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Éclairages et notions théoriques :

2.2. GOMBERT et le développement métalinguistique

En 1990, Jean-Émile GOMBERT considère ‗métalinguistique‘ comme un néologisme employé par les linguistes pour désigner ce qui se rapporte à la métalangue. Quand il évoque la fonction métalinguistique qui « concerne l‘activité qui consiste à parler de la parole, activité linguistique qui prend donc le langage lui-même comme objet » il en déduit que la métalinguistique, elle, «concerne donc l‘activité linguistique qui porte sur le langage » (GOMBERT, 1990 :12). En 1996,

71 il ajoute que l‘adjectif ‗métalinguistique‘ renvoie à l‘usage de la langue pour parler d‘elle-même.

D‘un point de vue psychologique, Jean-Émile GOMBERT a cité un certain nombre de chercheurs qui se sont intéressés à l‘étude du champ métalinguistique : Courtney CAZDEN (1976) décrit l‘habileté métalinguistique comme habileté comportementale qui se résume dans un processus effic ace ne dépendant d‘aucun effort cognitif. Par contre, il faut faire appel à une maitrise métalinguistique afin d‘accéder au lexique. Cette maîtrise ou ‗awereness‘ est « la capacité de rendre opaques les formes verbales et de leur prêter attention en elles -mêmes et pour elles-mêmes » (GOMBERT, 1990 :14). Avoir des connaissances métalinguistiques exige une certaine activité mentale comme le confirme le spécialiste Français : « Il doit être clair que les connaissances métalinguistiques sont des connaissances mentalisées ou du ou du moins évocables mentalement. » (GOMBERT, 1996 : 47). Les activités métalinguistiques au sens culiolien impliquent deux choses pour Jean-Émile GOMBERT : d‘une part, des « activités de réflexion sur le langage et son utilisation », anciennement appelées activités métalinguistiques déclaratives (1987), et d‘autre part, les « […] capacités du sujet à contrôler et à planifier ses processus de traitement linguistique en compréhension et en production » (1990), anciennement nommées activités métalinguistiques procédurales. Elles sont toutes « limitées aux activités cognitives appliquées consciemment à la manipulation du langage » (GOMBERT, 1990 : 05).

Dans le dessein de définir le champ métalinguistique, Jean -Émile GOMBERT reprend les propos de Carol CHOMSKY (1979) et John DOWNING (1979) et ceux de Serge BRÉDART et Jean -Adolphe RONDAL (1982). Pour les premiers, le champ métalinguistique « renvoie chez le sujet à la connaissance qu‘il a des traits et des fonctions du langage ». Pour les deuxièmes, il se rapporte à « la connaissance que le sujet a de la structure, du fonctionnement et de l‘usage du langage. » (GOMBERT, 1990 : 13).

Quant aux activités métalinguistiques, elles sont définies à partir des travaux de Craig CHAUDERON (1983), Alain CONTENT(1985) et Ellen BIALYSTOK (1986). Craig CHAUDERON précise que les activités linguistiques

72 « traitent le langage comme un objet ». Alain CONTENT parle d‘un objet « dont le sujet peut […] étudier les propriétés et à propos duquel il peut avoir des intuitions, faire des hypothèses et acquérir des connaissances ». D‘après BIALYSTOK, elles « comprennent, d‘une part, les activités d‘analyse par le sujet des connaissances linguistiques, et de l‘autre, celles de contrôle des processus linguistiques, contrôle qui suppose la sélection et la coordination d‘informations dans un contexte de contraintes temporelles » (GOMBERT, 1990 :15). Sylvie HALLER et Bernard SCHNEUWLY (1996) notent que l‘activité métalinguistique s‘accomplit quand « le véhicule s‘arrête et que le conducteur en sort pour mettre en quelque sorte à plat les difficultés survenues » (Ibidem). Ils confirment que cette activité est « parfaitement repérable dans le discours ». D‘après Jean-Émile GOMBERT, l‘activité épilinguistique consiste en une « connaissance intuitive et un contrôle fonctionnel des traitements linguistique » (1990 : 233). L‘activité métalinguistique, facultative et tardive, se résume, quant à elle, « en une connaissance consciente et en un contrôle délibéré de nombreux aspects du langage » (Ibid : 247).

D‘un point de vue linguistique, Jean-Émile GOMBERT affirme qu‘il revient au linguiste de déceler le ‗métalinguistique‘ dans les productions verbales des sujets parlants en relevant des traces linguistiques qui traduisent « des processus d‘autoréférenciation (utilisation du langage pour référer à lui -même) » (GOMBERT, 1990 : 19). Il précise que même les jeunes enfants font de la métalinguistique et ceci lorsqu‘ils commentent leur propre langage. D‘après lui, l‘objet d‘étude de la ‗métalinguistique‘ est l‘énoncé produit par le locuteur auquel viennent s‘ajouter des facteurs extralinguistiques pris en compte secondairement. Il reprend les propos de Willem J. M. LEVELT & coll. (1978) qui appellent ‗métalinguistiques‘ des phénomènes qui sont « à la limite de la conscience (comme les autocorrections spontanées du jeune enfant) » et ceux qui sont « clairement le résultat d‘une réelle réflexion explicite sur le langage » (Ibid : 21). Il parle d‘habileté métalinguistique (metalinguistic skill) quand le sujet possède des connaissances linguistiques qu‘il applique « plus ou moins automatiquement sans réflexion ni décision délibérée » et de capacité métalinguistique (metalinguistic ability) lorsque « le caractère délibéré et réfléchi est établi ». En 1996, il avance que les psycholinguistes cognitivistes considèrent les activités

73 métalinguistiques comme « un sous-domaine de la métacognition qui concerne le langage et son utilisation » (GOMBERT, 1996 : 41).

3. L’épilinguistique : une notion synonyme ou distincte de celle de métalinguistique ?

‗Épilinguistique‘ est un terme qui nous vient d‘Antoine CULIOLI. Ce dernier affirme en 1968 que « le langage est une activité qui suppose elle -même une perpétuelle activité épilinguistique (définie comme activité métal inguistique non consciente) ainsi qu‘une relation entre un modèle (la compétence, c‘est -à-dire l‘appropriation et la maîtrise acquise d‘un système de règles sur des unités) et sa réalisation (la performance) dont nous avons la trace phonique ou graphique, des textes » (CULIOLI, 1968 : 108). Il considère ainsi l‘activité épilinguistique comme une activité métalinguistique spontanée inhérente au langage. Sa conception de la notion d‘épilinguistique suppose l‘existence d‘une frontière distinguant les discours destinés à la description scientifique de la langue, qu‘on trouve dans les différents dictionnaires et autres ouvrages dédiés à la langue, dits métalinguistiques car visant à construire une représentation des phénomènes langagiers, de ceux traitant la langue ou le discours sans construire cette représentation.

Jean-Émile GOMBERT désigne par ‗épilinguistique‘ les « activités métalinguistiques inconscientes » ou encore les « comportements qui s‘apparentent aux comportements métalinguistiques mais dont le caractère non conscient semble être établi » (GOMBERT, 1990 : 27). Il postule que l‘activité épilinguistique ressemble à un comportement métalinguistique que le sujet ne contrôle pas consciemment. Cette activité se caractérise par la présence « d‘une maîtrise fonctionnelle de règles d‘organisation ou d‘usage de la langue » dans le comportement du locuteur. Il se réfère à Antoine CULIOLI qui précise que « ces activités épilinguistiques sont impliquées dans tout comportement langagier et représentent donc l‘autoréférenciation implicite automatiquement présente dans toute production linguistique » (Ibidem). Jean-Émile GOMBERT indique que l‘activité épilinguistique « apparaît […] comme une activité centrale de la faculté du langage, présidant à l‘infinité produite/comprise de séquences langagières, est

74 déjà à l‘œuvre chez l‘enfant de 2 à 3 ans dès les débuts du langage. » (GOMBERT, 1990 : 117).

Selon Thierry BULOT, «Qu‘il s‘agisse d‘attitudes linguistiques et/ou langagières, voire de pratiques linguistiques attestées ou non, le terme ‗épilinguistique‘ associé à celui de discours signifie les faits discursifs relatifs des jugements portés par les locuteurs sur ces mêmes pratiques» (BULOT, 2005 : 220). Ainsi, il lie l‘épilinguistique aux jugements qu‘émettent les sujets parlants sur les pratiques linguistiques.

Dans son article « La notion d‘ajustement dans le métalangage d‘A. Culioli », Claudine NORMAND revient sur la notion d‘épilinguistique telle qu‘elle a été perçue par Antoine CULIOLI dans l‘ouvrage, paru en 2005, consacré aux entretiens avec le linguiste français. Ce dernier nous propose ce qui su it :

L‘épilinguistique, c‘est toute cette prolifération, ce foisonnement, avec une porosité, une déformabilité qui fait que vous pouvez passer de l‘un à l‘autre. C‘est comme une anamorphose permanente qui joue de telle manière qu‘à un moment donné, pour une langue donnée, il y aura des décisions, c‘est-à-dire des trajets, des choix nécessaires et, à ce moment-là, vous êtes dans le linguistique. Et si maintenant, en tant que linguiste, vous réfléchissez explicitement en vous mettant dans une position extérieure, par une simulatio n, vous allez avoir du métalinguistique ; ce qui fait que naturellement le métalinguistique va être dans certains cas dans la langue – la métalangue est dans la langue – mais d‘un autre côté, il a un coût, il y a toujours une réduction, si on emploie métalinguistique au sens strict.1 (CULIOLI et NORMAND 2005 : 110-111)

De plus, il observe que l‘activité épilinguistique intervient automatiquement à l‘occasion de tout comportement langagier. Il s‘agit, pour lui, d‘une activité où se manifeste le caractère d‘autoréférenciation du langage. Cette activité qui donne lieu à des discours épilinguistiques nous renseigne sur le locuteur qui les produit comme l‘indique Jacqueline AUTHIER-REVUZ : « Les manifestations épilinguistiques […] présentent une précieuse source de renseignements linguistiques » (AUTHIER-REVUZ, 2012 : 34).

Cécile CANUT postule que la notion d‘activité épilinguistique « permet de rendre compte de manière dynamique du rapport du sujet au(x) lecte(s), le sien ou celui des autres » (CANUT, 2000 : 73). Elle considère, à l‘instar d‘Antoine

75 CULIOLI, cette activité comme non-consciente « puisqu‘elle régit les représentations langagières auxquelles nous n‘avons pas accès » (Ibidem). Elle entend par discours épilinguistiques les « énoncés subjectifs des locuteurs ayant pour objet l‘évaluation des langues ou des pratiques linguistiques sans fondement scientifique » (CANUT, 1998 : 70). Pour Nicole GUEUNIER, un discours épilinguistique est un discours dans lequel le sujet parlant « exprime plus ou moins directement des sentiments et des opinions sur le langage, la langue et les contacts de langues » (GUEUNIER, 1997 : 246).

Les discours épilinguistiques sont multiples et divers dit Dalila MORSLY (2003). Ce sont des discours « non savants produits par les locuteurs ou par divers autres acteurs sociaux. On les repère aussi dans les mythes […], les stéréotypes, les proverbes »1. Elle regroupe les effets de ces discours en trois catégories : «

- Idéalisation/valorisation : les locuteurs développent des arguments qui ont trait à la beauté, la richesse, la rationalité d‘une langue (par rapport à d‘autres).

- Folklorisation : les locuteurs développent des arguments qui insistent sur les aspects variété pittoresques et non sérieux de certaines langues.

- Stigmatisation : les locuteurs, ici, développent des arguments qui ont trait à la laideur, la gutturalité, la difficulté, la pauvreté, l‘incorrection des langues et des usages.»(Ibidem).

-

Antoine CULIOLI et Jean-Pierre DESCLÉS appellent gloses épilinguistiques « ces textes qu'un sujet produit lorsque, de façon spontanée ou en réponse à une sollicitation, il commente un texte précédent » (CULIOLI et DESCLÉS, 1981 : 03). Ils stipulent que la glose « renvoie à la pratique langagière du sujet énonciateur. » (Ibidem). Pour Michel BROSSARD, par savoirs épilinguistiques il faut entendre des « savoirs spontanément produits par la pratique (parler l‘anglais ou le russe) » (BROSSARD, 1994 : 30) et par savoir métalinguistique, « un savoir formé par un métalangage (une science du langage ne peut apparaître que comme l‘après -coup d‘une pratique) » (Ibidem).

Dans son article paru en 1998 dans les Cahiers de praxématique, Cécile CANUT parle de productions épilinguistiques et stipule que dans celles -ci « il faut entendre à la fois les discours métalinguistiques au sens strict (discours des

1 D‘après un cours de Dalila MORSLY donné à l‘université de Constantine les 20 et 21 avril 2003, cité dans H. AKIL (2011).

76 grammairiens, des linguistes, etc. impliquant une distanciation, un savoir et une objectivation par rapport à l‘objet langue) et les discours évaluateurs spontanés des locuteurs (ex : ‗tu parles mal‘, ‗cette langue est belle‘) » (CANUT, 1998 : 70). Elle regroupe ainsi dans la catégorie de ‗productions épilinguistiques‘ à la fois les discours épilinguistiques et métalinguistiques définis supra.

4. Comment distinguer l’épilinguistique du métalinguistique ? Lors d‘une interview avec Anne-Marie HOUDEBINE dont les propos ont été recueillis par Évangelia ADAMOU, cette dernière l‘a interrogée sur les discours méta et épilinguistiques1. En effet, lorsque la question de la distinction entre les deux discours a été abordée, Anne-Marie HOUDEBINE a répondu comme suit : « Ce n‘est qu‘à partir des énoncés – et non de l‘énonciateur – que l‘on pourrait opérer une distinction et dégager son utilité […] Pas besoin de faire la distinction entre le discours métalinguistique des suj ets parlants et celui des scientifiques, il s‘agit toujours de mise à distance, de fonction méta et partant de métalangage » (Ibidem). Elle parle de ‗mise à distance‘ qui indique la présence d‘un discours méta ou épilinguistique que l‘énonciateur soit spécialiste ou amateur de la langue.

Antoine CULIOLI note que l‘activité épilinguistique est « au cœur de l‘activité de langage ». Elle relève donc de l‘activité langagière du locuteur. Par contre, l‘activité métalinguistique, elle, concerne l‘activité réflexi ve du linguiste. Jacqueline AUTHIER-REUZ fait référence à Antoine CULIOLI et distingue l‘épilinguistique du métalinguistique comme suit :

La catégorie de l‘épilinguistique posée (et rappelée à maintes reprises) par CULIOLI comme constituant, dans l‘ensemble hétérogène des données sur lesquelles travaille le linguiste, un type particulier correspondant à ‗l‘activité métalinguistique non consciente de tout sujet‘ et à distinguer de l‘activité métalinguistique ‗délibérée‘,

1 Tel était l‘énoncé de la question posée par Evangelia ADAMOU : « Comment peut-on distinguer ces discours ? (méta et épilinguistique) Est -ce en fonction de l‘identité des locuteurs ou des critères formels sur ce qui est dit : on trouvera des chercheurs qui énoncent un discours subjectif et des locuteurs qui reprennent un discours institutionnel approximatif. Alors que pensez-vous de la distinction entre le di scours métalinguistique des sujets parlants et celui des scientifiques ? »

77 ‗réglée‘, ‗contrôlée‘ qui relève de l‘observateur-analyste. (AUTHIER-REUZ, 2012 : 34).

Quand Jean-Émile GOMBERT énumère les phases du développement métalinguistique, il précise que l‘acquisition des habiletés épilinguistiques, qui vient en deuxième position succédant à l‘acquisition des prem ières habiletés linguistiques, précède l‘acquisition de la maîtrise métalinguistique classée troisième. Ceci dit, l‘habileté épilinguistique est précoce contrairement à l‘habileté métalinguistique qui est plus ou moins tardive. Jean Michel ÉLOY (1998) insiste, pour sa part, dans la définition de l‘idéologie du locuteur sur la distinction méta/épi comme suit : « je distingue fortement méta= explicite versus épi= non explicite » (ÉLOY, 1999 : 100).

Nous parlerons d‘une activité métalinguistique dès lors que le locuteur, un spécialiste le plus souvent, est conscient de se servir du langage pour traiter un mot, un phénomène linguistique voire une langue. Nous dirons qu‘il s‘agit d‘une activité épilinguistique lorsqu‘un locuteur quelconque tente d‘aborder le la ngage ou la langue spontanément. L‘activité épilinguistique donne lieu à des propos naïfs quoique significatifs vis-à-vis au degré de connaissance de l‘objet d‘étude qu‘est la langue et ce qui s‘y rapporte. Un même commentaire peut être épilinguistique et métalinguistique à la fois. Il est généralement long. Il comporte une partie qui décortique le mot, où est utilisé un métalangage scientifique emprunté au dictionnaire, et une autre où d‘autres propos sont tenus pour expliquer le point de vue du locuteur. Ceci est valable pour les deux corpus, oral et écrit.

Dans notre corpus, nous allons considérer comme commentaire métalinguistique tout commentaire contenant des mots métalinguistiques. Exemple :

CEYCH3 :

Ifren Touatit : Chnana je pense qu'il dérive du mot ghnana ou taghennant, un mot d'origines amazighes qui veut dire l‘entêtement (obstination).

78 Par contre, sera dit ‗épilinguistique‘ tout commentaire traitant un des mots ou des expressions proposés par l‘animateur sans avoir recours à un outillage métalinguistique (HOUDEBINE 1999) en relatant des faits ou racontant une histoire autour de ceux-ci. Ce deuxième type de commentaire peut comporter des définisseurs tels que ‗c‘est, ça veut dire‘ mais sans qu‘ils fassent référence au mot lui-même.

Dans notre travail, nous sommes en présence d‘une langue : le dialecte arabe algérien et de locuteurs algériens qui s‘intéressent aux mots composant le vocabulaire de cette langue. Avoir pour données des locuteurs et une langue fait intervenir plusieurs phénomènes linguistiques. Dans ce contexte, nous avons jugé indispensable de consacrer quelques pages aux différentes notions qui émanent de l‘examen des commentaires constituant le corpus.

5. La linguistique populaire : quand les non-linguistes font de la linguistique

Dans un premier temps, nous mettrons la lumière sur la notion de linguistique populaire. Il s‘agit d‘une notion que nous avons rencontrée lors de la lecture de la présentation de l‘un des numéros de la revue ‗Langages‘1

faite par Jean-Claude BEACCO. Celui-ci considère la linguistique populaire comme une branche de la sociolinguistique et préfère utiliser l‘expression ‗représentions métalinguistiques ordinaires‘. La linguistique populaire a retenu notre attention dans la mesure où notre investigation concerne une population – des Algériens âgés de 17 ans à 75 ans – qui traite d‘une langue et fait ainsi en quelque sorte de la linguistique.

Marie-Anne PAVEAU affirme que dans le domaine francophone « plusieurs désignants, aux référents un peu flous, coexistent pour désigner cet ensemble de

1 Il importe de noter que dans le contexte francophone, deux numéros de revues sont à retenir quand il s‘agit de se familiariser avec la notion de linguistique populaire :

- Le 154è me numéro La revue ‗Langages‘, paru en 2004 et dirigé par Jean -Claude BEACCO, intitulé « Représentations métalinguistiques ordinaires et discours ».

Le numéro 139140 de la revue ‗Pratiques‘, paru en 2008 sous la direction de Guy ACHARD -BAYLE et Marie-Anne Paveau, intitulé « Linguistique populaire ? »

79 discours non savants sur les formes et normes de la langue et des discours : linguistique populaire, spontanée, profane, sauvage, non savante. » (PAVEAU, 2007 : 93). Elle observe qu‘en France le savoir spontané sur la langue est appelé ‗ordinaire‘. De ce fait, la linguistique populaire n‘y est pas un domaine scientifique. Néanmoins, les chercheurs Français reconnaissent l‘existence de ces savoirs spontanés de locuteurs, disponibles et prêts à étudier. D‘après elle, la linguistique populaire « se constituerait de trois types de pratiques profanes à dimension perceptive : descriptions, prescriptions, interventions » (Ibid : 101). Par la même occasion, elle fait remarquer que le « vocabulaire folk est parfaitement opératoire et même nécessaire au rapport de l‘homme au langage ; autrement dit les perceptions spontanées sont des organisateurs ( patterns) nécessaires. La linguistique populaire serait alors admissible comme description perceptive et organisatrice du langage mais non comme théorie du langage. » (PAVEAU, 2007 : 105).

Dans son article consacré à la linguistique populaire, Herbert Ernst BREKLE précise que dans l‘histoire de la linguistique, cette notion n‘apparait que rarement. Elle a été citée notamment par ROBINS (1967), Dell HYMES (1974) et PAUL (1978). Pour lui, le domaine de la linguistique populaire comporte « tous les énoncés qu‘on peut qualifier d‘expressions naturelles (c‘est -à-dire qui ne viennent pas des représentations de linguistique comme discipline établie) désignant ou se référant à des phénomènes langagiers ou fonctionnant au niveau de la métacommunication. » (BREKLE, 1989 : 39). Il ajoute que par linguistique populaire, il faut entendre « une pratique sociale qui d‘une part, traite les phénomènes du langage et des langues, mais qui, en même temps, utilise ce traitement dans des buts sociaux. » (Ibid : 40).

Dans leur article intitulé « Les dénominations ordinaires spontanées des activités langagières et la question des équivalences entre les communautés discursives », Stavroula KATSIKI et Véronique TRAVERSO reprennent les propos de Jean-Claude BEACCO qui définit la linguistique populaire comme l‘ « étude des représentations métalinguistiques ordinaires, qui concernent le langage, les langues, leurs variétés […], leur apprentissage…, telles qu‘elles sont verbalisées (activées, construites ou réélaborées dans l‘interaction verbale, par

80 exemple) sous forme de définitions, observations d‘expérience, opinions, jugements et croyances, par des non-spécialistes du langage » (KATSIKI et TRAVERSO, 2004 : 47).

Dans la littérature américaine, le terme ‗nonlinguists‘ désigne « les tenants du savoir populaire sur la langue » (PAVEAU, 2007 : 95). Marie-Anne PAVEAU appelle, pour sa part, ‗linguistes folk‘ ou ‗non-linguistes‘ les locuteurs « qui produisent des énoncés métalinguistiques et métadiscursifs à partir de positions subjectives non disciplinaires et non savantes ». Elle distingue le linguiste ‗savant‘, ‗scientifique‘ « qui manierait des savoirs ‗exacts‘ » du linguiste ‗spontané‘ que peut être tout locuteur ordinaire. Elle affirme que « les données de la folk linguistique sont acceptables et intégrables à la théorie linguistique car elles fournissent des descriptions perceptives et organisatrices exactes du langage mais elles ne peuvent servir de base à une théorie générale du langage. » (PAVEAU, 2008 : 102). Elle précise également que « si l‘objet de la linguistique intègre les usages de la langue par les sujets sociaux et cognitifs, alors les données perceptives de la folk linguistique peuvent être prises en compte comme données linguistiques tout court. ». Elle lie le fonctionnement de la folk linguistique à l‘existence d‘une « source de perceptions, de jugements et d‗évaluations qui peut fournir des résultats corrects ; cette source, c‘est, en linguistique, l‘intuition, dite « du locuteur natif » si l‘on reprend la terminologie chomskyenne, ou la conscience épilinguistique si l‘on choisit la désignation du linguiste français A.