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L'ANALYSE QUANTITATIVE DES DONNÉES DES PROFILS BIOGRAPHIQUES DES RÉPONDANTS

2.2. Les langues en usage par les yadésnautes sur Facebook

Avant d‘évoquer les langues utilisées par les yadésnautes sur Facebook, il convient de rappeler que ce réseau social d‘Internet très populaire est très fréquenté par les Algériens, notamment par les jeunes. Les abonnés des deux pages Facebook de l‘émission sont aussi majoritairement jeunes. Les personnes plus âgées ont tendance à participer à l‘émission par le biais des appels téléphoniques. Quelques-unes de celles-ci ne possédant pas de compte Facebook répondent aux questions sur les murs de Yadés chaîne 3 et Yadés Auditeurs en utilisant les comptes des parents ou des proches1. Lorsque l‘animateur partage une question – écrite en français – avec les abonnés des deux pages, il n‘omet jamais d‘écrire le mot concerné en arabe. Ceci facilite parfois la compréhension du mot algérien qui, écrit en français avec des caractères spéciaux tels que le ‗3‘ pour la lettre arabe ‗ع‘ et le ‗Q‘ pour la lettre arabe ‗ق‘, n‘est pas saisissable par les

1 Lorsqu‘un auditeur habitué de l‘émission répond sur Facebook grâce au compte d‘un autre yadésnaute, il n‘hésite pas à le signaler dans son commentaire en déclinant son identité.

132 avertis i.e. les puristes et les gardiens de la langue ou ceux qui n‘utilisent les réseaux sociaux qu‘occasionnellement.

Comme à l‘antenne, le français est la langue la plus utilisée sur Yadés, chaîne 3 et Yadés Auditeurs. En effet, les commentaires des yadésnautes sont rédigés en langue française à l‘instar des questions autour des mots algériens formulées par l‘animateur.

CEYA : (‗defRa‘)

Rose Nuage Bonsoir, je pense que si le sens de ce mot veut dire un acquis, un jackpot donc l'origine serais acquerir qq chose de bien, comme on dit "YTEEFER" donc l'origine ne peut etre que le mot arabe " زفظ" qui a le meme sens, et Mehdi est plus au courant?

5 novembre 2012, 13:07

Ce commentaire, écrit en langue française, a été publié par une yadésnaute à la suite de la question qui se rapporte au mot ‗defRa‘. Les phrases sont correctes et compréhensibles mais ne contiennent pas d‘accents. L‘absence des accents, très récurrente dans les messages et les commentaires sur Facebook, est caractéristique de la cyberlangue.

Les yadésnautes ont parfois recours à la langue algérienne afin de s‘exprimer au sujet des mots soumis à la réflexion. Ils écrivent dans cette langue en utilisant l‘alphabet arabe ou l‘alphabet latin comme l‘illustrent les exem ples suivants : CEYA : (‗aqetchi‘) Jina Abboud يشحقا آيهع لٕقج آفيعج ةجاح Voir la traduction 14 mars 2013, 09:43 · J’aime · 2

Ce commentaire est une réponse à la question « Que veut dire le mot aqetchi ? ». Celle qui l‘a écrit a utilisé l‘alphabet arabe pour dire en langue algérienne « on dit ‗aqetchi‘ de quelque chose de répugnant ».

133 Sabrina Berkika

بزض يُعج خدرٔ سازًٓنا يف إْقدَ تزقج يف ةيبعش ةهكا ةخدر طيحنا لأ سازًٓنا يك ةيساق ةجاحب

6 janvier, 03:04

Celui-ci, également rédigé en langue algérienne avec des lettres de l‘alphabet arabe, se rapporte à l‘origine du verbe ‗Rdakh‘. La yadésnaute qui l‘a publié a avancé deux définitions : la première concerne le mot ‗Radkha‘ – dérivé du verbe en question – qu‘elle a décrit comme étant « un plat populaire à Touggourt qui se prépare à l‘aide d‘un broyeur manuel traditionnel (mahRez) » ; la seconde, qui porte sur le verbe ‗Rdakh‘, se traduit comme suit : « Rdakh veut dire frapper avec un objet dur comme le mehRaz ou le mur. ».

CEYCH3 : (‗zouwakh‘)

Yahiaoui Nadia ki ya mchi tawass aykouloulou zoukh zoukh

18 décembre 2013, 13:35

Cette yadésnaute a répondu dans son commentaire à la question « Quelle est l‘origine du mot ‗zouakh‘ ? ». Pour ce faire, elle a eu recours à l‘alphabet latin tout en s‘exprimant en arabe algérien.

A contrario, dans les exemples ci-dessous, les yadésnautes choisissent parfois d‘écrire en langue arabe à l‘image de ceux qui ont publié les deux exemples ci-dessous :

CEYCH3 : (‗çam daqyous‘)

Lahcen Dark ٍيُيؤًنا ٗهع ىهظنا ٔ زٓقنا ٍي ًاَإنأ سراي ٔ الله دٕجٔ زكَأ ىكاح سٕيقد ٌئف دئاسنا داقحعلان اقفٔٔ ٌايغطن إضزعج ,ةيحيسًنا ٔ ةييلاسلإا رداصًنا ىٓيهع ثُثأ ٍيذنا ,فٓكنا باحصأ ًارازي ىٓيٕق أرذح ,َّايغط ٔ "سٕيقد" ىهظن ٖدصحهن ةيحفنا ءلاؤْ ٍي ةنٔاحي ٗف ٔ ."سٕيقد" َٗائزنا رٕطازبيلإا دعٕج ٔ رٕطزبيلإا ىهظ دادحشا ٔ ,ىٓيٕق ضازعإ وايأ ٍكن ٔ .الله ٍيد إكزحي ٌأ ٍي ةيحفنا كزج ,محقناب ىٓن ِ ىُٓكاسي . 26 avril 2012, 10:11 · 2

Dans ce commentaire, le yadésnaute parle de Darius dans le but d‘élucider l‘origine de l‘expression algérienne ‗çam daqyous‘. Sa traduction est la suivante : « Darius est un gouverneur qui a nié l'existence de Dieu et était oppresseur et

134 injuste envers les croyants. Selon la croyance dominante, les habitants de la grotte, félicités par les sources islamiques et chrétiennes, o nt été soumis à la tyrannie de l'empereur romain « Darius ». Dans une tentative de réponse à ces injustices, les garçons ont averti à plusieurs reprises leur peuple de renoncer à la religion de Dieu. Mais devant la réticence du peuple, et l'intensification de l'injustice de l‘empereur qui les a menacés de mort, les jeunes ont quitté leurs demeures. ».

CEYCH3 : (‗Rahj‘) Nora Ben

سٕياقنا يف دٕجٕي ْٕ اًك رابغنا ْٕ جْزنا

22 mars 2012, 04:02

Cette yadésnaute s‘est référée au dictionnaire pour dire « eRRahj est la poussière tel qu‘il est mentionné dans le dictionnaire ».

Pour ce qui est du tamazight, il est représenté par quelques mots compris dans les commentaires comme celui-ci :

CEYCH3 : (‗fRet‘)

Youcef IkerbanePour le mot ''frat'', je voudrai proposer une explication par le mot kabyle (berbère) ''thafrara'' qui signifie le levé du jour ou l'aube.

15 avril 2013, 12:08

Il s‘agit ici d‘un commentaire publié par un yadésnaute kabyl e – d‘après son nom de famille – qui a proposé le mot en tamazight ‗thafrara‘ comme éventuel origine du mot algérien ‗fret‘.

CEYCH3 : (‗sebbala‘)

Numida Nekkar chez nous les kabyles, c'est la jarre (tasebelt)

25 novembre 2013, 03:46

Cette yadésnaute a répondu à la question « quelle est l‘origine du mot ‗sebbala‘ ? » en annonçant qu‘elle est Kabyle pour suggérer la jarre comme équivalent à ‗sebbala‘ et lui associer le mot kabyle ‗tasebelt‘ entre parenthèses.

135 À l‘instar du tamazight, certains commentaires publiés sur les deux pages Facebook contiennent des mots en langue anglaise, insérés pour les besoins des réponses. Au demeurant, les yadésnautes écrivent très rarement en anglais.

CEYCH3 : (‗çalliTa‘)

Said Hamdi-pacha it commes from the arabic world 3alla I think

24 février, 12:56

Ceci est l‘unique commentaire rédigé en langue anglaise. Il p orte sur le mot bizarre ‗çaloune‘ dont on cherchait l‘origine. Le yadésnaute qui l‘a écrit a dit : « il vient du mot arabe ‗çalla‘, je pense ». ‗Çilla‘ est un mot arabe ‗تٍع‘qui signifie ‗maladie‘. Il a la même signification en algérien mais se prononce ‗ çalla‘.

En somme, sur Facebook comme en direct sur les ondes d‘Alger chaîne 3, les auditeurs de ‗Yadés‘ qui participent à l‘émission – oralement ou par écrit – utilisent le plus souvent la langue française dans leurs discours. Ils usent également de leur langue de communication quotidienne – l‘arabe algérien – de temps à autre. La langue arabe est plus utilisée à l‘écrit, sur Facebook, qu‘à l‘oral, à l‘antenne, et ceci parce que dans le premier cas les yadésnautes ont la possibilité de fouiner sur Internet et poster des réponses en arabe à moins de disposer d‘un clavier muni de l‘alphabet arabe. Le tamazight – présent sous forme de quelques mots inclus dans les discussions et les commentaires – est employé exclusivement par les Kabyles. Les traces des langues anglaise et espagnole sont rares et se résument dans quelques mots compris dans les réponses. À travers l‘étude des commentaires produits par lesdits auditeurs, notamment les bonnes réponses aux questions posées, nous démontrerons que les Algériens emploi ent les mots de bien d‘autres langues dans leur langue de tous les jours et ceci sans qu‘ils ne s‘en rendent compte.

136 3. L’emprunt lexical

Pour Josiane F. HAMERS, l‘emprunt est « […] un mot, un morphème ou une expression qu‘un locuteur ou une communauté emprunte à une autre langue, sans le traduire. » (HAMERS, 1997: 136). Elle reprend les propos de François GROSJEAN (1982) qui discerne l‘emprunt de langue et l‘emprunt de parole. Elle appelle emprunt de langue le ‗transfert linguistique‘ qui se fait entre les langues qu‘elle qualifie de processus de l‘évolution linguistique. Elle pense que « lorsque deux langues sont en contact, il est rare qu‘elles s‘empruntent mutuellement la même quantité de mots. » (HAMERS, 1997: 137). Le taux d‘emprunts exprime habituellement « […] un rapport de force entre les communautés, celle qui est dominée, sur le plan politique, technique, économique ou culturel, fai sant davantage appel aux ressources linguistiques de l‘autre. » (Ibidem). Par contre, il s‘agit d‘emprunt de parole lorsque « les individus en contact avec plusieurs langues intègrent […] dans leurs énoncés produits dans une langue, des mots d‘une autres langue, qui ne figurent pas dans le répertoire des individus monolingues » (Ibid : 136-137). Ce sont les locuteurs bilingues qui ont des connaissances aussi bien dans la langue d‘accueil que dans la langue d‘origine, optent pour ce genre d‘emprunt.

Tel qu‘il a été signalé plus haut, la langue algérienne est une langue emprunteuse par excellence. Ses locuteurs se penchent constamment vers les autres langues à leur disposition dans le but d‘exprimer ce que les mots de leur langue ne permettent pas. En effet, une langue « […] ne peut tout dire et qu‘il faut parfois prendre quelque risque pour tenter de dire ce qui ne s‘y dit pas encore mais que déjà ces formes balbutient dans ses règles qui permettront dérivation, composition voire emprunt aux autres voisins du monde que proposent d‘autres systèmes linguistiques » (HOUDEBINE, 1988 : 04). Emprunter signifie ramener quelque chose d‘ailleurs afin d‘en faire sien. L‘emprunt linguistique implique à la fois le fait qu‘une langue puise dans une autre et s‘approprie un mot, et le mot transféré d‘une langue vers une autre. Le phénomène linguistique de l‘emprunt enrichie la langue d‘accueil sans appauvrir la langue donatrice. Le résultat de ce phénomène, appelé également emprunt, parcourt plusieurs étapes avant de s‘établ ir

137 dans la langue d‘accueil et « vu les modifications qu‘il subit, il devient partie intégrante du système récepteur. » (MOUSSAOUI, 2004 : §69). En règle générale, un mot étranger est attesté comme un emprunt dans la langue emprunteuse dès qu‘il figure dans son dictionnaire. Dans notre cas d‘étude, la langue algérienne ne possède pas de dictionnaire1. Par conséquent, l‘intégration totale d‘un mot emprunté se mesure par sa récurrence dans les conversations quotidiennes, le taux de sa transmission parmi les Algériens et son adoption dans les parlers des différentes régions du pays. BAHLOUL nous dit que dans le contexte algérien, les locuteurs optent pour des stratégies individuelles dans l‘appropriation des nouveaux mots d‘origine étrangère. Il indique que « le fait d‘adopter une expression voire un concept précis permet, selon les besoins langagiers, de maintenir une aisance au plan de la conversation et se faire mieux comprendre. » (BAHLOUL, 2009 : 258). La langue algérienne emprunte le plus souvent à l‘arabe moderne mais aussi au français, la deuxième langue du pays, qui est présent dans les conversations quotidiennes des locuteurs algériens traitant des divers domaines de la vie. Sur l‘emprunt réciproque entre l‘arabe algérien et le français, Yacine DERRADJI nous dit :

Si les échanges entre le français et l'arabe obéissent à une dynamique sociale en dépit des interdits de types historiques et institutionnels qui affectent la langue étrangère, l'emprunt dans un sens comme dans l'autre semble être déterminé par les impératifs de l'interaction sociale, il se réalise dans le respect mutuel des formes du système d'accueil et offre de nouvelles possibilités d‘expression aux locuteurs algériens. (DERRADJI, 1999 : 72). Fouad LAROUSSI, dans son article « Les mots voyagent et se transforment », définit l‘emprunt linguistique comme étant un « voyageur qui n‘a besoin ni de visa ni de passeport pour franchir la frontière » (LAROUSSI, 2012 : 145). Pour lui, une langue emprunteuse est une langue vitale et non contaminée. Il entend par emprunt linguistique « le processus par lequel une langue prend à une autre un élément (mot, expression, etc.) et l‘assimile complètement, au point que les natifs de cette langue ne s‘aperçoivent pas de son origine étrangère » (Ibid :

1 Excepté les manuels – destiné aux étrangers – qui ont pour fin de familiariser le lecteur avec un certain nombre de mots et expressions usuels en Algérie ou les dictionnaires bilingues arabe algérien- français et français- arabe algérien, aucun dictionnaire monolingue résultant d‘un véritable travail lexicographique n‘est, à ce jour, consacré à cette langue.

138 146). Il explique que le mot emprunté s‘intègre dans la langue d‘accueil au niveau phonologique, sémantique et morphologique. Il postule que les emprunts linguistiques sont des mots voyageurs qui « […] franchissent souvent les frontières linguistiques sans obstacl es, mais cela a un prix : [ils] peuvent changer de forme ou de sens » (Ibid : 147). Effectivement, les emprunts dans la langue algérienne en provenance du français changent très souvent de forme et, un degré moindre de sens.

Aziza BOUCHERIT pense que le cheminement des emprunts dépend de « l'histoire des individus ou groupes, donc à l'histoire des relations que ceux -ci entretiennent avec d'autres » (BOUCHERIT, 1992 : 56). Elle signale que la formation de l‘arabe algérien est liée à des événements historiques qu‘elle a répartis en trois époques : d‘abord l‘époque de l‘invasion arabe qui qui a favorisé l‘arabisation dans le pays ; ensuite, celle qui correspond à la colonisation française qui dont résulte l‘enracinement du français ; enfin, la période postcoloniale pendant laquelle la langue arabe est la langue officielle et nationale du pays. D‘après elle, « […] traiter du cheminement des emprunts en arabe algérien c'est, essentiellement, analyser le cheminement dans cette langue du français et de l'arabe moderne » (Ibidem). Elle rappelle également que l‘enrichissement de l‘arabe algérien est dû à l‘emprunt au français et l‘arabe moderne et l‘adaptation des formes empruntées.

Fouad CHERIGUEN, pour sa part, pense que l‘emprunt est « un processus continu, au moins jusqu‘au moment où la langue emprunteuse fige le terme […] signifiant par là-même que le terme étranger au départ, est maintenant parfaitement adopté » (CHERIGUEN, 2002 : 09). Il décrit le mot emprunté comme un néologisme partiel car il s‘agit d‘un mot nouveau pour les locuteurs de la langue emprunteuse. Selon lui, l‘emprunt d‘un mot exige que celui -ci « soit suffisamment répandu dans la langue emprunteuse, que les usagers de celle -ci l‘admettent, soit tel quel, soit en le faisant subir quelques modificat ions (par rapport à la langue d‘origine) d‘ordre phonique surtout, afin de mieux l‘adapter à la langue emprunteuse » (Ibidem). Dans le dictionnaire de la linguistique, le premier stade de l‘emprunt est dit xénisme. Il est défini comme « une unité

139 lexicale constituée par un mot d'une langue étrangère et désignant une réalité propre à la culture des locuteurs de cette langue. » (DUBOIS et al., 2002 : 512). Fouad CHERIGUEN affirme que la morphologie du mot révèle s‘il s‘agit d‘un xénisme ou d‘un emprunt. Il propose de distinguer emprunt et xénisme comme suit : « Si le xénisme est compris, il fonctionne comme un emprunt. Inversement, si un emprunt même intégré de longue date n‘est pas connu de l‘auditeur, il lui arrive de fonctionner comme un xénisme en ce sens qu‘il peut nécessiter un complément d‘explication. » (CHERIGUEN, 2002 : 68). CHERIGUEN énumère trois types de xénismes : « 1- xénismes utilisés en même temps qu‘ils sont définis, puis réutilisés. Ce sont ceux qui semblent le mieux répondre au fonctionnemen t [de l‘emprunt en cours de réalisation] ; 2- xénismes utilisés d‘abord puis définis ensuite. Ils sont sujets à une certaine opacité aussi longtemps que leur repérage n‘est pas fixé ; 3- xénismes qui ne sont pas du tout définis et qui sont considérés comme des termes d‘emprunt intégrés dans la langue emprunteuse » ( Ibid : 38).

Parmi les mots soumis à la réflexion dans l‘émission Yadés qui seront examinés plus loin, nombreux sont des emprunts aux langues méditerranéennes notamment. Par exemple : le mot ‗defRa‘ très connu dans l‘Algérois vient du français ‗dix francs‘ ; le mot ‗gRello‘ – qui signifie cafard – couramment utilisé dans tout le pays vient de l‘italien1

; le mot ‗chkoupi‘ – vulgaire pour certain – dérive du mot espagnol ‗escupir‘ qui signifie ‗cracher‘ ; le mot ‗Rahj‘ – très connu et répandu – provient lui aussi de l‘espagnol ; le mot ‗Tepsi‘ que les Algériens prononcent tous les jours est un emprunt à la langue turque.

4. Les parlers jeunes en Algérie ou les parlers des jeunes algériens : une forme d’affirmation de soi et

d’affranchissement des aînés

Lorsque nous avons mené notre pré-enquête et interrogé les yadésnautes à propos des mots qui font l‘objet de discussions, les réponses récurrentes étaient : « Oui, je connais ce mot mais il n‘est utilisé que par les vieux », « Attends que je

1 Noureddine GUELLA (2011 : 84) classe le mot ‗grillu‘ dans la catégorie des emprunts lexicaux d‘origine espagnole ou italienne.

140 demande à ma mère /grand-mère ou mon père / grand-père », « Il faut aller vers les anciens pour trouver le sens de ce mot », … etc. Ainsi, nous avons déduit que ces Algériens sont conscients qu‘il existe un écart ent re le vocabulaire usité par les personnes âgées et celui qu‘emploie la nouvelle génération .i.e. les jeunes gens.

Dès lors que l‘adjectif ‗jeune‘ est évoqué, on pense tout de suite à l‘âge. En effet, la jeunesse correspond à une phase de la vie humaine qu e Cyril TRIMAILLE définit comme étant la période « allant de la fin de l‘enfance à l‘entrée dans le monde adulte, au cours de laquelle s‘opèrent d‘importantes transformations » (TRIMAILLE, 2004 : 107). Une période de l‘existence où l‘individu façonne ses goûts et fait ses choix avant d‘intégrer le monde des adultes. On dit souvent des jeunes qu‘ils parlent un langage particulier. Bernard LAMIZET entend par langage des jeunes « […] l‘ensemble des pratiques symboliques mises en œuvre dans les lieux où se reconnaissent les jeunes. » (LAMIZET, 2004 : 75). Il estime que l‘identité jeune existe étant donné que l‘individu ‗jeune‘ reconnait qu‘il traverse une phase transitoire et qu‘il est porteur d‘une identité en mutation. Il considère que la jeunesse est « une succession de passages d‘un âge à l‘autre, et, en ce sens, se fonde en grande partie sur des processus mimétiques d‘identification ». Il distingue mimétisme et identification dans la mesure où, à ce stade, en ce qu‘ « […] il ne s‘agit pas de s‘instituer une identité symbolique, mais de jouer une identité pour se la construire » (Ibid. : 79). D‘après lui, le vocabulaire des jeunes se définit par deux aspects primordiaux : le premier concerne l‘ « intense créativité lexicale, qui correspond, à la fois, à la tr ès rapide mutation et au très rapide renouvellement des concepts qu‘ils mettent en œuvre, des institutions qui les structurent, des pratiques culturelles qu‘ils engagent » (Ibid : 85) ; le second consiste en sa proportionnelle uniformité sociale. Il évoque également l‘influence d‘Internet qui « a fait très vite l‘objet d‘une appropriation par les pratiques symboliques des jeunes, ce qui a donné lieu à la naissance de nombreux sites et ce qui a entraîné une évolution certaine des pratiques de communication e t d‘information mises en œuvre par les ‗jeunes‘ » (Ibid : 94) ce qui favorise leur sociabilité.

141 Dans le cas de l‘Algérie, nous dirons qu‘il existe un certain nombre de mots qui sont exclusivement employés par les jeunes gens. Ils adoptent un néo -codage dans le but d‘exclure les plus âgés de leurs discussions. Les réseaux sociaux – notamment Facebook qui est très prisé par les jeunes algériens de 15 à 20 ans1 – a engendré l‘émergence et/ou la propagation d‘un lexique juvénile varié. BENRABAH affirme que la langue algérienne est assimilée par les jeunes. De surcroît, ces jeunes locuteurs la modèlent et font appel aux langues qu‘ils apprennent à l‘école ou ailleurs afin d‘étoffer leurs discours. Il est communément attesté que les jeunes gens possèdent leur propre façon de parler car ils tendent sans cesse de se démarquer des autres catégories de la population. Pascal SINGY et Céline BOURQUIN pensent que le parler jeune est un investissement particulier au plan linguistique. Les jeunes algériens – en particulier les Kabyles – ont un goût prononcé pour la revendication et donc un engouement pour les messages codés, les tropes et les discours satiriques. Ils usent également de variantes lexicales afin de creuser des écarts entre eux et leurs aînés. Leurs comporteme nts langagiers consistent en un mimétisme entre eux et une incartade à l‘égard des