la relation médecin-patient, qu’il nomme le remède-médecin (Balint, 1996). Postulat de départ pour sa réflexion thérapeutique de la relation médecin-patient, ses recherches relatent du lien entre les deux personnes dans un espace particulier le colloque singulier, animé de tensions asymétriques et consensuelles. En situation de crise, le patient attend d’un savoir scientifique et d’une technologie thérapeutique des solutions. L’asymétrie se plie à un savoir médical curatif en lui conférant un pouvoir libératoire.

Mickael Balint ne cherche pas à infirmer cette synergie relationnelle, mais tente de nuancer l’atteinte asymétrique. Cet équilibre relationnel, sous la forme d’une collaboration thérapeutique, parait indispensable lors d’une maladie chronique. C’est au sein de ce consensus que les rôles se répartissent (Adam, Herzlich et Singly, 2011). La présence médicale perd son rôle de prescripteur pour celui de guide et de conseiller. Le statut de malade ne s’instaure plus comme un patient, dans l’attente passive et patiente d’une évolution pathogène et d’un remède, mais devient l’usager averti et acteur des services de soin1. Une nouvelle juridiction légifère cela dans la loi du 4 mars 20022 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

Les personnes souffrant de maladie d’Alzheimer s’inscrivent-elles dans cette image du patient-collaborateur ? Plus qu’une affaire de pratique, la question relationnelle se charge d’une dimension déontologie en situation de maladie d’Alzheimer.

Deux logiques complémentaires semblent alimenter cette contrariété : celle d’une perte de l’idéal malade. La première consiste à un glissement de cet espace collaborateur vers l’aidant. L’aidant-formé deviendrait par extension ce proche-collaborateur d’un système médical. Le statut d’aidant qu’il soit familial ou professionnel se retrouve au centre de cette quête dans lequel la relation se définit comme l’enjeu principal.

La seconde réintègre la notion de participation de la personne en terme de sujet à soin. Des initiatives s’expérimentent pour réédifier la place de la personne quelles que soient ses difficultés.

1 L’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP) 2

Loi du 4 mars 2002 en ligne sur le site de Legifrance :

La relation soignant-soigné est de nouveau sous les projecteurs des réflexions comme relevant de l’appendice opératoire d’une interdépendance qui s’accompagne. Dans les deux cas, la relation devient un élément décisif dans le travail de soin et les jeux de dépendance. Le colloque singulier représente à la fois le remède et la blessure de la situation de soin.

2.2.1.2. L’image du corps :

Dans la relation soignant-soigné, le concept de corps prend toute son importance. Ces émotions contribuent à la configuration d’un corps dans un jeu de rapports. Tout d’abord, la conscience du corps s’active autour de sensations proprioceptives ou intéroceptives (sensations internes) et de sensations extéroceptives (sensations venant de l’extérieur du corps). Ces sensations kinesthésiques conscientes ou inconscientes façonnent le schéma corporel, et constituent un facteur essentiel pour la relation entre le sujet et son entourage. En d’autres termes, la manière dont on éprouve son corps face à l’autre participe à construire sa condition d’existence.

Dans l’haptonomie, être touché entraîne toute une série de sensations internes et externes. Toute une circulation sensorielle s’active à chaque contact, pour faire naître de manière sensible la personne au monde, et le monde à la personne. Les perceptions sensorielles seraient-elles le cœur de la vie sociale ?

La peau est un organe important, car elle joue un rôle de médiateur et de révélateur des rapports induits. Pour François Dagognet, élève de Georges Canguilhem, philosophe et médecin, la peau n’est pas un empaquetage, mais bien une surface relationnelle. « La peau assure la liaison entre le monde et nous : l’interface est souvent

la première à réagir ; la logique le veut, puisqu’elle se trouve non pas « en dehors » ou sur les bords, mais bel et bien au milieu même » (Dagognet, 1993, p. 49).

Alors, la perméabilité, la dextérité, la malléabilité, la consistance, sont des qualités cutanées mises au service des interactions. Dans une situation délicate, la peau devient ce tableau où se tracent les expressions, les intentions ; le rougissement de la gêne par exemple. Le visage est le lieu d’un face à face à travers duquel se lissent et se projettent les expressions et les intentions.

La peau en vieillissant, se plisse et se relâche. La personne peut alors se sentir se plier, se ratatiner, rétrécir, à ses propres yeux, mais également à ceux des autres. Cette

image ressentie donne à l’environnement un caractère menaçant pour la personne vieillissante en provoquant une sensation de petitesse. De même chaque plis, tache et cicatrice sont autant de signes qui expriment le vécu de la personne. Sa peau dévoile parfois ce qu’elle aimerait laisser à couvert. Le visage vieilli serait-il plus délicat au type d’interface expressive ?

Cette image corporelle change au rythme des transformations liées à l’âge, et nécessite un réajustement dans la manière de s’exposer. S’observer dans un miroir, se voir sur une photo et se heurter à la hauteur d’une étagère sont autant d’actes qui permettent de s’adapter à cette nouvelle amplitude corporelle. De même, les contacts physiques dans l’intime et dans la vie sociale contribuent à maintenir le corps comme familier.

Pour les personnes atteintes de troubles d’Alzheimer, une dissociation se fait entre l’image réelle et l’image spéculaire. Les personnes ne reconnaissent plus leur propre image, et vont jusqu’à la refuser quand elle croise leur propre reflet. Un décalage s’installe entre une conscience d’eux-mêmes et le reflet renvoyé. Les agnosies perceptuelles et l’hypersensibilité rendent les sensations orphelines d’une codification émotionnelle. Les contacts qui s’appauvrissement par l’isolement et les troubles de la perception, réduisent l’effet actualisateur nécessaire pour le processus de corporalité. Plongé dans le passé, le corps ressenti est celui d’hier.

Alors, le propre reflet d’une vieille personne intrigue ou révolte, et face à cette image, les personnes atteintes de troubles de la mémoire vont la rejeter ou la questionner. Une recherche de signes de ressemblances avec un vieux parent peut s’amorcer. Croiser son reflet, son image au détour d’un miroir ou d’une vitre provoque des situations d’excitation pour les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer. Ne se reconnaissant pas, la personne pense être en face d’une autre personne qui la fixe, la suit, la regarde intensément et constamment.

Ce décalage perceptuel favorise des réactions attribuées, à première vue, à une dé-corporation schizophrénique, où la sensation corporelle est reçue comme une agression par éclatement. Mais ne pouvons-nous pas parler d’écart de contextualisation sensoriel ? Les réactions d’hostilité lors d’une interpellation par exemple, traduisent, me semble-t-il, un ressenti de saisissement. Perdue dans ses pensées ou ses oublis, la personne malade est surprise dans ses divagations, et elle sursaute. Un toucher peut la ramener brutalement dans un espace du présent duquel elle s’y était échappée. L’écart

se perçoit dans une divergence référentielle à un moment donné, l’inadapté rejoindrait ici le malentendu.

Il n’en reste pas moins que dans ce contexte, chaque toucher corporel peut potentiellement déclencher une réaction d’agressivité, de vécu d’intrusion et de violence de la part de la personne malade, alors que pour le soignant sa proposition était celle d’une aide.

Les approches non médicamenteuses mettent à l’honneur le toucher. Le corps comme concept récent est perçu aujourd’hui comme un levier contemporain dans la gestion sociale. Il se fait l’enjeu des pratiques soignantes et de l’organisation des services de soin. Le corps émotionnel devient objet et sujet à contact-stimulus physique, psychique et sociologique, mais ces nouvelles techniques thérapeutiques sensorielles et tactiles peuvent entrainer des malentendus et des rejets relationnels.

2.2.1.3. L’écoute corporelle :

C’est au début du XIX° siècle, que le docteur Théophile Laennec met en place l’auscultation par stéthoscope (Ameisen, Berche et Brohard, 2011). Il ouvre ainsi l’observation à l’écoute intime du corps. Et à cette attention corporelle viennent se rajouter des éléments psychophysiologiques comme la morphologie, le son de la voix, la respiration, et le rythme cardiaque. Ausculter de son origine latine auscultare,

écouter, procure à la démarche médicale une nouvelle compétence détentrice d’un

langage, celui des maux du corps. L’histoire de la médecine livre ses influences interprétatives et de ce rapport langagier du corps comme élément intrinsèque d’une culture somatique et médicale (Boltanski, 1971). Aujourd’hui, l’approche biométrique du diagnostic s’articule autour d’imageries cérébrales et de tests cognitifs, cette manière d’appréhender visuellement les maux modifie-t-elle la représentation d’un corps communiquant et des rapports le concernant ?