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Ville et tissu urbain, visées, objets d’étude et méthodes

1 Espace et dynamiques du tissu urbain : problèmes et problématique

1.1 Une idée de la ville

1.1.3 Le parti pris systémique

La théorisation du discours archéologique ou des méthodes archéologiques ne sont pas actuellement des sujets de recherche très en vogue, notamment chez les archéologues des périodes historiques. Ceci est particulièrement vrai en France où beaucoup de praticiens sont sceptiques, voire réfractaires, à la théorisation du discours (SCARRE 1998), et même à toute forme de modélisation. Pourtant depuis la New Archaeology, il existe de véritables pistes de réflexions anciennes ou plus récentes (GARDIN, LAGRANGE 1975 ; GARDIN 1979 ; DJINDJIAN 1991 ; DJINDJIAN 2002), mais il faut bien reconnaître qu’elles n’ont quasiment pas eu d’écho dans la pratique de l’archéologie en France. Dans les années 1960, le courant structuraliste a concerné les travaux d’ethnoarchéologie d’André Leroi-Gourhan, mais n’a jamais véritablement touché l’archéologie en dehors de la préhistoire (DJINDJIAN 1991 : 329 ; SCARRE 1998). L’approche systémique revendiquée n’a pas non plus touché les travaux des archéologues des périodes historiques, à l’exception notable des travaux du programme ARCHEOMEDES (1998). Mais l’utilisation du principe du système ville s’explique uniquement par le travail, aux côtés des archéologues, de géographes adeptes du système d’auto-organisation des villes (LEPETIT, PUMAIN 1993b) et, après avoir essuyé de dures critiques (COLLECTIF 2000), il n’a pas véritablement fait école sur le plan méthodologique en archéologie après une décennie.

Les géographes et les économistes qui ont abordé l’étude sociale des villes ont davantage été marqués par ces courants de pensée. Ce fut par exemple le cas de l’ouvrage Monopolville publié en 1974 par Manuel Castells et Francis Godard. Dans un court article Dominique Lorrain en donne une présentation critique qui permet d’en appréhender toute l’essence et montre la dimension colossale et utopique d’une approche structurelle au service d’une explication marxiste de l’intégralité du phénomène urbain, tant dans son projet théorique que dans sa mise en œuvre empirique (LORRAIN 2001).

À l’inverse, bien que marxiste lui-même, le philosophe Henri Lefebvre a durement réfuté les capacités du structuralisme à appréhender le phénomène urbain, indiquant même que penser que « la ville et le phénomène urbain constituent un système [est] probablement une thèse abusive et dogmatique » (LEFEBVRE 1970 : 245). Partant de l’idée que « la ville est un tout » et que son approche en est essentiellement fragmentaire à cause d’une division du travail dans le domaine théorique et scientifique, Henri Lefebvre interdit de réduire l’analyse de la ville à l’identification d’objets, même lorsque ceux-ci définissent un système ; y voyant là une démarche tautologique, il dénonce : « le système cherché constitue l’objet en se constituant » (LEFEBVRE 1970 : 249). Pour lui tout concept n’est pas transposable ou applicable à d’autres domaines que celui dans lequel il a été créé, et aucun ne peut viser à la totalité, c'est-à-dire à l’intégralité du phénomène

urbain. Pour Henri Lefebvre, comme pour d’autres, le structuralisme et toutes les approches systémiques relèvent d’une idéologie statique qui n’est pas apte à appréhender la ville (comme le reste d’ailleurs) car elle aurait « toujours tendance à rejeter l’histoire, ou alors à faire de l’histoire historicienne » (HESS 1991). Il défend la thèse selon laquelle c’est « le conjoncturel qui brise les structures ».

Or on ne comprend pas bien comment appréhender la ville selon ce paradigme du conjoncturel, le moment où les éléments s’affranchiraient eux-mêmes de leurs structures : comment pourraient-ils être acteurs indépendamment du reste ? Au contraire, on peut envisager que si elles sont sociales, même les transformations sont structurelles.

C’est en tout cas la thèse que je défends. Pour moi, l’approche systémique est adaptée à l’étude d’un système complexe appréhendé dans la longue durée comme l’est la formation de la ville lorsqu’elle permet de s’affranchir d’un système statique auquel la dimension historique serait simplement associée et non partie prenante, autrement dit lorsqu’elle permet d’envisager des dynamiques. Or, dans le champ des études d’archéologie urbaine, un double constat s’impose : l’objet ville ne se résume pas à des processus diachroniques, au contraire, les éléments dépendent aussi de la synchronie : ils sont relatifs les uns aux autres et sont interdépendants. C’est pourquoi dans le système, il convient de distinguer deux ensembles de relations, les unes horizontales (les diachroniques, c'est-à-dire les historismes), les autres verticales (les synchroniques, c'est-à-dire les fonctionnalismes) qui sont à la fois structurées et structurantes, ce qui, réuni, consiste à former un système de transformations et de dynamiques. Or, la validité du système totalitaire est assurée par le fait qu’elles-mêmes conduisent à produire du système (entités ou relations). Ainsi, si on considère que la ville est une structure composée d’un système d’éléments indépendants du tout, mais pour autant situés dans un système de relations, les transformations du système produiront logiquement d’autres entités en relations et d’autres relations.

En tant que modèle, cette conception offre deux avantages à l’étude. En premier lieu elle forme un cadre. Elle demande de sélectionner puis de définir dans le détail les éléments du système. Leur échelle, leurs propriétés et leurs attributs doivent être précisément identifiés ; l’organisation entre ces éléments doit également être explicitée et les propriétés des ensembles eux-mêmes doivent également être définies. La mise en place de ces critères d’identification précis permet d’assurer l’homogénéité des éléments au sein des ensembles ou des sous-ensembles, bien qu’ils soient créés à partir de sources hétérogènes. Dans un même temps, le système de relations entre les éléments (intra- et inter-) doit être rigoureusement pensé et formalisé afin qu’il puisse rendre compte au mieux des phénomènes interrogés par la problématique. À l’instar des entités, il convient aussi de préciser les caractéristiques et les attributs de chaque ensemble de relations. En second lieu une telle conception en système oblige à réfléchir sur la structure elle-même, sur l’importance relative des éléments ou des relations, sur leurs transformations. Surtout rapidement il est possible de distinguer les limites du système : de quand à quand fonctionne-t-il ? Qu’est-ce qui échappe au système ? Ce questionnement est essentiel, sans quoi la méthode est

inutile, voire dangereuse. Un modèle n’explique jamais tout et c’est naturellement l’étude de ses frontières qui prend un sens particulier. Ainsi, il faut absolument sortir du fonctionnement de la structure et réfléchir sur ses particularités, par exemple sur sa genèse. Loin d’être évidente, mais particulièrement pertinente, cette délicate question se résout plus généralement par des voies empiriques.

Après cette prise de position, il convient de lever toute ambigüité : le système n’a pas vocation à refléter la réalité, il s’agit seulement d’un moyen pour l’appréhender. C’est le fondement de la méthode d’approche que je développerai dans le chapitre 3 (Figure 37). Le système tel que je le propose n’existe finalement pas en dehors de la manière de l’appréhender : il appartient de part en part et intégralement à l’analyste.