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LE CHAMP DE LA GERONTOLOGIE

4. Une expérience photographique :

4.4. Conclusion du chapitre 4 :

Le geste de soin est intimement lié au pouvoir soignant dans l’histoire biblique qui était accordé à une personne socialement reconnue comme étant proche du divin. Les mains sont incontestablement le support de croyances. Les pratiques religieuses, les onctions et les ablutions par exemple, sont des gestes délivrés par Jésus et Paul durant leur ministère terrestre. Ce pouvoir de guérison, Jésus le tient de sa filiation divine, sa crucifixion et la résurrection réaffirment cette puissance surnaturelle qui se traduit par l’omniprésence (toute présence), l’omniscience (toute connaissance) et l’omnipotence (toute puissance). De plus, les mains de Paul faisaient des miracles extraordinaires, au point qu’on appliquait sur les malades les linges ou les mouchoirs que son corps avait affectés. Le toucher transmet du sens et détient le pouvoir de remettre de l’ordre. Le toucher est sacré, s’opposant ainsi à l’intouchable et l’abstinence. Le mode du toucher est donc réservé, mesuré, dicté. L’acte de soin en filiation directe à cet héritage religieux est soumis aujourd’hui aux exigences individuelles et laïques.

Cependant, la manière de se présenter et se représenter le geste place le donateur et le recevoir dans un lien particulier. Cette chaine de l’agir, fait du geste un acte de relation où les rapports sont codifiés.

L’expérience photographique a été l’occasion de fixer le geste soignant dans une présence intentionnée. Mettant à l’épreuve une technique de sensibilité optique, la démarche photographique s’est fait le prolongement d’une pratique professionnelle où le soin interroge la présence dans le mouvement, l’axialité, la distance et le temps.

Ce temps photographique a été une pause de sérénité dans une enquête qui devenait oppressante. Cette enclave dans la recherche a-t-elle contribué à une conscience différente des éléments de recherche ?

Cette manière de faire du terrain contribue à la captation sensible d’un monde que la démarche immersive opacifiait. Le désir de clarification par son image favorise l’élaboration cognitive d’une réalité observable par la symbolisation (Tisseron, 1996). Ainsi, extraire par carottage permet de raccorder une réalité qui échappe. Et cette avidité aux détails se transformait parfois en recherche d’appuis, de balises pour un sujet glissant. Sans établir une topographie de gestes, l’apport photographique a été un cadrage méthodologique dans ce magma du quotidien. Le particulier devient l’élément de départ, le point centripète de la réflexion.

De plus, selon les constats de Patrick Perez, anthropologue qui a traduit le refus de la photographie chez les Hopis comme révélateur d’un système de compartimentation propre à la culture indienne d’Arizona pour sauvegarder leur culte du secret (Perez, 2000), je ne peux m’interroger sur les blocages rencontrés. Les interférences difficiles, les défauts d’enquête relevaient de cette proscription liée au sujet lui-même. Me soumettant à une certaine discrétion, ces injonctions indiquaient-elles également ce qu’il serait recommandé de laisser de côté ?

L’exposition prévue sous le nom de « mains du matin au soir, gestes de la vie

quotidienne » ne s’est pas réalisée faute d’argent, « le coût est trop important » explique

l’animatrice. Mais un livre a été créé et remis à l’institution à mon initiative. J’espère que le livre passera de mains en mains, car le rôle de l’image photographique comme le soutient Serge Tisseron, permet de construire l’écran ou enveloppe du monde (Tisseron, 2008). Chaque photographie ou image fixée contribue à ouvrir une fenêtre sur le monde. Si la pratique photographique est une démarche individuelle et subjective, la production d’images appartient à une conscience collective, et participe à la construction de l’imagier groupal en invitant le regardant à un travail de transformation.

Éloignée d’une démarche appliquée (Bastide, 1998 (1971)), la recherche s’approche d’une anthropologie de l’intervention tournée vers la question de la relation d’aide dans l’espace médical. Ainsi, le geste devient l’élément substantiel d’une relation d’aide où l’environnement invite l’action. L’ethnographie du proche, macro-située, relate ce système interactionnel fondant les rapports en situation de soin.

Les mains1

Elles sont en creux, elles sont en attente, elles sont ouvertes … Dieu nous accueille, Dieu nous recueille en Alliance.

Le milieu hospitalier est un monde où les mains, où LA MAIN devient souvent une ICONE.

Elle se donne à VOIR, avec son âge, sa beauté, avec son tremblement. Elle est petite ou grande, âgée ou jeune.

Elle est toujours une AUTRE MAIN. Elle se donne à CROIRE

Elle se donne à TOUCHER Elle se donne à SAISIR Elle se donne à AIMER

Elle se donne comme un BONJOUR Elle se donne comme un SOIN Elle se donne comme un TRAVAIL Elle se donne comme une DOULEUR Elle se donne comme une PRESENCE Elle se donne comme un APPEL

Elle se reçoit aussi comme un DIEU.

La main offre La main posée La main retenue La main caressée La main blessée La main attachée La main rejointe

Jusqu’à la main JOINTE …

La main qui reçoit l’Eucharistie et celle qui la donne … La main posée sur le front et la main qui reçoit l’ONCTION La main qui rassemble d’autres mains …

La main qui conduit au silence, au regard, jusqu’au cœur. Litanie inachevée de tant de mains …

Marcel AUBREE, 18 octobre 1996

(Aubrée, 1997)