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Le parler algérien du XXI ème siècle : une bigarrure de mots et de langues

L'ANALYSE QUANTITATIVE DES DONNÉES DES PROFILS BIOGRAPHIQUES DES RÉPONDANTS

1.2. Le parler algérien du XXI ème siècle : une bigarrure de mots et de langues

De nos jours, à l‘ère d‘Internet, de la mobilité et de la mondialisation, on se doit de parler deux ou plusieurs langues afin d‘être à la même longueur d‘onde que les habitants de la planète Terre. L‘enfant naît et parle sa première langue – qu‘on appelle langue de première socialisation puisqu‘elle lui permet d‘entrer en contact avec l‘entourage proche et qui est généralement transmise par les deux parents ou l‘un deux1– puis une fois à l‘école il apprend à lire et à écrire dans la langue décidée par l‘État ou choisie par ses parents. Ensuite, à l‘âge adulte – voir bien avant – il peut acquérir une ou plusieurs langue(s) en fonction de ses besoins communicatifs, de ses impératifs professionnels ou autres2. L‘apprentissage d‘une langue étrangère et l‘appropriation de son vocabulaire n‘affecte nullement la maîtrise de la première langue, celle de la culture de l‘apprenant et de son identité comme le confirme Michael BYRAM. Ce dernier avan ce qu‘« Il est devenu d‘usage d‘enseigner les langues étrangères [...] comme si les professeurs devaient préparer leurs apprenants au rôle de touriste et de vacancier dans le pays étranger. [...] Ceci n‘a pourtant aucun impact sur leur façon de voir leur i dentité propre, ni celle des autres ; ils sont implicitement sollicités de rester fermement ancrés dans

1 Là encore, s‘il s‘agit d‘un enfant né de parents immigrés ou qui parlent deux langues différentes, le bilinguisme – voire plurilinguisme – serait une évidence.

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On peut très bien apprendre une langue afin de trouver un poste de travai l, discuter avec de nouvelles connaissances sur Internet, regarder un match commenté dans la langue de son club fétiche qui se trouve à l‘autre bout du monde (nous avons que des Algériens se sont mis à apprendre le portugais à l‘approche de la coupe du monde de football afin de pouvoir communiquer au Brésil en 2014. D‘autres encore ont programmé des cours de russe à l‘annonce de l‘organisation par la Russie de la prochaine coupe du monde), faire du tourisme, etc.

112 leur propre système de valeurs et dans leur propre culture. » (BYRAM (1992) cité par BUFFET & WILLEMS, 1995 : 02). Par ailleurs, ces langues, une fois assimilées, fournissent au locuteur un fond lexical auquel il pourrait éventuellement recourir dans le but de combler les failles de son répertoire verbal ou le compléter.

La langue parlée tous les jours en Algérie au XXIème siècle est beaucoup plus prospère qu‘elle l‘était au siècle dernier. Elle a évolué et s‘est enrichie au contact du français et des autres langues étrangères. La langue berbère, notamment sa variété tamazight, a également contribué à son essor. Conformément aux propos de William Francis MACKEY qui affirme que « le choix de la langue [relève] des droits personnels de l‘individu » (MACKEY, 1976 : 82 cité par BOYER, 2010 : 71), les Algériens ont fait leur choix : ils usent d‘une langue qui, loin d‘être celle qu‘ils apprennent sur les bancs de l‘école, constitue un matériau langagier à leur portée et « qu‘ils manipulent, bricolent, subvertissent, arrangent, contrefont en vue de co-construire du sens. » (ABBES-KARA, 2010 : 80). Il s‘agit d‘une langue composite en perpétuelle mouvance qui permet à des mots locaux et étrangers de s‘enchaîner dans une même phrase. Prenons l‘exemple suivant : kaHzi elloTo men hna parce que li yakheRjou men seqwila tgénihom ==˃ déplace l‘automobile d‘ici parce que tu vas gêner ceux qui sortiront de l‘école.

keHez : est un verbe tamazight qui veut dire pousser, déplacer.

Men hna : est un adverbe arabe (بٕ٘ ِٓ) qui signifie ‗d‘ici, par ici, de là‘.

Parce que : est une locution conjonctive française.

Li yakheRjou : littéralement ceux qui sortent.

Men : préposition arabe qui signifie ‗de‘.

Seqwila : est une déformation du mot espagnol ‗escuela‘ qui veut dire ‗école‘.

113 Dans cette phrase, comprise dans une conversation ordinaire, s‘enchainent les mots de quatre langues : le berbère, l‘arabe, le français et l‘espagnol.

Si vous interrogez des Algériens sur leurs profils linguistiques, plusieurs vous diront : ‗je suis bilingue‘ parce que le bilinguisme pour un non averti est le fait de parler deux langues peu importe leurs statuts ou que leur usage soit alterné, mélangé, ou déséquilibré. D‘après Claude Antoine ROZET et Ernest CARETTE, la coexistence de deux langues en Algérie remonte à la préhistoire car « Déjà en 1631 un Français, Thomas Darcos, découvrait dans les ruines de Dugga (l‘ancienne Thugga), situées entre Constantine et Tunis, non loin de la dernière de ces deux villes, une épigraphe bilingue, contenant d‘une part sept lignes d‘écriture phénicienne et de l‘autre sept lignes d‘une écriture inconnue. » (ROZET & CARETTE, 1850 : 186). Les deux auteurs qualifient, dans ce sens, la ville de Guelma de musée bilingue parce qu‘un chercheur a découvert à l‘époque coloniale un banc d‘inscriptions libyques et puniques. Aujourd‘hui encore, les Algériens habitant les quatre coins du pays sont bilingues et n‘hésitent pas à s‘exprimer dans les langues qu‘ils maîtrisent. Toutefois, si vous leur demandez ‗quelle est votre première langue ?‘, ils répondent sans réfléchir : l‘algérien et vont jusqu‘à dire qu‘il s‘agit bel et bien d‘une langue et non d‘un dialecte ou d‘un idiome. Les Kabyles, quant à eux, répondent sans tergiverser en affirmant une bonne maîtrise du tamazight – la langue des ancêtres – mais aussi de l‘arabe dialectal qui est la langue du pays. Pour eux, l‘arabe littéral, de l‘école leur est impo sé comme une quasi langue étrangère vu qu‘ils prétendent que la culture arabe représente pour eux une composante allogène de la société algérienne.

2. Les auditeurs et/ou yadésnautes et leurs langues

Nous allons présentement voir lesquelles des langues décri tes dans les pages précédentes sont utilisées par les auditeurs de l‘émission radiophonique qui nous intéresse. Rappelons que notre population d‘étude se compose de deux catégories de sujets parlants producteurs de discours oraux ou écrits : la première englobe les auditeurs qui appellent à l‘antenne et dont les discussions avec l‘animateur constituent notre corpus oral; la deuxième comporte les yadésnautes actifs sur les deux pages Facebook de l‘émission, Yadés chaîne 3 et Yadés

114 Auditeurs, dont les commentaires composent notre corpus écrit. Les discours de l‘animateur ne sont pas concernés par notre étude. Cependant, nous les décrirons brièvement puisqu‘ils sont produits par celui qui oriente la discussion avec les appelants avant qu‘ils ne fassent des propositions de réponses. Il importe de signaler que le choix de la langue se fait librement par les appelants1.