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Modéliser la structure et la conjoncture : le recours au temps simple et au temps complexe simple et au temps complexe

Ville et tissu urbain, visées, objets d’étude et méthodes

3 Modélisations du tissu urbain

3.4 Modéliser et gérer le temps

3.4.2 Modéliser la structure et la conjoncture : le recours au temps simple et au temps complexe simple et au temps complexe

La réflexion sur la modélisation conceptuelle du temps n’est pas récente, mais il ne semble pas exister aujourd’hui d’outils opérationnels qui permettent d’analyser le temps dans une approche spatio-temporelle des objets historiques. Plusieurs SIG permettent de gérer le temps, c'est-à-dire de prendre en compte ses particularités, mais rarement de travailler sur l’architecture du temps : on pense au système MADS qui a déjà été présenté (PARENT et al. 1997) ou aux travaux de représentation en cartographie dynamique de TimeMap (JOHNSON 2005). Les outils commerciaux ne sont pas non plus utilisables.

3.4.2.1 Le temps conceptuel

Nous avons vu que le temps de l’historien pouvait être composé d’événements ou de durées (cf. Partie 1, § 3.4.1.1, p. 154). La conceptualisation du temps permet d’envisager ces deux types de subdivision. L’organisation des événements peut être facilement modélisée par les notions simples d’avant (<), d’après (>) et de simultanément (=). Les durées qui sont bornées par des événements obligent à envisager, en plus de ces notions simples, d’autres plus complexes : par

exemple une durée peut en chevaucher une autre, sans totalement la recouvrir ; ou une courte durée peut être contenue dans une plus grande. Les principales recherches concernant les relations topologiques temporelles sont dues à James Allen. On lui doit un modèle qui permet de définir toutes les relations qui existent entre des intervalles temporels (ALLEN 1984) (Figure 34).

Figure 34 : « The interval relationships » (ALLEN 1991 : 345)

Les relations proposées dans ce schéma, ainsi que leur réciprocité, forment un total de treize relations possibles entre deux intervalles : cette réflexion constitue la base fondamentale de la modélisation des mécanismes de transformation. Cet algèbre est donc très logiquement utilisé dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la modélisation du temps dans les SIG (PARENT et al. 1997 ; PEUQUET 1994 ; LARDON, LIBOUREL, CHEYLAN 1999). Il met en évidence la possibilité de décomposer le temps en événements, qui le cas échéant peuvent former des intervalles, c'est-à-dire les bornes des durées. D’autre part, il reconnaît l’existence d’une topologie propre au temps. Ces deux notions sont celles déjà retenues pour la définition de l’espace (système de représentation, et gestion de l’espace topologique) : elles forment le socle fondamental de la modélisation temporelle, qu’il est alors naturellement possible d’envisager comme celle de l’espace.

3.4.2.2 Modéliser le temps comme l’espace

C’est cette conception du temps qui le rend comparable à l’espace. Ceci dit, le temps n’est pas une dimension identique à celle de l’espace. D’ailleurs, dans une conception traditionnelle de l’espace-temps, on attribue trois dimensions à l’espace (x, y, z), tandis qu’une seule dimension est réservée à l’espace (t). Néanmoins malgré une différence de « géométrie », dans un système structuré, il semble possible de modéliser le temps linéaire de l’historien d’une manière proche de

celle proposée pour l’espace, c'est-à-dire en utilisant les notions d’objets simples et d’objets complexes (cf. Partie 1, § 3.3.4.2, p. 149).

Si les archéologues sont souvent séduits par la modélisation, le thème particulier du temps apparaît bien en reste de leurs travaux, ce qui apparaît paradoxal puisque l’archéologie et la longue durée semble en être le domaine d’application par excellence. Récemment, deux publications indépendantes s’appuyant sur l’algèbre de James Allen ont toutefois vu le jour (ACCARY, BÉNEL, CALABRETTO 2003 ; RODIER, SALIGNY 2007). S’il ne s’agit que de propositions théoriques, toutes deux insistent sur l’intérêt d’une conception topologique des relations temporelles, cependant seul l’article de Xavier Rodier et Laure Saligny présente clairement un enjeu pour l’étude du temps « en soi » (notamment la recherche de rythmes). Comme pour la gestion de l’espace, c’est dans cette même approche que j’ai souhaité inscrire mon travail.

Pareillement à l’espace qui est géométrique, on peut envisager que le temps est un objet chronométrique. Dans l’espace, les objets géométriques sont le sommet, l’arc, la face et le solide ; le temps est composé d’événements ou d’instants et de durées. Dans la théorie des graphes, les premiers se traduisent par des sommets, les seconds par des arcs ; en revanche, les notions de face et de solide, qui impliquent deux et trois dimensions, ne sont pas adaptées à la modélisation du temps qui s’organise sur une unique dimension (orientée) (Figure 35). Ainsi, on considère que dans cette dimension du temps, il existe une coordonnée (t) capable de décrire chaque instantané qui est fondée sur le même principe que la coordonnée d’un point dans l’espace, à la différence près que dans l’espace, le point est défini dans trois dimensions (X, Y et Z).

Dimension Point Ligne Surface Volume Espace 3D : (X, Y, Z) Sommet (x, y, z) Arc ((x

1, y1, z1) ; (x2, y2, z2)) Faces Solide Temps 1D : (T) Date Sommet

(t)

Durée Arc

(t1 ; t2) / /

Figure 35 : Tableau de comparaison des dimensions spatiale et temporelle

La durée est comparable à un arc. Si dans l’espace il relie deux sommets, d’une manière similaire la durée (t1 ; t2) est ce qui relie deux événements : un début (t1) et une fin (t2) (Figure 35). Selon la nature des données et la précision retenue, la valeur (t) peut être exprimée selon plusieurs unités : en siècles, en années, en jours, en secondes, ou en règnes d’empereur, comme les unités de l’espace seront précisées en miles, en mètres, en millimètres, etc. Le système de référence, comme le niveau de détail, doit être défini au préalable et adapté à l’échelle de l’étude. Dans le système mis en place pour l’étude de la transformation du tissu urbain implanté sur l’amphithéâtre antique de Tours (soit sur 1300 ans), c’est l’année qui a été retenue comme l’unité de la valeur (t) (cf.

Partie 1, § 3.4.1.2, p. 155). Il s’agit d’une unité dont la finesse permet de gérer des données issues de l’ensemble des sources, et qui a l’avantage d’être exprimée en base 10.

Le parti pris est le même que celui de l’espace, à savoir qu’il n’existe pas de redondance temporelle possible. On a déjà dit qu’il n’existe qu’un seul espace, même si dans le temps plusieurs objets historiques s’y succèdent. De la même manière il n’y a qu’un seul temps, même s’il peut contenir plusieurs objets historiques situés dans des espaces distincts. À partir de cette remarque une solution simple consiste à déconstruire le temps en mailles régulières, où chacune représente une année, et à associer un ensemble de mailles à chaque objet historique afin de reconstituer sa position dans le temps et sa durée. Cette conception trouve son parallèle dans la division de l’espace en pixels. Une autre possibilité revient à découper le temps en fonction des temporalités cumulées des objets eux-mêmes, c'est-à-dire non d’un maillage régulier décidé à priori. C’est cette solution que j’ai adoptée dans mon travail : elle se rapproche très nettement de celle retenue pour la gestion de l’espace (cf. Partie 1, § 3.3.4.2, p. 149).

3.4.2.3 La déconstruction du continuum temps

Pour le temps, le choix est d’appréhender le système d’un point de vue continu, c'est-à-dire par le biais d’une base de données qui contient des régions du continuum auxquelles des variables sont associées (RODIER, SALIGNY 2007). Traduites sous la forme de graphes, ces régions correspondent à des sommets (événements) et des arcs (durées). Ces derniers sont eux-mêmes composés d’un couple d’événements (début / fin). Il convient d’abord de rassembler l’ensemble des sommets nécessaires à la description temporelle des objets historiques, puis de découper l’axe du temps selon la répartition de ces événements. Je reprends alors la notion d’Entité Temporelle* (ET) qui correspond à l’ensemble des intervalles irréguliers de temps (RODIER, SALIGNY 2007), mais aussi aux sommets qui décrivent un instant (Figure 36). Les ET sont dépourvues de valeur fonctionnelle, spatiale et même historique : ces durées ou ces points du temps ont en effet simplement une valeur chronométrique. Par exemple, dans la Figure 36, comment définir le sens historique de l’ET 2 ?

Figure 36 : Principe de modélisation des EC en ET.

Les ET correspondent au niveau chronologique qui est le reflet du niveau géographique ; on reconnaît d’ailleurs le parallèle avec l’entité spatiale (ES). L’ET est donc l’objet simple de la description du temps. Une association de un ou plusieurs de ces objets permet de reconstituer la durée et la datation des objets historiques. Plus précisément, l’association de une ou plusieurs ET à une ou plusieurs ES forment un objet historique qui sera par ailleurs interprété.

L’association des ET fait à la fois appel à des durées et des instants. Toutefois, il ne s’agit pas d’une forme de redondance dans la mesure où les sommets (événements) ne sont pas contenus dans des durées (arcs) en dehors de leur extrémité et qu’une telle modélisation permet de renvoyer à deux formes d’histoire, l’événementielle (temps court) et la structurelle (longue durée). Le travail sur l’événementiel (sommets) permet de rendre compte du ratio apparitions / disparitions ; celui sur les durées (arcs) sur l’intensité historique du temps. Les ET-événements qualifient et quantifient les transformations du temps, tandis que les ET-durées qualifient et quantifient la stabilité du temps. C’est d’abord cette déconstruction du continuum en deux sous-types d’ET, puis leur examen conjoint qui permet de rendre compte du détail des caractéristiques de la dimension temporelle, notamment grâce à l’étude de la distribution et de la forme des ET. L’intérêt face au découpage en mailles régulières est, entre autres, de permettre une réflexion sur la chronométrie relative ou absolue des ET : leur position et leur étendue.

Le découpage du temps de la formation du tissu urbain implanté sur l’ancien amphithéâtre de Tours est présenté dans le paragraphe 7.1.2.2 de la troisième partie (cf. p. 309).

3.4.2.4 L’analyse : l’identification de la structure du temps

Ce principe de modélisation est conçu pour s’appliquer aux différentes sources qui renseignent le tissu urbain. La mise en place d’un cadre d’analyse rigoureux offre la possibilité de travailler sur la distribution de l’ensemble des objets historiques construits selon leur forme et leur fonction. L’objectif final est de reconstituer, de comparer puis d’interpréter la fonction temporelle du phénomène étudié, c'est-à-dire l’organisation de sa structure spatiale et fonctionnelle dans le temps.

L’identification de la structure du temps passe par l’étude qualitative et quantitative des points de transformation et des périodes de stabilité. L’étude quantitative est possible grâce à la gestion topologique des entités temporelles qui permet de connaître leurs propriétés chronométriques. Son objectif est le regroupement des entités temporelles en ensembles, c'est-à-dire en « rythmes ». Il existe plusieurs types d’association, ou plusieurs suites : les rythmes linéaires qui peuvent être des « unités de temps », des « accélérations » ou des « ralentissements », et les rythmes « cycliques ». Tous ces regroupements concernent des séries d’ET dont les propriétés chronométriques s’organisent selon une logique intrinsèque qui s’oppose fortement à celles qui l’entourent. Le rythme de « l’unité de temps » est la fonction la plus simple puisque les propriétés des ET sont identiques. En quelque sorte, c’est le pendant de l’« unité de plan » utilisée dans le vocabulaire de la morphologie (GAUTHIEZ 2003c : 481). Ce rythme linaire correspond à une utilisation homogène du temps qui s’oppose donc logiquement aux autres rythmes. Les « accélérations » et leur inverse les « ralentissements » sont des suites de valeurs croissantes ou décroissantes. Elles regroupent des périodes linéaires où la scansion du temps se dilate ou se rétrécit. Enfin, le dernier rythme de temps identifiable est celui des « cycles », c'est-à-dire des périodes qui sont construites selon une structure intrinsèque qui se répète. Ces différentes suites temporelles ne sont pas identifiables facilement puisqu’elles renvoient rarement à des suites mathématiques, mais plutôt à des tendances générales.

La structure du temps peut également être observée selon une approche qualitative, à l’aide du calcul d’une multitude d’indices qui permet de comparer puis de regrouper les durées et les événements. Il s’agira par exemple de calculer l’indice de construction des points de transformation : c'est-à-dire valuer les ET-événements en fonction du nombre de transformations (apparitions et disparitions) qui a concouru à leur création. D’autres valeurs permettent de qualifier les durées : c’est, par exemple, la comparaison du nombre de fonctions représentées dans le temps par rapport au modèle global de dispersion fonctionnelle.

Ces exemples d’indices, un peu abstraits, sont accompagnés de beaucoup d’autres. Leur mise en œuvre détaillée et leur explication seront développées dans la synthèse de l’étude, plus précisément dans la partie qui concerne l’approche temporelle du tissu urbain (cf. Partie 3, § 7.2, p. 311).