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Ville et tissu urbain, visées, objets d’étude et méthodes

3 Modélisations du tissu urbain

3.3 Les principes de l’analyse spatiale des données

3.3.3 La démarche de la modélisation

Le SIG ne se résume donc pas seulement à la manipulation d’un logiciel, il sous-entend une modélisation de l’information, comme dans un SGBD (PEUQUET 2002 : 233). Il s’agit en effet d’un concept qui nécessite en premier lieu la modélisation conceptuelle du phénomène observé. « Il s’agit d’inventorier ses composants (objets) selon leur niveau de définition, leur nature, les référentiels sémantiques, spatiaux ou temporels dont ils relèvent, ainsi que les relations qui font de ces composants un système dont il s’agit de saisir le comportement et la dynamique. Cette modélisation trouve son expression formelle dans un schéma appelé couramment « Modèle Conceptuel de Données »* (MCD) et son expression « opérationnelle » dans la structure qui en est déduite pour organiser la base de données spatio-thématiques » (SAINT-GÉRAND 2005 : 266).

Cette démarche est celle d’une analyse systémique (CHEYLAN et al. 1999 : 12). Elle passe par quatre étapes qui résument la démarche analytique de toute modélisation spatiale : - analyse de la thématique dont relève la problématique à résoudre (quel phénomène doit-être

- détermination de la structure des données spatiales et aspatiales (thématiques) ; - conception et rédaction du Modèle Conceptuel de Données (MCD) ;

- création des données spatiales, des données aspatiales, en fonction de leurs définitions et de leurs relations.

Le premier niveau de modélisation, celui de mise en place de la problématique, doit permettre de prendre conscience du phénomène à analyser en identifiant la « partie du monde réel » à étudier. C’est également lors de cette étape que les acteurs (objets d’études) et leurs relations (liens) doivent être établis. L’étape suivante consiste à modéliser les objets et les relations qu’ils entretiennent au sein du phénomène étudié. Cette approche, plus ou moins complexe et plus ou moins abstraite, se fonde sur des méthodes de modélisation qui visent à déconstruire les phénomènes pour mieux les appréhender.

3.3.4 La modélisation spatiale : objets géographiques et objets

historiques

3.3.4.1 Le formalisme HBDS

Le formalisme utilisé se fonde sur la méthode HBDS (Hypergraph Based Data Structure) énoncée dans la thèse de François Bouillé : Un modèle universel de banque de données

simultanément portable, répartie (BOUILLÉ 1977) qui concerne d’une part la structure

informatique des données, d’autre part la structuration de l’information spatiale et aspatiale (thématique). C’est en effet à lui que revient l’idée « d’orienter vers les caractéristiques des données spatiales la théorie relationnelle de gestion des données qui, jusqu’à ses travaux, n’avait guère été appliquée qu’à des données non spatiales » (SAINT-GÉRAND 2005 : 276). Ceci permet alors de prendre en compte d’une manière plus satisfaisante les relations spatiales, c'est-à-dire « la référence spatiale (longitude, latitude, type d’emprise, forme, voisinage…) comme composante intégrante de l’objet et non comme de simples attributs de l’objet » (PIROT, SAINT-GÉRAND 2005 : 63).

L’HBDS présente un système de données qui repose sur la théorie des graphes et des hypergraphes développée par le mathématicien Claude Berge (BERGE 1958 ; BERGE 1970), ainsi que sur la théorie des ensembles. Ainsi le système a recours à quatre types abstraits de données : l’ensemble, l’élément, la propriété et la relation qui peuvent être représentés respectivement par une arête d’hypergraphe, un sommet, une valuation portée par un sommet et un arc. Lorsque François Bouillé cite les Bourbaki et propose que l’ensemble soit « composé d’éléments possédant des propriétés et pouvant présenter des relations avec d’autres éléments du même ensemble ou de tout autre» (BOURBAKI 1939 cité par BOUILLÉ 1977 : 37), on comprend alors qu’il s’agit d’une collection d’éléments. En langage HBDS, le principe se traduit

d’une part par des hyperclasses contenant des classes d’objets complexes, d’autre part par des classes d’objets simples (Figure 31).

Figure 31 : « Modèle générique d'objets géographiques, selon l'acceptation hypergraphique » (SAINT-GÉRAND 2005 : fig. 10.5)

Le formalisme HBDS concerne également la structuration de l’information spatiale. Celle-ci est pensée selon un modèle topologique, où chaque objet géographique est assimilé à un graphe planaire particulier (PIROT, SAINT-GÉRAND 2005 : 63). Plus précisément, afin de prendre en compte les propriétés géographiques des objets, l’espace est découpé en graphes planaires topologiques sans isthme qui se définissent de la manière suivante : « un graphe G est planaire s’il est possible de le représenter sur un plan de sorte que les sommets soient des points distincts et les arcs des courbes simples ne se rencontrant pas en dehors de leur extrémité. Un graphe planaire topologique est une représentation d’un graphe G sur un plan. Un graphe planaire topologique sans isthme est un graphe planaire topologique sans arc pendant » (définition issue du glossaire de

Histoire & Mesure, 2004, t. XIX-3/4).

Dans le champ de l’analyse des dynamiques spatio-temporelles, peu de géographes ont recours à cette méthode : aucun des articles du neuvième volume de la Revue internationale de

géomatique, consacré en 1999 à la représentation de l’espace et du temps dans les SIG, n’en fait mention (notamment LARDON, LIBOUREL, CHEYLAN 1999 ; SANDERS, GAUTIER, MATHIAN 1999). Bien que peu appliqué par les géographes universitaires, l’HBDS est pourtant tout à fait adapté au domaine de l’information géographique : sa performance est notamment reconnue par l’IGN qui l’utilise afin de structurer ses bases de données. D’autre part c’est ce même principe qui est utilisé dans le modèle « géo-relationnel » de la Géodatabse d’Arc-Info développée par ESRI (un des principaux leaders en logiciel de SIG en micro-informatique) depuis la version ArcGis 8 (PIROT, SAINT-GÉRAND 2005 ; SAINT-GÉRAND 2005 : 290).

3.3.4.2 La définition et les dimensions des entités spatiales (objets géographiques)

Sur la base de l’article méthodologique rédigé par Henri Galinié, Xavier Rodier et Laure Saligny (GALINIÉ, RODIER, SALIGNY 2004), la modélisation spatiale que j’ai développée dans mon travail s’appuie sur une abstraction géographique des données archéologiques et historiques. Les objectifs fondamentaux sont de :

- conserver la nature intrinsèque d’un lieu, c'est-à-dire ses transformations temporelles, fonctionnelles et surtout spatiales ;

- offrir une vision horizontale (que se passe-t-il à telle époque ?) et une vision verticale (quels changements sont intervenus entre différentes périodes ?) des phénomènes ;

- éviter la redondance de la géométrie pour faciliter les analyses des données.

Pour ce faire, chaque objet géographique (objet simple) est associé à un graphe planaire topologique sans isthme : il est nommé « entité spatiale »* (ES) et correspond au plus petit découpage possible de l’espace. La proposition est d’envisager l’ES comme une portion d’espace afonctionnel qui, à l’exception de ses propriétés topologiques, est abstrait. Les entités spatiales sont neutres sémantiquement et seule leur association (ou non) donne corps aux entités historiques (EC : objets complexes). L’ES apparaît comme la traduction spatiale de l’objet sémantique et historique. On comprend alors la gestion topologique très particulière qui exclut toute superposition entre les ES, à deux exceptions près : d’une part, un sommet du graphe G peut être recouvert par un et un seul sommet de n autres graphes, d’autre part, une arête de G peut être recouverte par une seule arête d’un graphe G’, à l’exception de tout autre. Ces deux règles peuvent exister plusieurs fois entre deux mêmes graphes. Ces conditions topologiques assurent à chaque ES une trajectoire unique, c'est-à-dire que chacune correspond à un ensemble unique de combinaison qui forme les EC. Chaque ES est issue de la somme de l’histoire de la portion d’espace qu’elle représente.

La problématique de l’étude ainsi que le type de données mobilisées dans la longue durée (qu’il s’agisse de données issues de topographie physique ou de données architecturales) demandent à travailler sur deux types distincts de représentation de ces objets historiques. Ainsi,

un découpage en deux sous-types d’ES se révèle nécessaire pour matérialiser les objets historiques (EC). Avant de présenter dans le détail ces deux sous-types d’objets, il faut préciser que j’ai choisi, au regard des particularités du site étudié et des sources, de travailler dans un univers 3D (défini par les axes X, Y et Z). Cet univers est commun aux deux sous-types d’ES qui, complémentaires l’un à l’autre, fonctionnent en fait comme une représentation à deux échelles des objets historiques (EC).

Dans un premier temps, il est nécessaire de pouvoir travailler sur les dynamiques des maçonneries qui composent le site (notamment pour travailler sur le remploi). Les ES correspondent alors à des portions d’espace occupées par de la maçonnerie et sont des objets 3D, où 3 axes -ou dimensions- sont nécessaires pour localiser les sommets (définis par x, y et z) les uns par rapport aux autres qui reliés forment des solides d’un minimum de trois faces. Ainsi un logis (objet historique, EC) sera constitué d’une combinaison d’ES (objets géographiques en volume) qui associées formeront les murs de ce logis. Ce type de représentation ne peut évidemment pas être étendu à tous les EC. En effet, un jardin, une cour ou une rue n’occupent pas un volume dans l’espace mais une surface (2D). Ce type de représentation des EC ne permet toutefois pas de travailler sur l’espace plan, puisque par exemple un bâtiment sera représenté par ses murs et non par son emprise au sol ; l’emprise serait alors paradoxalement vide.

Dans un second temps, afin précisément de pouvoir travailler sur les dynamiques de l’occupation spatiale, ce sont les plans masses des bâtiments et non plus leurs plans détaillés qui doivent être modélisés. Il s’agit alors d’un changement d’échelle, où le volume du bâtiment n’apporte aucun renseignement utile à l’analyse : la représentation en 2D suffit.

À ces deux sous-types d’objet s’ajoute un autre type aux dimensions propres : c’est celui du Modèle Numérique de Terrain. Ce MNT diachronique est constitué à partir de multiples sommets (couple x, y) qui sont datés (date de début et de fin) et qui présentent chacun une valeur z. Il est alors possible d’obtenir à un temps t1 ou t2 les MNT du site, puis de les comparer (cf. supra) ; il s’agira alors d’objets 2,5D c'est-à-dire sans épaisseur (LARRIVÉE, BÉDARD, POULIOT 2006 : 15).

Toutefois, il peut se révéler utile de travailler par exemple sur les pentes d’un jardin ou de construire le profil d’une rue. Chaque combinaison d’ES 2D (i.e. un EC) est alors drapée sur un MNT contemporain de l’objet historique. On parlera alors à propos des EC (et non plus des ES) d’objet 2,5D (puisque les altitudes ne sont pas des propriétés de construction des ES, mais des attributs historiques aux EC).

La coexistence de ces deux sous-types d’ES peut sembler entraîner une certaine forme de redondance. En effet, un même EC représenté par une combinaison d’ES 3D sera également obligatoirement représenté par une série d’ES 2D. La Figure 32 montre que les deux thèmes d’analyse spatiale envisagée (bleu et vert) ne prennent jamais en compte simultanément les deux

sous-types d’ES (2D et 3D). Il ne s’agit donc pas d’une redondance d’information, mais bien de deux systèmes envisagés chacun à l’échelle qui lui est propre.

Figure 32 : Schéma représentant les différentes dimensions d’objets sollicitées par les trois principaux thèmes d’analyse effectués à partir du modèle.

L’application en volume d’une telle méthode semble peu courante. Dans ce travail elle est pourtant nécessaire afin de modéliser le bâti. Sa relative simplicité permet en fait une adaptation aisée du principe au volume. Les ES 3D qui modélisent les espaces maçonnés sont gérées d’une manière identique aux ES 2D ; on ne parlera toutefois plus de graphes mais de « solides topologiques ». Ceux-ci suivent de strictes règles de construction puisque aucun sommet, arête ou graphe ne doit se superposer au sein d’un même solide, qui de surcroît ne doit disposer d’aucune arête ou d’aucune face pendante. L’espace est géré de manière topologique en reprenant les principes déjà énoncés qu’il faut naturellement étendre aux particularités de l’espace 3D. Ainsi, pour garder l’intégrité de l’ES, c'est-à-dire être assuré de l’unicité de sa trajectoire, les solides ne doivent pas s’interpénétrer : c’est pourquoi la face d’un solide S peut être recouverte par une seule face d’un solide S’. La Figure 33 présente un exemple de modélisation des EF en ES 3D. Dans ce schéma, 1 fut créé parce qu’il appartient uniquement à A, 2 parce qu’il appartient à la fois à A et à B, et 3 parce qu’il n’appartient qu’à B. Ainsi l’ES ne peut renvoyer à aucune réalité historique : dans la Figure 33, il n’est pas possible de définir ce qu’est l’ES 2. L’entité spatiale ne peut donc porter aucun attribut sémantique.

Figure 33 : Principe de modélisation des EC en ES.

Le choix est donc clairement celui d’une appréhension de l’espace d’un point de vue continu, c'est-à-dire lorsque la base de données contient des régions sur lesquelles des variables sont attachées.