• Aucun résultat trouvé

3. D IDACTIQUE DE LA PRONONCIATION EN CONTEXTE FLE/S

4.3 Analyses et discussions

4.3.4 Une modalité du signe ?

Après avoir mis en évidence, les similitudes et différences entre les langages verbal et musical qui comportent tous les deux, deux modalités d'expression : sonore et écrite, nous nous intéresserons au panel de locuteurs-signeurs afin de voir si le médium de communication (physique versus sonore) peut modifier les rapports au langage.

Nous devons avant tout noter, d'après le profil socio-culturel du panel de locuteurs-signeurs, que les sondés ont une approche de la langue des signes (LS) en tant que locuteurs tardifs puisqu'ils ont majoritairement découvert le langage par une langue orale puis une langue

des signes à l'âge de 15 et plus soit après la période critique (pour la langue orale : Flege et al., 1999 ; Kuhl, 2010 ; Simmonds, 2011 ; pour la langue des signes : Newman, et al., 2002). Ils ont pour la grande majorité pris des cours formels de langue des signes et par conséquent ont pu développer un regard métacognitif sur cette « langue ». L'analyse permettra de mettre en évidence si des différences psychocognitives apparaissent dans la pratique d'une « langue » non-sonore même si les sondés n'ont pas pu développer des réseaux neurophysiologiques spécifiques de par leur apprentissage majoritairement tardif de la LS.

Nous focaliserons l’analyse sur les points traités précédemment, soit : le rôle du locuteur, les aspects intra- et interpsychiques, émotionnels et l'influence de l'écrit sur les représentations des formes signées.

Concernant le rôle du locuteur, nous pouvons constater que les locuteurs-signeurs répondent de la même manière que les locuteurs-plurilingues, soit en faveur d'une tendance vers la « norme » du locuteur natif (LS et LO) mais également en faveur de la transmission des émotions. Il semblerait donc qu'à ce niveau, la modalité ne change pas la relation à la « norme ». Si nous comparons ces résultats à ceux des musiciens, il semblerait que le caractère pragmatique spécifique des langues soit à l'origine de cette nécessité d'atteindre une norme tout en favorisant l'intentionnalité émotionnelle. Nous retrouvons cet élément lorsque le panel montre que le plus important pour bien communiquer, c'est d'être compris et à l'aise et ce malgré de possibles erreurs. Cette tendance est strictement similaire à celles constatées chez les LPR et LPNR.

Sur le plan intrapsychique, les locuteurs-signeurs montrent une forte tendance sur le fait de penser aux différentes caractéristiques de la langue des signes avant de signer des phrases d'un texte. Par contre, le fait d’y penser pendant ou avant l'acte de signer (de manière générale) ne représente qu’une légère tendance. Le panel montre donc une approche plutôt automatisée de l'acte de signer comme nous avons pu le voir chez les locuteurs-plurilingues ayant une pratique régulière en contexte naturel démontrant une approche peu métacognitive dans l'acte lui-même. Ce résultat paraît étrange étant donné le fait que la majorité du panel a appris sa LS de manière tardive et par des cours formels. Toutefois, en ce qui concerne l'acte de signer un texte, il semblerait que ce dernier demande une réflexion plus importante et moins automatisée probablement explicable par un coût cognitif important lié à un premier traitement graphème-phonème (Dehaene, 2007 : 69, entre autres) puis une transcription motrice en signe. Ce coût supplémentaire est en corrélation avec l'apprentissage tardif de la LS et donc un traitement auditif privilégié dans le traitement de l'écrit.

Notre panel de locuteurs-signeurs montre les mêmes tendances que les quatre précédents panels (LPR/LPNR/MAS/MSS) dans le fait de penser être les mêmes personnes tout en agissant

différemment avec les autres quand ils changent de langue (LO/LS). Ils ne montrent pas non plus de tendance particulière sur le fait d'être dans le même état d'esprit ou non lorsqu'ils changent de langue (LO/LS) comme nous avons pu le constater chez les locuteurs-plurilingues. Il semblerait donc que les individus aient une perception stable de la personne qu'ils sont et ce malgré le changement de langue (LO/LS) ou de style de musique. Tous perçoivent néanmoins le fait que ces changements modifient leur façon d'agir avec les autres. Mais seuls les musiciens ont une conscience importante d'un changement d'esprit lorsqu'ils changent de style de musique. Nous pouvons donc affirmer que la modalité physique de la langue des signes n'apporte pas de spécificité à celle sonore de la « langue ».

Sur le plan interpsychique, les locuteurs-signeurs montrent une tendance négative au fait qu'ils auraient l'impression que ce qu'ils signent n'est pas la même chose que ce que perçoivent leurs interlocuteurs. Cette tendance peut être expliquée par le caractère plus stable d'un stimulus visuel que celui d’un stimulus sonore ; ainsi les locuteurs-plurilingues et les musiciens perçoivent une « vaporéité » dans l'objet sonore ce qui implique une prise de conscience sur les distorsions probables entre la production et la perception tandis que le signe physique serait plus stable et donc enclin à moins de variation entre celui qui produit et celui qui perçoit. Néanmoins, l'influence de facteurs émotionnels tels que la timidité est reconnue par tous les panels pour les langages qu’ils soient oral, signé ou musical. Sur le plan culturel, nous ne remarquons pas de spécificité particulière car les quatre panels montrent une volonté, lorsqu'ils changent de « langue »/style de musique, d'intégrer les éléments spécifiques de la « langue »/musique cible, de garder leur identité personnelle et ce au détriment de leur identité culturelle.

Nous terminerons notre analyse en nous intéressant à l'influence de la modalité de communication sur les rapports à l'écrit. Nous pouvons remarquer tout d'abord que comme les quatre autres panels, les locuteurs-signeurs pensent que l'écriture et l'oral fonctionnent différemment même s'ils sont naturellement liés. Nous retrouvons les mêmes proportions qu'avec les locuteurs-plurilingues ce qui nous permet d'affirmer que l'apprentissage tardif d'une langue des signes ne modifie pas les relations entre l'écriture et l'oral chez ces personnes. Il est cependant intéressant de remarquer que contrairement aux quatre autres panels, une grande majorité des locuteurs-signeurs montrent une forte tendance négative en ce qui concerne le fait que la lecture les aiderait à mieux signer. Ce résultat est d'autant plus intéressant que les LPNR n'affichent pas cette tendance négative. Or les LPRN et les LS ont appris tardivement (10 ans et plus) leur(s) première(s) langue(s) étrangère(s) ou leur(s) première(s) langue(s) des signes. Nous pouvions, par conséquent, nous attendre à des résultats similaires. En réalité, le groupe

des musiciens n'ayant pas fait de solfège propose les résultats les plus semblables en n'affichant pas de tendance importante à savoir si la partition aide à mieux jouer. Nous pensons que cette corrélation est un épiphénomène dont l'origine serait distincte pour les panels LS et MSS. Le panel de locuteurs-signeurs montre qu'il est plus difficile de signer des phrases d'un texte que de signer spontanément, qu'il n'est pas plus facile de lire des phrases d'une texte en signant que de les lire à l'oral et qu'ils ne communiquent pas mieux quand ils signent spontanément que quand ils parlent à l'oral spontanément. L'ensemble de ces données renforce l'analyse faite précédemment visant à dire que chez des locuteurs tardifs d'une langue des signes, le rapport entre graphème-signe est moins naturel que celui pour des langues orales (L1/LM ou LE) et par conséquent requiert un poids cognitif supérieur. Nous pouvons ajouter à cela que nous ne pouvons voir de tendance remarquable chez les locuteurs-signeurs sur le fait que leur prononciation serait meilleure quand ils lisent un texte à l'oral que quand ils parlent spontanément à l'oral.