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3. D IDACTIQUE DE LA PRONONCIATION EN CONTEXTE FLE/S

3.1 Articulatoire versus perceptif ?

3.1.1 Panorama de la didactique de la prononciation

Ce travail de synthèse permettra de porter un regard épistémologique sur les différentes approches générales de la didactique de la prononciation dans la perspective qui est la nôtre. Dès le XIXème siècle, il est fait référence à « l'art de parler ». Cette dénomination fait apparaître dans les classes sociales qui se doivent de le pratiquer, que parler (le français) n'est pas seulement un fait commun, mais requiert un enseignement au même titre que la musique, etc. De cette nécessité de maîtriser l'art de parler, les maîtres doivent adapter leur enseignement et l'on fait intervenir la notion de « double action artistique (étudier et enseigner) » (Aubin, 2008 : 103). Dans cette perspective, le maître de langue maîtrise sa parole, au même titre que le maître de chant. Cette conception du parler fait intervenir l'idée d'art mais dans un sens large où l'importance du lexique, de la prononciation mais aussi de la rhétorique en sont les éléments principaux. D'ailleurs, à cette époque, le français n'a pas une valeur incontestée de « langue »

musicale qui fait face à l'importance de l'italien et de l'allemand, de par leurs influences en termes culturels. Les analogies entre musique et parole, notamment à travers des expressions imagées ou des exercices empruntés à la musique (dictée, répétition, écoute, etc...), sont un

phénomène qui a pris une ampleur particulière aux XVIIème et XVIIIème siècles, mais qui s'est

vue décroissante dès le milieu du XIXème(Aubin, 2008 : 105). Il faut, néanmoins, faire à cette

époque et pour ces classes aisées, la distinction entre l'enseignement consacré aux filles et celui aux garçons. Les sciences classiques sont enseignées aux garçons ; l'enseignement des langues prend alors en compte une vision lexicale (politique, économie, diplomatie), grammaticale et syntaxique. En opposition à cela, les filles se doivent de connaître les arts d'agrémentation. L'enseignement des langues est majoritairement oral et a pour but de favoriser l'utilisation contrôlée d'une « langue » mélodieuse. L'apprentissage des filles étant vu comme inférieur à celui des garçons, les maîtres de langue étaient plus libres dans leurs méthodes. Il n'est donc pas étonnant de comprendre que « c'est dans le système scolaire masculin que la mort de l'approche artistique et des méthodes musicales, qui n'étaient qu'au stade embryonnaire, fut la plus spectaculaire » (Aubin, 2008 : 108). En effet, les sciences classiques, proposées aux garçons, font intervenir des calques didactiques de l'enseignement des langues mortes (latin) aux langues vivantes.

L'influence du structuralisme à travers Ferdinand de Saussure (1906-1911) et le Cercle linguistique de Prague (1929-1939 : R. Jacobson et N. S. Troubetzkoy) (Vaissière, 2006 : 19) a eu pour effet de faire évoluer cette approche où l'appareil phonatoire est vu comme un instrument de musique, par les pionniers de la phonétique, vers une dissection systématique, avec l'arrivée des moyens technologiques, d'une machine à sons.

Figure 25: La double réalité des unités sonores verbales (par l'auteur).

Le phonème, unité minimale linguistique de l'oral (Martinet, 1970 : 16), peut donc accepter une double réalité (Figure 25) : physique telle qu'elle a été définie initialement par D. Jones (1931 : 74) mais également psychologique, mise en emphase par Baudouin de Courtenay cité par Twaddell (1935 : 56), Hyman (1975 : 72) et repris par Randall (2007 : 39) :

« c’est un concept abstrait, une construction mentale, un symbole qui existe dans l'esprit des locuteurs. Le défi de la psychologie et de la linguistique est d'apporter des explications sur le transfert de données brutes physiques vers des représentations abstraites symboliques de la parole ».

Cette dernière vision est renforcée lorsque Krashen (1988 : 35), d’obédience chomskyenne, affirme que « la prononciation est beaucoup plus ancrée dans la personnalité de l'apprenant que n'importe quel autre aspect de la langue ». Par ailleurs, la réalité même du phonème peut être remise en doute, en tant que son du discours représenté dans l'esprit et que « l'on s'efforce d'atteindre » (Goody, 1994 : 276) au profit du phone : « le son concret employé dans toute émission du discours » (Ibidem : 277). Nous pouvons le dissocier en deux niveaux : physiophonique « représentant les sons qui sont émis en fait » et psychophonique « représentant que des phonèmes » (Ibidem).

Cette double réalité a trouvé un écho différent selon les époques et les différentes méthodes. Nous reviendrons brièvement sur les différentes méthodes appliquées depuis le XVIème siècle :

la méthode traditionnelle (Wachs, 2011 : 186) :

Principe : il s’agit d’une méthode grammaire/traduction qui vise la traduction de textes sacrés et la maîtrise de l'écrit littéraire.

Prononciation : il n’y a aucun intérêt porté à cette composante de la « langue ». Critique : il n’y a pas de prise en compte des processus acquisitionnels.

la méthode directe (Wachs, 2011 : 186-7 ; Lauret, 2007 : 83-8) :

Principe : l'apprentissage est considéré comme intuitif par imitation, à l'image des jeunes enfants, dans l'apprentissage de la L1. Elle est basée sur les premières recherches acquisitionnistes.

Prononciation : il est préconisé de laisser le temps aux apprenants dans leur écoute des nouveaux sons afin de favoriser l’imprégnation sonore.

Critique : l'apprentissage d'une langue étrangère n'est pas le même que l'apprentissage d'une L1 (langue première) chez l'enfant.

la méthode audio-orale et la méthode Structuro-Globale Audio Visuelle (SGAV)

(Wachs, 2011 : 187-8 ; Guimbretière, 1994 : 46-7 ; Lauret, 2007 : 95-107) :

Principe : l'intérêt est porté sur la notion d'habitude en lien avec les travaux sur le béhaviorisme (Skinner, 1904-1990 dans Rolland, 2011 : 16-7). L'accent est tantôt porté sur :

la méthode articulatoire : « l'émission des sons implique une connaissance relativement

poussée du fonctionnement de l'appareil phonatoire » (Guimbretière, 1994 : 46) ; l'audition de modèle : « l'intégration des notions est facilitée par un apprentissage

inconscient [à travers des drills] » (Guimbretière, 1994 : 47) ;

la méthode des oppositions phonologiques : « mémoriser les phonèmes par oppositions

de type binaire en les faisant répéter sous forme de paires minimales » (Guimbretière, 1994:47).

Prononciation : ces trois méthodes coexistent dans un continuum pédagogique dans l'approche audio-orale. Deux courants apparaissent : « les tenants d'une approche consciente, raisonnée, en un mot intellectualisée, qui s'opposent aux tenants d'une pédagogie fondée sur l'apprentissage mécaniste qui s'organiserait au niveau de l'inconscient, et ou serait bannie toute fonction raisonnante » (Guimbretière, 1994 : 47).

Critique : le système est proposé sous une forme réduite de discours à travers des unités isolées qui, par conséquent, réduit les possibilités de combinaisons des phonèmes entre eux. Les dialogues proposés dans des documents audio ou vidéo manquent de naturel.

la méthode verbo-tonale (Wachs, 2011 : 186-7 ; Lauret, 2007 : 83-8) : Principe : dans les années 50, Petar Guberina affirme que :

« la stratégie verbo-tonale se caractérise par une rééducation de l'audition passant par un quadruple conditionnement au plan psychologique, corporel, psychosomatique et audio-phonatoire. [...]Les procédés correctifs sont disposés de manière à reconditionner l'audition par une action portant non pas sur l'articulation du sujet mais sur le modèle afin de procéder à une intégration inconsciente » (Guimbretière, 1996 : 48).

Le but final n’est pas de faire acquérir de nouvelles unités mais de faire en sorte que les unités soient utilisées, de manière différente, par rapport à leurs usages dans la langue maternelle/première.

Prononciation : la méthode verbo-tonale intègre l'individu dans son apprentissage. Six principes généraux sont retenus : la motivation maximale, le recours au non-verbal, pas d'intellectualisation, le respect de la structure, la faute comme point de départ, la patience dans la maturation (Renard, 2002 : 233).

Critique : le refus d'intellectualisation, notamment chez l'adulte, peut empêcher la distanciation avec la production sonore en L1, par exemple. Il n'y a pas de transition entre les contextes facilitant proposés et la réalisation d'énoncés en parole spontanée.

Les approches communicative et actionnelle (Wachs, 2011 : 189-90 ; Lauret, 2007 :

153) :

L'approche communicative, à la fin des années 70, révèle un changement de paradigme dans la didactique des langues. Comme le rappelle Rolland (2011 : 54) : « les langues ne sont plus considérées comme des objets d’étude examinés indépendamment de l’usage qui en est fait. Le langage est considéré du point de vue de son utilisation [de ce fait] la phonologie est peu exploitée au profit d’activités de communication permettant d’utiliser la langue et non de l’étudier.» Quand un apprentissage plus spécifique sur la prononciation est prévu, il s'intègre souvent dans une tradition béhavioriste. Les simulations, au centre de cette approche, favorisent l'émergence de processus d'évitement (évoqué dans Narcy-Combes, 2005 : chapitre 5 et mentionné dans Narcy-Combes, 2012b : 82). Dans le prolongement, l'approche actionnelle du Conseil de l'Europe (2001) propose un Cadre Européen Commun de Référence en Langue (CECRL) dont Macaire et al. (2010 : 15) rappellent qu'il a acquis une « autorité incontestable ». Dans ce dernier, la « compétence phonologique » (nous reviendrons plus tard sur la notion de « compétence ») est définie par (1) une connaissance de la perception et de la production et (2) une aptitude à percevoir et produire certaines unités et caractéristiques prosodiques (Tableau 3).

Tableau 3: La compétence phonologique par le CECRL (Conseil de l'Europe, 2001 : 91-2).

Il intègre donc d'une part, une connaissance explicite et d'autre part, son intégration implicite. Nous ne reviendrons pas en détails sur les problèmes épistémiques posés, dans la typologie en niveau (A1 → C2), de formulations vagues et de l'utilisation de notions du type « répertoire très limité », « erreurs de prononciation ». La « compétence » de l'apprenant étant évaluée sur le simple fait que le « locuteur natif » puisse comprendre « avec quelque effort » tout en étant « habitué aux locuteurs du groupe linguistique de l'apprenant/utilisateur » ou qu'il doive « faire répéter ». La maîtrise totale du système est caractérisée, selon le référentiel, par la maîtrise de la prosodie. Le cadre de Référence délègue la question de « l'importance relative des sons et de la prosodie » à ses utilisateurs. Il est clair que ni l'approche communicative, ni l'approche actionnelle à travers le CECRL ne prennent position sur la place, dans une perspective interactionniste, des unités phonétiques et phonologiques dans l'apprentissage d'une langue étrangère.

Dans la perspective émergentiste et socioconstructiviste qui est la nôtre, nous nous positionnerons dans une approche par tâches (Narcy-Combes, 2006 : 77-87) (voir partie 1,

chapitre 2). Elle permet notamment de préciser la trichotomie

« compétence / performance / processus » (Figure 26) :

« la « compétence » est un construit social ancré dans les représentations des individus par reconstruction a posteriori. Elle n’est, par conséquent, ni directement accessible ni évaluable. A contrario, les processus neurocognitifs sont eux mesurables à travers des techniques médicales (IRM(f), EEG, etc.) mais restent segmentés à cause des limites expérimentales que ces outils imposent. [...] Nous n’avons finalement accès qu’à des performances orale (parole/discours) et/ou écrite (textes) qui sont mesurables et évaluables. » (Miras & Narcy-Combes, 2014 : 19)

Figure 26: Représentation des rapports entre les notions de processus, compétence et performance (Miras & Narcy-Combes, 2014 : 19).

Nous rappellerons que l'approche par tâche nous semble répondre aux résultats actuels en didactique/acquisition des langues tout en permettant de prendre en compte la non-linéarité des apprentissages. C'est également une approche non-symboliste puisque reposant sur les performances en tant que processus neurophysiologiques. Néanmoins, le caractère particulier de la prononciation (intuitif même en L1) requiert un travail ancré dans des tâches d’entraînement. Il est donc important de commencer à repenser quel type de tâches d’entraînement proposer dans la médiation de la perception et la production des sons en

langue(s) étrangère(s). Ce terme sera préféré, compte tenu de notre approche, aux

dénominations de « phonétique corrective », « cours de prononciation », « cours de phonétique », etc. Le but de notre perspective n'étant pas de « corriger », « remédier à » ou « donner un cours de » mais d'accompagner l'apprenant, s'il le souhaite, vers une prononciation dans laquelle il se sentira plus à l'aise en production mais également de favoriser la

perception/réception de lui-même et par autrui. Il nous reste donc à comprendre quels sont les processus qui sous-tendent l'acquisition d'un nouveau système phonético-phonologique afin d'atteindre cette objectif.