• Aucun résultat trouvé

3. D IDACTIQUE DE LA PRONONCIATION EN CONTEXTE FLE/S

4.3 Analyses et discussions

4.3.3 Langages musical et verbal

Nous avons pu voir à travers l'analyse des données, à l'intérieur de chaque panel, les musiciens (MAS et MSS) d'un côté et les locuteurs-plurilingues (LPR et LPNR), que les représentations sur leurs rapports aux formes sonores et écrites de leurs langages (musique et discours) semblent être homogènes et ce au-delà des variables étudiées : l'apprentissage du solfège et la pratique en contexte naturel.

Cette partie étudiera plus particulièrement les ressemblances ou différences qui peuvent exister dans les représentations sur les formes sonores et écrites des langages étudiés (la musique et le discours) afin de voir si ces relations dépassent les caractéristiques de la frontière psychosociologique et disciplinaire entre ces domaines. En outre, si le fait que les musiciens soient également des locuteurs(-plurilingues) était une variable remarquable, nous devrions retrouver des tendances similaires entre les panels LPR/LPNR et MAS/MSS. Nous tenons à préciser, à nouveau, que les musiciens ont été interrogés sur leur rapport au langage musical et les locuteurs-plurilingues au langage verbal uniquement. Nous avons ainsi limité le biais du fait que certains musiciens puissent être plurilingues et certains locuteurs-plurilingues, des musiciens. Cependant, nous pouvons comparer ces données étant donné l'homogénéité sur le plan socio-culturel de ces panels en termes d'âge (15-25 ans), de culture (occidentale) et cognitif (haut niveau d'étude). Nous noterons, néanmoins, que les effectifs étant différents, la représentativité sera différente en fonction des groupes. L'analyse portera sur cinq dimensions : le rôle du locuteur/musicien, les aspects intra- et interpsychiques, émotionnels et l'influence de l'écrit sur les représentations des formes orales.

Nous comparerons tout d'abord, les représentations liées au rôle du locuteur/musicien. Nous pouvons constater que le rapport à la « norme » est totalement différent dans un groupe et dans l'autre (Tableau 37).

Tout à

fait Plutôt Moyen

Plutôt pas

Pas du tout Parler comme un natif est le plus

important pour bien parler une langue étrangère

LPR 22% 36% 26% 11% 5%

LPNR 20% 44% 27% 8% 2%

Transmettre des émotions est le plus important pour bien parler une

langue étrangère LPR 18% 50% 25% 6% 2% LPNR 15% 37% 34% 12% 3% Tout à

fait Plutôt Moyen

Plutôt pas

Pas du tout Un bon musicien doit seulement

reproduire les intentions du compositeur.

MAS 3% 11% 34% 27% 25%

MSS 1% 11% 34% 30% 25%

Un bon musicien apporte sa personnalité dans l’œuvre qu'il

interprète.

MAS 57% 37% 5% 1% 0%

MSS 62% 35% 3% 0% 0%

Tableau 37: Résultats comparatifs en pourcentages de réponses au questionnaire à échelle d'attitude pour deux affirmations sur le rôle du locuteur / musicien. En gras, les pourcentages supérieurs ou égaux à 20% et en gras surligné gris, les pourcentages supérieurs ou égaux à 50%.

La partition est posée en tant que norme, étant donné qu’elle reflète les intentions de l'auteur. L’œuvre initiale n’existe que dans l'esprit du compositeur. Dans le cas du discours, le locuteur natif est devenu dans la doxa, une des normes prédominantes. Il est intéressant de constater que même si les deux groupes (locuteur-plurilingues et musiciens) affirment une tendance forte en faveur d'intégrer une charge émotionnelle et personnelle dans l'acte sonore, les locuteurs-plurilingues chercheraient à atteindre la norme du « natif » tandis que les musiciens devraient s'écarter de la norme écrite (la partition), se positionnant ainsi comme des interprètes, et non comme des exécutants (Corbel, 2005 : 78). Le musicien ne pourrait intégrer sa personnalité dans l’œuvre que s'il se détache des intentions premières du compositeur afin d’y intégrer son intentionnalité émotionnelle. Le musicien ne pourrait intégrer sa personnalité dans l’œuvre que s'il se détache des intentions premières du compositeur. Le locuteur-plurilingue ne voit pas d'opposition entre d'une part, son intentionnalité émotionnelle et d’autre part, le fait d'atteindre une norme externe : le « natif ».

Afin d'approfondir cette apparente opposition entre émotion et « norme », il nous semble intéressant d'analyser les rapports au niveau intrapsychique afin de voir si cette opposition perdure à ce niveau. Les musiciens montrent une forte tendance à penser aux différentes caractéristiques du type de musique qu'ils jouent que ce soit à l'aide d'une partition ou de manière improvisée. Ce sentiment est renforcé chez les musiciens ayant fait du solfège. Il est intéressant de voir que cette tendance ne se retrouve pas chez les locuteurs-plurilingues. En outre, il n'y a pas de tendance remarquable sur le fait que les locuteurs pensent aux différentes

caractéristiques de la langue quand ils parlent dans leur langue maternelle ni avant de lire un texte dans une langue étrangère. Néanmoins, nous pouvons remarquer que les deux panels LPR et LPNR montrent une tendance positive, pour ce genre de pratique, avant d'utiliser une langue étrangère à l'oral. Il apparaîtrait, par conséquent, que, sur le plan cognitif, la pratique de la musique, et ce même à un niveau de pratique important (MAS), reste une pratique qui demande une réflexion métacognitive liée à l'ensemble des paramètres qu'il faut maîtriser dans l'acte de jouer. L'oralisation de la L1 est un acte automatique qui plus est chez les locuteurs-plurilingues n'ayant pas une pratique régulière d'une langue étrangère. Seule la pratique orale d'une langue étrangère semble imposer chez les LPR et LPNR une réflexion métacognitive. Cette opposition se retrouve lorsque les musiciens montrent de l'importance dans le « bien » jouer pour la qualité du son contrairement aux locuteurs-plurilingues qui cherchent à transmettre du sens.

Cependant, les quatre panels (LPR/LPNR/MAS/MSS) montrent plus d’intérêt pour le fait d'être à l'aise même s'il y a des erreurs. La norme du « bien jouer » se trouverait donc chez le locuteur-plurilingue dans une interaction réussie tandis que le musicien chercherait à ce que sa perception interne et externe coïncide le plus possible tout en n'incluant pas le spectateur dans cette relation. Ce parallèle se retrouve lorsque les quatre panels ont l'impression lorsqu'ils changent de langue/style de musique d'être la même personne tout en agissant différemment avec les autres (interlocuteurs, spectateurs, etc.). Une minorité dans les quatre cas pense changer de personnalité. Les individus auraient donc une conscience stable de qui ils sont en tant que personne quel que soit le type de production qu'ils émettent et qu'ils souhaitent garder lorsqu'ils affirment vouloir garder leur identité personnelle lorsqu'ils changent de musique/langue. Cependant, les quatre panels montrent peu d'intérêt dans la conservation de leur identité culturelle et montrent une importance remarquable dans l'intégration des éléments culturels de la langue ou des spécificités d'un style de musique. Néanmoins, il est intéressant de constater qu'un nombre très important (80%) de musiciens (MAS et MSS) pensent changer d'état d'esprit lorsqu'ils changent de style de musique, contrairement aux locuteurs-plurilingues (LPR et LPNR) qui ne montrent pas de tendance probante. Il semblerait que la doxa proposant une co-construction de la pensée-« langue » favoriserait un continuum de distanciation dans la frontière entre les discours (les « langues ») (voir 2.3.1).

A l'opposé, la pratique musicale, quel que soit le type d'apprentissage, s'organiserait en espaces cognitifs cohérents pour chaque type de musique que le musicien peut produire. Les musiciens s'apparenteraient à des acteurs capables de « jouer » différents rôles éphémères sans que leur identité profonde soit modifiée. Nous faisons l’hypothèse que nous pourrions retrouver ce genre de tendance chez des locuteurs lors d'un changement de registre de langue dans des contextes

particuliers (situation académique versus relâchée, etc.).

Cette notion d'espace cognitif apparaît également lorsque les quatre panels présentent une tendance forte concernant des sensations différentes lorsqu'ils changent de langue ou de style de musique. Il semblerait que cette notion se développe au-delà de la sphère purement cognitive, mais se projette également sur la sphère physique, de manière rationalisée ou non, et permettant ainsi de catégoriser un réseau de caractéristiques propres à une performance donnée. Nous terminerons cette analyse intrapsychique en montrant qu'aucun des panels n'a montré de tendance remarquable concernant le fait de penser en même temps qu'ils parlent ou jouent de la musique. Il serait intéressant de décomposer cet aspect afin de voir dans une future étude si aucune tendance ne peut être mise en évidence ou si les facteurs individuels ne permettent pas de faire émerger de tendance importante.

Après avoir analysé les similitudes et différences entre les panels de musiciens et locuteurs-plurilingues, nous nous intéresserons aux plans interpsychique et émotionnel afin d'apporter un regard complémentaire. Nous pouvons tout d'abord constater que les quatre panels montrent une tendance dans une prise de conscience dans la différence entre ce qui est produit (par soi) et ce qui est perçu (par autrui). Cette prise de conscience est la plus forte chez les musiciens ayant fait du solfège puis comparable chez les MSS et LPNR et enfin plus faible chez les LPR (Tableau 38 et Figure 35).

MAS MSS

Tout à fait Plutôt Tout à fait Plutôt J'ai l'impression que ce que j'entends

quand je joue n'est pas la même chose que ce qu'entendent les spectateurs.

30% 35% 14% 40%

65% 54%

LPR LPNR

J'ai l'impression que ce que j'entends quand je parle n'est pas la même chose

que ce qu'entendent mes interlocuteurs.

9% 27% 12% 32%

36% 44%

Tableau 38:Pourcentage de réponse des différents panels concernant la prise de conscience entre ce qui produit et ce qui est perçu.

Figure 35 : Continuum de prise de conscience entre ce qui est produit et ce qui est perçu chez les 4 panels étudiés.

Les MAS ont une pratique (orchestre, groupes semi-professionnel et amateur) plus variée que les MSS ce qui peut expliquer cette plus grande sensibilité aux distorsions du son dans l'espace. Les LPNR présentent une forte différence entre leur productions en langue(s) première(s) et les LE, de par leur niveau, ce qui implique une plus grande prise de conscience entre ce qu'ils aimeraient produire et ce qu'ils produisent en réalité. Cette considération peut également expliquer que les LPR aient la perception la moins sensible de cette différence puisque qu'ils peuvent valider plus facilement une interaction en LE et par conséquent les différences de forme sont minimes étant donné le caractère co-construit du sens dans l'interaction. Malgré une prise de conscience des différences entre soi et autrui, les musiciens montrent également peu d'intérêt à obtenir un retour positif des spectateurs dans le « bien jouer » tandis que les locuteurs-plurilingues veulent une fois encore valider l'interaction. Toutefois, les quatre panels s'accordent à montrer une forte tendance envers l'influence de la timidité sur la qualité de l'oral/de jeu (Tableau 39).

Tout à

fait Plutôt Moyen

Plutôt pas

Pas du tout

Tout à

fait Plutôt Moyen

Plutôt pas Pas du tout LPR LPNR La timidité influence la qualité de l'oral. 54% 30% 8% 5% 3% 64% 21% 7% 6% 2% MAS MSS La timidité influence la qualité du jeu. 39% 37% 12% 7% 4% 42% 35% 12% 6% 5%

Tableau 39: Résultats comparatifs en pourcentages de réponses au questionnaire à échelle d'attitude pour deux affirmations sur les effets de la timidité sur la qualité de l'oral/de jeu. En gras surligné gris : pourcentages X = ou > 50% ; en gras : pourcentages 30% =ou < X. Afin de terminer notre réflexion et après avoir porté un regard général, nous nous centrerons sur les relations entre objets sonore et écrit. Même si, de prime abord, la lecture aiderait plus les locuteurs-plurilingues à mieux prononcer que les musiciens à mieux jouer, dans leurs représentations, nous constatons que pour une très faible minorité les formes sonores et écrites fonctionnent de la même manière. En réalité, les quatre panels montrent une forte sensibilité sur les différences entre ces deux modalités, même si les locuteurs-plurilingues mettent l'accent sur le fait qu'ils fonctionnent différemment et les musiciens sur le fait qu'ils soient naturellement liés.

Néanmoins, les quatre panels semblent s'accorder sur le fait qu'il n'est pas plus difficile de lire un texte/une partition que de parler spontanément à l'oral en LE/improviser. Toutefois, pour une majorité d'entre eux, leur prononciation/jeu serait meilleur(e) quand ils lisent un texte/une partition. Les tendances sont plus mitigées lorsqu’il s’agit de savoir si la prononciation serait meilleure lorsqu'ils parlent spontanément à l'oral/improvisent (Tableau 40).

LPR LPNR MAS MSS

Il est plus difficile de lire un texte/une partition que parler spontanément à l'orale en

LE/improviser

-- -- - +/--

Ma prononciation/mon jeu est meilleur(e) quand

je parle spontanément à l'oral/improvise

++/- + +/- ++/-

Ma prononciation/mon jeu est meilleur(e) quand

je lis un texte/une partition

+ + + +/-

Lecture/partition aide mieux prononcer/jouer

+ ++ + +/-

Tableau 40: Synthèse des positionnements des quatre panels concernant les liens écrit-son dans un questionnaire à échelle d’attitude. Les signes correspondent à : (-) ou (+) tendance légèrement négative ou positive ; (- -) ou (++) tendance fortement négative ou positive ; (++/-) aucune tendance remarquable mais plutôt positive et (+/--) plutôt négative.

Ainsi, de manière générale, il semblerait que dans les représentations des sondés (musiciens et locuteurs-plurilingues) la forme écrite aiderait à la mise en son et n'imposerait pas de difficultés supplémentaires.

Selon tous ces éléments, nous pouvons dire que les rapports individu-son-écrit entre la parole et les locuteurs-plurilingues sont largement influencés par le caractère pragmatique des « langues ». Les musiciens ont un rapport plus introspectif en lien avec l'intentionnalité (explicite) émotionnelle que le jeu musical implique. Dans le contexte de notre étude, les variables externes étudiées ne semblent pas apporter de modification importante des représentations. Il nous reste donc à réfléchir sur l'influence d'un changement de médium de langage comme c'est le cas pour la langue des signes.