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1. M USIQUE ET PAROLE : DIACHRONIE ET SYNCHRONIE

1.3 Propriétés acoustiques et perceptives

1.3.2 Instruments : appareil phonatoire et instruments de musique

L'appareil phonatoire humain est souvent vu comme une « machine à sons », à l'instar de la phonétique articulatoire, comme le souligne Aubin « [beaucoup de phonéticiens] se passent difficilement du recours à l'analogie instrumentale » (Aubin, 1996 : 37). Leipp ajoute que « parmi les instruments à vent, l'appareil phonatoire apparaît comme un des plus raffinés, pour peu qu'on sache en « jouer » » (Leipp, 1989 : 285). L'appareil phonatoire et les instruments de musique ont en commun la présence d'un excitateur, d'une structure vibrante et éventuellement d'un ou plusieurs résonateurs. En parole, la hauteur tonale est le produit de la vibration des plis vocaux situés dans la cavité laryngée. La variation de la hauteur tonale fait partie des éléments qui définissent la prosodie en parole (avec l’accentuation et le rythme, entre autres). Le son produit par cette source sera modulé à travers les différentes cavités (résonateurs) de la phonation telles que la cavité nasale, buccale ou pharyngée. Certaines fréquences seront atténuées ou amplifiées selon le volume, la consistance de ces résonateurs qu'il est possible de faire varier en bougeant la langue ou les lèvres, par exemple. La théorie source-filtre (Fant, 1960 : 15) permet d'expliquer ce phénomène (annexe 4). La hauteur tonale, en musique, variera en fonction du type d'instrument, par exemple : longueur et diamètre de la corde, longueur du tube, occlusion des clés, etc.

La notion de timbre dépend intrinsèquement des propriétés physico-acoustiques. Il faut néanmoins prendre conscience que la notion de timbre en musique n'est pas strictement la même en parole. Il en va de même en ce qui concerne la note (éventuellement sonème) et le phonème. Le « timbre » en musique est un attribut multidimensionnel complexe et encore mal compris. Il intègre l'ensemble des caractéristiques acoustiques qui permettent de définir l'instrument qui a joué un son (Figure 11). Selon Schaeffer (1966 : 231): « le timbre perçu est une synthèse des variations de contenu harmonique et de l'évolution dynamique; en particulier, il est donné dès l'attaque lorsque le reste du son découle directement de cette attaque ».

Figure 11: Une représentation du timbre musical (McAdams et al. 1995 dans Caclin, 2004 : diapositive 2). Le timbre musical se compose d'au moins trois dimensions que sont le temps d'attaque (court/long), le centroïde spectral (aigu/grave) et le flux spectral (plus/moins). Traditionnellement le « timbre » dans la parole fait référence à l'ensemble des caractéristiques perceptives qui permet de déterminer l'identité d'un individu au simple son de sa voix. Il dépend de nombreuses variables physiologiques telles que la physiologie des plis vocaux et des différentes cavités, entre autres. Nous nous intéresserons, dans notre étude, plus particulièrement à l'analyse des sons vocaliques. Dans cette perspective, le timbre peut faire référence aux différences caractéristiques acoustiques qui permettent une représentation spectrographique vocalique. Dans la théorie source-filtre, mentionnée précédemment, après la mise en vibration de l'air par une source (les plis vocaux), l'onde sonore va être transformée par les filtres (les résonateurs) et présentent des zones d'harmoniques renforcées, un renforcement d'énergie, que l'on appellera formant (Vaissière, 2006 : 60). Quatre formants sont pertinents pour les sons vocaliques et renseignent indirectement sur la forme des cavités qui les ont créés (Figure 12).

Figure 12: Représentation spectrale d'une voyelle. Analyse formantique du son vocalique isolé /ø / avec le logiciel Praat. Les 4 premiers formants ont été calculés automatiquement par le programme dans la représentation de gauche. Le [ø] du français standard se caractérise par quatre formants (plus ou moins) équidistants.

Vaissière (2006 : 62) rappelle que la simplification qui consiste à dire que F1 représente l'aperture, F2 l'antériorité et F3 la labialité (arrondissement) est erronée :

« tous les formants sont modifiés par la forme générale du conduit vocal, mais certains sont plus sensibles que d'autres aux mouvements de certains articulateurs. F1 augmente rapidement lorsque la mandibule et/ou la langue s'abaissent. F2 est sensible à la position de la langue sur l'axe antérieur-postérieur, et tout autant à la configuration des lèvres lorsque la langue est massée vers l'arrière. F3 est particulièrement sensible à la longueur de la cavité antérieure lorsque la langue est massée vers l'avant. F4 est plus difficilement manipulable. »

La hauteur spectrale pour un son vocalique représentera la répartition d'énergie qui compose le phonème (Figure 13). Ainsi à hauteur tonale/intonation égale, certains phonèmes vocaliques seront perçus comment plus « aigu » ou plus « grave » en fonction de la répartition d'énergie dans l'empreinte spectrale. Un /i/ sera généralement perçu comme plus « aigu » qu'un /y/ lui-même plus « aigu » qu'un /u/. Il ne faudra pas confondre la hauteur tonale qui dépend de la vibration des plis vocaux et la hauteur spectrale qui dépend des caractéristiques du spectre de la voyelle. La hauteur spectrale est traditionnellement appelée « acuité » en didactique des langues (Callamand, 1981 : 7).

Figure 13: Représentation spectrale de trois voyelles isolés /i y u/ avec le logiciel Praat. Les rectangles représentent les renforcements d'énergie. Le /i/ est caractérisé par un renforcement d'énergie dans les hautes fréquences, le /y/ dans les moyennes fréquences et le /u/ dans les basses fréquences.

Il semble donc clair que l'appareil phonatoire humain repose sur des caractéristiques physico-acoustiques similaires à celle des instruments de musique. Néanmoins, les particularités et besoins de chacun de ces ensembles ont favorisé l'émergence de traits particuliers permettant la création d'un système complexe mais pertinent. Les caractéristiques acoustiques sont traitées de manière similaire pour la musique et la parole par le cortex auditif primaire. Cependant, les réseaux phonétique et phonologique ne donneront une prévalence qu'aux informations pertinentes au système global langagier.

Notre réflexion portant sur le français et la perception des voyelles, nous continuerons sur les particularités perceptives des sons vocaliques du français standard afin de montrer en quoi elles possèdent des caractéristiques intéressantes pour notre étude.