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L'ANALYSE QUANTITATIVE DES DONNÉES DES PROFILS BIOGRAPHIQUES DES RÉPONDANTS

1.1.6. Le français : la langue du dernier colonisateur

Le français est une langue romane de la famille indo-européenne parlée principalement en France, en Afrique, au Canada, en Suisse et en Belgique. Ainsi se définie cette langue au statut très particulier que parle un nombre considérable d‘Algériens. La langue française est arrivée en Algérie avec la colonisation en 1830, année du débarquement de l‘armée française à Alger. Elle a pu traverser les siècles et séduire des milliers de locuteurs dans les quatre coins du pays.

Pendant la colonisation, le français était une langue officielle en Al gérie. Puisque la France est une « […] énorme machine à répandre la langue et la culture » (CHEVALIER, 1992 : 446) cité par (PAVEAU, 2010 : 41), sa langue a graduellement touché tous les domaines de la vie et en premier lieu l‘école où les cours furent dispensés en français. D‘après Ibtissem CHACHOU et Malika BENSEKAT, « la langue française a profondément marqué l‘inconscient de plusieurs générations d‘Algériens en raison de la domination coloniale et des diverses politiques linguistiques et culturelles mis es en place dès les premières années de l‘occupation. » (CHACHOU & BENSEKAT, 2016 : 03). En parallèle, les autres langues en présence ont été bannies par l‘occupant comme le confirme Mohamed BENRABAH : « En imposant sa langue comme unique moyen de

105 communication dans tous les domaines officiels, le colonialisme français excluait toute langue locale qui pouvait devenir un concurrent sérieux. Ainsi, l'arabe classique fut déclaré langue étrangère en 1938. » (BENRABAH, 1995 : 37). Au lendemain de l‘indépendance, « l‘idiome laissé par le colonisateur ne peut être que traversé par les mots de la réalité culturelle qu‘il était supposé exprimer. Ces mots qui sont en fait étrangers à la langue française de l‘Hexagone ne seront pas perçus comme emprunt ni comme xénisme par le natif arabophone local » (DERRADJI, 1990 : 78). Il s‘agit d‘un français mêlé à l‘arabe et au berbère, façonné et mis au goût du jour par les Algériens en sorte qu‘il assure l‘intercompréhension entre eux.

Ainsi, il existe présentement deux sortes d e français en Algérie : un français normé parlé et écrit tel qu‘il est utilisé en Hexagone, et un français parlé à l‘algérienne – dénommé le français d’Algérie, le français endogène algérien ou le français algérianisé – d‘une forme particulière résultant du contact avec l‘arabe littéral et, à un degré supérieur, avec l‘arabe dialectal et le berbère. Pour Gilbert GRANDGUILLAUME, « Le français est devenu une réserve pour les langues algériennes : arabes ou berbères, elles prennent des mots français auxquels e lles donnent une forme locale : téléphonit-lu («je lui ai téléphoné»), entend-on couramment » (GRANDGUILLAUME, 2004 : 76). Par ailleurs, le français en Algérie, comme le dit si bien Yacine DERRADJI, est une langue « emprunteuse mais en même temps c'est une langue empruntée et cela lui confère une place privilégiée sur le marché linguistique algérien » (DERRADJI, 1999 : 71). En effet, malgré les stéréotypes et les détracteurs qui voient en elle une langue des colons et de l‘Autre, la langue française est un héritage dont on ne peut nier le statut et l‘envergure dans la société algérienne. De nos jours, lorsque l‘on évoque le français on le qualifie souvent de langue étrangère. Cependant, ce statut reste théorique dans la mesure où la situation linguistique se caractérise par une forte prééminence de l‘usage de la langue française dans le pays, avec des variations suivant les zones géographiques » (CHACHOU & BENSEKAT, (2016 : 03). Le français algérien, celui que l‘on perçoit dans les discussions quotidiennes or ales ou sur les réseaux sociaux d‘Internet, sert généralement dans des contextes

106 informels. Il présente des particularités que nombre de chercheurs ont décrit1 tel que Gilbert GRANDGUILLAUME qui parle d‘une nouvelle façon de parler en Algérie et postule que cette forme du français est associée « […] à la création artistique d'auteurs, de chanteurs ou de comédiens, qui ont recours à trois langues d'expression : le français, l'arabe et le berbère » (GRANDGUILLAUME, 2004 : 76) qui favorisent son expansion.

1.1.7. L’anglais, l’allemand, l’italien, etc. : les langues étrangères de la mondialisation et des besoins communicatifs

Avant l‘indépendance de l‘Algérie, outre le berbère et l‘arabe dialectal, trois langues étaient présentes : l‘arabe, le français et l‘espagnol. Meriem MOUSSAOUI, dans son article traitant l‘hispanisme dans le parler oranais, associe la première aux Algériens – le peuple colonisé – la deuxième à la France – l‘autorité en place, et la troisième à l‘Espagne – l‘origine du peuplement. Au lendemain de l‘indépendance l‘État algérien au travers du processus de l‘arabisation a tenté d‘imposer l‘arabe standard comme seule langue institutionnelle. Or, le français, cette langue héritée, est maîtrisé par un grand nombre d‘Algériens. En plus de l‘arabe et le français, ceux-ci parlent et apprennent d‘autres langues étrangères. L‘anglais vient en première position étant une langue internationale. Il est enseigné depuis la sixième année de scolarisation qui correspond à la première année de collège. En dehors de l ‘école, l‘anglais est la première langue apprise après le français, qu‘il devance parfois2

, et ceci parce que l‘anglais est la langue de la mondialisation et celle des nouvelles technologies.

1

Cf. QUEFFÉLEC el al (2002).

2

L‘anglais occupe la première place au Cent re d‘Enseignement Intensif des Langues de Tlemcen. Le nombre des apprenants de cette langue est indéniablement supérieur à celui de ceux qui apprennent le français. Un sondage effectué sur la page Facebook récemment créée (février 2017) Algerian Polyglots Community, qui compte plus de 1300 algériens, a montré que la plupart des Algériens, en grande partie des jeunes, préfèrent apprendre l‘anglais. Parmi ceux qui disent maîtriser la langue française, 32% souhaiterait la substituer avec l‘anglais.

107 Lorsque Claude Antoine ROZET et Ernest CARETTE nous dressent le bilan des habitants étrangers de l‘Algérie lors de la domination français, ils avancent qu‘

Au 31 décembre 1830 la population civile européenne de l‘Algérie se réduisait à 602 personnes; seize années après; au 31 décembre 1846, elle était de 109,400 habitants. Dans ce nombre les Français figurent pour 47,274, les Espagnols pour 31,528, les Maltais pour 8,788, les Italiens pour 8,175, les Allemands pour 5,386, les Suisses pour 3,238. Il comprend encore, mais dans des proportions beaucoup moindres, des Anglo-Espagnols, des Anglais, des Polonais, des Portugais, des Irlandais, des Belges, des Hollandais, des Russes et des Grecs. » (ROZET & CARETTE, 1850 : 208).

Ainsi, en plus des autochtones, la population de l‘Algérie était variée et composée essentiellement d‘Européens. Cette cohabitation est la raison pour laquelle ce pays a toujours été plurilingue. La langue germanique est arrivée en Algérie avec les huit cents Prussiens qui ont dû débarquer à Oran en 1846. D‘après les deux historiens, il s‘agit de d‘un groupe de personnes, hommes, femmes et enfants, à destination du Brésil qui ont fini par s‘installer en Algérie grâce à l‘administration française. Deux localités de l‘ouest du pays lui ont été allouées : Stidia entre Arzew et Mostaganem et Sainte -Léonie, entre Arzew et Oran. Actuellement, l‘allemand est très peu parlé en Algérie à l‘exemple de l‘italien. Cependant, les gens commencent à apprendre ces langues étrangères grâce aux instituts, à l‘université voire certains lycées. Il y a également quelques Italien s, Allemands, Russes, … etc., qui travaillent dans des sociétés multinationales installées dans la capitale algérienne et dans d‘autres grandes villes y compris celles du sud pays dont l‘activité a trait à la production gazière et pétrolière1

. 1.1.8. Le dialecte arabe algérien, l’arabe dialectal, la darija, …. Bref, la

langue algérienne.

L‘arabe dialectal algérien est la langue de la majorité des Algériens. Il est la véritable langue des « […] locuteurs algériens [qui] ont en commun la possibilité d‘user d‘une gamme de variétés qui constituent leur répertoire verbal »

1 Bien que l‘anglais est souvent utilisé comme une lingua franca entre les algériens et leurs collègues étrangers, les premiers sont parfois obligés d‘apprendre la langue des deuxièmes par le biais des instituts spécialisés. Ceci est dû à la non -maîtrise de la langue anglaise par les travailleurs étrangers.

108 (TALEB-IBRAHIMI, 1995: 126). Il ne possède néanmoins aucun statut dans les textes officiels. Les linguistes, sociolinguistes et historiens algériens attribuent à cette langue « dont on ne dit pas le nom » un ensemble d‘appellations que nous livre CHACHOU (2012). Nous reprenons ici ces désignations par ordre chronologique : le ‗dialecte algérien‘, les ‗parlers algériens‘, les ‗variétés dialectales‘ (TALEB-IBRAHIM, 1997). Le ‗maghribi‘ (ELIMAM, 2002). L‘ ‗arabe algérien‘ (MILIANI, 2002), (QUEFFÉLEC et al, 2002), (DOURARI, 2003), (CHERIGUEN, 2008). L‘‗arabe dialectal‘ (CHAKER, 1998), (BOUCHERIT, 2004), (LACHERAF, 2004), (CHERIGUEN, 2008). L‘‗arabe parlé‘ (MORSLY, 2010). Tous ces chercheurs s‘accordent à dire que cette variété de l‘arabe est la langue de la quotidienneté de la plupart des Algériens bien qu‘elle soit dépourvue de statut dans le pays. Il s‘agit d‘une langue issue de l‘arabe classique vu le grand nombre de mots arabes contenus dans le vocabulaire algérien. Abdou ELIMAM, pour sa part, affirme qu‘il est question d‘une variété sémitique qu‘il préfère dénommer le ‗maghribi‘, à l‘exemple des linguistes moyen-orientaux. D‘après lui,

Il est certes courant de penser que ce qui se parle au Maghreb, c‘es t de l‘arabe. En réalité il s‘agit d‘un continuum de discours dont la filiation est certes sémitique. Cependant ce continuum, distinct du système de la langue arabe, repose sur un substrat punique attesté. Et, c‘est ce même système linguistique qui tisse l a communication entre les gens et qui se reproduit de génération en génération sans intervention institutionnelle quelconque. (ELIMAM, 2004 : 1-2)

La langue algérienne est avant tout une langue parlée et « toute langue parlée est un conglomérat de constantes et de variantes et, à l‘intérieur de la langue, de cet assemblage de langues partielles, nous sommes tous plurilingues (nous maîtrisons tous les langages : familier, argotique, correct, châtié, le vernaculaire, la norme)» (MOUSSAOUI, 2004 : § 36). Les Algériens maîtrisent cette langue, du moment où elle est leur langue de première socialisation1, et la parlent différemment dans les quarante-huit wilayas du pays. À l‘écrit, souvent dans des situations informelles, on transcrit les mots tel qu‘on les pron once : en alphabet arabe ou latin. Il s‘agit d‘une langue non normée : chacun la parle et

1 Abstraction faite des berbérophones dont les premières langues sont les variétés berbères. Ces locuteurs emploi l‘arabe algérien comme un moyen d‘échange avec les Algériens – dits Arabes – qui ne parlent pas la langue berbère.

109 l‘écrit à sa guise. On ne pourrait reprocher à un algérien sa façon de parler ou juger son vocabulaire. Dans une conversation quelconque entre deux Algériens, lorsqu‘un locuteur ne saisit pas le sens d‘un mot, son interlocuteur lui propose une traduction en arabe standard ou en français, le premier finira alors par se rendre compte qu‘il connaît le mot en question mais sous une autre appellation. D‘où le commentaire métalinguistique « Chez nous on dit….. » très récurrent dans notre corpus.

Appréhender la place d‘une langue – l‘algérien – et son vocabulaire dans la société algérienne c‘est observer les pratiques de ses usagers et examiner leur parler et non pas recourir aux travaux de linguistes qui traitent de la langue des Algériens. Dans ce sens, Philippes BLANCHET avance que « pour comprendre une situation, des processus, des interactions, ce sont les catégorisations, dénominations, définitions, évaluations, interprétations collectives et individuelles de ces phénomènes par les acteurs (bref, des « représentations sociales », des « perceptions subjectives ») » qu‘il faudrait examiner « et non ce que les structurolinguistiques nous disent de ce que seraient « objective ment » ces langues et ces usages (si nous les croyions).» (BLANCHET, 2007 : 42). En effet, une approche linguistique ou un travail théorique sur l‘arabe algérien – aussi complets et exhaustifs soient-ils – ne pourraient guère décrire avec rigueur toutes le s facettes de cette langue. De ce fait, recourir aux discours subjectifs des locuteurs devient une nécessité.

Les ressources linguistiques de la langue algérienne découlent de l‘arabe mais aussi du berbère. Les mots dont les Algériens font usage dans leur vie quotidienne sont en grande partie arabes. Ils subissent quelques modifications ou déformations en fonction de l‘appartenance de leurs utilisateurs. Les mots amazighs sont très fréquemment utilisés sont que les locuteurs s‘en rendent compte. Par ailleurs, l‘algérien est une langue emprunteuse par excellence. Elle s‘est enrichie – et continue de s‘enrichir – en adoptant les mots et les expressions des langues avec lesquelles elle est entrée en contact dans le temps ou dans l‘espace. En effet, la contigüité géographique et les jonctions d‘ordre historique – évoquées supra – sont des facteurs capitaux dans le transfert des mots. Ainsi, les

110 mots d‘origine française, espagnole, italienne, turque, ... etc. sont abondants comme l‘illustreront les mots soumis à la réflexion dans l‘émission radiophonique et qui font l‘objet de notre étude.

La langue algérienne, ou l‘algérien tel qu‘elle est couramment appelée, a « une prédisposition à symboliser et représenter la nation algérienne et de surcroît suffisamment flexible pour servir de moyen d‘accès à la modernité » (BOUKRA, 2012 : 36). On lui reconnaît des variations suivant le sexe, l‘âge et le milieu social des locuteurs d‘une part, et les zones géographiques de l‘autre. Déjà en 1940, Jean CANTINEAU, dans son article « Les parlers arabes du Département d‘Oran », évoquait quatre grandes divisions dialectales en Algérie. Jacques GRAND‘HENRY qui, lui, a mené une enquête dialectologique sur le parler arabe de la Saoura nous résume ces divisions dont parle CANTINEAU comme suit :

1. Les parlers A sont ceux des nomades sahariens et ils s'étendent […] surtout au centre du Sahara algérien, débordant beaucoup moins vers le sud-ouest oranais et le Maroc que ne le pensait CANTINEAU. 2. Les parlers B sont essentiellement des parlers telliens (Tell d'Alger, d'Oran, de Constantine). 3. Les parlers C sont des parlers archaïques de sédentaires. On renverra ici pour leur description au livre de W. MARÇAIS, Le dialecte arabe parlé à Tlemcen (W. MARÇAIS, 1902) ou à mon ouvrage, Le parler arabe de Cherchell (J. GRAND‘HENRY, 1972). On ne les rencontre qu'au nord de l'Algérie, à proximité des côtes. 4. Les parlers D sont localisés en Oranie et dans le Sud -oranais. (GRAND‘HENRY, 1979 : 225)

Un observateur ordinaire distinguerait aisément l‘hétérogénéité des parlers dans une seule et même ville. De fait, en Algérie, les habitants de deux régions d‘une même wilaya peuvent parler différemment – ou du moins avoir des accents dissemblables – mais ceci n‘empêche guère l‘intercompréhension. Les exempl es du contraste dans les parlers algériens sont abondants. Nous en citons ici deux : le premier au niveau régional : la wilaya de Tlemcen : dans la ville de Tlemcen la lettre ‗ق‘ /q/ se prononce ‗ٲ‘ /a/ ; à Nedroma – ville située au nord-ouest du chef-lieu de wilaya – elle se prononce ‗ق‘ /q/ ; à Ghazaouet – ville portuaire de la wilaya dont le parler des habitants est analogue à celui des Djijeli – elle se prononce ‗ن‘ /k/ ; à Sebdou, Maghnia, et bien d‘autres villes, elle se prononce ‗ ڨ‘ /g/.

111 Le deuxième, au niveau national : le mot ‗œufs‘, en arabe littéral ‗ه١ب‘ /baydh/ se dit : ‗wlad jdad‘ (littéralement : enfants de la poule) à Tlemcen. ; ‗wlad el djadj‘ (littéralement : enfants de la poule) à Alger ; ‗çdam‘ (littéralemnt : os) à l‘est du pays ; ou encore ‗bidh‘, ‗bid‘,‘bayd‘ dans d‘autres régions du pays. Toutes ces variantes ne nuisent nullement à la communication ni n‘achoppent les discussions entre Algériens demeurant dans des villes aussi éloignées soient -elles dans cet immense territoire.

1.2. Le parler algérien du XXIème siècle : une bigarrure de mots et de