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L’INTIME DU QUOTIDIEN INSTITUTIONNEL

5. Professionnel du quotidien :

5.1. Devenir soignant :

5.1.4. Advenir en gérontologie :

Parcours de Francine, ASH depuis 25 ans à Rosaire.

« F : C’était après les travaux (1993) que cela s’est bien médicalisé, on a eu également l’arrivée des AS et des infirmières. Avant, il n’y avait pas de médecin dans la maison c’était un de l’extérieur, il n’y avait pas de Kiné. J’ai connu la maison sans AS ni infirmière, c’était la directrice (une religieuse) qui faisait les soins infirmiers et qui nous disait ce qu’il fallait faire, Elle nous déléguait par service des responsabilités. J’eu distribué des médicaments, et j’allais chercher directement les médicaments en face à la pharmacie, je collais les vignettes puis transmettais les ordonnances aux familles. J’ai connu la maison sans secrétaire ni comptable. C’était les sœurs qui faisaient tout. Puis, on a eu un directeur puis tout de suite les travaux. Cela s’est modernisé.

D : Votre métier a changé ?

F : Non, maintenant les tâches sont plus respectives : on a des AS et les infirmières. Ici

(au 3ème) on est encore un petit peu … en tout cas, on est seul ici en tant qu’ASL. On fait tout en tant qu’agent de service, je fais les mêmes soins qu’une AS.

D : On vous a proposé une VAE ?

F : Oui, je pense que j’aurais pu, mais j’ai été malade en arrêt pendant 3 ans, j’ai eu un cancer du sein. Après oui, j’aurais pu et dû faire …

D : Cela vous manque …

F : Si parfois, je vois … cette année, j’ai été très fatiguée suite à une bonne dépression. Suite à tout cela …. . Le cancer c’était rien, avant je venais de perdre mes trois frères. Mais c’est après, je suis tombée et opérée de ma main (suite à un accident de travail), j’ai eu des broches. Là, j’ai plus … j’ai eu peur de ne pas récupérer. J’ai pris le Kiné de la maison, je sais qu’il était bon et bien sérieux. Aujourd’hui, c’est bien je ne sens rien du tout, j’ai bien récupéré. J’ai pris du temps : un arrêt de 6 mois. Il fallait que je récupère bien tout correctement, ma force.

F : Oui j’avais peur de ne plus rien pouvoir faire. Mon travail c’était beaucoup, je ne peux pas rester sans rien faire. Et puis, mon copain m’avait quittée juste avant. Je me suis retrouvée face à moi et à ma solitude.

Je m’étais lancée dans la formation AMP. Mais suite à ma dépression, j’ai tout laissé. Aujourd’hui cela va mieux, j’ai pris de la distance dans le travail, car j’avais trop d’attachement. Maintenant, j’ai l’impression d’avoir un peu moins de cœur, c’est général, il y a du détachement. Je m’en occupe, mais j’ai plus (davantage) de détachement. Je suis peut-être un peu plus aigrie, je ne sais pas. Je pense que c’était pas plus mal, car j’allais à l’épuisement, je n’avais pas de limite que ce soit dans le boulot ou ma vie privée. »

Extrait de l’entretien avec Françoise lors de son service au troisième étage (lieu : accueil pour les personnes désorientées)

6 octobre 2011

L’institution est perçue également comme un tremplin pour poursuivre le cours de leur vie. Mireille, d’origine portugaise, ne connaissant pas la langue française, pensait ne jamais trouver un emploi. Christelle vivait dans la rue, elle a trouvé un salaire et une stabilité pour élever son enfant. Ingrid, par ce premier boulot, a quitté son mari pour continuer plus sereinement sa vie. Semblables à Mme R, rejetée en raison de son handicap mental et accueillie par les Sœurs Franciscaines qui tenaient l’établissement, ces soignantes vivent leur entrée dans la profession comme un refuge salvateur, une main tendue dans les chaos personnels. Cette entrée dans le métier marquerait-elle les futurs rapports professionnels ?

Les paroles de Doris, ci-dessus, laissent penser à une place de débiteur qui conduit à l’acceptation tacite des contingences tant personnelles qu’institutionnelles.

Autant l’institution offre une stabilité personnelle, autant l’idée d’une progression professionnelle n’apparait pas obligatoire. Les propositions de formations sont souvent source d’inquiétude pour ces agents, car elles invoquent l’ardoise comptable des donnés et des reçus.

Un évènement semble pourtant remettre les pendules à zéro, celui des répercussions négatives du métier dans la vie privée. Alors, le temps s’accorde par intervalles limités en fonction des actions, des missions, des devoirs professionnels. Le

temps ne lie plus les espaces par peur de débordement, il se fractionne. La technicité tire son importance et sa valeur dans une gestion institutionnelle de ses périmètres d’actions et de ses rythmes professionnels. Le temps et l’espace se maitrisent et se professionnalisent.

Depuis 2002, les dispositifs de VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) permettent à une personne après trois ans sur un poste, de demander une reconnaissance de son expérience pratique. Ce dispositif acquiesce aux personnes en poste d’ASH d’obtenir un certificat de qualification professionnelle pour AS. Cette reconnaissance se veut valorisante au niveau professionnel, mais ne trouve pas toujours de l’enthousiasme auprès du personnel.

Cette évolution professionnelle est présentée comme une opportunité d’aller plus loin dans son parcours. « Moi je dis que je ne vais pas rester là, je vais aller dans les

hôpitaux, cela sera un plus pour moi pour progresser, et qui sait, arriver comme ma mère (infirmière). C’est mon souhait. » (Géraldine, AS obtenu récemment par VAE,

trois ans d’ancienneté).

Mais bien souvent cet élan ne réussit pas à faire rompre ce contrat construit durant des années accumulées dans l’établissement. L’attachement est trop grand, trop profond, trop personnel, il est rassurant et structurant. Cela expliquerait les réticences aux formations hors établissement, leur équilibre ne se vit pas à l’extérieur, mais dans une familiarité trouvée et créée qui assure sa présence dans l’institution.

Cependant, cette ascendance par équivalence ne fait pas toujours le bonheur des AS diplômées d’État qui voient leur formation disqualifiée. Les mouvements internes se vivent dans les équipes sous des fonds de stratégies individuelles et rivales qui parfois provoquent des déceptions, et laissent un sentiment de déloyauté institutionnelle. Dans ce contexte de proximité entre domaine professionnel et vie privée, un contrat tacite semble se construire pour le salarié. Et quand l’institution vient le contrarier, des paroles critiques lui sont lancées et une nostalgie de temps passé envahit le présent. Comme le résident qui souhaite à l’entrée de l’établissement trouver l’assurance d’une aide permanente lui garantissant un maintien de vie, le salarié espère y poursuivre la sienne.

Concrètement, cette situation implicite fait naître des revendications incessantes relevant de l’équité. Assortie d’arguments variés comme : ne pas faire de différence, vouloir donner aux uns autant qu’aux autres, le personnel réclame une équité de droits pour les résidents et pour eux-mêmes. Ces cris d’exigence cachent souvent une forme ressentie d’inégalité, d’irrespect et d’insatisfaction. Ainsi, l’advenir soignant se forge dans une conceptualisation ambiguë de l’aide et l’entraide comme une nécessité vitale, mais asymétrique.

Une hiérarchisation des ASH et AS s’installe par l’ancienneté, à l’écart de celle par diplômes. Cette compétence s’acquiert dans le temps dans une forme implicite de familiarisation du domestique, créant ainsi une forme de pouvoir par l’emprise sur le quotidien. Et, l’ancienneté devient au rempart contre la menace des jeunes recrues formées.

Peu à peu, chaque jour et chaque geste du quotidien forme ce que l’on pourrait relever de l’hexis soignant dans un corps conformément professionnel.